Corps de l’article

1. Introduction

1.1 L’éducation aux adultes et problématique : un dispositif de seconde chance

En 1989, la promulgation de la Loi sur l’instruction publique (LIP) oblige le réseau scolaire à ouvrir ses portes aux adultes (Conseil supérieur de l’éducation - CSÉ, 1992, p. 20). Dès lors,  l’institutionnalisation de l’éducation des adultes dans le réseau éducatif québécois se solde par une intégration des clientèles adultes à celles des jeunes et, par voie de conséquence, à une dilution de la spécificité de l’éducation des adultes  (Solar, 1995, p. 445). Il y a plus de 15 ans, Solar (1995) décrivait, dans une analyse étoffée des écrits de recherche sur le sujet, les nouvelles tendances en matière d’éducation des adultes qu’elle résumait en trois mots : complexité, diversité et incertitude. S’attachant à décrire les multiples enjeux sociaux, politiques, économiques et mondiaux qui affectent la valorisation et la mise en place de l’éducation des adultes, l’auteure soulignait judicieusement un des défis majeurs auxquels devrait faire face le monde de l’éducation : l’accroissement des jeunes au sein des dispositifs théoriquement réservés aux vrais adultes (Saint-Laurent, 2007).

En effet, en 2012, le système d’éducation des adultes au Québec correspond davantage à un dispositif de deuxième chance et de rattrapage dont la vocation se situe au niveau de la qualification minimale des jeunes qui décident de quitter l’école secondaire sans avoir obtenu leur diplôme. En 2007-2008, on estimait que 16,4 % des élèves de moins de 20 ans poursuivaient leur scolarité à la formation générale des adultes en continuité avec le secteur des jeunes, comparativement à 4,4 % chez ceux qui s’y trouvaient admis après une interruption des études (Conseil supérieur de l’éducation, 2010). Ces jeunes passent directement au secteur adulte pour combler des retards dans leur trajectoire éducative, obtenir un premier diplôme et pour plusieurs, éviter le décrochage. La popularité des centres de formation générale des adultes auprès des jeunes Québécois n’est pas sans importance puisque l’effectif est en progression continue et plus de la moitié de cet effectif est composée de jeunes de moins de 25 ans (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport : 2013). Parmi ces jeunes, 66 % seraient âgés entre 16 et 19 ans (Conseil supérieur de l’éducation, 2008). Ce portrait d’effectif contraste fortement avec les données de 1984-1985 où l’on comptait environ 1,3 % de jeunes de moins de 20 ans inscrits aux centres de formation générale des adultes (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009). Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2010), si les jeunes apprenants de moins de 25 ans représentent 54 % des inscriptions dans l’ensemble des services d’enseignement à la formation générale des adultes, ils s’avèrent également surreprésentés aux secteurs d’enseignement des premier et deuxième cycles du secondaire, puisqu’ils représentent, respectivement, 69 % et 76 % des inscriptions. Conséquemment, l’affluence record de ces jeunes signifie également un ajustement en matière de services, de pratiques et d’attitudes pour les centres de formation générale des adultes d’abord prévus pour les adultes matures qui désirent mettre à niveau leur qualification et leurs connaissances (Drolet et Richard, 2006 ; Rousseau, Théberge, Bergevin, Tétreault, Samson, Dumont et Myre-Bisaillon, 2010). Devant ce profil démographique, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2009) a clairement identifié la nécessité d’améliorer l’offre de services complémentaires afin de s’ajuster aux besoins de ces nouveaux apprenants qui constituent désormais plus de la moitié de l’effectif en formation générale des adultes.

1.2 Question de recherche

Somme toute, à une époque où la valeur accordée à l’éducation est inégalée, il s’avère impératif de mieux connaître les caractéristiques psychosociales des jeunes raccrocheurs de manière à répondre à leurs besoins spécifiques, notamment par l’intermédiaire des services complémentaires offerts dans les centres d’éducation aux adultes, et ce, dans le but de favoriser leur persévérance scolaire et ainsi éviter un risque potentiel élevé de marginalisation pour ces jeunes adultes. Qui sont ces jeunes ? Quels sont leurs parcours et leurs besoins ? Existe-t-il des profils qui requièrent plus de services d’aide et de soutien ? Ces questionnements, peu exploités dans les études scientifiques jusqu’à maintenant, ont guidé notre étude. Afin de répondre à ce besoin de connaissances, il apparaît nécessaire de recadrer, dans un premier temps, le phénomène de persévérance et de raccrochage scolaires en formation générale des adultes à la lumière des connaissances générales sur les trajectoires éducationnelles des jeunes 16-24 ans, lesquelles semblent de plus en plus marquées par des discontinuités.

2. Contexte théorique

Cette section aborde les contextes pertinents à l’analyse des situations des jeunes inscrits à la formation générale aux adultes. Plus précisément, les discontinuités contemporaines des trajectoires éducationnelles, les enjeux associés au décrochage scolaire et l’accessibilité du raccrochage scolaire au Québec y seront discutés.

2.1. Les trajectoires éducationnelles des jeunes 16-24 ans : discontinuités et bifurcations

Des écrits montrent que les situations des jeunes adultes (18-25 ans) seraient désormais caractérisées par un allongement de la durée des études qui placent les jeunes au coeur d’une période moratoire marquée par l’instabilité et la poursuite de l’exploration identitaire. L’entrée dans l’âge adulte ouvre la voie à de multiples options amoureuses, professionnelles et éducationnelles qui occasionnent un éclatement des trajectoires. Conséquemment, la majorité des jeunes adultes tendent à repousser les engagements adultes typiques (vie en couple, mariage, parentalité), et cette période se déroule souvent en l’absence des responsabilités qui incombent à la vie adulte (Arnett, 2000, 2007). D’autres auteurs soutiennent que l’augmentation des possibilités offertes, notamment sur le plan des choix professionnels, conduit à une tyrannie de choix qui paralyse le processus décisionnel des jeunes adultes et augmente leur niveau d’anxiété (Schwartz et Pantin, 2006). Et cela, à l’heure où les institutions traditionnelles qui définissent la société (famille, religion, marché du travail) s’estompent et balisent de moins en moins le parcours des jeunes vers la vie adulte, les laissant plus ou moins seuls face aux multiples options qui s’offrent à eux (Côté, 2005, 2006). En ce sens, Gaudet (2005) mentionne que la diversification des parcours biographiques complexifie la définition de ce moment du cycle de vie (p. 26) et que cette pluralité des possibles impose aux jeunes d’individualiser leur transition à la vie adulte dans une dialectique continue entre cette individualité et l’insertion au sein de milieux qui l’approuvent et la renforcent.

Sur le plan de l’éducation, ces nouvelles réalités se traduisent par des trajectoires marquées de pauses, d’interruptions et de bifurcations (Charbonneau et Poirier, 2006 ; Crossan, Field, Gallacher et Merrill, 2003 ; Entwisle, Alexander et Olson, 2004). En effet, on remarque qu’une grande partie des diplômes obtenus au Québec le sont au-delà de l’âge et des délais normalement prévus, particulièrement à l’enseignement collégial, mais aussi au secondaire et à l’université (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2003). Ainsi, les observations du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport à propos d’une cohorte de 100 élèves ayant entrepris leur cheminement scolaire au même moment montrent que sur 43 jeunes adultes qui accèdent au collège, seulement 18 y décrochent un diplôme, tandis qu’au niveau universitaire, sur 14 jeunes qui y parviennent, neuf terminent leur parcours avec un diplôme (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). En ce qui concerne les jeunes qui sortent du secondaire, les données les plus récentes indiquent que 24 % d’entre eux interrompent leurs études pendant au moins un an, alors que 17 % s’inscrivent au secteur adulte de formation pour obtenir des crédits supplémentaires. Ainsi, plus du tiers des diplômés ne s’inscrivent pas immédiatement au collégial (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2004).

