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La thématique du 5ème COSSI nous donne l’occasion de proposer une réflexion sur l’articulation entre recherche théorique et recherche empirique. En effet, nous tenterons d’une part, de réfléchir à la question de la durabilité des pratiques informationnelles, notamment en cherchant à caractériser des éléments de définition de la durabilité empruntée à des sciences connexes voire plus éloignées des sciences de l’information et de la communication. D’autre part, nous nous appuierons sur une recherche empirique que nous menons depuis quelques mois déjà, auprès des professionnels de l’architecture éco-constructive[1] (architectes, mais également techniciens, maîtres d’oeuvre, maîtres d’ouvrage, etc.), en tentant de montrer des zones d’instabilité dans leurs pratiques informationnelles pouvant les mettre en situation de difficulté voire d’échecs dans la gestion de projets et d’affaires. Enfin, dans un dernier temps, nous évoquerons un ensemble d’orientations à envisager pour accompagner les besoins d’information et les pratiques informationnelles[2] et tenter de les stabiliser au nom de la durabilité informationnelle.

Contexte

Nous avons choisi dans ce texte de croiser deux approches : d’une part, à partir d’un corpus de documents issus des sciences de l’information et de la communication mais également d’autres sciences humaines et sociales, nous avons cherché à dégager des principes récurrents et systématiques à partir d’études et de constructions théoriques cherchant à définir et caractériser le concept de durabilité. D’autre part, nous avons extrait un ensemble de données issues de la recherche GCCPA que nous menons depuis le début de 2012, portant sur les pratiques informationnelles et de construction de connaissances chez les acteurs aquitains de l’architecture éco-constructive. Notre propos sera donc de chercher à articuler recherche fondamentale et données issues de terrains afin de dégager des principes récurrents et partagés nous permettant de comprendre davantage le principe de durabilité des pratiques informationnelles.

Méthodes

Le matériau en cours d’élaboration a été produit ces derniers mois autour de la triangulation de trois modes de recueil de données : des entretiens individuels semi-directifs, menés auprès de 25 professionnels, centrés sur la présentation du parcours universitaire et professionnel de notre échantillon et l’explicitation des pratiques professionnelles d’information, des comptes rendus de visite sur les sites de travail (agence, cabinet, lieu de formation, etc.), enfin, l’extraction, puis l’analyse, de données issues des systèmes d’information personnels d’acteurs faisant partie de notre échantillon[3]. Le secteur de l’architecture éco-constructive nous intéresse particulièrement pour diverses raisons. Nous en mentionnerons a minima quatre :

  • Les diverses agences traitent et conservent l’information professionnelle sans aucune forme de médiation documentaire ni aucune participation de documentaliste ou de professionnel de l’information ;

  • le propre de l’activité des architectes et acteurs de l’éco-construction est de répondre à des appels d’offre et appels à projets, nécessitant pour eux, dans des délais très courts de mobiliser un ensemble de données, d’informations, d’expériences passées, et de s’associer la plupart du temps à d’autres spécialistes du domaine pour tenter d’avoir toutes les chances de réussir leur candidature ;

  • la plupart des professionnels que nous avons rencontrés et suivis depuis déjà quelques mois, reconnaissent que leurs pratiques informationnelles restent très chaotiques voire artisanales, alors même qu’une plus grande méthode, rigueur et discipline leur permettraient de perdre moins de temps et d’être plus efficaces dans leurs activités quotidiennes ;

  • enfin, tous déclarent et ont le sentiment d’une forte déperdition d’énergie, de moyens et de temps, à rechercher et organiser leur système d’information, avec la sensation de ne pas travailler forcément avec méthode et autour d’une stratégie inscrite dans la durée.

