Comptes rendus

Stéphanie Nutting et François Paré (dirs), Jean Marc Dalpé. Ouvrier d’un dire, Sudbury, Prise de Parole/Institut franco-ontarien, 2007, 342 p. (Agora)[Notice]

  • Emir Delic

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  • Emir Delic
    Candidat au doctorat en lettres françaises,
    Département de français,
    Université d’Ottawa.
    edeli039@uottawa.ca

Issu d’un colloque éponyme tenu à l’Université de Guelph du 16 au 18 septembre 2004 et dirigé par Stéphanie Nutting et François Paré, Jean Marc Dalpé. Ouvrier d’un dire porte sur l’oeuvre d’un auteur polyvalent et reconnu. Au cours de sa carrière qui s’étend sur près de trois décennies, Jean Marc Dalpé exerce plusieurs métiers (comédien, poète, dramaturge, romancier, traducteur, professeur et, depuis quelques années, scénariste pour le petit écran) et se voit décerner de nombreuses distinctions, dont trois prix littéraires du Gouverneur général du Canada. Cependant, comme le précisent Nutting et Paré, l’objectif de cet ouvrage collectif n’est pas d’ériger un monument, d’immortaliser l’écrivain et sa création, mais plutôt de « baliser le terrain » de son oeuvre plurielle et protéiforme. Ce balisage s’effectue ici en quatre temps ou, pour ainsi dire, en quatre parcelles. Dans la première partie, qui concerne la « matière première » de Dalpé qu’est son « langage délinquant », Dominique Lafon et Jean Morency traitent tous les deux des interférences et de l’hybridité génériques, mais ils les envisagent sous des angles différents. Alors que Lafon dépiste les « dérives » stylistiques parcourant l’oeuvre de Dalpé dans son ensemble, Morency, par le biais d’une analyse d’Un vent se lève qui éparpille, aborde la question des pratiques d’écriture en contexte minoritaire. Outre ces deux études pénétrantes, on notera l’excellente intervention de Catherine Leclerc qui, dans une optique « traductologique », montre comment l’« intraduisible », entendu comme « absence d’équivalence » – aussi bien langagière (signifiant/signifié) qu’existentielle (soi/soi, soi/l’autre) – informe Un vent se lève qui éparpille, roman construit à partir d’un « foisonnement d’approximations ». De ces différentes manières de Dalpé de travailler, de façonner le dire, découle, entre autres, une dimension tragique ; c’est elle qui fait l’objet de la deuxième tranche du livre. Deux contributions se démarquent ici par leur perspicacité et par leur rigueur méthodologique. Signalons d’abord celle de Johanne Melançon, qui établit que, si le tragique naît de l’agir des personnages, cet agir, parce que provoqué par des émotions fortes, s’opère comme s’il échappait au contrôle de ces mêmes personnages. Sur la base de ces observations, que viennent enrichir des théories de Pierre Gravel, Melançon finit par constater que le « sujet tragique » est un « sujet multiple », au point que « [son] discours même ne [parvient] pas à se constituer ». Voilà un des multiples échos se réverbérant entre les différents articles, celui-ci nous renvoyant à l’« intraduisible » déjà évoqué. L’autre contribution est celle de Lucie Hotte qui s’interroge aussi sur l’agir des personnages, mais qui examine, pour sa part, l’aspect violent de cet agir. Hotte, en s’appuyant notamment sur des théories psychologiques, fait voir que, si la violence est engendrée par des émotions (et surtout par l’humiliation), l’agir violent sert également de moyen pour exprimer ces dernières. Dans cette perspective, elle explore des rapports entre « l’incapacité fondamentale » des personnages de Dalpé à s’exprimer et les manifestations de la violence. Le troisième lot du volume, apparenté au tragique, a trait aux « rapports de force » et c’est ici que logent deux des études les plus retentissantes de l’ouvrage. François Ouellet se penche sur le principe oedipien qui traverse l’oeuvre de Dalpé. Son analyse soignée l’amène à mettre en relief les blancs qui trouent les textes de l’auteur, soulignant ainsi l’importance du sous-texte, et à affirmer que l’écriture de Dalpé, investie de ce que l’auteur lui-même appelle « [sa] fiction du bâtard », s’institue en une « écriture du Même, de l’homogène ». L’étude d’Alan Filewod, quant à elle, brillant par son …