Conséquemment, ces bifurcations possibles incitent à remettre en question les parcours traditionnellement linéaires conduisant les jeunes adultes de l’école directement à l’emploi (Doray, Picard, Trottier et Groleau, 2009). En ce sens, une étude qualitative menée auprès de 33 adultes montréalais, âgés de 25 à 30 ans, met en évidence le caractère de non-linéarité du parcours scolaire et la conciliation d’un double cheminement en parallèle, soit l’expérience hâtive sur le marché de l’emploi et le prolongement du cursus scolaire qui s’ensuit (Charbonneau, 2006). Dans son échantillon, Charbonneau (2006) montre que plus de la moitié des adultes présentent au moins une bifurcation dans leur trajectoire. Ces bifurcations se caractérisent par un changement de programme d’études ou encore une suspension temporaire du cheminement scolaire, que ce soit pour voyager ou encore pour travailler à temps plein et combler de nouveaux besoins de consommation avant de poursuivre leur parcours scolaire là où ils l’avaient laissé. Ainsi, pour plusieurs de ces adultes, la trajectoire scolaire est marquée par un décrochage, suivi d’un retour aux études et d’un raccrochage. En somme, l’allongement des études ne s’explique pas uniquement par l’obtention de diplômes plus élevés, mais également par des pauses et des bifurcations dans les trajectoires scolaires. En fait, Gauthier (1997), à partir d’une étude qualitative réalisée auprès de 47 jeunes ayant abandonné leurs études (générales, professionnelles ou semi-spécialisées) avant l’obtention du diplôme secondaire pour lequel ils étaient inscrits en 1996-1997, montre clairement que la génération des 15-20 ans n’a plus le même rapport à l’école que les générations précédentes. Pour les jeunes de cette génération, la scolarisation s’avère une préoccupation parmi tant d’autres et le temps qu’ils consacrent à leurs études est en deçà de ce qu’exige la charge de travail des cours prévus à leur horaire. En outre, ces jeunes ne s’identifieraient pas au rôle d’élèves ou d’étudiants. Ils entrevoient plutôt l’école comme une occupation instructive au même titre que celles que leur propose leur univers social. Ce rapport détaché avec les études contribuerait aux cheminements scolaires interrompus et multiples (d’Ortun, 2009).

Dans un tel contexte, le phénomène du décrochage scolaire au Québec doit être analysé à la lumière d’une grille qui, outre la prise en compte des facteurs personnels, scolaires et familiaux susceptibles d’influencer la scolarité, englobe les réalités macrosystémiques qui caractérisent la période développementale et le temps social (Marcotte, Cloutier et Fortin, 2010). En effet, bien que la décision de quitter l’école avant l’obtention du diplôme d’études secondaires s’avère plus vulnérabilisante que celle de suspendre temporairement ses études collégiales ou universitaires, la possibilité de raccrocher ou de poursuivre en formation générale des adultes temporise indéniablement les risques des décrocheurs ou des jeunes susceptibles de décrocher. D’ailleurs, Tyler (2003) avance l’idée que l’accessibilité des centres de formation générale des adultes et la possibilité de s’inscrire en tout temps constituent des éléments qui peuvent peser dans la décision des jeunes de quitter leur école secondaire. Le caractère flexible et réversible de la poursuite du cursus scolaire engendre une assurance chez les décrocheurs que le retour aux études demeure accessible et réalisable (Charbonneau, 2006).

Ces parcours, perçus comme inhabituels, mais bien présents, s’inscrivent dans la logique même des systèmes et des politiques de l’éducation (Doray et al., 2009). En effet, selon Charbonneau (2006), les dispositifs institutionnels jouent un rôle important au chapitre des bifurcations. Au Canada, les résultats de l’Enquête auprès des jeunes en transition (Statistique Canada, 2001) montrent qu’entre 1999 et 2007, environ 17 % des jeunes de moins de 20 ans quittaient l’école sans diplôme minimal. Lorsque la situation de ces jeunes est examinée 6 à 8 ans plus tard (26 à 28 ans), on observe que seulement 6 % d’entre eux n’avaient toujours pas de diplôme, alors que 11 % d’entre eux étaient retournés sur les bancs d’école en profitant des options de seconde chance (Shaienks et Gluszynski, 2007). Au sein des provinces canadiennes, le Québec affiche un des taux les plus élevés de décrochage scolaire, mais il obtient les résultats les plus encourageants en ce qui concerne les taux de raccrochage. En effet, la contribution des secteurs adultes de formation secondaire québécois (Centre d’éducation des adultes et centre de formation professionnelle) à la diplomation s’avère la plus importante en Amérique du Nord (Bushnik, Barr-Telford et Bussière, 2002 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2004).

Malgré les discontinuités de plus en plus fréquentes dans les trajectoires éducationnelles, on ne peut réduire l’entrée massive des jeunes 16-24 ans au sein des dispositifs de formation générale des adultes à l’expression de tendances sociétales. En effet, le choix de poursuivre ou de raccrocher du côté des centres de formation générale des adultes s’inscrit généralement à l’intérieur d’une démarche scolaire marquée par les difficultés et les échecs souvent enracinés dans des contextes de développement caractérisés par de multiples facteurs de risque (Marcotte et al., 2010 ; Marcotte et Ringuette, 2011). D’ailleurs, les interruptions de formation avant l’obtention du diplôme, fréquentes en formation générale des adultes, semblent mettre en relief les difficultés encore actuelles qui caractérisent les situations de plusieurs jeunes. En effet, si près de la moitié des décrocheurs tentent de revenir aux études au Québec, plus de la moitié (60 % environ) décrochent à nouveau (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009 ; Gagnon et Brunel, 2005 ; Langevin, 1994 ; Raymond, 2008). Dans la prochaine section, nous présentons les facteurs de risque associés au risque de décrochage scolaire ainsi que ceux qui caractérisent les situations des adultes inscrits en formation générale des adultes.

2.2 Caractéristiques des jeunes à risque de décrocher et des jeunes inscrits en formation générale des adultes

Mentionnons que, dans le cadre de cette recherche, les termes « jeunes » et « adultes émergents » sont utilisés de façon interchangeable et réfèrent tous deux aux individus de 16 à 24 ans de notre échantillon. Des études sur le décrochage scolaire tendent à montrer que le risque de décrochage est fonction d’une multitude de facteurs personnels, familiaux, scolaires, sociaux et culturels. La décision d’interrompre ses études résulterait, en outre, d’un arrimage unique de facteurs de risque dont le poids relatif varie d’un individu à l’autre (Fortin, Marcotte, Potvin, Royer et Joly, 2006 ; Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004 ; Janosz, Archambault, Morizot et Pagani, 2008 ; Janosz et Deniger, 2001 ; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 2000). Toutefois, dans le cadre d’une étude longitudinale unique au Québec, conduite auprès de 810 élèves du secondaire, Fortin et ses collaborateurs (2006) ont clairement mis en évidence l’influence plus importante des variables psychosociales que des autres catégories de variables dans le risque de décrochage scolaire. Notamment, l’apport des problèmes extériorisés, de la dépression et du fonctionnement familial serait non négligeable dans la décision d’un élève de poursuivre ou de décrocher. Plus précisément, Fortin et al. (2006) ont identifié quatre types de décrocheurs potentiels : les désintéressés (peu motivés et dépressifs), les jeunes avec des difficultés d’adaptation sociale et scolaire (faible performance scolaire et problèmes intériorisés/extériorisés), les dépressifs (dépression, difficultés familiales) et les délinquants (bonne performance scolaire, comportements délinquants, difficultés familiales). Considérant leur risque d’abandon, il est plausible que plusieurs de ces types de jeunes optent pour les centres de formation générale des adultes afin d’éviter de décrocher, ou décrochent et raccrochent par l’intermédiaire de l’éducation des adultes (Marcotte et al., 2010 ; Marcotte et Ringuette, 2011). En effet, les adultes émergents qui s’inscrivent en formation générale des adultes proviennent de différents programmes scolaires et sociaux et sont souvent aux prises avec des problématiques multiples et complexes (abus d’alcool et d’autres drogues, délinquance, soutien social et familial déficitaire, etc.) qui risquent d’agir directement sur les facteurs d’inclusion, de persévérance et de réussite scolaires (Dessureault et Granger, 1997 ; Valois, Fournier et Parent, 2003). En outre, ces apprenants adultes auraient une estime de soi plutôt faible, seraient enclins à se voir comme incompétents et peu outillés face aux impératifs scolaires, en plus d’inférioriser leurs aptitudes éducationnelles et cognitives (Bryan, Burstein et Ergul, 2004). Conséquemment, ces adultes appréhenderaient une scolarisation qui pourrait, à nouveau, être source de marginalisation et d’échecs (Lavoie, Lévesque, Aubin-Horth, Roy et Roy, 2004). En effet, il semble que pour un certain nombre d’apprenants adultes, l’expérience stigmatisante de l’adversité, de même que les problèmes scolaires passés et présents tendent à se perpétuer tout au long de la biographie éducative (Bélanger, Carignan-Marcotte et Staiculescu, 2007). Pour Bélanger et ses collaborateurs, la misère éducative se maintient dans le temps et ils soutiennent que la poursuite de la scolarisation dans les centres d’éducation aux adultes évoque à certains moments des souvenirs pénibles marqués par des atteintes considérables à l’estime et à la confiance en soi.