Questions de recherche

De l’ensemble de ces constats, nous avons bien affaire à un secteur professionnel où l’activité informationnelle est au coeur des préoccupations et fortement conscientisée (Liquète et al., 2009). Selon nous, l’activité informationnelle peut être observée comme l’interaction des individus avec un environnement informationnel. Selon le principe orienté-objet de la théorie de l’activité, cette interaction est motivée, elle permet de transformer l’objet (un document récupéré à partir d’un site web, un extrait d’un livre ou d’un article, une information fournie par un expert, etc.), considéré comme « une matière première », en un objet significatif (par exemple, les informations récupérées sont organisées en fonction des différentes facettes du sujet traité), et puis en un objet potentiellement partagé ou conjointement construit (par exemple, la construction collaborative du sens à partir de l’information récupérée et organisée permet de résoudre le problème d’information à l’origine du système d’activité). Cette construction du sens témoigne d’une certaine maîtrise de l’information collectée. En interagissant (recherche, lecture, vérification, classification, échange entre pairs, etc.) avec l’environnement informationnel, les individus explorent et découvrent son contenu et tentent par la suite de saisir ce qui les intéresse, en fonction de leur besoin, voire de le mettre en partage au sein de leur communauté de praticiens (Lehmans, 2012). Nous rejoignons ainsi l’idée suggérée par Chaudiron et Ihadjadene (2010) d’un troisième paradigme accordant toute sa place aux interactions entre les acteurs inscrits dans un même système d’information. En effet, tenter de comprendre les pratiques informationnelles et de documentation ne peut se limiter aux travaux d’analyse des accès, des recherches et des utilisations des environnements techniques et informationnels. Dès lors, comment les groupes d’acteurs partageant des objectifs en commun, échangent-ils, s’influencent-ils, confrontent-ils les résultats de leur recherche et de leur démarche ? Quelles sont les zones d’influence et d’incidence de leurs pratiques informationnelles sur l’activité professionnelle en construction ?

Très longtemps, les pratiques informationnelles ont été sur-analysées dans leur dimension individuelle. De très nombreuses études présentaient alors les pratiques informationnelles comme des formes très individuelles du rapport à l’information. Or les pratiques informationnelles articulent des dimensions « facteurs humains » et « facteurs environnementaux » qui conditionnent l’usage de l’information ainsi que les interactions des individus avec les sources et les systèmes de recherche d’information, des interactions indispensables à toute forme d’accès à l’information. De l’ensemble de ces observations, notre postulat est qu’il est toutefois nécessaire de caractériser autour d’un schéma de durabilité les pratiques les plus significatives pour le plus grand nombre, autour desquelles pourrait s’organiser un mode managérial collaboratif de ressources et de services destinés aux professionnels du secteur d’activités considéré.

La question de la durabilité : l’importation d’un concept d’un champ scientifique à un autre champ

