Corps de l’article

Contexte

Le Québec est de plus en plus une destination d’accueil pour les immigrants. D’après le Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC), le Québec a accueilli en 2010 un nombre record d’immigrants s’élevant à près de 53 000 individus avec une hausse de 15 % par rapport à l’année précédente. La province semble avoir choisi de hausser les niveaux d’immigration afin de compenser du moins partiellement le vieillissement de la population active (Lafrenière, 2010).

Les nouveaux arrivants doivent s’adapter à des conditions linguistique, économique, socioculturelle et même climatique différentes de leur pays d’origine. Selon des recherches américaines et canadiennes, ils sont nombreux à demeurer dans des quartiers défavorisés (Beiser et al., 2005 ; McAndrew, Ledent, Murdoch et Salah, 2009). D’ailleurs, des études mettent en évidence une détérioration de la santé pour plusieurs nouveaux venus et montrent l’importance de documenter l’influence de la société d’accueil sur leur santé (Gushulak, 2007 ; Nanhou et Audet, 2008 ; Hyman, 2001 ; Statistiques Canada, 2001). En parallèle, des travaux se sont penchés sur le développement de compétences de la vie courante susceptibles de favoriser le processus d’adaptation et l’adoption de saines habitudes de vie chez les immigrants (Lindecrona, 2008). La présente étude propose de combiner ces deux courants de recherche et d’examiner le processus d’adaptation des nouveaux arrivants adultes sous l’angle des habitudes de vie et des compétences de la vie courante. La section suivante présente l’ampleur du phénomène de l’immigration sur les plans national, provincial, régional et local.

État de la situation en matière d’immigration

Immigration sur les plans national et provincial

Tout comme les autres pays occidentaux à la fin du XIXe siècle, le Canada et le Québec ont d’abord adopté une politique d’assimilation qui demandait aux nouveaux arrivants de mettre de côté leurs caractéristiques ethniques et de se confondre à celles des habitants de leur terre d’accueil. Cette politique contribuait à l’identification de la culture dominante de la société d’accueil et à l’identification de l’ethnie d’origine dans la vie privée. Voulant contrer les inégalités sociales et donner le droit aux minorités d’avoir leurs institutions, le Canada et le Québec ont ensuite adopté une politique de multiculturalisme renvoyant à une multitude de communautés vivant ensemble. Certains analystes accusent cependant cette politique de contribuer à stigmatiser les différences et de les mettre en évidence (Bérubé, 2004). Bien que le Québec s’affiche comme une société multiculturelle, il se démarque toutefois du reste du pays par ses visées interculturelles (Toussaint, 2010). Celles-ci cherchent à protéger les cultures minoritaires tout en favorisant les relations et les échanges entre les communautés. Toujours au Québec, semble émaner également une tendance d’intégration structurelle et culturelle centrée sur l’adhésion à une culture commune. L’intégration structurelle ou socioéconomique permet aux nouveaux arrivants de participer à différentes instances de la vie collective (Schnapper, citée dans Toussaint, 2010) tout en conservant des éléments essentiels à leur identité culturelle. Par ailleurs, l’intégration culturelle préconise l’intégration à une culture publique commune où la société d’accueil établit des conditions d’entrée préalables. Au Québec, ces conditions incluent partager la Charte québécoise des droits et libertés, la laïcité de l’état et de ses institutions, la nécessité de parler la langue française et l’égalité entre les hommes et les femmes (MICC, 2010 ; Toussaint, 2010).

Immigration sur les plans régional et local

La région de la Mauricie est située à mi-chemin entre les villes de Montréal et de Québec. Sa population s’élève à 259 424 individus vivant principalement en centres urbain Trois-Rivières, et davantage rural, Shawinigan. Trois-Rivières, ville où l’étude fut menée, compte environ 150 000 habitants. En 2009, Elle a reçu 138 réfugiés politiques et 106 immigrants économiques (Bourassa, 2010). Un nouvel arrivant sur deux à Trois-Rivières est un réfugié politique, c’est-à-dire qu’il n’a pas le choix de quitter son pays pour mettre sa famille en sécurité à cause de menace de mort. L’immigrant économique qui a fait le choix de s’y établir a dû prouver qu’il était autonome financièrement pour les trois premiers mois. De 2001 à 2006, outre l’arrivée d’Africains, d’Arabes et d’Asiatiques du sud-est, il y a eu une forte augmentation de Latino-Américains et de Chinois. D’ici 2017, les membres des minorités visibles de la région de la Mauricie représenteront 25 % de la population (Francoeur, 2008). En même temps, compte tenu du vieillissement de la population, il y aura 23 000 emplois disponibles au cours de la prochaine décennie. La grande région compte sur l’immigration pour combler ces postes et contribuer à la prospérité économique (Branch, 2010). L’immigration est donc considérée comme un avantage démographique et économique. Toutefois, Trois-Rivières serait une ville peu attrayante pour les immigrants selon une étude réalisée par le Conference Board du Canada compte tenu de l’activité économique peu éloquente des dernières années (Lafrenière, 2010).

Cadre de référence

Dans cette section, nous traitons d’abord des notions d’adaptation et de compétences de la vie courante. Puis, après avoir présenté brièvement la théorie écologique, nous nous penchons sur les facteurs sociodémographiques et communautaires susceptibles d’influencer le processus d’adaptation des immigrants adultes.

