Comptes rendus

Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué, Montréal, les éditions du remue-ménage, 2015 (2e édition).[Notice]

  • Hélène Charron

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Cet ouvrage collectif a suscité de nombreux débats publics et académiques lors de sa première parution en 2008. Les discussions avaient alors surtout porté sur la définition du masculinisme comme mouvement social, sur son étendue dans certains cercles académiques et sociaux légitimes et sur les menaces qu’il faisait peser sur les femmes et le mouvement féministe québécois. Les textes de l’ouvrage initial qui sont reproduits dans cette nouvelle édition abordent donc les enjeux définitoires et historiques (Éve-Marie Lampron, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri), les conditions d’émergence et de reconfiguration du mouvement (Diane Lamoureux), les principaux enjeux investis par les masculinistes, soit la violence faite aux femmes (Louise Brossard, Mathieu Jobin), les séparations conjugales et la garde des enfants (Josianne Lavoie) et le suicide des hommes (Francis Dupuis-Déri), ainsi que les stratégies masculinistes et leurs effets sur l’ensemble des personnes qui contestent, ou ne s’y conforment pas, les normes hétérosexistes (Janik Bastien-Charlebois, Karine Foucault, Émilie Saint-Pierre, Marie-Ève Surprenant). En 2008, les mobilisations masculinistes et les inquiétudes féministes face à leurs succès médiatiques, étatiques et même universitaires étaient à leur apogée. Sept ans plus tard, la réédition propose deux nouveaux textes et une introduction mise à jour qui feront plus particulièrement l’objet de ce compte rendu. L’introduction à la nouvelle édition, signée Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déry, propose une version actualisée de l’introduction originale comprenant des statistiques mises à jour ainsi qu’une revue de l’actualité féministe et antiféministe depuis 2008. Même si le Québec a connu une diminution des expressions publiques masculinistes depuis les dernières années, les auteur.e.s considèrent qu’il s’agit d’une phase d’institutionnalisation plutôt que d’une disparition. La percée des discours masculinistes et de leurs agents dans les institutions publiques, parapubliques et même académiques auraient rendu nécessaire un certain effacement de la logique de coup d’éclat à laquelle le mouvement s’adonnait dans la première décennie des années 2000. Au-delà de ces affirmations introductives, le livre ne propose toutefois pas de nouveaux chapitres ni de nouvelles données d’enquêtes sur l’étendue de cette pénétration des discours masculinistes dans l’appareil d’État et dans les institutions publiques en général depuis 2008. La proximité idéologique entre les discours masculinistes défendant l’idée d’un renversement des inégalités de sexe et les croyances de sens commun autour de la crise de la masculinité (étudiée notamment par Dupuis-Déri dans plusieurs articles) est certes inquiétante, mais aucune enquête empirique solide ne nous permet d’avancer des affirmations précises à cet égard. Les nouveaux chapitres proposés dans cette réédition concernent l’histoire politique du mot masculiniste (Francis Dupuis-Déri) et la présence des discours masculinistes dans les réseaux sociaux (Sarah Labarre). Dupuis-Déri remonte au 19e siècle pour faire la généalogie des usages du terme masculinisme, employé d’abord pour désigner une pathologie médicale de masculinisation des femmes, puis le processus social de masculinisation des femmes et particulièrement des féministes. Dès le début du 20e siècle, masculinisme en vient à désigner aussi une force politique d’opposition au féminisme, ou encore le principe de la domination des hommes dans les sociétés occidentales. Ce n’est que très récemment, et particulièrement dans le monde francophone, que le masculinisme désigne une frange particulière de l’antiféminisme dont il ne serait qu’une des formes. Blais et Dupuis-Déri affirment dans l’introduction que « même si ces catégories ne sont pas toujours mutuellement exclusives, il existe aussi un antiféminisme religieux, un antiféminisme nationaliste, un antiféminisme libéral-individualiste » (p. 18). Qu’est-ce qui distinguerait donc l’antiféminisme masculiniste? Le masculinisme se particulariserait par son analyse des rapports sociaux de sexe, en renversant l’analyse féministe pour identifier les hommes comme catégorie sociale dominée par les femmes et le remplacement historique du patriarcat par un matriarcat utilisant l’État …