Ces dernières décennies, la question de la durabilité a été évoquée dans de nombreux secteurs d’activités ou scientifiques, mais le point commun de ce concept est, qu’à l’origine, il émane du domaine de la gestion et de la préservation de l’environnement, notamment dans le cadre du développement durable. En prenant soin de recouper tout un ensemble de travaux inscrits autour du principe de durabilité, nous avons observé que derrière un même vocable, sous forme nominale ou adjectivale (durabilité et/ou durable), la question de la durabilité revêt des sens et des systèmes d’intention extrêmement variables, selon les visées et les référents privilégiés par les auteurs. Par conséquent, il nous a semblé utile et nécessaire pour construire au mieux notre propos, de tenter de délimiter la durabilité dans le champ large de l’information et celui, plus restreint des pratiques informationnelles. L’exercice se révèle extrêmement délicat, car comme toute démarche exploratoire, il oblige le chercheur à importer des définitions et des délimitations épistémologiques de secteurs variés, dont les intentions liées à la durabilité peuvent être très hétérogènes. Stricto sensu, la durabilité renvoie dans son sens premier et générique à la question de la « durée », au sens de la recherche à terme d’un équilibre inscrit dans le temps, permettant de ce fait de dégager des manières de faire voire des manières d’être, vouées à l’équilibre, stables et assurant un équilibre de l’environnement dans lequel il s’inscrit. Parallèlement, chez les anglo-saxons, le terme « sustainability » propose un dépassement de la seule idée de durée, pour évoquer notamment des modes de rationalité, de gestion, de programmation des activités, d’anticipation des situations, de résistance à des tendances collectives, etc. montrant dès lors un concept bien plus riche et plus dense que la seule idée d’inscription dans la durée (Bridgland et Whitehead, 2004). Ceci revient à dire que, selon nous, la durabilité n’est pas seulement un concept aidant forcément à résoudre des situations info-communicationnelles dysfonctionnelles, mais constitue davantage un « concept problème » dans le sens où le suggère Brigitte Simonnot : « il porte des questions différentes sur les phénomènes auxquels il est appliqué » (Simonnot, 2014, p. 21). Ainsi, la force de ce concept pour les chercheurs en sciences de l’information et de la communication qui interrogent les pratiques professionnelles en situation, à travers le « questionnement durable », est de viser un dépassement des définitions et délimitations actuelles, en tentant de convoquer des expertises et travaux réflexifs issus de diverses sciences qui ont inscrit la durabilité dans leur champ de compréhension de la complexité des usages et des pratiques. Trois sciences semblent particulièrement avoir travaillé la question durable : les sciences de la gestion, les sciences de l’environnement et les sciences économiques et sociales. En croisant certaines approches et tendances de ces trois sciences, nous tenterons de tuiler les principes récurrents à ces travaux afin d’envisager les incidences et les impacts de ces travaux sur la manière de considérer les pratiques informationnelles en contexte professionnel.

Délimitation conceptuelle de la durabilité : le processus de la durabilité informationnelle

À la lecture de nombreuses approches principalement issues des trois sciences évoquées précédemment, à nos yeux, huit dimensions clefs permettent d’appréhender différemment et d’enrichir le concept de pratique informationnelle, tout en dessinant de nouvelles composantes du système d’accompagnement et de suivi de celui-ci en situation d’activités professionnelles. Ces huit tendances, organisées autour d’un processus de durabilité (figure 1), complémentaires les unes les autres, ne sont pas équivalentes entre elles, mais constituent un enrichissement de l’approche managériale des systèmes d’information au service des pratiques informationnelles.

Figure 1

« Schéma de durabilité » pour des pratiques informationnelles professionnelles durables

« Schéma de durabilité » pour des pratiques informationnelles professionnelles durables

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Principe 1 : Durabilité et responsabilité

La loi québécoise sur le développement durable, par exemple, s’appuie « sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement » (Poisson-de-Haro, 2011, p. 56). Ainsi, le concept de durabilité vise un principe fondamentalement responsable cherchant à mettre en oeuvre et à articuler de pair trois objectifs à savoir : d’une part, maintenir l’intégrité de l’environnement pour assurer la santé, le bien-être et la sécurité des membres composant la communauté en cherchant à préserver leurs écosystèmes, ceux vitaux pour l’organisme ou l’entreprise que nous prenons en considération. D’autre part, assurer un principe d’équité sociale et informationnelle permettant l’essor des communautés, le respect de la diversité, tout en tentant d’assurer un équilibre et un épanouissement des individus composant le système ou l’organisation considérée. Enfin, viser et soutenir des démarches innovantes et évolutives assurant ainsi au collectif observé de ne pas chercher seulement la reconduction des pratiques mais leur évolution en phase avec certaines nouvelles tendances des marchés et des pratiques informationnelles. On notera également que dans ces divers courants et travaux, la responsabilité est partagée au niveau individuel et collectif, l’un n’étant jamais envisagé sans l’autre.