Une étude réalisée par Rousseau et ses collaborateurs (2010) auprès de 165 apprenants âgés de 16 à 18 ans provenant des régions de l’Estrie, de la Mauricie et du Centre-du-Québec met en lumière les nombreuses raisons invoquées par ces jeunes qui les ont incités à poursuivre leur scolarité au sein des centres d’éducation aux adultes. Ces raisons se répartissent en plusieurs catégories : 1) l’expérience négative vécue au secondaire (manque de soutien reçu, relations difficiles avec les jeunes et les enseignants, difficultés scolaires) ; 2) les caractéristiques des étudiants ; 3) les avantages perçus de la poursuite de la scolarité au secteur adulte et, finalement, 4) la possibilité de faire un choix, c’est-à-dire, d’exercer pour la première fois, à 16 ans, un pouvoir décisionnel sur sa trajectoire éducative. Dans le même ordre d’idées, une recherche récente (Marcotte et al., 2010) menée auprès de 386 jeunes de 16-24 ans inscrits à la Formation générale des adultes révèle que 30 % de ces apprenants mentionnent que l’école (secteur jeune) était un endroit où ils se sentaient tenus à l’écart, tandis que 23 % rapportent qu’il était difficile de se faire des amis au secondaire. Bref, le choix de s’inscrire à l’éducation des adultes peut soutenir plusieurs desseins et, d’ailleurs, cette diversité trouve probablement écho dans la pluralité des services d’enseignement offerts : alphabétisation, présecondaire, premier cycle ou deuxième cycle du secondaire, préparation à la formation professionnelle, etc. Par cette vaste gamme de services, l’offre de formation des centres d’éducation aux adultes mise sur la flexibilité, la prise en compte des trajectoires plurielles et la gestion individualisée des besoins (Pelletier et Rheault, 2005 ; Rousseau et al., 2010).

2.3 Synthèse et pertinence de la présente étude

Dans les sections précédentes, nous nous sommes attachées à mettre en relief la discontinuité de plus en plus normative dans les trajectoires des jeunes adultes, la pluralité des facteurs de risque psychosociaux associés au risque de décrocher et d’emprunter la voie de l’éducation des adultes, de même que la multiplicité des raisons invoquées pour choisir l’éducation des adultes qui offre, en outre, une variété de filières possibles. Considérant l’ensemble de ces éléments qui vient moduler la fréquentation des centres de formation générale des adultes par les jeunes, cette étude vise l’identification de sous-groupes distinctifs au sein des 16-24 ans. En explorant ce groupe hétérogène à partir des indicateurs passés et présents de leur trajectoire personnelle, familiale et scolaire, et en utilisant une approche statistique centrée sur les personnes et non sur les variables, cette étude exploratoire s’inspire de la démarche effectuée par Fortin et al. (2006) qui a permis de mettre en évidence la primauté des variables psychosociales dans la détermination des profils de jeunes à risque d’abandon scolaire. Nous postulons que les caractéristiques psychosociales passées et présentes des jeunes inscrits dans les centres de formation générale des adultes contribuent activement à leur situation éducationnelle actuelle (Berzin, 2010). De plus, comme Tinto (1997) le suggère dans son modèle interactif et multidimensionnel de la persévérance scolaire, l’influence du temps relativise ou magnifie l’importance de certaines caractéristiques. Puisque la transition à la vie adulte est une période clé dans le développement identitaire, nous postulons que cette tâche développementale et les processus qu’elle sous-tend doivent être intégrés dans la compréhension des profils des jeunes inscrits à la formation générale des adultes et nous avons délibérément choisi d’inclure cette variable dans l’analyse. Cette étude s’inscrit directement dans la priorité gouvernementale qui est de mieux connaître les caractéristiques des 16-24 ans afin d’offrir le service le plus pertinent possible à l’élève adulte, selon la capacité de l’individu au moment de sa formation (…) et qui favorise le développement de son plein potentiel (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009, p. 31). Cette priorité traduit d’ailleurs une volonté d’intervenir pour corriger et prévenir les difficultés d’apprentissage, les problématiques psychosociales et favoriser la persévérance scolaire. Bref, le défi auquel doit faire face l’éducation des adultes n’est pas seulement celui de l’accroissement de l’effectif jeune mais, surtout, celui de l’hétérogénéité des caractéristiques et des besoins des 16-24 ans. Compte tenu des facteurs personnels, familiaux, sociaux et culturels qui modulent actuellement la transition à la vie adulte et le rapport à l’école, il est plausible de croire qu’il existe, parmi les 16-24 ans, des profils de jeunes qui présentent des degrés variés de difficultés et qui nécessitent, conséquemment, un accompagnement d’intensité variable. C’est ce que notre étude propose de vérifier dans une démarche exploratoire qui permet de fragmenter l’hétérogénéité en documentant, à partir de leurs caractéristiques psychosociales, des profils types de jeunes de 16-24 ans qui accèdent à l’éducation des adultes.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

L’échantillon se compose de 386 jeunes de 16 à 24 ans (hommes = 184 ; femmes = 202), inscrits à différents services d’enseignement secondaire dispensés dans l’un des centres d’éducation aux adultes de trois régions du Québec : Capitale-Nationale, Estrie et Mauricie. Ces régions ont été choisies pour leur caractère rural/urbain. Parmi les 22 centres d’éducation aux adultes sollicités, sept ont accepté de participer à l’étude. Notons qu’aucun des centres d’éducation aux adultes de la région métropolitaine n’a été inclus et, de ce fait, les résultats de cette étude ne sont pas représentatifs de toute la province de Québec. Les 16-17 ans forment environ le quart de l’échantillon total (n = 105 ou 27,2 %), tandis que 72,8 % sont du sous-groupe des 18-24 ans (n = 281). Sur le plan des différents services d’enseignement, trois apprenants sur quatre poursuivent leur formation au deuxième cycle du secondaire (n = 291), alors qu’une minorité est inscrite au premier cycle du secondaire (n = 19) ou au présecondaire (n = 7). Parmi les autres jeunes de l’échantillon, 36 d’entre eux se répartissent sur plusieurs niveaux, ces apprenants pouvant à la fois suivre des cours de présecondaire, de premier et de deuxième cycle du secondaire, tandis que 22 jeunes adultes se trouvent inscrits à d’autres services tels que la formation de base et la francisation. Au chapitre de la distribution des jeunes dans les différents niveaux d’enseignement, les données demeurent manquantes pour 11 participants à l’étude.

