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1. Introduction

L’eau est un élément indispensable à la croissance et au développement de tous les êtres vivants et de l’homme en particulier. D’après COALITION EAU (2017), sur les 663 millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à une source d’eau améliorée à l’échéance des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), 319 millions (soit 48 %) vivent en Afrique subsaharienne. Aussi, d’après AZONHE (2009), des inégalités s’observent-elles au niveau des volumes d’eau utilisés par habitant selon les espaces géographiques. Les études récentes (AZONHE, 2015) montrent que la norme minimale des 20 L d’eau par jour par personne retenue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour satisfaire les consommations domestiques de base, n’est pas toujours disponible dans les ménages en Afrique. Or, un accès insuffisant à l’eau a de graves conséquences sur la santé humaine. Il exacerbe également la pauvreté et freine le développement (COHRE et al., 2008). Si le problème semble se résoudre progressivement, il apparait que beaucoup de facteurs limitent encore l’assurance en tout temps d’une quantité d’eau suffisante par individu (AZONHE, 2009). Dans ce contexte, après les OMD, les Nations Unies ont défini les objectifs de développement durable (ODD) à l’échéance 2030. Dans le secteur de l’eau, la cible 6.1 des ODD vise à : « D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable pour tous » (PS EAU, 2016). Ainsi, cette focalisation de la lutte sur l’accès universelle et équitable à la ressource en eau peut tirer un grand avantage de la connaissance des déterminants des volumes d’eau prélevés. De ce fait, l’identification des facteurs influençant la quantité d’eau prélevée peut contribuer à l’atteinte de cet objectif des ODD, car elle permettra d’orienter les décideurs dans le processus de planification des ouvrages d’approvisionnement en eau potable. La présente étude s’inscrit donc dans ce cadre et a pour objectif l’identification des facteurs influençant la quantité d’eau potable consommée en vue de son amélioration. Elle s’étend sur cinq communes de la basse vallée de l’Ouémé que sont Bonou, Adjohoun, Dangbo, Aguégués et Sô-Ava.

2. Méthodologie

2.1 Localisation de la zone d’étude

La figure 1 présente la situation géographique du milieu d’étude. Il s’agit d’une plaine d’inondation localisée au sud-est du Bénin et comprise entre 2°21'2" et 2°36'5" de longitude Est et entre 6°24'5" et 6°58'1" de latitude Nord. D’après DGEAU (2013), les communes de Bonou, Adjohoun, Dangbo, Aguégués et Sô-Ava dans la basse vallée de l’Ouémé couvrent une superficie de 1 236 km2 (Figure 1). La densité de population est en moyenne de 215 habitants au kilomètre carré et la taille moyenne des exploitations agricoles est de 1,60 ha (CODJIA, 2009).

Figure 1

Localisation du milieu d’étude

Location of the study area

Localisation du milieu d’étude

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2.2 Échantillonnage et collecte des données

Dans le cadre de cette étude, les données socioanthropologiques (quantité d’eau utilisée, disponibilité d’un point d’eau, distance, saison, temps chaud ou froid au cours duquel la quantité d’eau mentionnée est utilisée) ont été collectées à travers une enquête semi-structurée dans les ménages de la basse vallée de l’Ouémé. Ces ménages ont été choisis suivant un échantillonnage par choix raisonné. Le nombre total de ménages retenus a été déterminé par la formule probabiliste de SCHWARTZ (1995) :

n est la taille de l’échantillon; p : la proportion de ménages de la basse vallée de l’Ouémé, p = 13 % (INSAE, 2016); q = 1 - p; Zα = 1,96, écart réduit correspond à un risque α de 5 %; i : marge d’erreur de l’estimation de n’importe quel paramètre à calculer sur la base de l’échantillon de taille n, la valeur de i considérée est de 5 %. Pour une marge d’erreur de 5 %, le nombre de ménages à enquêter a été estimé à 175. Un échantillonnage proportionnel a été ensuite appliqué pour déterminer le nombre de ménages à parcourir par arrondissement (Tableau 1).