Principe 2 : Durabilité et rationalités

Par essence, la rationalité est ancrée autour de deux grands principes, exposés dans l’approche de Michel de Certeau (1990). La rationalité dite de l’acteur qui porte sur la dimension stratégique, notamment dans le choix des lieux, et la dimension tactique, qui porte sur le choix des personnes. Cette double composante de la rationalité a d’autant plus de sens que l’on s’interroge sur les pratiques informationnelles. Le monde professionnel nous montre ces dernières années, que la question générique de la durabilité a particulièrement été interrogée dans les entreprises s’inscrivant dans le courant des Responsabilités Sociales de l’Entreprise (RSE) (Vidal, 2008). L’approche constructiviste, en particulier, nous permet de penser que la construction d’un système d’information professionnel est un acte et un espace négocié, donc négociable, entre les acteurs, ce qui par principe le rendrait dès lors « durable » car porté et envisagé par une majorité d’entre eux. Cette approche constructiviste et responsable implique de considérer alors l’entreprise voire le réseau d’entreprises dans un encastrement social, économique et d’innovation, où l’ensemble des priorités et des prises de décisions sont le résultat de relations et de réflexions collégiales. Au-delà du périmètre observé, la rationalité de l’entreprise s’étend de manière concertée avec l’ensemble des parties prenantes (entreprise, mais également collectivités publiques, société civile...). Ainsi, les formes de la rationalité engagée et leur traduction sont définies dans un partenariat social accepté par toutes les parties prenantes, que celles-ci soient internes ou externes.

Principe 3 : Durabilité et performativité

Une autre dimension de la durabilité concerne la recherche de la meilleure performativité du groupe ou de l’entreprise. Le concept de durabilité repose essentiellement sur trois types de performance à savoir :

  • la performance économique ; les acteurs du terrain d’étude que nous analysons depuis quelques mois déjà, lient la question de la durabilité des pratiques informationnelles à celle de la recherche de la meilleure performance en terme économique. Réfléchir, organiser, structurer les pratiques informationnelles n’auraient de sens fondamentalement qu’à la condition que ceci ait une incidence sur l’amélioration du chiffre d’affaire, la croissance du dividende, notamment vis-à-vis de leurs concurrents directs.

  • la performance environnementale dans le sens où leurs pratiques professionnelles et d’information devraient leur permettre de réduire un ensemble de coûts en matière énergétique, consommation de fongibles, réduction des coûts d’abonnements, etc.

  • enfin, la performance sociale, dans le sens où le renforcement de pratiques informationnelles réfléchies et durables devrait à terme, les rapprocher davantage des autres entreprises, des collectivités, au-delà, permettant de charpenter des communautés de praticiens, des réseaux informels de formation professionnelle mutuelle, d’échanges sur les pratiques innovantes, etc.

Rares sont les entrepreneurs qui semblent considérer la durabilité de la gestion de l’information comme un principe hédoniste ; l’intérêt de la durabilité, à leurs yeux, est de chercher fondamentalement à améliorer la performativité de leur entité.

Principe 4 : Durabilité et collaboration

Un autre point qui nous semble difficile à écarter est celui de la convergence d’intention entre durabilité et collaboration. En effet, il semble de plus en plus difficile d’envisager, notamment, la recherche et l’expertise de l’information professionnelle sans l’apparenter à la collaboration des acteurs, au sein de l’entité observée, mais également, entre les structures. Par collaboration, nous entendons la définition donnée par Hertzum (2008), à savoir l’exigence d’un certain niveau d’entente et de compréhension, entre les individus, même si les acteurs impliqués dans la collaboration n’ont pas besoin d’être d’accord sur tout. Toutefois, sans une entente partagée et un intérêt commun à la collaboration, cette dernière a peu de probabilité de réussir. Il n’en reste pas moins difficile, délicat et complexe de maintenir une entente partagée, notamment dans les réseaux et les organisations de grande taille (Ben Abdallah, 2012).