Notion d’adaptation

Selon Bérubé (2004), l’adaptation en contexte migratoire correspond au « processus que suit l’immigrant pour apprivoiser l’environnement socioéconomique et sociopolitique du milieu hôte afin d’assurer son bien-être social, émotif et culturel dans le respect de ses intérêts et de son identité ethnique» (p. 19). De nombreux facteurs influencent le processus d’adaptation, y compris l’écart entre la culture d’origine et celle de la société d’accueil, les types de sociétés, les conditions de départ du pays d’origine et les conditions d’accueil réservées aux immigrés (Greenaway, 2008). Par exemple, les individus d’une société traditionnelle doivent faire l’objet d’une resocialisation majeure par rapport aux normes et aux règles qui régissent la vie en groupe s’ils souhaitent intégrer une société industrialisée (Camilleri, 1989). Différentes visions du monde engendrent inévitablement des conflits ou un choc culturel (Cohen-Emerique, 1991). Les conditions de départ vécues par les réfugiés peuvent également contribuer à des difficultés d’adaptation. D’autre part, les conditions d’accueil telles que la présence d’individus de la même origine ethnique, un comité de soutien pour les nouveaux arrivants et l’accès au marché du travail ne sont que certains des facteurs qui peuvent faciliter une adaptation réussie (Beiser et al., 2005 ; Greenaway, 2008).

D’après Lafortune et Gaudet (2000), le processus d’adaptation comporte différentes phases, en l’occurrence, la transition physique qui nécessite l’apprentissage de nouvelles manières de faire comme l’habillement, suivie d’une adaptation comportementale qui repose sur l’observation et le respect des normes sociales de la société et puis de l’intégration. Celle-ci serait atteinte quand l’individu constate qu’il appartient à la fois à son pays d’accueil et à son groupe ethnique. Si la distance culturelle entre les deux pays s’avère importante, il se peut que le processus d’adaptation requière plus de temps.

Notion de compétences de la vie courante

Les compétences de la vie courante que les nouveaux arrivants sont appelés à déployer exercent un impact important sur leur processus d’adaptation. Rich (2008) définit les compétences de la vie courante en termes de megaskills ou ensemble de valeurs, attitudes et comportements qui favorisent l’adaptation à un nouveau milieu. L’auteure en énumère douze à savoir la confiance, la motivation, l’effort, la responsabilité, l’initiative, la persévérance, la bienveillance, le travail d’équipe, le sens commun, la résolution de problèmes, la réflexion et le respect. Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1999) définit les compétences de la vie courante en termes de compétences personnelles, psychosociales, interpersonnelles, cognitives, émotionnelles et universelles. Selon une étude menée par Santé Canada (1999), les compétences de la vie courante les plus susceptibles de favoriser l’adaptation des immigrants à leur nouvel environnement semblent reliées à une solide connaissance de la culture occidentale et de la langue française (au Québec), la confiance en soi, ainsi que la capacité à développer des relations avec les autres afin d’obtenir du soutien social et à participer à des activités communautaires.

Théories écologiques et anthropologiques et facteurs d’influence

Comme plusieurs sources d’influence interviennent dans le processus d’adaptation, il devient essentiel de privilégier une théorie écologique (Bronfenbrenner, 2005). D’après celle-ci, le processus d’adaptation des immigrants évolue non seulement en fonction des caractéristiques des individus (exemple : formation professionnelle) et de leurs divers milieux de vie (exemple : conditions de l’emploi) mais également des interactions sociales dans leur environnement.

Figure également comme assise théorique le modèle du développement humain et du processus de production du handicap (Réseau International sur le processus de production du handicap, 1998). Ce modèle écologique et anthropologique développé par Fougeyrollas et al. (1998) est déjà solidement ancré dans les pratiques des intervenants de la santé. Il comprend les domaines reliés aux facteurs de risque, aux facteurs personnels et aux facteurs environnementaux (facilitateurs et obstacles). Ces domaines, qui interagissent entre eux, influent sur la qualité de réalisation des rôles sociaux d’un individu comme, par exemple, les habitudes de vie. Lorsque celles-ci atteignent un haut niveau de réalisation, il est alors question de pleine participation sociale de l’individu. Par ailleurs, quand ce niveau est faible, il en résulte une situation de handicap. Ce modèle peut fort bien s’appliquer dans le contexte de l’immigration, où interagissent des conditions facilitantes et contraignantes susceptibles de promouvoir ou d’entraver le processus d’adaptation des immigrants dans leur terre d’accueil.

Selon certaines études, dont une récente publiée par l’Institut de la statistique du Québec (Le Cours, 2010), il appert que les immigrants sont plus touchés que les natifs du Québec par le chômage. Cette prévalence est cependant moins importante lorsqu’il y a des immigrants de longue date dans la communauté. Pour certaines familles en milieux défavorisés, comme tel est le cas pour plusieurs parents immigrants, les difficultés économiques sont susceptibles d’influencer leur mode de vie, en l’occurrence leur alimentation et leur activité physique (Beiser, 2005 ; Kim et al., 2007). Ainsi, étant donné que les produits frais sont plutôt dispendieux hors saison en sol québécois, il y a lieu de croire que les nouveaux arrivants, souvent peu nantis, ne soient pas en mesure de se procurer ces produits, de diversifier leur alimentation ou d’assurer un apport alimentaire de qualité et par conséquent ne puissent rencontrer les recommandations du Guide alimentaire canadien. Des travaux montrent aussi que les nouveaux immigrants non-européens auraient près de deux fois plus de risque de voir leur poids augmenter de 10 % que la population en général, en partie du moins parce qu’ils sont exposés à une alimentation différente. Force est de constater que l’alimentation est clairement en lien avec la culture d’origine. À ce constat s’ajoutent des différences dans la manière de faire ses courses (entre une fois par semaine et tous les jours), ou d’entreposer la nourriture via l’utilisation du réfrigérateur versus du congélateur, etc. D’où la pertinence de s’y attarder car les habitudes alimentaires peuvent être associées à une adaptation plus difficile de la part de certains immigrants.