Tableau 1

Répartition des ménages enquêtés par commune dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018; INSAE, 2016)

Distribution of surveyed households by commune in the Lower Oueme Valley (fieldwork, 2018; INSAE, 2016)

Répartition des ménages enquêtés par commune dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018; INSAE, 2016)

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2.3 Traitement des données

La quantité d’eau journalière est une variable quantitative continue. Elle a été catégorisée en deux classes conformément aux normes définies par l’OMS et la stratégie nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural (SNAEPMR) au Bénin qui recommandent la consommation d’une quantité d’eau supérieure ou égale à 20 L∙d-1 par habitant. Ensuite, les régressions logistiques simple et multiple ont été réalisées afin de mesurer l’association entre la quantité d’eau utilisée et les caractéristiques liées à l’accessibilité à l’eau des ménages. La variable dépendante est une variable dichotomique codée « 1 » pour une quantité d’eau supérieure ou égale à 20 L et « 0 » pour une quantité d’eau inférieure à 20 L. Les régressions logistiques simples ont été réalisées afin de mesurer l’association entre chaque variable indépendante et la variable dépendante. L’association entre chaque facteur de confusion potentiel et la variable dépendante a été estimée au moyen du rapport de cote (RC) et de son intervalle de confiance à 95 %. Le tableau 2 présente une description des variables utilisées.

Tableau 2

Description des variables intégrées dans le modèle (travaux de terrain, 2018)

Description of variables included in the model (fieldwork, 2018)

Description des variables intégrées dans le modèle (travaux de terrain, 2018)

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Les variables ayant une valeur-p < 0,05 en régression logistique simple ont par la suite été introduites dans la régression logistique multiple. Une procédure pas-à-pas descendante a été utilisée de façon à tenir compte des phénomènes de modification d’effet ou de confusion. Cette analyse a permis d’estimer le rapport de cote ajusté (RCA) et son intervalle de confiance à 95 % pour les variables introduites dans le modèle.

3. Résultat et discussion

3.1 Volume d’eau prélevé ou consommé

La quantité moyenne journalière d’eau potable utilisée par personne dans la population enquêtée est de 34 ± 12 L∙d-1 par habitant. Cependant, il existe une différence en ce qui concerne la répartition de cette quantité selon les communes de la basse vallée de l’Ouémé. Ainsi, les quantités utilisées pour les usages domestiques dans les communes d’Adjohoun (39 ± 14 L∙d-1 par habitant) et Dangbo (36 ± 12 L∙d-1 par habitant) sont supérieures à cette moyenne de 34 ± 12 L∙d-1 par habitant. Dans le même temps, les quantités d’eau potable utilisée à Bonou (34 ± 12 L∙d-1 par habitant), Sô-Ava (32 ± 12 L∙d-1 par habitant) et Aguégués (27 ± 10 L∙d-1 par habitant) (Figure 2) sont faibles par rapport à la moyenne régionale obtenue. Ces résultats sont comparables à ceux de AZONHE (2015) et DOS SANTOS (2006), qui ont obtenu également des quantités d’eau supérieures à la norme de 20 L∙d-1 par habitant.

Figure 2

Variation du volume d’eau utilisé par commune

Variation of the volume water used per commune

Variation du volume d’eau utilisé par commune

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Par ailleurs, comparées à cette norme, on peut dire que l’accessibilité en termes de volume d’eau collecté est satisfaite dans ces cinq communes de la basse vallée de l’Ouémé. En effet, selon l’OMS citée par DOS SANTOS (2006), le volume d’eau dont dispose une personne par jour détermine les besoins qu’elle peut couvrir en termes de consommation et d’hygiène. Ainsi, une personne qui consomme moins de 5 L∙d-1 couvre difficilement ses besoins (consommation, pratiques d’hygiène) et par ricochet est exposée à un risque sanitaire très élevé. Par contre, une personne qui dispose d’une quantité minimum de 20 L∙d-1 peut couvrir ses besoins minimums de base. Cependant, certains auteurs à l’instar de GLEICK (1993) soutiennent que ces quantités sont insuffisantes pour satisfaire les besoins vitaux quotidiens en eau. Selon l’auteur, il faut une quantité de 50 L∙d-1 par personne repartie comme suit : 5 L pour la boisson, 20 L pour les usages sanitaires, 15 L pour les usages de toilette et 10 L pour la préparation des repas.