En s’inspirant des travaux de Liechti et Sumi (2002), nous pouvons émettre l’hypothèse qu’une démarche durable et collaborative dans des contextes informationnels sous-entendrait quatre niveaux de conscience des acteurs à savoir :

  • la conscience d’appartenir à un groupe et de le considérer pour échanger et diffuser des informations ;

  • la conscience du lieu de travail où les acteurs se réfèrent à un espace commun partagé et connu de tous, espace pouvant être physique ou numérique, où ils apportent et discutent de leurs constatations, de leurs résultats voire de leurs créations communes ;

  • la conscience contextuelle, faisant que chaque membre d’un secteur, par ses activités, a le sentiment de participer à une forme de bien collectif et permettant ainsi d’asseoir le secteur d’activités concerné ;

  • enfin, la conscience périphérique qui peut se résumer à la capacité de chaque acteur à rechercher, traiter des informations à la marge du domaine essentiel, qui pourrait à terme nourrir l’activité principale et les priorités engagées.

Plus ces niveaux de conscience sont affirmés dans un secteur d’activités, davantage est intégrée la collaboration entre les pairs et la durabilité des pratiques, notamment d’information.

Principe 5 : Durabilité et viabilité du système d’information

La durabilité des pratiques informationnelles découle également d’une forme de stabilité et d’équilibre du système d’information auquel se réfèrent principalement les acteurs. En effet, nous ne pouvons interroger la durabilité des pratiques informationnelles, sans imaginer la viabilité des systèmes d’information sollicités. Marie-Hélène Durand (Durand, Martin, et Saint-Pierre, 2012), par exemple, souligne que les systèmes (d’information) dynamiques ne sont pas ceux qui recherchent « une solution optimale » à partir d’un critère posé a priori, mais d’abord ceux qui respectent les contraintes à chaque instant et intègrent à temps les diverses prises de décisions, en considérant l’adaptation des évolutions sans préjuger du futur. Ainsi, l’approche par la théorie de la viabilité met l’accent d’abord sur les contraintes et leur respect, plutôt que sur la recherche d’équilibres particuliers pour des évolutions spécifiées a priori. Dans le secteur de l’éco-construction, les contraintes repérées sont prioritairement d’ordres économique, normatif voire physique. Les acteurs dans leurs pratiques informationnelles cherchent pour la plupart à se dégager des logiques d’optimalité pour plutôt rechercher les meilleures conditions adéquates à leurs projets et difficultés du moment. Ainsi, en croisant nos résultats d’entretien avec des acteurs de l’éco-construction et les approches du management cognitif des systèmes d’information (Bouvier, 2011), nous percevons que les défauts de viabilité des systèmes d’information actuels sont caractérisables autour de quatre signaux faibles, à savoir : l’absence d’une bonne connaissance des praticiens (notamment de leur niveau personnel d’information et de connaissance sur les thématiques émergentes de l’éco-construction), la difficulté à identifier un ensemble de signaux faibles de la part de l’environnement de travail, l’obstacle à rendre interopérable leur système d’information personnel avec celui des grands réseaux et fournisseurs d’informations professionnelles, enfin, une tendance à reproduire des échecs antérieurs faute d’une capacité à organiser de manière viable des bases de récits et d’expériences ayant conduit à des difficultés voire des échecs par le passé.