3.2 Instrumentation

Un questionnaire, composé de plusieurs mesures destinées à rendre compte du caractère multidimensionnel des difficultés de ces jeunes adultes, tant passées que présentes (Schwartz, Côté et Arnett, 2005), a été proposé à chaque participant. Le choix des différents instruments tenait compte de leur adaptation possible au groupe d’âge, de leurs qualités psychométriques reconnues et de leur disponibilité en langue française. Cette sélection d’instruments visait à dégager un portrait clair des difficultés personnelles et familiales vécues en plus de fournir des scores permettant des analyses comparatives. Quant aux instruments descriptifs, ils ont tous été choisis à partir d’enquêtes populationnelles canadiennes et québécoises, notamment : l’Enquête longitudinale sur la santé mentale des jeunes (Valla, Breton, Bergeron, Gaudet, Berthiaume, Saint-Georges, Daveluy, Tremblay, Lambert, Houde, et Lépine (1994), l’Enquête Santé Québec (ministère de la Santé et des Services sociaux, 1987) et l’Enquête longitudinale canadienne sur les jeunes en transition (Statistique Canada, 2001). Pour l’identification des profils, nous avons délibérément choisi d’inclure des variables psychosociales, plutôt que les variables scolaires, qui capturent les réalités passées et présentes des jeunes de notre échantillon, en s’appuyant sur l’étude de Fortin et al. (2006) qui montre l’importance plus grande de ce type d’indicateur pour différencier les élèves à risque. Ces variables ont aussi été choisies pour leur pertinence en regard des écrits de recherche sur les jeunes adultes à risque et des tâches développementales propres à cette période de la vie. Conséquemment, nous avons décidé d’utiliser les variables psychosociales pour la classification et les indicateurs scolaires (et autres) pour la validation de la classification.

3.2.1 Évènements traumatiques

Une version française du Child trauma questionnaire (Bernstein et Fink, 1998) a été utilisée pour mesurer les différentes formes de traumatismes vécus pendant l’enfance. Il s’agit d’un inventaire de 70 items autorapportés qui permet de dégager quatre sous-échelles : abus physique et émotionnel, négligence émotionnelle, négligence physique, abus sexuel et un score total. Bernstein, Fink, Handelsman, Foote, Lovejoy, Wenzel, Sapareto et Ruggerio (1994) ont rapporté des coefficients de cohérence interne entre 0,79 et 0,96, une fidélité test-retest entre 0,78 et 0,86 et une bonne validité de convergence avec d’autres mesures (Paivio et Cramer, 2004).

3.2.2 Services reçus durant l’enfance et l’adolescence

Cette mesure non paramétrique a été créée pour appréhender le type de services reçus par les jeunes durant leur enfance et leur adolescence. Quatre catégories de services ont été dégagées de cette mesure : 1) les jeunes qui ont été placés sous la protection de la jeunesse (PLJ) et dans une classe spéciale au cours de leur parcours scolaire (placement + classe spéciale), 2) les jeunes qui ont été placés sous la protection de la jeunesse PLJ (placement seulement), 3) les jeunes qui ont été placés dans une classe spéciale (classe spéciale) et 4) les jeunes qui n’ont jamais reçu aucun de ces services au cours de leur enfance ou leur adolescence. Les classes spéciales font référence aux classes qui fournissent des services éducatifs adaptés à un groupe spécifique d’étudiants (problèmes de comportement, difficultés d’apprentissage, etc.), en dehors des classes ordinaires fréquentées par des élèves tout-venant. La mesure de ces services reçus était fondée sur une réponse sous forme oui / non.

3.2.3 Problèmes extériorisés

Une version française de l’Adult self-report (ASR), pour les adultes de 18 ans et plus, ou du Youth self-report (YSR) pour les jeunes de moins de 18 ans, d’Achenbach (1997) et d’Achenbach et Rescorla (2003) a été utilisée pour mesurer les problèmes externalisés des jeunes. Cette échelle comprend les sous-échelles bris de règles et comportements agressifs. Le score-t de cette échelle globale permet de déterminer le degré de gravité des problèmes extériorisés affichés par les jeunes. Les études de fidélité test-retest ont montré des corrélations acceptables, entre r = 0,82 et 0,93 selon les échelles (Achenbach, 1997). Les alphas de Cronbach destinés à repérer la cohérence interne sont compris entre 0,88 et 0,95.

3.2.4 Détresse psychologique

L’indice de Détresse psychologique de l’enquête Santé Québec (IDPESQ, Préville, Boyer, Potvin, Perrault et Légaré, 1992) permet d’évaluer le niveau de détresse psychologique des répondants au cours de la semaine précédente. Il s’agit d’une adaptation de l’Indice des symptômes psychiatriques développé par Ilfeld (1976). Les 14 items de cette version donnent lieu à une réponse sur une échelle de type Likert en 4 points. Selon les auteurs, un score égal ou supérieur à 26 indique un niveau élevé de détresse psychologique. La cohérence interne de la version française est de 0,88.

3.2.5 Estime de soi

Cette mesure est une version française de l’échelle Estime de soi globale du Self-description questionnaire (SDQ-II) qui comprend, à l’origine, 11 échelles. Le Self-description questionnaire (SDQ-II) a une excellente cohérence interne (coefficients alpha de 0,87 à 0,91) et a été validé auprès de plusieurs populations (canadienne, américaine, française). Cette échelle comporte 10 questions auxquelles le participant doit répondre sur une échelle de type Likert en 6 points. Parmi les échelles du Self-description questionnaire (SDQ-II), l’estime de soi est la plus fortement corrélée avec le concept de soi global (Guérin, Marsh et Famose, 2003).

3.2.6 Risque suicidaire

Cette mesure correspond à une réponse dichotomique (oui/non) apportée à la question suivante : Au cours des 12 derniers mois, avez-vous pensé sérieusement au suicide ?

3.2.7 Identité

Le questionnaire sur l’identité est une version française du Ego identity process questionnaire (EIPQ) de Balistreri, Bush-Rossnagel et Geisinger (1995). Cet instrument de mesure compte 32 items qui sont répondus sur une échelle de type Likert en 6 points. Les scores sont additionnés afin d’obtenir un score total pour l’engagement et un score total pour l’exploration. Les analyses comparatives entre l’Ego identity process questionnaire (EIPQ) et l’entrevue initiale de Marcia (1966) ont montré une validité convergente satisfaisante avec un coefficient kappa de 0,47. La consistance interne de l’instrument et la fidélité test-retest se sont avérées acceptables (Balistreri et al., 1995).

3.3 Déroulement

Un professionnel de chaque site a présenté l’étude dans le centre d’éducation des adultes et invité les élèves à participer. Cependant, les jeunes inscrits dans les programmes d’alphabétisation n’ont pu être inclus dans l’échantillon qu’à la condition que leurs compétences en lecture soient suffisantes pour leur permettre de compléter le protocole de recherche. Des rencontres ont ensuite été organisées dans chaque centre pour le recueil de données, durant lesquelles tous les élèves intéressés étaient rassemblés dans une salle pour remplir les questionnaires. Selon les participants, une période de 45 à 75 minutes était nécessaire pour ce faire et chacun recevait, pour sa collaboration, une compensation monétaire de 25 $ canadiens. Les questionnaires ont été passés au cours des années 2007, 2008 et 2009 afin d’obtenir un échantillon de taille suffisante pour assurer sa représentativité par rapport à la population cible.

3.4 Considérations éthiques

Les jeunes participants, âgés de 16 ans et plus, devaient signer les formulaires de consentement pour participer à cette étude (un formulaire pour le jeune et l’autre remis au chercheur). Préalablement à la passation des questionnaires, la personne-contact dans chaque milieu avait présenté l’étude et fait part aux participants de la teneur parfois personnelle et difficile de certains questionnaires qui pouvaient raviver des souvenirs pénibles. Ce faisant, la participation des jeunes à la passation qui avait lieu la semaine suivante s’avérait libre et éclairée. Les données recueillies ont été dénominalisées et colligées à l’aide du logiciel SPSS. Les formulaires de consentement et tout matériel permettant d’identifier les participants ont été mis sous clé dans un classeur réservé à la chercheure principale. Les données recueillies seront détruites 5 ans après la dernière prise de mesure, en 2015. Mentionnons que cette étude a reçu l’aval des comités d’éthique de la recherche de l’Université de Sherbrooke et de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

3.5 Méthode d’analyse des données

Nous avons délibérément privilégié les indicateurs psychosociaux aux indicateurs scolaires dans la procédure de classification, compte tenu des résultats obtenus par Fortin et al. (2006) qui suggèrent que les caractéristiques psychosociales permettent davantage de différencier les élèves à risque que les indicateurs scolaires, bien que les premiers soient liés aux deuxièmes. En conséquence, il a été décidé que les mesures psychosociales seraient utilisées pour classer les jeunes tandis que les mesures scolaires ainsi que d’autres indicateurs seraient utilisés pour valider la classification (à condition que la première procédure donne des résultats significatifs). Par ailleurs, cette sélection de variables répond à la nécessité de mieux connaître les caractéristiques psychosociales des jeunes inscrits dans les centres d’éducation aux adultes afin d’arrimer les services en conséquence (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009).