Or, dans la basse vallée de l’Ouémé, bien que la moyenne d’eau potable utilisée soit supérieure à la norme de 20 L∙d-1 par habitant, ce chiffre cache toutefois des inégalités entre habitants comme l’a soulevé AZONHE (2009). Le tableau 3 présente la répartition des enquêtés par quantité d’eau utilisée par jour par personne dans les ménages du milieu d’étude. La lecture de ce tableau révèle que la majorité des enquêtés (61,1 %) consomment plus de 20 L∙d-1, norme définie par l’OMS et SNAEPMR. Cependant, les quantités d’eau retenues ici ne concernent que celle prélevée par la ménagère et il n’est pas exclu qu’un membre du ménage prélève de l’eau pour un besoin spécifique. Par ailleurs, 38,9 % de ces enquêtés consomment une quantité d’eau inférieure à la valeur minimum de 20 L∙d-1 par habitant, nécessaire pour satisfaire les besoins hygiéniques de base. Pour comprendre cet état de choses, les analyses suivantes ont été faites.

Tableau 3

Répartition des ménages par quantité d’eau utilisée (travaux de terrain, 2018)

Distribution of households by quantity of water used (fieldwork, 2018)

Répartition des ménages par quantité d’eau utilisée (travaux de terrain, 2018)

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3.2 Facteurs déterminant la quantité journalière d’eau utilisée par ménage

3.2.1 Modèle d’analyse univariée

Le tableau 4 présente les résultats du modèle univarié des variables déterminant le volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé. L’analyse de ce tableau révèle que l’ensemble des variables introduites dans le modèle est statistiquement associé (valeur-p < 0,05) à la quantité d’eau utilisée.

Tableau 4

Modèle d’analyse univariée des déterminants du volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018). Le rapport de cote (RC) a été obtenu d’une analyse de régression logistique simple

Model of univariate analysis of the determinants of water volume use in the Lower Oueme Valley (fieldwork, 2018). Odds ratio (OR) obtained from simple logistic regression analysis

Modèle d’analyse univariée des déterminants du volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018). Le rapport de cote (RC) a été obtenu d’une analyse de régression logistique simple

*p < 0,05, **p < 0,01, ***p < 0,001

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3.2.1.1 Disponibilité de point d’eau potable

Les résultats d’analyses révèlent que la non-disponibilité de point d’eau potable dans le milieu prédit la consommation d’une quantité d’eau potable inférieure à 20 L, le rapport de cote étant de 0,04 et son intervalle de confiance à 95 % de [0,008-0,18].

3.2.1.2 Distance parcourue

Le Programme d’alimentation en eau potable et assainissement en milieu rural (PAEPA) au Bénin définit pour un accès adéquat, une distance maximale de 300 m entre le point d’eau et son lieu d’utilisation (FAD, 2012). Dans ce sens, la majorité des enquêtés des communes de Dangbo, Bonou, Adjohoun, Aguégués et Sô-Ava a un accès adéquat à l’eau potable (Figure 3). Par ailleurs, le tableau 4 révèle que dans la basse vallée de l’Ouémé, 87,5 % des enquêtés utilisant moins de 20 L∙d-1, parcourent une distance supérieure ou égale à 300 m. L’analyse de la relation entre la distance parcourue et la quantité d’eau potable prélevée fait apparaitre qu’une distance supérieure à 300 m détermine la collecte d’une quantité d’eau inférieure à 20 L, le rapport de cote étant de 0,08 et son intervalle à 95 % de [0,002-0,35].

Figure 3

Variation des distances parcourues selon les communes

Variation of distances travelled per commune

Variation des distances parcourues selon les communes

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3.2.1.3 Variation saisonnière

Dans la basse vallée de l’Ouémé, les quantités d’eau consommées varient également en fonction des saisons de l’année. En effet, l’analyse de la figure 4 révèle qu’en saison pluvieuse, la quantité d’eau potable utilisée est statistiquement inférieure à celle consommée au cours de la saison sèche (p < 0,01). Ce résultat est confirmé par la régression logistique simple qui indique que la saison pluvieuse est un déterminant de l’utilisation d’une quantité d’eau potable inférieure à 20 L, le rapport de cote étant de 0,16 et son intervalle de confiance à 95 % de [0,01-0,53]. Cependant, la forte consommation de l’eau enregistrée dans le milieu d’étude durant la saison sèche prouve que la ressource en eau est disponible même en saison défavorable.