Chez les immigrants, le phénomène de sédentarité est plus élevé que chez les canadiens de souche (Nanhou et Audet, 2008 ; Statistique Canada, 2005). Il se peut que faute d’argent, du peu de disponibilité occasionnée par un double emploi obligé ou encore de l’absence d’un réseau social, les familles défavorisées et immigrantes perçoivent l’activité physique comme un luxe inaccessible ou même inutile (Dwyer, Higgs, Hardy et Baur, 2008). Il ne faut pas perdre de vue que bon nombre d’immigrants étaient habitués à marcher beaucoup plus dans leur pays de provenance. Il est fort possible qu’en l’absence de réseau social dans leur pays hôte engendre plus de temps à consacrer à leurs enfants et par conséquent, occasionne moins de temps pour soi et pour le loisir actif telle la pratique de sport. Entre également en considération le froid hivernal qui en rebute plus d’un lorsqu’il est temps de sortir dehors (Deslandes et al., 2012). Voilà autant d’éléments susceptibles d’entrer en ligne de compte dans le processus d’adaptation des immigrants, justifiant ainsi que l’on s’y penche dans la présente étude. S’ajoutent la méconnaissance de la langue du pays hôte qui entraîne des problèmes de communication en lien par exemple, avec les étiquettes énumérant les ingrédients dans des produits alimentaires ou encore avec les publicités et les règles associées à la pratique de certains sports ainsi que le manque d’infrastructures à proximité comme des parcs, des espaces publics et de jeux et des sports organisés, et de l’information pertinente (Dwyer et al., 2008 ; Kim et al., 2007). Ce constat n’est guère étonnant s’il y a par ailleurs combinaison de la sédentarité et d’une alimentation déficiente, et parfois de malbouffe. Selon Pillarella, Renaud et Lagacé (2007), les pratiques alimentaires, du moins chez les immigrants africains, demeurent inchangées au-delà de la migration et entraînent en contrepartie la consommation de produits transformés, moins frais et par conséquent, moins nutritifs. Cette même étude a notamment démontré que les immigrants ont un faible niveau de connaissances de la culture alimentaire locale et vont même jusqu’à faire de plus en plus appel à la malbouffe en cours d’adaptation.

Pertinence de l’étude

Le processus d’adaptation n’est pas uniforme entre les ethnies et à l’intérieur d’une même ethnie, et selon les milieux d’accueil (Lindecrona, 2008 ; Takeuchi, Alegria, Jackson et Williams, 2007). À notre connaissance, aucune étude de ce processus chez des immigrants adultes de la Mauricie sous l’angle des habitudes de vie et des compétences de la vie courante n’a été réalisée à ce jour. Pourtant, seule une telle étude permettrait d’identifier des pistes d’intervention pour les organismes qui oeuvrent auprès des nouveaux arrivants tout spécialement ceux qui habitent en région, afin d’ajuster les conditions d’accueil locales. Les retombées anticipées permettront également d’élaborer des programmes de sensibilisation ou activités spécifiques aux habitudes alimentaires et d’activités physiques susceptibles de favoriser une véritable intégration des nouveaux arrivants dans une perspective de meilleure santé (Lafortune et Gaudet, 2000 ; Pillarella et al., 2007).

La présente recherche s’insère dans une étude plus vaste réalisée dans la région de la Mauricie à l’aide d’entrevues individuelles menées auprès de dyades composées d’enfants âgés entre 8 et 13 ans et de leurs parents. Il s’agit d’une recherche qualitative et exploratoire, dont les conclusions ne sauraient être de nature générale. Les entrevues effectuées auprès des parents portaient sur leur propre processus d’adaptation sous l’angle des habitudes de vie (alimentation et activité physique) et des compétences de la vie courante et puis, sur le processus d’adaptation de leurs enfants. Précisons que ces derniers étaient également interrogés en parallèle.

Les résultats aux regards croisés du parent et de son enfant par rapport au processus d’adaptation de ce dernier ont mis en lumière la complémentarité de leurs divers milieux de vie (Deslandes, Rivard, Trudeau, Lemoyne et Joyal, 2012 ; Deslandes, Rivard et Trudeau, 2010). Selon les perceptions des enfants et de leurs parents, les mères tout spécialement exercent une influence prépondérante sur les habitudes alimentaires des enfants tandis que l’école et les enseignants contribuent de façon univoque à promouvoir l’activité physique. D’après les enfants immigrants, bien que les enseignants les aident et les encouragent à apprendre la langue française, à développer les compétences de la vie courante et les relations sociales, ce sont surtout leurs parents qui les influencent dans toutes ces facettes de leur processus d’adaptation. Une grande question émerge : où les adultes immigrants se situent-ils par rapport aux différentes étapes de leur propre processus d’adaptation ?

Cet article présente donc les résultats de l’analyse des entretiens individuels menés auprès des parents en regard de leur processus d’adaptation à titre d’adultes immigrants nouvellement établis dans la région de Trois-Rivières. Plus spécifiquement, il s’agit d’examiner ce processus sous l’angle des habitudes de vie (alimentation et activité physique) et des compétences de la vie courante. Deux sous-questions sont soulevées : 1) Dans quelle mesure des immigrants adultes se perçoivent-ils adaptés à leur terre d’accueil dans la région de la Mauricie, tout particulièrement en termes d’habitudes de vie (alimentation et activité physique) et compétences de la vie courante ? 2) Quels sont les facteurs ayant nui ou contribué à leur processus d’adaptation ? Il importe de mentionner que l’étude avait reçu l’aval du comité d’éthique de l’Université du Québec à Trois-Rivières en date du 9 février 2010.

Méthode

Participants

Les participants ont été recrutés à partir d’une liste de volontaires potentiels élaborée par le Service d’Accueil des Nouveaux Arrivants (SANA[2]). Les critères d’inclusion étaient les suivants : avoir une connaissance suffisante du français, être établis dans la région depuis deux à cinq ans ainsi que d’être parents de jeunes inscrits dans une école primaire ou secondaire et accepter que leurs enfants participent également à l’étude, et ce, sans égard au statut politique ou de réfugié. Au départ, l’étude ne ciblait pas uniquement des immigrants de faible niveau économique. Au final, l’échantillon s’est avéré composé surtout de participants de milieu défavorisé.