3.5.1 Analyse des classes latentes

L’analyse des classes latentes est une méthode statistique qui suppose que les variables observées insérées dans l’analyse sont des indicateurs qui permettent de discriminer des sous-groupes au sein des données (Hagenaars et McCuthcheon, 2002, cités dans Keller, Cusick et Courtney, 2007). La méthode d’analyse des classes latentes révèle les associations entre les variables prises en compte en divisant l’échantillon en classes, qui sont aussi appelées profils. Les différences interclasses apparaissent à la lumière de la probabilité d’apparition des indicateurs choisis dans chacun des profils. Le programme utilise une procédure itérative de vraisemblance maximale pour optimiser la classification des individus au sein des classes. Le ratio du maximum de vraisemblance est utilisé pour estimer l’adaptation du modèle aux données (log-vraisemblance : log-L) et le Critère d’information bayésien (CIB) est utilisé pour déterminer quel modèle est le plus étroitement ajusté aux données. Enfin, le modèle choisi et le nombre de classes retenues doivent avoir une valeur empirique et une signification théorique (Keller et al., 2007). Le sexe et l’âge ont été intégrés comme covariables dans l’analyse.

3.5.2 Validation des classes

Une fois les classes identifiées, il est important de vérifier qu’elles se différencient selon les variables qui n’ont pas été prises en compte dans le processus de classification. Si de telles différences apparaissent, elles peuvent fournir des informations supplémentaires sur la nature des classes. Pour répondre aux objectifs de l’étude et compte tenu du contexte dans lequel l’échantillon a été sélectionné, les variables utilisées pour la validation ont été choisies sur la base de leur association – dans les écrits de recherche pertinents (Jimerson, Ferguson, Whipple, Anderson et Dalton, 2002 ; Reilly, 2003 ; Vitaro, Larocque, Janosz et Tremblay, 2001) – avec un bon ajustement à l’âge adulte et avec la réussite scolaire. Ces variables sont mesurées à partir d’un questionnaire descriptif qui n’a donné lieu à aucun score composite. Ces mesures comprennent des questions sur la situation personnelle (par exemple le fait d’avoir ou non des enfants), les relations entretenues avec les parents, les expériences scolaires passées et la vision de l’avenir.

4. Résultats

4.1 La sélection du modèle

Un modèle en quatre classes a été retenu, car il se présentait comme la solution qui fournissait l’ajustement le plus étroit aux données de l’échantillon. Le critère d’information bayésien a été utilisé pour déterminer le modèle à utiliser. Le tableau 1 décrit les statistiques relatives aux modèles composés de 1 à 6 classes. Le Critère d’information bayésien (CIB) relatif au modèle en quatre classes était le plus bas : 17 904,56. La probabilité d’attribution à une classe était de 96,1 %, ce qui montre une classification d’excellente qualité. De plus, le modèle en quatre classes était théoriquement pertinent et facilement interprétable au regard des données recueillies concernant les écoles de la deuxième chance. En revanche, le modèle en trois classes regroupait les classes 1 et 2 dans la même catégorie. Comme les caractéristiques de ces deux classes diffèrent fortement dans le modèle en quatre classes, le modèle en trois classes a été rejeté. Le modèle en cinq classes divisait la classe 4 (dans le modèle en quatre classes) en deux sous-groupes dont chacun contenait un très petit nombre de participants. Par ailleurs, un seul indicateur avait une modeste contribution à la différenciation de ces deux groupes. Ce modèle a donc également été écarté. Il importe toutefois de mentionner qu’une portion minime de la variance résiduelle s’avère non expliquée par le modèle à 4 classes, ce qui signifie que le postulat d’indépendance locale (où la totalité de la covariance entre les variables au sein d’une classe est expliquée par la variable latente) s’avère non respecté. À ce chapitre, mentionnons que l’analyse de classes latentes effectuée dans cet article s’inscrit dans la lignée des analyses de profils latents (latent profile analysis), puisqu’elle s’effectue à partir de l’insertion de variables catégorielles et continues dans le modèle. Dans les modèles de classes latentes classiques, il est généralement assumé que les variables catégorielles manifestes sont mutuellement indépendantes localement (à l’intérieur des classes). Cependant, l’usage de variables continues rend difficile l’adhésion à ce postulat d’indépendance locale, puisque le fait que chaque classe ait son propre ensemble de covariances signifie que les variables peuvent être corrélées et que ces corrélations sont spécifiques à une classe. D’une part, la possibilité d’inclure des dépendances locales entre les indicateurs est très importante lorsque l’on utilise ce type d’analyse comme outil statistique, car cela permet d’éviter qu’une solution acceptable ait trop de classes qui deviennent, dès lors, impossibles à interpréter (Vermunt et Magidson, 2002). D’autre part, il est possible que les recoupements (la covariance) entre les indicateurs puissent cacher d’autres classes. Enfin, mentionnons qu’omettre une variable dans une analyse en raison d’une corrélation locale avec une autre variable correspond à donner plus de poids à cette dernière variable dans la classification des individus (Vermunt et Magidson, 2002). Certains auteurs tels que Reboussin, Ip et Wolfson (2008) soutiennent que, bien que le postulat d’indépendance locale constitue une façon utile de simplifier les données en un nombre x de patrons, il demeure un idéal, surtout lorsque l’on s’intéresse aux sciences du comportement et aux symptômes psychologiques, par exemple. En choisissant un modèle avec des dépendances locales, les chercheurs doivent interpréter leurs résultats avec précaution, sachant que l’adéquation du modèle peut être surestimée.

Tableau 1

Statistiques des modèles en 1 à 6 classe(s)

Statistiques des modèles en 1 à 6 classe(s)

LL : likelihood ratio = test du rapport de vraisemblance

CIB : critère d’information Bayesien (Bayesian information criterion)

dl : degrés de liberté

Class. Err. : erreur de classification

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4.2 Description des profils (classes)

Tous les indicateurs utilisés pour identifier les classes contribuent de manière significative au modèle. Le tableau 2 indique, pour chacune des classes, les scores Z, le Wald, la valeur du p et le R2. Il convient de noter que l’âge n’était pas significativement associé à l’identification des classes.

Parmi les indicateurs, le fait d’avoir été victime d’abus sexuels et physiques par le passé, la détresse psychologique et l’estime de soi actuelles sont, dans l’ordre, ceux qui contribuent le plus à l’identification des classes. En revanche, bien que significatifs, les indicateurs suivants sont ceux qui contribuent le moins à la distinction des classes : le fait d’avoir reçu des services par le passé ainsi que l’engagement et l’exploration identitaires.

4.2.1 Classe 1 : Les jeunes sans problèmes majeurs

La majorité de l’échantillon (54 %) relève de cette classe (212 jeunes : 60 % d’hommes et 40 % de femmes). Ce groupe est caractérisé par l’absence de sérieux problèmes intériorisés et extériorisés (détresse psychologique et problèmes de comportement extériorisés). Aucun traumatisme passé évident (abus) ne marque l’histoire de ces jeunes, et ces derniers sont sous-représentés dans les différents types de services spécialisés au cours de leur enfance et adolescence. Leur faible niveau d’exploration identitaire associé ainsi que le niveau moyen d’engagement reflètent que ces jeunes ont une idée claire de qui ils sont et, enfin, les degrés élevés d’estime de soi semblent corroborer le profil globalement adapté de cette classe.

