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Christian Maroy présente dans cet ouvrage le résultat de ses recherches menées avec ses collaboratrices et collaborateurs sur la gestion axée sur les résultats (GAR) dans les écoles publiques québécoises, lorsqu’il était titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques éducatives à l’Université de Montréal. Il l’a publié un an après l’adoption du projet de loi 40 transformant la gouvernance scolaire au Québec, contribuant à nuancer l’analyse des politiques éducatives commencées dans les années 2000 pour étudier entre autres les effets de la nouvelle régulation sur l’éducation et les façons dont les acteurs sociaux la construisent et lui donnent sens (Mons, 2008).

Maroy synthétise d’abord les contextes d’élaboration de cette politique responsabilisant les acteurs des écoles pour la qualité de leur éducation et reposant sur des redditions de comptes : premier recul critique face à ceux qui affirment sa nécessité. La genèse des transformations sociales et culturelles de la modernité permet de comprendre en quoi la GAR fut conçue et reçue comme une réponse aux difficultés du système scolaire des années 1980. D’un autre côté, l’analyse montre le rôle qu’ont joué les référentiels influencés par les doctrines de la nouvelle gestion publique et les modèles d’accountability dans leur élaboration. Elle souligne aussi la variabilité des logiques de régulation par les résultats entre les pays.

Maroy présente ensuite les outils conceptuels élaborés avec Xavier Pons en s’inspirant de la sociologie de l’action publique française et du néo-institutionnalisme américain pour analyser la « fabrication », la mise en oeuvre et la réception de la GAR au Québec. Selon Maroy, l’analyse des lois et des « scènes d’action publique » y traduisant cette politique entre 2000 et 2016 montre que son appropriation a suivi une trajectoire « néo-statiste » plutôt que néolibérale, du moins jusqu’à la loi 40. Il dialogue ainsi avec des sociologues du Québec ayant étudié l’émergence puis l’essor de politiques néolibérales s’articulant aux politiques démocratiques antérieures (p. ex. : Lessard et LeVasseur, 2007). Aux yeux de Maroy, la persistance de l’influence de la régulation bureaucratique héritée des années 1960 révèle une « dépendance de sentier » : l’État, la référence à l’idée démocratique de la « réussite de tous » et la valorisation de la « démocratie scolaire », ancienne, demeurent importants.

Dans les chapitres suivants, l’analyse de l’appropriation variable de la politique et de sa réception différenciée à chaque palier du système scolaire poursuit le travail sociologique de déconstruction critique, compréhensive et nuancée. L’appropriation et la « co-construction » de la GAR par les commissions scolaires (CS) et les directions d’établissement passent entre autres par la mise en place et le renforcement d’une gestion verticale de la pédagogie au moyen d’instruments, ce qui affecte l’autonomie professionnelle des enseignantes et enseignants. Le fait que ce soit à des degrés variables et selon des logiques différentes prouve bien le caractère construit et relatif de la GAR, sous les convergences. Les enseignants répondent plutôt différemment selon les écoles aux demandes des directions de changer leurs pratiques d’évaluation, le contenu enseigné, leurs pratiques pédagogiques. Maroy rejoint les analyses d’autres sociologues lorsqu’il considère que la GAR a pour effet une « réduction curriculaire » et une « standardisation des pratiques en fonction de leur effet immédiat sur les résultats aux évaluations externes », les pratiques pédagogiques et les relations en classe paraissant moins touchées (p. 202).

Dans le dernier chapitre, Maroy s’interroge sur le sens que les enseignants confèrent à la GAR et sur sa légitimité à leurs yeux. Il en ressort une « tonalité critique ». Ils adhèrent à ses finalités (réussite des élèves, persévérance scolaire, maintien des acquis), mais se reconnaissent une responsabilité limitée dans cette réussite et entretiennent une ambivalence envers les outils de la GAR. Les conventions de gestion des CS leur paraissent des initiatives externes qui concernent surtout les directions d’école, tandis que les outils de quantification réduisent à leurs yeux la complexité des élèves tout en occultant des facteurs de réussite qui ne relèvent pas de leur responsabilité.

En conclusion, Maroy considère que le « bilan de la GAR est plutôt négatif », y compris en étudiant les résultats des élèves aux épreuves uniformes du ministère, stables dans le temps alors même que des enseignants aperçoivent un abaissement des exigences et une réduction curriculaire. Cela démontre une efficacité « discutable » et l’importance des « effets indésirables ».

Deux remarques avant de terminer. Premièrement, après avoir affirmé en introduction que les sociologues de la GAR au Québec ont tendance à s’attarder à un seul niveau d’analyse, Maroy plaide en conclusion pour une « vraie sociologie de l’action publique » croisant les niveaux d’analyse et les objectifs de la recherche. Soulignons qu’une plus forte proportion de sociologues de l’éducation recrutés au sein du professorat (Lessard, 2018) contribuerait à un tel enrichissement. Deuxièmement, la commune habitude d’employer le masculin générique entretient une certaine invisibilité des femmes. Il est permis de la remettre en question, notamment lorsque les femmes sont largement représentées dans les instances et rapports sociaux et politiques étudiés.

Pour finir, soulignons que Maroy démontre remarquablement que devant une politique éducative aux finalités acceptées comme légitimes, la sociologie parvient d’autant mieux à convier à une mise à distance réflexive qu’elle croise les approches et les données empiriques pour la situer historiquement, connaître les conditions et les justifications avancées pendant sa formation, déconstruire les mécanismes et intérêts en jeu dans son élaboration et sa mise en oeuvre, puis interpréter son sens et ses conséquences pour le devenir de l’éducation.