Tel que mentionné, les données ont été recueillies à l’aide d’entrevues individuelles réalisées de façon spécifique auprès de huit parents immigrants, deux femmes et six hommes. Deux personnes provenaient de la République démocratique du Congo, une personne de la République Dominicaine, deux autres de l’Algérie et de l’Argentine et enfin trois personnes de la Colombie. Parmi les participants, cinq personnes sont des réfugiés politiques et trois, des immigrants économiques. Diverses raisons ont motivé l’immigration au Québec des participants : certaines familles recherchaient la sécurité tandis que d’autres sont venues par choix afin d’offrir une meilleure éducation et un meilleur avenir à leurs enfants. Il serait présomptueux d’affirmer que cet échantillon de convenance et répondant à des critères précis est représentatif des groupes d’immigrants de villes de taille moyenne québécoises et canadiennes. Compte tenu de la diversité de ses caractéristiques, il est cependant plausible de croire que certains éléments soient représentatifs de groupes d’immigrants qui choisissent comme terre d’accueil, une des régions du Québec comparable à celle de la Mauricie. Le nombre de participants qui s’élève à huit a été jugé satisfaisant pour atteindre une saturation du contenu (Landry, 1997).

Collecte de données

Des entrevues individuelles semi-dirigées d’une durée moyenne de 60 minutes ont été menées par deux membres de l’équipe de recherche dans un des locaux du SANA, situé au centre de la ville de Trois-Rivières. Cette technique d’entretien a été privilégiée car elle permet aux participants de raconter leur expérience. Le protocole d’entrevue concernant les parents comprend trois sections principales liées au processus d’adaptation basé sur les trois thèmes retenus, à savoir les habitudes alimentaires, l’activité physique et les compétences de la vie. Chaque section comporte des questions sur les expériences positives et négatives depuis l’arrivée des participants dans la région par rapport aux trois thèmes, ainsi que sur les facteurs qui les auront influencés en regard de leur processus d’adaptation. Les questions qui sont analysées dans cet article sont présentées à l’appendice A.

Procédures et analyse des données

Les entrevues, d’une durée environ de 60 minutes, ont eu lieu au cours du mois de mars 2010. Les participants devaient signer un formulaire de consentement afin d’assurer que leur participation reposait sur une base volontaire. Ils ont d’abord été informés des normes de confidentialité en vigueur et de l’approbation de la conduite de l’étude par le comité d’éthique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

L’analyse a été effectuée à l’aide du logiciel NVivo. Le codage était mixte (L’Écuyer, 1990), ce qui signifie qu’il a été basé sur la littérature entourant les sections du protocole d’entrevue, tout en laissant émerger de nouvelles catégories (Bogdan et Biklen, 1992). Autrement dit, les points d’ancrage de l’analyse des données reposent sur les théories écologiques et anthropologiques présentées précédemment de même que sur les écrits recensés relativement aux habitudes alimentaires et d’activité physique et aux compétences de la vie courante déployées par les immigrants de même que des facteurs d’influence sur leur processus d’adaptation. Les verbatims ont donc été transcrits, puis analysés. Des catégories étaient déterminées a priori en fonction du canevas d’entrevue : (1) habitudes alimentaires, (2) activité physique, (3) compétences de la vie courante. Après plusieurs lectures et échanges entre des chercheurs de l’équipe et deux étudiantes inscrites au deuxième cycle, des sous-catégories ont émergé a posteriori. Ainsi, sous la catégorie habitudes alimentaires, apparaissent les sous-catégories correspondant aux similitudes, aux différences et aux facteurs d’influence et aux impacts du changement dans l’alimentation à la suite de l’arrivée au Québec. Sous la catégorie activité physique, les types d’activités pratiquées et les facteurs d’influence sont mentionnés. Aucune sous-catégorie n’a été identifiée sous la catégorie compétences de la vie courante (Tableau 1).

Tableau 1

Grille de catégorisation des énoncés

Grille de catégorisation des énoncés

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Résultats

Habitudes alimentaires

Similitudes et différences par rapport à leur pays d’origine

Les participants dénotent presque autant de similitudes que de différences dans les aliments avec leur pays d’origine. Les aliments de base comme les légumes, les fruits, la viande sont relativement semblables. Les avis sont quelque peu partagés, tels qu’en témoignent les commentaires suivants : « Pratiquement tous les aliments qu’on a au pays sont ici » et « il est parfois difficile de me procurer des aliments spécifiques ou des condiments… ». Pour ce qui est des différences, elles se retrouvent principalement dans la préparation de nouveaux plats et des accompagnements. Par exemple, des mets typiquement québécois comme le pâté chinois ou la poutine n’étaient nullement connus des nouveaux arrivants avant leur arrivée au Québec. Certains trouvent qu’il y a de la sauce dans beaucoup de mets. D’autres considèrent que les mets québécois sont très sucrés. Malgré tout, des participants croient qu’ils se sont habitués, avec le temps, à ces différences.

Facteurs d’influence sur les habitudes alimentaires et impacts

Éléments facilitateurs

D’après des immigrants, les commerçants en général font des efforts pour s’adapter à la nouvelle réalité de l’immigration dans la région. Si des aliments sont manquants tels qu’une marque spécifique de riz ou de semoule de blé, des commerçants sont d’accord pour s’en procurer auprès de grands centres montréalais. Plusieurs participants ont fait ressortir l’importance du rôle joué par SANA. Ils perçoivent ce service comme une ressource essentielle aux nouveaux arrivants. À titre d’illustrations, des bénévoles de SANA les ont accompagnés et guidés lors de la première épicerie. Ils les ont aussi aidés à comprendre le fonctionnement des appareils électriques habituellement utilisés dans une cuisine et à les exploiter de façon sécuritaire. Ils les ont également mis en contact avec leurs concitoyens. Ces derniers ainsi que des membres de leur famille déjà établis au Québec et des voisins les ont aussi orientés non seulement dans la recherche d’aliments précis mais aussi dans la préparation de ceux-ci. L’un deux mentionne qu’une voisine lui a montré comment préparer les épinards en y ajoutant du poisson fumé et du beurre d’arachides afin que le goût final se rapproche le plus de ce à quoi sa famille était familière.