Tableau 2

Indicateurs des scores Z par classe, du test de Wald et du R2

Indicateurs des scores Z par classe, du test de Wald et du R2

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4.2.2 Classe 2 : Les jeunes ouverts ou résilients

Sur l’échantillon, 21 % des jeunes apparaissent dans ce sous-groupe (82 jeunes : 40 % d’hommes et 60 % de femmes). Cette classe est similaire à la précédente (profil 1) en termes d’absence de problèmes majeurs actuels. Toutefois, les jeunes au sein de cette classe sont plus sujets à l’exploration identitaire et sont nettement moins engagés que d’autres au sein de l’échantillon. Le score d’estime de soi de cette classe est le plus élevé de l’échantillon, bien que 25 % des élèves aient été placés à l’extérieur de leur foyer durant l’enfance ou l’adolescence et alors qu’un tiers d’entre eux a reçu des services spécialisés à l’école. Cette combinaison des services sociaux ou éducatifs – généralement associés à des risques (Berzin, 2010) – et des niveaux d’estime de soi et d’exploration identitaire élevés ont contribué à l’hypothèse de résilience pour les jeunes de ce groupe.

4.2.3 Classe 3 : Les jeunes victimisés et en détresse

Sur l’échantillon, 13 % se situent dans le troisième profil (47 jeunes, 89 % de femmes et 11 % d’hommes). Les jeunes de cette classe ont clairement l’histoire la plus évidente de traumatismes durant l’enfance et l’adolescence, comme l’indiquent les niveaux élevés de violence (psychologique, physique et sexuelle). En outre, ces élèves ont actuellement à faire face à d’importants problèmes intériorisés comme la détresse psychologique et l’idéation suicidaire (31 %). En termes de services reçus durant l’enfance ou l’adolescence, 36 % ont été placés en dehors de leur domicile (services de protection) et 47 % ont reçu des services spécialisés d’enseignement.

4.2.4 Classe 4 : Les jeunes en grande détresse et avec des problèmes de comportement

Sur l’échantillon, 12 % se situent dans le dernier profil (45 jeunes, 46 % d’hommes et 54 % de femmes). En dépit du fait que cette classe regroupe le moins d’élèves, elle englobe les jeunes présentant les plus lourdes difficultés actuelles. En effet, les jeunes de cette classe présentent un niveau élevé de détresse psychologique et de problèmes extériorisés (les scores les plus élevés de l’ensemble de l’échantillon). De plus, près de la moitié (49 %) ont songé au suicide dans la dernière année. À ces difficultés s’ajoute un score très faible d’estime de soi (le plus faible de l’échantillon). Au sein de ce sous-groupe, seuls les services éducatifs sont repérés, avec près la moitié de l’échantillon ayant reçu ce type de services par le passé.

4.3 Validation des classes

La première analyse (non présentée) a permis de vérifier s’il y avait des différences entre les classes concernant le niveau de cours suivi à la formation générale des adultes. Plus précisément, nous voulions savoir si les classes étaient différentes en fonction du niveau scolaire des élèves. Cette analyse préliminaire (F(3,6) = 3,27, n.s.), révèle que les classes ne sont pas différentes les unes des autres en fonction des niveaux scolaires des élèves évalués par le centre d’éducation aux adultes à leur entrée. Cette absence de différence montre que les élèves, dans chaque classe, sont inscrits dans les différents niveaux scolaires et que chaque classe n’est pas, à cet égard, différente des autres. Notons qu’une majorité d’élèves dans l’échantillon ont déclaré au moins deux niveaux d’enseignement : par exemple, ils pouvaient être classés au niveau secondaire 5 en français, mais au niveau secondaire 2 en mathématiques.

La validation des classes a ensuite été menée en utilisant des variables qui sont connues pour être pertinentes du point de vue de l’expérience scolaire, de la réussite ou de l’échec scolaire et de la persévérance. Plus précisément, des questionnaires et des mesures descriptives des dimensions suivantes ont été utilisés pour corroborer et approfondir l’analyse des quatre profils de jeunes : l’expérience scolaire passée, l’implication dans le travail scolaire (efforts, engagement, etc.), la vision de l’avenir (la perception d’avoir le contrôle sur ce qui va se passer, les perspectives positives), les relations avec les parents et le soutien social perçu (amical et familial). Les tableaux 3a à 3c présentent toutes les variables utilisées à des fins de validation, ainsi que les contrastes entre les classes. Les tableau 3a à 3c présentent également les valeurs du F ou du chi-carré (χ2) pour les tests d’indépendance. Les résidus standardisés (pour les tests du chi-carré) et le test post-hoc de Tukey (pour les Anovas) ont été utilisés pour évaluer quelles classes se différenciaient des autres pour les mesures incluses dans l’analyse.

Les résultats de la procédure de validation révèlent des différences significatives sur presque toutes les variables, mais surtout entre les classes 1 et 2 d’une part et les classes 3 et 4 d’autre part. Sur les variables liées à la situation familiale, les jeunes victimisés et en détresse semblent se distinguer en ce sens qu’ils sont plus fréquemment parents que d’autres jeunes. Ils perçoivent moins de soutien de leurs amis que les jeunes sans problèmes. En ce qui concerne le soutien familial, les jeunes sans problèmes perçoivent significativement plus de soutien que les jeunes de toute autre classe, alors que les individus ouverts et résilients perçoivent un soutien familial plus important que les jeunes en détresse et avec des problèmes de comportement. Les résultats concernant les expériences scolaires passées indiquent que les jeunes de la classe 3 montrent de plus longues périodes de décrochage scolaire que les autres. Presque toutes les expériences passées à l’école sont beaucoup plus négatives pour les jeunes des profils les moins adaptés (classes 3 et 4) que pour ceux présentant des profils plus adaptés (classes 1 et 2). Toutefois, avoir des amis à qui parler à l’école et recevoir l’aide d’enseignants en cas de besoin différencient la classe 1 de la classe 2, les jeunes sans problèmes ayant des expériences plus positives au sujet de ces aspects que les jeunes ouverts ou résilients. Les jeunes victimisés et en détresse présentent les expériences scolaires passées les plus déplorables parmi toutes les classes sur ces deux questions. Enfin, les deux profils adaptés diffèrent également de façon significative en ce qui concerne l’item l’école était un endroit où je me suis senti mis(e) de côté, la classe 1 obtenant un score plus positif que la classe 2. Cet item a également permis de différencier les classes 1 et 2 des classes 3 et 4 dans le sens attendu.

Tableau 3

a

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes
*

Les différences entre les classes résultent de l’étude des résidus standardisés dans le cas des analyses de χ2 (variables catégorielles) et du test post-hoc de Tukey dans le cas des analyses de variances (variables continues). Les seuils de signification correspondent à 0,01 (***) ; 0,05 (**) ; 0,10 (*).

b

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes

c

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes

Variables utilisées pour la validation des classes, statistiques du F ou du X2 et différences significatives entre les classes

n.s. : non significatif

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La mesure de l’implication dans le travail scolaire a donné lieu à des différences significatives entre les jeunes en grande détresse et ayant des problèmes de comportement et tous les autres profils. Le questionnaire qui porte sur la vision de l’avenir peut être divisé en deux parties : la première concerne la façon dont la personne envisage son avenir sur les plans scolaire et professionnel, et la seconde mesure le contrôle que la personne pense avoir sur sa vie et son avenir (le locus de contrôle). La quatrième classe diffère de toutes les autres classes sur tous les items liés à la vision de l’avenir. En fait, les jeunes en grande détresse et avec des problèmes de comportement ont une vision beaucoup plus sombre de leur avenir que les autres. En ce qui concerne les éléments associés au locus de contrôle interne, les classes 3 et 4 semblent moins bien loties que les classes 1 et 2. Toujours en lien avec le locus de contrôle, les items Il y a peu de choses que je peux faire pour changer les aspects importants de ma vie et Je peux à peu près tout faire lorsque je le veux vraiment mettent la classe 4 dans une position affligeante, comparativement aux autres classes.

