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Fabien Deglise, connu pour ses chroniques sur la consommation au Devoir, est également sociologue. Son intérêt pour la consommation l’entraîne dans l’antre du consumérisme et le refuge contre les intempéries que constitue le réseau piétonnier souterrain de Montréal, lequel court sur plus de 30 km. C’est ainsi que Deglise nous révèle les mystères de Montréal, la face cachée d’une agglomération dont la face visible est l’étalement urbain. S’ils sont souterrains, ces corridors et les activités qui s’y déroulent ne sont pas nécessairement underground. Le ton oscille entre l’essai et le reportage, et témoigne tant de la fascination de l’auteur que de son agacement face à certaines caractéristiques de ce Montréal souterrain.

Le sous-titre de l’ouvrage, « sous le béton, le mythe », en révèle bien le contenu. En effet, Deglise présente ces souterrains dans leur factualité et dans « le béton » : le plan de ces 30 km de corridors qui comportent 887 portes d’accès (en 2004), les types d’activités qu’on peut y pratiquer, les commerces qu’on y trouve et l’organisation des étages (plus on descend, plus on va vers le bas de gamme et la restauration rapide). Mais le Montréal souterrain, c’est bien plus. Cela fait partie de l’image de marque de Montréal et renvoie à tout un imaginaire, que l’auteur met en évidence dans divers films, blogs et reportages. Cet imaginaire est aussi saisi à travers des encadrés renvoyant à des articles, de journaux essentiellement, écrits à diverses époques du développement du réseau et qui présentent ses concepteurs, souvent visionnaires, et leurs prévisions. Cela se prolonge dans un aperçu d’autres villes souterraines (Toronto, Moscou, Atlanta, etc.). Si l’imaginaire renvoie à une vie se déroulant totalement sous terre, le béton rend la chose difficile dans la mesure où somme toute peu d’immeubles résidentiels sont reliés au réseau, où on peut travailler, consommer et se divertir, voire faire des études collégiales et universitaires, mais pas dormir, envoyer ses enfants à l’école ou se faire soigner.

Deglise discute aussi de l’histoire du réseau souterrain. Si le creusement des tunnels du métro y fut pour quelque chose, c’est le secteur privé qui fut surtout actif en la matière. Ce développement privé a plusieurs conséquences. Premièrement, les activités qui sont proposées aux promeneurs sont essentiellement commerciales ; deuxièmement, l’absence de signalisation d’ensemble compromet l’orientation du même promeneur ; et troisièmement, cela rend la sociabilité difficile dans cet espace au coeur de Montréal, dont il n’est pas sûr qu’il constitue un lieu de rencontre et une place publique.

Le livre se lit tout d’une traite, à la faveur d’un parcours très structuré. Les titres des chapitres renvoient à des déambulations dans les sous-sols de la ville : creuser, inaugurer, consommer, voyager, ainsi qu’à l’imaginaire social : rêver, aseptiser, inspirer. Le plaisir de la lecture tient à l’écriture fluide et un brin ironique, aux photographies en noir et blanc ou en couleurs d’Emmanuel Joly, ainsi qu’au travail soigné des éditions Héliotrope. Bref, l’ouvrage fait réfléchir sur ces souterrains que travailleurs, magasineurs ou touristes empruntent trop souvent sans y penser et souligne bien les enjeux de son développement au fil des ans… et pour les années à venir.