Éléments contraignants

Des immigrants déclarent avoir connu des moments de frustration reliés non seulement à l’accès aux aliments auxquels ils étaient habitués. Même si l’accès à des aliments familiers est de plus en plus facile, il n’en demeure pas moins qu’il y en a certains qui nécessitent un déplacement à Montréal, voire même à Toronto. La méconnaissance du français reste souvent un obstacle : « Quand on est arrivé ici, on ne parlait pas français. Rien du tout, juste en espagnol.» Et comme toute adaptation, il faut que les individus se donnent du temps pour faire tomber les barrières : « Ça nous a pris quatre mois avant d’accepter de prendre la sorte de riz disponible à l’épicerie du coin ». Pour la préparation des repas, une personne mentionne que le goût de la viande était très différent et que ce fut difficile de s’adapter à ce changement. Un autre ajoute : « Ma femme essayait de faire de la nourriture colombienne à partir des éléments qu’on trouvait à l’épicerie. Mais ce n’était pas colombien ». De plus, l’utilisation de certains appareils électriques a posé problème à des familles : « On a vu un micro-onde pour la première fois ; il fallait apprendre à le manier. »

En résumé, les sources d’influence reliées à l’alimentation se situent au niveau des bénévoles, des parents, des concitoyens, et des amis. Les parents et les concitoyens aident à conserver les habitudes alimentaires du pays d’origine tandis que les bénévoles et les amis québécois favorisent l’adaptation aux habitudes alimentaires du milieu hôte. Ceux-ci les conseillent, les accompagnent dans l’apprentissage de la culture locale, comme la façon de se nourrir, de faire des achats, etc. Ils leur enseignent aussi des recettes québécoises.

Impacts du changement dans l’alimentation à la suite de l’arrivée au Québec

Des participants ont mentionné la prise de poids comme impact du changement d’alimentation. Par exemple, un participant affirme : « Tous les immigrants prennent quatre, cinq, six, sept, dix kilos après les quatre ou cinq premiers mois. On n’a qu’à regarder les photos. C’est vraiment drôle ». Comment expliquer un tel constat ? Certains participants réfèrent à la façon de se nourrir comme manger beaucoup de pâtes et introduire beaucoup de sauce ; d’autres l’attribuent au fait que des immigrants n’avaient pas accès à suffisamment de nourriture dans leur pays d’origine ou qu’ils y travaillaient très fort physiquement. De plus, en arrivant au Québec, les immigrants commencent par apprendre le français, étape de transition cognitive beaucoup plus sédentaire et qui occasionne peu de dépense énergétique.

Activités physiques

Types d’activité pratiquée

L’activité physique que les immigrants adultes disent pratiquer inclut la marche, la natation, le soccer, le vélo stationnaire, la course, le vélo, le basket-ball, le patin à glace et à roues alignées, des exercices avec des poids, des abdominaux, le travail physique en général et des activités utilitaires comme pelleter la neige.

Facteurs d’influence sur la pratique d’activité physique

Éléments facilitateurs

À l’inverse, les participants ont nommé plusieurs éléments qui favorisent la pratique d’activité physique. Certains préfèrent pratiquer des activités selon leur rythme et dans le confort de leur foyer : « […] je suis tombé sur un tapis roulant d’occasion […] j’ai décidé d’y aller à mon rythme, tout seul. ». Plusieurs apprécient la compagnie d’autres personnes. Certains parlent de l’accessibilité et de la proximité d’installations comme la grande piscine de l’Exposition à Trois-Rivières. L’accueil des Québécois semble aussi favoriser l’activité physique. Un participant dit : « On n’a pas de ghetto ici […] la société québécoise est très accueillante. » Évidemment, pour faire des activités sportives, il faut aimer le sport et être motivé. Selon les participants immigrants, la motivation première est d’être en meilleure santé physique et mentale et de développer un sentiment de bien-être corporel : « […] je me sens déprimé quand je ne fais pas des exercices. » Ils disent aussi que faire des exercices leur permet de mieux contrôler leur poids et que c’est un bon exemple à donner aux enfants.

Éléments contraignants

Les immigrants participants rencontrent néanmoins beaucoup d’obstacles dans la pratique d’activité physique. Figurent en tête de liste le manque de temps et les conflits d’horaire. La volonté de faire du sport semble présente, mais l’organisation dans le temps est difficile. L’un d’eux dit : « Je n’ai pas le temps. Je travaille beaucoup. » Un autre ajoute : « Ce n’est pas possible pour moi, j’ai plusieurs enfants et il faut que je travaille pour les nourrir ». Puis, des horaires à respecter et des coûts rattachés à la pratique d’activités physiques ne sont pas accessibles à toutes les bourses : « […] un centre de conditionnement, c’est tellement cher… » La langue est toujours un obstacle ainsi que le manque d’information sur l’accès à des ressources : […] je ne connais pas bien un endroit où je pourrais faire du gym ou de l’exercice. » De plus, les nouveaux arrivants n’ont pas nécessairement l’habitude de pratiquer des exercices corporels et certains ont des incapacités physiques. La difficulté de créer des liens avec d’autres personnes apparaît aussi comme une barrière : « […] pour des adultes, c’est difficile de trouver des amis, de faire des contacts. »