5. Discussion

L’accroissement de l’effectif 16-24 ans et, surtout, l’hétérogénéité de ces jeunes en matière de caractéristiques et de besoins, logent indubitablement à l’enseigne des défis contemporains de l’éducation des adultes au Québec. En effet, la popularité univoque des centres d’éducation aux adultes auprès des jeunes s’avère complexe, compte tenu des desseins multiples soutenus par la persévérance ou le raccrochage à l’éducation des adultes avant l’âge de 25 ans. En nous alignant sur les priorités identifiées par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2009), qui visent une meilleure compréhension des enjeux particuliers auxquels sont confrontés les jeunes en formation générale des adultes, et dans le but de documenter le plus efficacement possible leurs besoins en matière de services complémentaires, nous avons conduit une analyse de classes latentes auprès de 386 jeunes de 16-24 ans à partir de leurs caractéristiques psychosociales passées et présentes. Cette démarche a permis de dégager quatre profils distincts dont les caractéristiques reflètent tantôt les enjeux contemporains du passage à la vie adulte, tantôt les stigmates laissés par un parcours personnel, familial et scolaire vulnérabilisant. Ces profils, quoique intéressants et révélateurs, doivent être compris et analysés avec réserve dans la mesure où l’analyse effectuée viole partiellement le postulat d’indépendance locale. En effet, un modèle comportant un plus grand nombre de classes aurait permis d’éviter les variances résiduelles au sein des profils. Toutefois, un tel modèle se serait avéré difficilement interprétable et peu cohérent. Ainsi donc, ces profils s’avèrent un essai de typologie qui ne prétend pas représenter parfaitement l’ensemble des jeunes inscrits à la formation générale des adultes. Les éléments de discussion qui suivent tentent de mettre en relief les besoins respectifs de ces quatre profils en matière de services complémentaires.

Les résultats montrent d’abord qu’une part importante de l’échantillon (54 %) se révèle être sans problème majeur. La trajectoire de ces jeunes semble tout à fait normative, si ce n’est le retard cumulé dans leur parcours scolaire. En outre, ces apprenants adultes peuvent avoir été considérés à risque de décrocher au secondaire, mais si l’on peut extrapoler à partir des travaux de Fortin et de ses collaborateurs (2006), ils seraient plus susceptibles d’appartenir à la catégorie des jeunes désintéressés qu’à d’autres catégories plus vulnérables de décrocheurs potentiels. En outre, ces jeunes peuvent être également compris à la lumière des travaux qui soulignent à la fois les discontinuités de plus en plus fréquentes dans les parcours scolaires (Charbonneau, 2006 ; Charbonneau et Poirier, 2006) et le détachement de ces jeunes face au statut d’élève (d’Ortun, 2009). Ce détachement est peut-être indirectement favorisé par le contexte éducatif québécois qui, grâce à l’accessibilité et à la popularité des secondes chances, rend le rattrapage facile et normatif (Piron, 2002). Compte tenu du fait que ces jeunes sont peu engagés dans un processus de quête identitaire, il est toutefois plausible de croire que, derrière ce profil essentiellement positif, ces apprenants font face à une tyrannie de choix qui paralyse leur processus décisionnel et contribue au retard dans leur trajectoire éducative (Côté, 2005). A contrario, il est possible que ce sous-groupe se définisse autrement qu’à partir du rôle d’apprenant (peut-être celui de travailleur, par exemple). En outre, ces jeunes symbolisent bien les enjeux macrosociaux qui entourent le passage à la vie adulte et leur parcours s’avère semblable à celui des étudiants postsecondaires qui est marqué de pauses et d’interruptions (Bourdon, Charbonneau, Cournoyer et Lapostolle, 2007). Pour répondre efficacement aux besoins de ces jeunes adultes, il faut s’attacher à travailler autour du sens que ces derniers accordent à l’apprentissage. En effet, ils ne voient pas forcément la pertinence de l’école, et cette visée d’intervention permettrait sans doute de mieux les soutenir vers un raccrochage efficace.

Un deuxième groupe identifié, les jeunes résilients, semble animé par les enjeux développementaux propres à leur âge et, plus particulièrement, la quête identitaire. Malgré certaines difficultés dans leur parcours personnel et scolaire passé (services éducatifs et sociaux), ces jeunes présentent un bon niveau d’adaptation actuel (absence de détresse et estime de soi positive) et sont activement engagés dans une recherche de soi (exploration identitaire) qui s’accompagne de confiance envers l’avenir. Ce sous-groupe semble inscrire sa démarche en formation générale des adultes à l’intérieur d’une volonté de donner un sens à sa vie. Conséquemment, le passage en formation générale des adultes est susceptible d’agir tel un tremplin dans la trajectoire de ces jeunes qui semblent vouloir réellement profiter de cette seconde chance. En outre, à l’heure où la démarche d’individualisation s’avère une tâche cruciale pour l’adaptation personnelle et sociale des jeunes adultes, l’influence des centres de formation générale des adultes au cours de cette période critique peut s’avérer très positive pour une personne encline à potentialiser sur les ressources et les opportunités offertes (Gaudet, 2005 ; Rousseau et al., 2010). Les services les plus susceptibles de soutenir ces jeunes sont ceux qui viseront l’accompagnement, la connaissance de soi et l’orientation professionnelle et scolaire. Dans leur forme actuelle, les services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement ou SARCA (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009) constituent probablement des services offerts au sein des centres d’éducation aux adultes qui répondent bien aux besoins de ces jeunes.

Un troisième profil identifié comporte des caractéristiques particulières et des besoins plus importants. Les jeunes victimisés et en grande détresse, profil composé à 89 % de femmes, correspondent aux apprenants dont la trajectoire scolaire difficile et interrompue (dans 85 % des cas) est en fait le symptôme de traumatismes majeurs ayant contribué à fragiliser la trajectoire développementale. En effet, ce groupe se différencie principalement en fonction des événements traumatiques (abus physique, sexuel et négligence) vécus pendant l’enfance et par les difficultés (faible estime de soi et détresse psychologique), toujours actuelles, à composer avec ce passé. Au sein de ce profil (qui s’apparente aux dépressifs de Fortin et al. 2006), les jeunes sont plus susceptibles d’avoir bénéficié de services sociaux (protection de la jeunesse) dans leur enfance et, probablement, d’avoir décroché en raison de difficultés personnelles et familiales au secondaire. Notons, par ailleurs, que le fait que ces jeunes femmes sont plus souvent mères comparativement aux apprenantes des autres profils, contribue à fragiliser encore plus leur démarche à la formation générale des adultes. Afin de soutenir leur raccrochage, il apparaît clairement que ce sous-groupe affiche des besoins importants en matière de services psychoéducatifs, psychologiques et de services de garde. Des horaires flexibles et des modalités qui tiennent compte de leurs réalités scolaires (retards cumulés, objectifs à court terme) et parfois familiales (conciliation famille-études, situation socioéconomique précaire) contribueront à éviter un nouveau décrochage. Malgré la lourdeur des situations présentées par ces jeunes femmes (et hommes), la transition à la vie adulte, parce qu’elle offre une diversification des trajectoires possibles, peut constituer une fenêtre d’opportunité unique pour rediriger sa vie loin des contextes vulnérabilisants de l’enfance (Masten, Roisman, Long, Burt, Obradović, Riley, Boeicke-Stennes et Tellegen, 2005). Aussi, l’inscription à la formation générale des adultes constitue souvent, pour ces jeunes à haut risque, un premier pas vers le changement et l’autonomisation ou empowerment (Ross et Gray, 2005).