Figure 4

Variation du volume d’eau utilisé selon les saisons

Variation of the volume of water used per season

Variation du volume d’eau utilisé selon les saisons

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3.2.1.4 Période de chaleur

En analyse univariée, la période de chaleur a un impact sur la quantité d’eau potable utilisée. Les résultats ont, en effet, montré que l’absence de période de chaleur prédit au seuil de 5 %, la consommation d’une quantité d’eau potable inférieure à 20 L.

3.2.2 Modèle d’analyse multivariée

Le tableau 5 présente les résultats de l’analyse multivariée et permet de dégager les principales variables déterminant le volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé. Les résultats obtenus pour ce modèle final ont montré une association significative entre la présence effective d’infrastructure d’approvisionnement en eau, la distance, la saison et la quantité d’eau potable utilisée (p < 0,05). De cette analyse, la non-disponibilité d’ouvrage d’approvisionnement en eau potable est l’un des principaux facteurs déterminants la consommation d’une quantité d’eau potable inférieure à 20 L. Ainsi, la disponibilité de point d’approvisionnement en eau potable est un facteur essentiel en ce qui concerne l’accès à un volume satisfaisant. Ce modèle met également en exergue le rôle primordial de la distance dans l’accès à un volume d’eau potable suffisant. Cette analyse rejoint DOS SANTOS (2006) pour qui la distance au point d’eau est une donnée de premier ordre puisqu’elle détermine en partie les quantités disponibles aux usages domestiques et hygiéniques notamment. Dans cette étude, les distances de plus de 300 m se présentent en effet comme un facteur limitant la collecte d’une quantité d’eau supérieure ou égale à 20 L (RC = 0,08, p < 0,01). Ce résultat est confirmé par celui de PONCIN (2007), qui indique bien que les ménages qui se situent à une distance telle qu’il faille plus de 30 min pour accomplir la corvée d’eau en consomment le strict minimum par personne par jour, soit moins de 5 L. Une enquête réalisée par Cairncross et Cliff au Mozambique dans un village situé à 4 km d’une source d’eau indique que les quantités transportées par jour par personne oscillaient entre 1,3 et 6,8 L, soit une moyenne de 4,1 L (PONCIN, 2007). Par ailleurs, en ce qui concerne la variation saisonnière, la saison pluvieuse prédit l’utilisation d’une quantité d’eau potable insuffisante. Ce résultat se justifie par le fait qu’en saison des pluies, les ménages recueillent l’eau de pluie pouvant être destinée à l’ensemble des usages domestiques y compris pour la boisson (après filtrage) dans certains ménages (DOS SANTOS, 2006).

Tableau 5

Modèle d’analyse multivarié des déterminants du volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018). Le rapport de cote ajusté (RCA) a été obtenu d’une analyse de régression logistique simple

Model of multivariate analysis of the determinants of the volume of water used in the Lower Oueme Valley (fieldwork, 2018). Adjusted odds ratio (AOR) obtained from simple logistic regression analysis

Modèle d’analyse multivarié des déterminants du volume d’eau utilisé dans la basse vallée de l’Ouémé (travaux de terrain, 2018). Le rapport de cote ajusté (RCA) a été obtenu d’une analyse de régression logistique simple

*p < 0,05, **p < 0,01

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4. Conclusion

Au terme de cette étude, il ressort que la quantité d’eau potable utilisée par ménage varie en fonction de la situation géographique. Les ménages des communes de Dangbo et d’Adjohoun consomment une quantité supérieure à la moyenne de 34 ± 12 L∙d-1 par habitant. Cependant, cette quantité prélevée dépend de la disponibilité de la source d’eau potable, de la distance ainsi que de la saison. Les résultats d’analyse multivariée ont ainsi révélé un risque de consommation d’une quantité d’eau potable inférieure à 20 L∙d-1 par habitant lorsque les usagers sont en saison pluvieuse ou sont confrontés à la non-disponibilité d’ouvrage d’approvisionnement en eau potable et à des distances supérieures à 300 m. Face à ces résultats et dans l’optique de l’atteinte des ODD, il faudra donc réaliser des compléments d’ouvrages pour assurer la disponibilité de la ressource en eau potable. Ensuite, positionner ces ouvrages à des distances raisonnables des ménages (moins de 300 m) et mieux, aider les ménages à disposer de l’eau à domicile (distance zéro). Enfin, assurer la fonctionnalité des ouvrages surtout en période de forte demande (saison sèche).