Compétences de la vie courante

Les participants ont été en mesure d’identifier plusieurs compétences personnelles qu’ils avaient déjà acquises avant leur arrivée au Québec et qu’ils ont été appelés à déployer lors de leur processus d’adaptation. En voici une liste : la confiance en soi, l’initiative et la débrouillardise, l’engagement, l’autonomie, l’indépendance, le sens des responsabilités et de l’effort, l’esprit d’organisation et d’analyse, le sens de l’orientation, la patience, la persévérance, l’ouverture, la fierté, la dignité, la détermination, l’esprit d’entreprise, la sociabilité, et le respect pour la vie et les autres. La capacité à développer un réseau social apparaît un facteur déterminant dans l’adaptation des immigrants, que ce soit l’aide des concitoyens, ou encore la facilité à développer des liens au travail ou dans son voisinage : « […] les compatriotes sont très bons pour ça, ils aident beaucoup. » Certes, l’accueil réservé par SANA et les divers services offerts offrent un terreau propice au développement du réseautage : « […] Tu rencontres au comité d’accueil des personnes qui parlent ta langue, tu leur demandes où tu peux acheter des choses. » Interviennent également les motivations qui les ont amenés à immigrer et leur ouverture à commencer une nouvelle vie. Lorsqu’une personne a choisi de quitter son pays pour un autre ou parce qu’elle ne se sent plus en sécurité dans son pays d’origine, cette dernière doit avoir envie de s’établir ailleurs et être ouverte à de nouvelles expériences. Et si en plus, les citoyens du pays d’accueil démontrent eux aussi une ouverture, cela facilite davantage l’adaptation. Un des participants raconte :

C’est un rêve qui date depuis que j’avais mes dix-huit ans, je voulais partir. Puis, quand la machine s’est mise en marche, ça m’a pris cinq ans pour venir ici, voir aux papiers, etc. Puis, pendant ces cinq années, ce n’était pas juste de la perte de temps, c’était une préparation très psychologique. On était vraiment branchés Canada. On ne ratait jamais le télé-journal sur TV5 ; on l’avait à huit heures et puis le soir, on avait le télé-journal de Radio Canada, puis sur Internet on y allait aussi.

Un autre précise qu’il s’est senti le bienvenu dès son arrivée : « J’ai été marqué dès le début. Il suffit de croiser quelqu’un […] les yeux se croisent, puis il y a un grand sourire. » D’un autre côté, des participants conviennent qu’il ne faut pas trop dépendre des autres : « […] quand on vient d’arriver, c’est facile de s’accrocher à quelqu’un qu’on connaît et de ne pas trop aller vers l’inconnu. Or, c’est l’inconnu qui va être notre réalité. Quand on est tout le temps comme ça, ça devient comme une béquille. »

Toutefois, les participants sont unanimes à déclarer que la langue joue un rôle primordial dans l’adaptation des nouveaux arrivants. « Connaître la langue aide beaucoup. Oui, moi ça a facilité mon intégration. » L’apprentissage et la maîtrise d’une nouvelle langue requièrent du temps. Et lorsque les immigrants désirent accéder rapidement à un emploi, des difficultés avec la langue officielle deviennent une contrainte susceptible d’engendrer beaucoup de frustration et de stress. Il est alors difficile pour une personne immigrante de se réaliser pleinement dans sa profession (exemple : enseignant, comptable ou avocat) quand celle-ci nécessite une très grande maîtrise de la langue française. À titre d’illustration, l’un d’eux dit : « Je ne suis pas capable d’exprimer les choses que je sais. Je pense que les autres personnes comprennent que je suis un idiot ou que je ne suis pas civilisé. » Il semble en effet que plusieurs offres d’emplois dans la région exigent une très bonne connaissance du français parlé et écrit ainsi que plusieurs autres compétences spécifiques à l’emploi. Or, d’après des participants, ce niveau de maîtrise de la langue ne peut être atteint que trois ou quatre ans après leur arrivée au Québec. Pourtant, être autonome financièrement, se sentir utile et valorisé, et se trouver un emploi est essentiel. Par contre, comme le taux de chômage est élevé au Québec, les immigrants n’ont pas beaucoup d’opportunités et si par surcroît ils ne parlent pas français, c’est encore plus difficile. Un des participants déplore : « […] on est très bien ici, c’est juste qu’on commence à voir qu’il n’y a pas beaucoup de chance de trouver un emploi, l’accès au travail est assez difficile […] il y a beaucoup de critères […] on demande beaucoup d’exigences pour accéder au travail. »

Bien que les participants reconnaissent le bien-fondé des classes de francisation, ils mentionnent néanmoins certains points à prendre en considération pour améliorer leur efficacité. Par exemple, un parent immigrant réclame plus d’immersion en langue française : « Je suis resté pendant deux ans en francisation avec 20 autres personnes qui parlaient espagnol. C’est très difficile alors […] je peux écrire, mais pour parler, on doit faire plus d’immersion. » De plus, des participants déplorent que les enseignants dans les classes de francisation accueillent les adultes comme s’ils étaient des enfants : « Il y a des gens qui sont pères, ou mères de famille, et qui ont beaucoup de responsabilités. Beaucoup sont des professionnels, mais ils doivent apprendre des petites choses. On est traité comme des enfants. Ça, c’est dur. Oui. Ça fait mal. »

Selon les participants, les compétences de la vie courante qu’ils ont déployées suite à leur arrivée au Québec tirent leur origine de l’éducation reçue de leurs propres parents et de leur désir d’apprendre et de connaître. La majorité affirme que ces compétences ont été utilisées pour assurer le bien-être de leurs enfants ainsi que pour servir d’exemples à leurs enfants. D’autres soulignent que c’était aussi dans le but de venir en aide aux membres de leur famille étendue (parents, frères, soeurs) qui ont immigré au Québec en même temps qu’eux.

