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Le nouvel essai du politologue Denis Monière revisite une question souvent débattue, mais jamais réglée : L’avenir politique du Québec. L’auteur a une perspective bien campée sur le sujet qui lui permet de transformer une question ouverte en un apparent paradoxe. En effet, il se demande pourquoi le Québec n’est pas indépendant, présentant cet objectif comme la conséquence naturelle de l’état politique de la province.

Denis Monière demande dès les premières pages : « Comment juger et évaluer la situation dans laquelle on est si on ne dispose pas de points de repère? » (p. 7). Il construit d’ailleurs son propos en revisitant cinq périodes de l’histoire politique québécoise qui couvrent plus de deux cent cinquante ans de luttes et de défaites. L’auteur pose un regard bienveillant sur certaines époques (la décennie des Patriotes et les quinze années suivant 1960 en particulier) et se montre beaucoup plus critique pour le reste. Il approuve ces moments d’émancipation nationale empreints d’un désir réel de progrès et de liberté. Il note avec justesse que les décennies porteuses d’espoir (et de déceptions) sont largement noyées par de longues périodes de repli sur soi.

On arrive là au coeur du diagnostic de l’auteur. Des facteurs sociologiques, économiques et politiques ont mené les élites canadiennes-françaises puis québécoises à une impasse. On a cherché des justifications opportunistes ou pire, des alternatives imaginaires (l’autonomisme en prend ici pour son rhume) pour éviter de poser la vraie question de la liberté. Monière envisage un indépendantisme s’étant affranchi du nationalisme identitaire et des sentiments d’oppression pour plutôt se définir comme un combat pour la liberté. Il se montre sévère envers les acteurs et les partis qui ont trop souvent tenté d’attacher le projet indépendantiste à des objectifs moins fondamentaux, que ce soient les supposés intérêts supérieurs du Québec ou la protection culturelle.

Bien que la construction de son argumentaire lui soit propre, l’essai ne constitue pas une relecture originale de l’histoire politique du Québec. Denis Monière n’est pas le premier à idéaliser les révolutions, qu’elles soient patriotes ou tranquilles, ni à noircir le portrait des périodes plus conservatrices. Les contributions de l’auteur sont ailleurs. On notera surtout deux points. Premièrement, il nous rappelle que le projet indépendantiste est construit sur deux piliers : le nationalisme et la démocratie. On a trop souvent eu tendance à oublier ce deuxième pilier au cours de l’histoire et ainsi à réduire le mouvement à un réflexe identitaire. Deuxièmement, Monière nous rappelle que le projet indépendantiste québécois passe trop de temps à se définir en réaction au projet fédéraliste canadien. Cela a pour conséquences de maintenir le Canada dans la psyché québécoise et de transformer tout succès à l’intérieur de celui-ci en argument en faveur du maintien du statut de province. Ces conclusions méritent d’être méditées, et potentiellement intégrées à notre lecture de la question.

L’ouvrage a aussi ses faiblesses. Deux d’entre elles méritent une attention particulière. D’abord, l’auteur envisage le projet indépendantiste à partir de ses élites et oublie trop souvent de parler des citoyen.ne.s qui prennent ultimement part à la décision électorale ou référendaire. La réponse la plus simple à la question servant de titre à l’ouvrage est peut-être simplement que les Québécois.es ne veulent pas de cette liberté politique. Il y a des peuples pour qui la sécurité et la stabilité font foi de tout. Ensuite, Monière offre une lecture simplificatrice et surtout a posteriori de l’histoire politique québécoise. Je pense ici en particulier au jugement très sévère qu’il porte sur les courants moins radicaux qui dominent pendant la très large majorité des années couvertes. Il est facile aujourd’hui de dire que le repli identitaire de la deuxième moitié du 19e siècle ou encore les ambitions gouvernementales du Parti québécois d’après 1976 n’ont en rien réglé l’affaire. Je défendrais plutôt l’argument que les acteurs de ces époques ont fait ce qu’ils ont pu avec les cartes qu’ils avaient entre les mains.

En conclusion, ce type d’ouvrage a l’utilité de forcer les observateurs de la scène politique québécoise à retourner aux racines et aux mécanismes fondamentaux qui contraignent tout projet d’avenir. En ce sens, l’apport de Denis Monière est à saluer. Il reste maintenant à savoir si cette liberté qu’il espère tant passera par l’indépendance. Jusqu’à maintenant, le peuple québécois n’a pas été convaincu qu’il était nécessaire de sortir d’un nationalisme confortable, au risque de disparaître tranquillement.