Principe 6 : Durabilité et stabilité

Comme le souligne le collectif EcoInfo (Berthoud, 2012), dans l’idée de la durabilité appliquée aux technologies de l’information et de la communication, est comprise l’idée de recherche de stabilité des solutions techniques, la stabilité permettant de résoudre un ensemble de tâches nécessaires sans chercher à viser l’extrême nouveauté vis-à-vis des marchés technologiques. La loi de Wirth rappelle en particulier, que le logiciel fait ralentir les systèmes d’exploitation plus vite que le matériel ne monte en puissance. On parle de « bloatware » traduit en français par « obésiciel », pour désigner un logiciel utilisant une quantité excessive de ressource système, mais aussi un logiciel accumulant une quantité importante de fonctionnalités disparates, dont certaines ne sont jamais utilisées. Il serait dans une perspective durable, plus efficace et logique d’avoir des logiciels qui fournissent à la base des utilisateurs, un socle de fonctions et de fonctionnalités utilisées par tous, pour un même secteur d’activités, et proposent en option le rajout de fonctions supplémentaires en fonction de besoins de gestion et d’information sériés. Berthoud (2012) souligne, dans une remarque de bon sens, que la course effrénée à la nouveauté fait qu’une grande partie des ressources, des logiciels et des techniques de l’information sont rendues obsolètes avant même qu’elles soient inutiles à utiliser ! Ce qui tend à dire que les professionnels ne doivent en aucun cas être guidés par des supposés besoins professionnels d’information ou des besoins définis par les producteurs et développeurs du marché du logiciel, mais bien en fonction d’une analyse posée et distanciée de leurs véritables besoins d’information et de gestion. Cette posture réflexive nous oblige à entrevoir des temps et des dispositifs de repérage et d’identification de bonnes pratiques, dépassant les seules astuces ou les supposés besoins à venir déterminés par les producteurs de ressources[4]. Au-delà du repérage des bonnes pratiques et de leur traduction logicielle, pour évaluer les besoins durables d’information (logicielle), la question de la stabilité des systèmes et des techniques revient à faire se questionner les professionnels sur leurs critères d’obsolescence. Lors de nos entretiens avec des professionnels de l’éco-architecture, quatre critères d’obsolescence sont évoqués prioritairement : d’une part, l’obsolescence fonctionnelle faisant qu’un système ou un logiciel est appelé à court terme à ne plus pouvoir fonctionner en l’état, d’autre part, l’obsolescence notifiée, par les développeurs et producteurs de ressources logicielles, ensuite, l’obsolescence écologique revenant à changer notamment de version logicielle afin de lutter en faveur de l’impact environnemental, enfin, l’obsolescence indirecte, où il devient moins coûteux pour le professionnel de renouveler l’ensemble du matériel, software et/ou hardware, que d’acheter les mises à jour ou les nouvelles versions sur le marché. Nous soulignerons qu’in fine, accompagner les pratiques durables d’information revient à posséder une culture technique et à être régulièrement informé sur l’état du marché et des innovations sectorielles. Soulignons qu’au stade de nos recherches, les professionnels interrogés et observés, bien qu’ayant conscience de certaines lacunes personnelles en matière de réactualisation des connaissances sectorielles, n’évoquent pour autant pas l’intention de suivre une formation spécifique à la question de la durabilité de leurs pratiques d’information.

Principe 7 : Durabilité et longévité : le système de suivi des activités durables engagées

Les pratiques informationnelles pouvant être inscrites autour d’un principe de durabilité, sont, de facto, soumises à un enregistrement méthodique des démarches et des procédés en jeu, ainsi qu’à l’analyse périodique des informations sélectionnées à la réalisation des activités d’un projet et méritant à terme d’être enregistrées et conservées. En effet, l’objectif de la longévité est d’être en mesure de générer un système d’informations gardant trace des divers projets caractéristiques (des succès ou des écueils), de sorte que l’on puisse opérer dans de nouvelles situations analogues, des ajustements et/ou des modifications de la pratique à engager au regard de ces expériences antérieures. Ainsi, les informations relatives au suivi des activités peuvent être enregistrées avec une fréquence qui, selon les cas et le secteur d’activités, peut être journalière, hebdomadaire, mensuelle ou saisonnière. Ce processus longitudinal de suivi des expériences par la gestion des informations, s’intègre naturellement dans celui de l’évaluation, doit être conduit de manière participative en impliquant étroitement les bénéficiaires (à savoir les clients, les partenaires, les collectivités associées, etc.). Dans le cadre de notre projet GCCPA d’accompagnement des pratiques informationnelles et de la connaissance, il s’est avéré que trois dimensions constituaient l’épine dorsale de la longévité des divers types de projets, à savoir le nombre et le potentiel de structures locales impliquées dans le domaine de l’éco-construction, le nombre et le type de personnes-ressources susceptibles d’accompagner et de prendre en charge une part des activités et de leur expertise, enfin, la sélection d’informations et de producteurs d’information offrant une plus-value informationnelle à la gestion des projets. En croisant divers récits d’expérience, tout en assurant une pré-analyse de ressources extraites des Systèmes d’Information Personnels (SIP), nous avons à ce stade de notre travail, identifié un ensemble de huit critères de longévité (tableau 1) permettant d’organiser les activités d’un projet informationnel durable au sein d’une communauté professionnelle.