Discussion et recommandations

Les données recueillies ont permis de vérifier jusqu’à quel point des parents immigrants de la région de la Mauricie se perçoivent adaptés à leur nouvel environnement sous l’angle des habitudes de vie et des compétences de la vie courante. Elles ont aussi mis en lumière leurs perceptions quant aux facteurs ayant nui ou contribué à leur processus d’adaptation.

Concernant leur processus d’adaptation, il serait faux de prétendre à une intégration complète des nouveaux arrivants dans leur terre d’adoption. Trop de propos laissent transparaître de l’inquiétude et un certain désillusionnement, voire une déception par rapport à l’accès au marché du travail dans la région de la Mauricie. Obtenir un emploi satisfaisant semble une prérogative incontournable pour mener à une adaptation complète dans la terre d’accueil. Avoir accès au marché de l’emploi représente un défi important. Les commentaires des participants rejoignent la description de la problématique du chômage chez les immigrants souvent relevée dans des études et présentée dans les journaux locaux (Bérubé, 2004 ; Bourassa, 2010 ; Lévesque, 2011 ; Métropolis, 1999 ; Statistique Canada, 2005). Il est maintenant bien connu que le taux de chômage est plus élevé chez les immigrants que chez les personnes nées au pays. D’une part, il y a des immigrants réfugiés politiques qui n’ont pas nécessairement une formation. Rappelons que ceux-ci représentent 50 % des nouveaux arrivants à Trois-Rivières. D’autre part, il y a des immigrants économiques qui vivent une non-reconnaissance de leur formation. Encore faut-il préalablement apprendre et maîtriser le français. À ce sujet, les participants ayant suivi les classes de francisation réclament plus d’immersion et une approche pédagogique qui prend davantage en compte leurs intérêts et leurs compétences déjà acquises.

Relativement aux habitudes de vie, les résultats convergent dans le même sens que les observations de certains auteurs (Harrison, Kim et Kagawa-Singer, 2007 ; Nanhou et Audet, 2008 ; Pillarella et al., 2007; Statistique Canada, 2005) qui révèlent une augmentation du poids corporel et de la sédentarité chez des immigrants adultes. Bien qu’ils aient relevé plusieurs similitudes avec la nourriture de leur pays d’origine, les participants ont tous semblé rechercher des aliments et des façons de les apprêter qui se rapprochaient le plus de ce à quoi ils étaient habitués. La présence de sauce et de sucre dans beaucoup des mets québécois rapportée par les participants pourrait être contrée, du moins lors de la période de transition, par un plus grand accès à leurs mets d’origine. Accorder davantage de l’importance à leurs traditions culinaire ne serait-il pas en même temps un moyen de se préserver de l’obésité, du moins, chez certains d’entre eux ? Comme ces aliments sont dispendieux une fois importés au Québec, pourrait-on penser à un fonds spécial limité dans le temps qui faciliterait leur transition vers une nourriture hybride ou québécoise ? Bien que les participants n’aient pas dit clairement qu’ils mettaient en pratique le Guide alimentaire canadien, les données de l’étude précédente (Deslandes et al., 2010 ; 2012) nous laissent croire que leurs enfants connaissent les recommandations du Guide et en parlent à la maison. Ces enfants immigrants et instruits au Québec ne pourraient-ils pas servir d’éducateurs et d’agents de liaison auprès de leurs parents en matière d’adaptation au niveau alimentaire ? Néanmoins, il y a lieu de s’interroger à savoir si le Guide alimentaire canadien est suffisamment adapté à leurs cultures, à leurs habitudes alimentaires. Autrement dit, ne faudrait-il pas adapter les moyens de satisfaire les recommandations en matière de nutriments identifiés dans le Guide alimentaire canadien aux diverses culture que nous accueillons ? Pourrait-on alors penser à un type d’accompagnement des immigrants qui les renseignerait sur la mise en pratique du Guide alimentaire canadien adapté à leur culture et sur quelques recettes simples, saines et santé ? Sur le plan culturel, il faut voir d’un bon oeil leur attachement aux mets typiques de leur pays d’origine car les adultes sont des agents auprès de leurs enfants, reliant le passé, le présent et l’avenir, d’une société à l’autre et contribuant ainsi au développement identitaire des jeunes (Bérubé, 2004). Citons à titre d’exemple l’activité « collé dans le sirop » basée sur la métaphore du sirop d’érable comme lien social et organisée par SANA de Trois-Rivières en avril 2011. Les immigrants étaient invités à cuisiner leurs plats nationaux tout en y ajoutant une petite quantité de sirop d’érable. L’objectif visait le rapprochement interculturel (Bacon, 2011).

Pour ce qui est de l’activité physique, les propos associés aux éléments contraignants tels le manque de temps, de disponibilité et de ressources financières corroborent les résultats d’études antérieures (Kim et al., 2007; Harrison, Kim et Kagawa-Singer, 2007; Statistique Canada, 2005). Dans la même foulée, plusieurs des immigrants interrogés demandent une plus grande facilité d’accès à des installations ou des activités sportives dans le but de contrer le problème de sédentarité. Par exemple, ils verraient de façon positive la gratuité de l’accès à certains gymnases, ou encore la mise en place d’équipements de base, très simples, non seulement dans des parcs publics mais aussi dans chaque quartier. Pour que les gens bougent, il faut donner le goût de bouger ; il faut créer des activités et les informer sur les différentes activités qui sont offertes. À l’instar de leurs propres enfants, ils apparaissent convaincus de l’importance de bouger et d’être actifs (Deslandes et al., 2010 ; 2012) mais avouent ouvertement manquer de ressources financières. D’ailleurs, ceci est vrai pour toute population défavorisée économiquement, immigrante ou non. Il faut plutôt comprendre qu’en raison du changement de pays, la dépense énergétique doit se faire différemment. Il leur faut trouver leurs propres moyens de faire de l’activité physique. Il existe des moyens peu coûteux comme par exemple, courir ou mettre sur pied une équipe de soccer. Encore faut-il rappeler que bon nombre d’immigrants étaient habitués à marcher beaucoup plus dans leur pays de provenance. Il est fort possible qu’en l’absence de réseau social dans leur pays hôte nécessite plus de temps à consacrer à leurs enfants et par conséquent, occasionne moins de temps pour soi et pour la pratique de sport. Entre également en considération le froid hivernal qui en rebute plus d’un lorsqu’il est temps de sortir dehors (Deslandes et al., 2012)