Finalement, les jeunes ayant des problèmes de comportement et en grande détresse s’avèrent le sous-groupe présentant le niveau le plus élevé de risque. Ces jeunes affichent à la fois des problèmes intériorisés et extériorisés qui s’apparentent aux caractéristiques des jeunes en difficulté d’adaptation scolaire et sociale de Fortin et ses collaborateurs (2006). Ce sous-groupe représente bien la perpétuation de la misère éducative (Bélanger et al. 2007) et constitue sans aucun doute celui qui est le plus susceptible de décrocher à nouveau. Les difficultés (actuelles) de ce sous-groupe semblent découler directement des stigmates laissés par un parcours éducationnel difficile où les échecs scolaires et les problèmes d’adaptation ont entravé le développement de l’estime de soi et de relations positives avec les enseignants et les élèves. Ces jeunes s’avèrent ceux dont les problématiques multiples et complexes (abus d’alcool et d’autres drogues, délinquance, manque de soutien social et familial, etc.) risquent d’agir directement sur les facteurs d’inclusion, de persévérance et de réussite scolaires (Dessureault et Granger, 1997 ; Valois et al., 2003). Conséquemment, ces adultes appréhenderaient une scolarisation qui pourrait, à nouveau, être source de marginalisation et d’échecs (Lavoie et al., 2004). Bien que leurs problèmes extériorisés viennent probablement nuire à leur intégration au sein de la formation générale des adultes, il demeure que ce sous-groupe constitue sans contredit celui dont les besoins sont les plus prononcés et variés. En plus de soutien pédagogique, ces jeunes ont également besoin de services psychologiques et psychoéducatifs afin de favoriser leur développement personnel, leur adaptation et leur persévérance scolaire. Comme pour le profil précédent, on peut penser que leur passage à la formation générale des adultes témoigne d’un désir de changement sur lequel il faut miser afin d’éviter une marginalisation adulte plus sévère et chronique pour ces jeunes à haut risque.

6. Conclusion

À l’ère où le raccrochage scolaire, la discontinuité et la variabilité des parcours éducationnels sont de plus en plus fréquents chez les adultes émergents, le secteur de l’éducation des adultes au Québec connaît une popularité incontestable auprès des jeunes de 16-24 ans. Dans le cadre de notre étude, menée auprès de 386 jeunes inscrits dans un centre d’éducation des adultes au Québec, nous voulions vérifier s’il existe des profils psychosociaux types au sein des apprenants 16-24 ans inscrits à la formation générale aux adultes afin de mieux arrimer les services qui leur sont destinés et de consentir les efforts de façon ciblée et efficace. Pour ce faire, nous avons procédé à une analyse de classes latentes dont les résultats ont nettement permis de fragmenter la diversité des jeunes 16-24 ans qui accèdent aux milieux ruraux et péri-urbains étudiés. Les résultats de l’analyse des classes latentes ont clairement démontré l’hétérogénéité des 16-24 ans inscrits dans les centres pour adultes, favorisant ainsi notre hypothèse générale. Nous divisons ces jeunes en deux grandes catégories. D’abord, les jeunes qui présentent un profil semblable aux autres jeunes adultes émergents de leur âge en excluant leur retard scolaire (jeunes sans problèmes et jeunes résilients). Ensuite, les jeunes qui ont un criant besoin d’aide et de soutien. Ces jeunes ont un parcours parsemé de difficultés multiples émanant à la fois du passé et du présent et affichent toujours, à l’éducation des adultes, un portrait de risque qui compromet leur persévérance et même, leur santé psychologique et leur adaptation socioprofessionnelle (jeunes victimisés et en détresse et jeunes en problèmes de comportement et en grande détresse). Nous recommandons d’identifier les jeunes en besoin qui appartiennent à la deuxième catégorie, sans les étiqueter, à leur entrée en centre d’éducation des adultes et de mettre en place des services professionnels adaptés à la diversité de leurs besoins.

Parmi les quatre sous-groupes de jeunes identifiés, les besoins en matière de formation et de services complémentaires varient considérablement. Cette réalité reflète la complexité avec laquelle doit composer le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport pour soutenir la persévérance ou le raccrochage scolaires et fournir l’éventail de services éducatifs et psychosociaux nécessaires pour appuyer les jeunes dans leur démarche.

Notre étude présente l’avantage d’étoffer le peu de connaissances disponibles sur le phénomène du raccrochage scolaire, comparativement à celui du décrochage. Elle permet par ailleurs de nuancer l’attitude déficitariste souvent associée aux jeunes qui fréquentent ces milieux éducatifs. Il s’avère en effet que la plupart de ces jeunes ne présentent pas de difficultés particulières, mis à part un retard scolaire.

Cependant, notre étude comporte plusieurs limites qui doivent être soulevées. D’abord, comme nous l’avons énoncé dans la section Méthodologie, le modèle en quatre classes qui a été choisi n’est pas parfait d’un point de vue statistique. Quoique cela soit fréquent lorsque l’on utilise des distributions multinomiales et des variables continues (Vermunt et Magidson, 2002), le fait que certaines variances résiduelles soient présentes à l’intérieur d’une classe constitue potentiellement un risque de surestimer l’adéquation du modèle. Ainsi, et comme le titre le prétend d’ailleurs, ces résultats doivent être interprétés comme un essai de typologie, et non comme une typologie représentative de l’ensemble des jeunes inscrits dans ces secteurs de l’éducation. D’ailleurs, puisque l’échantillon couvre des régions bien précises, ne comporte pas de jeunes de régions éloignées ou encore de la région métropolitaine et qu’il ne comprend pas non plus de jeunes analphabètes, la généralisation du modèle s’avère difficile. Une étude similaire, réalisée à Montréal, ville au sein de laquelle étudient significativement plus d’immigrants que dans le reste du Québec (ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2012), aurait sans doute donné lieu à des profils différents, marqués par les enjeux du processus migratoire et d’acculturation. Au sein d’une étude comptant des participants analphabètes, la proportion de participants contenue au sein des profils qui présentent davantage de problèmes intériorisés et/ou extériorisés aurait, par exemple, pu être plus importante (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008). Il est donc impossible d’affirmer que les résultats présentés puissent s’appliquer à l’ensemble des jeunes 16-24 ans inscrits à la formation générale des adultes dans l’ensemble de la province de Québec ni dans l’ensemble des programmes. Aussi, en nous basant uniquement sur la perception du jeune, nous ne pouvons croiser ces données avec les perceptions des parents ou des enseignants. Finalement, la méthode d’analyse des classes latentes est une démarche analytique dont les résultats doivent être interprétés avec précaution, puisqu’un jeune appartenant à une classe spécifique n’affiche pas nécessairement tous les attributs de la classe en question. Ce type d’analyse devrait donc inspirer ou diriger l’intervention et non pas être utilisé afin d’étiqueter les jeunes, qui ont souvent souffert de ce procédé, au sein des centres d’éducation aux adultes.

Malgré ces limites, notre étude et ses résultats constituent une première tentative de fragmenter l’hétérogénéité des jeunes et de mieux comprendre les défis qui se posent à l’éducation des adultes qui accueille de jeunes apprenants, de plus en plus nombreux et aux profils variés. Si tant est que l’on soit en mesure de cerner les réels besoins de ces jeunes, en fonction de leurs spécificités, il est fort possible que leur passage au sein de ce dispositif éducatif s’avère déterminant dans leur trajectoire éducative et leur vie adulte. Pour prendre la réelle mesure de ces besoins, les recherches futures devraient utiliser des échantillons qui assurent la représentativité de la province de Québec et qui incluent des jeunes immigrants et analphabètes. La réplication de notre étude auprès de populations plus larges permettrait en outre d’accroître la possibilité de généralisation de nos résultats. Aussi, des devis longitudinaux permettant de vérifier l’adaptation à moyen et long terme des jeunes persévérants et raccrocheurs constitueraient une avancée notable en matière de connaissances sur la pluralité des trajectoires éducationnelles. Finalement, la création, l’implantation et l’évaluation de programmes et d’interventions ajustés aux spécificités des jeunes en centres d’éducation aux adultes constituent des pistes de recherche extrêmement prometteuses qui permettront d’allier le savoir pratique au savoir scientifique qui est de plus en plus accessible au sujet de ces élèves.