Les participants sont aussi conscients des compétences de la vie courante qu’ils ont dû mettre en oeuvre afin de s’adapter à leur nouveau milieu. Celles-ci étaient déjà acquises dans le cadre de l’éducation reçue, particulièrement de leurs propres parents. L’ouverture à la nouveauté, le désir de connaître et d’apprendre, la volonté de s’intégrer et l’habileté à créer des liens sociaux apparaissent des incontournables. Leurs propos mettent en évidence les compétences cognitives reliées à l’apprentissage du français, apprentissage essentiel à leur adaptation dans leur nouveau milieu, surtout lors de la recherche d’un emploi. Certaines autres compétences, en l’occurrence, la volonté et l’auto-détermination contribuent à les motiver à faire des activités sportives dans le but de servir de modèles à leurs enfants, pour promouvoir leur bien-être et assurer une qualité de vie à leurs enfants ainsi qu’aux membres de leur famille étendue.

Relativement aux facteurs d’influence, les services offerts par SANA figurent en tête de liste suivis par l’apport des concitoyens, des parents et des amis ainsi que d’autres ressources de la communauté. D’ailleurs, il se peut que le recours à SANA dans le cadre du processus de recrutement et du lieu de passation des entrevues ait introduit des biais. Chose certaine, les propos des participants corroborent des résultats d’études antérieures à l’effet que les conditions d’accueil en général occupent une place centrale dans l’adaptation des immigrants (Bérubé, 2004 ; Toussaint, 2010). Les concitoyens et les amis sont également mis à contribution dans la mesure où les nouveaux arrivants ne développent pas une dépendance à leur égard. La contribution de la communauté est également présente quoique moins explicite, lorsqu’il est question des épiceries locales dans le domaine de l’alimentation et de l’accès à des infrastructures comme les espaces publics, les installations sportives et les organismes permettant de pratiquer des activités physiques de façon gratuite. Elle contribue aussi par le biais des classes de francisation qui se doivent, tel que mentionné antérieurement, prendre davantage en considération leur étape de vie et leurs compétences dans l’approche pédagogique des enseignants. Ils revendiquent également une plus grande souplesse des entreprises en quête de main d’oeuvre qui leur permettrait de développer les compétences spécifiques à l’emploi tout en étant déjà actifs en milieu de travail. Dans cette foulée, mentionnons que SANA a affiché sur son site Web des liens avec des services d’accompagnement et de placement à l’emploi pour faciliter l’insertion professionnelle des nouveaux arrivants. De même, la Table locale d’une municipalité régionale de comté (MRC) a développé une vidéo intitulée « Ici pour rester » présentant des histoires à succès d’adaptation d’immigrants dans la région de la Mauricie (Plante, 2012). De son côté, Emploi-Québec[3] (2012) a créé des programmes particuliers pour venir en aide aux personnes immigrantes et aux minorités visibles à la recherche d’un emploi.

Conclusion

Le but de la présente étude est d’approfondir notre connaissance du processus d’adaptation de parents immigrants nouvellement établis dans la région de Trois-Rivières, soit depuis deux à cinq ans. Comparativement à leurs enfants, le processus d’adaptation des parents apparaît s’opérer plus graduellement et à plus long terme (Deslandes et al., 2010; 2012). Il demeure important de maintenir les services d’accueil déjà existants et même d’offrir aux nouveaux arrivants la possibilité d’avoir accès à des services d’accompagnement sur une plus longue période dans le but de les sécuriser et de faciliter la communication. Il faut également favoriser l’échange entre les concitoyens et les amis tout en faisant prendre conscience que l’immersion avec le pays d’accueil s’avère encore le moyen le plus rapide et surtout le plus efficace pour apprendre la langue et s’adapter au milieu hôte. De plus, divulguer et transmettre l’information et s’assurer que les canaux de communication sont efficaces semble essentiel pour aider les immigrants à faire des choix alimentaires et sportifs qui leur conviennent et qui assureront une qualité de vie et le développement de leur réseau social. Il est certain que les différents paliers gouvernementaux doivent continuer d’être sollicités tant pour favoriser une saine alimentation que pour faciliter l’accès à des activités physiques. Mais, il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité première de se prendre en main revient aux individus eux-mêmes. Et dans ce sens, les participants ont clairement montré qu’ils possédaient les compétences de la vie courante requises pour réussir leur adaptation.

L’étude qualitative comporte des limites méthodologiques reliées, entre autres, à la petite taille de l’échantillon et à la plus grande participation d’hommes que de femmes. Par conséquent, les prochaines études devront faire en sorte qu’il y ait un nombre égal d’hommes et de femmes avec des origines encore plus diversifiées. En guise de pistes de recherche, il serait pertinent d’examiner les habitudes alimentaires en fonction du continent ou du pays d’origine. De même, il faudrait explorer ce que veut dire « être en santé » auprès de ces populations. Dans quelle mesure cette notion se modifie-t-elle en changeant de pays ? Il serait intéressant de s’y pencher à l’aide de groupes de discussions. Des entrevues semi-dirigées avec des intervenants canadiens auprès de ces populations de même que des immigrants de plus longue date pourraient être menées afin de mieux comprendre les difficultés vécues et les stratégies mises en place pour les surmonter. Dans une optique de généralisation des résultats, il faudrait songer à des recherches longitudinales basées sur de larges échantillons et sur une approche quantitative, c’est-à-dire par voie de questionnaires.