Tableau 1

Huit critères de longévité pour organiser les activités d’un projet informationnel durable

Huit critères de longévité pour organiser les activités d’un projet informationnel durable

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Principe 8 : Évaluation de la durabilité

L’objectif de durabilité des pratiques informationnelles dans un collectif humain à de meilleures chances d’être réalisé si le projet suit une approche participative, puisque les bénéficiaires développeraient les aptitudes, les compétences et la confiance en eux dont ils ont besoin dans le cadre de leurs activités. La durabilité peut ainsi s’entendre, comme la poursuite des activités de développement communautaire par les membres de la communauté une fois cessés l’aide et l’accompagnement extérieurs. Dès lors, ce type de démarche doit s’appuyer sur des temps réguliers d’évaluation, permettant alors de juger et de déterminer l’état d’avancement des activités liées au projet, d’apprécier la conformité aux objectifs fixés préalablement et de pouvoir ainsi réajuster les pratiques informationnelles en cas d’écart conséquent avec les résultats attendus. Nombre de projets s’organisent autour d’évaluation réalisée par les seuls responsables de projets, ou plutôt en fin de celui-ci. Or, il s’agit d’envisager des modes d’évaluation partagés, négociés et répartis tout au long du projet professionnel engagé ou à engager. Par conséquent, l’évaluation portera sur l’ensemble du processus de recherche et d’appropriation de l’information par les acteurs responsables de l’ensemble de la chaîne d’activités.

Instabilité et « indurabilité » informationnelles : premier schéma d’accompagnement durable des pratiques informationnelles des acteurs de l’éco-construction

Dans le cadre de notre recherche et de notre volonté d’accompagner durablement les acteurs de l’éco-construction, nous ambitionnons de travailler à l’organisation d’un dispositif informationnel mémoriel articulant les logiques et les besoins individuels d’information, tout en considérant que nous tissons un renforcement des réseaux plus ou moins organisés et explicites dans le domaine (figure 2). Marcon (2007) rappelle que les liens sociaux sont source de création d’activités, lesquelles peuvent perdurer alors même que les liens sociaux initiaux disparaissent. Ainsi le support réseau, nous dit-il, crée les conditions de sa pérennité, soit par son institutionnalisation, soit par un mécanisme de translation sociale. Nous cherchons donc à nous appuyer sur les pratiques personnelles d’information et à considérer un niveau cognitif collectif. Ainsi, dans la mouvance de l’action située, notamment l’approche de Wright Mills (1940), nous cherchons à donner toute sa place au repérage et à l’analyse des actions des individus, puisque l’acteur ne va plus être seulement un agent de reproduction sociale, porteur de déterminismes sociaux forts, simple exécutant de stratégies et actions construites à l’avance, mais comme une progression graduelle, et interactionnelle, laissant aux acteurs un degré élevé de liberté, d’interprétation et de représentation les rendant responsables en partie de leur action et de leur réseau. Chaque acteur rencontré remplit plusieurs rôles et tâches, comme ceux de chercheur, d’utilisateur, de rédacteur, de validateur, de diffuseur, d’animateur au sein des premiers dispositifs d’information. Les difficultés actuelles sont qu’il n’y a pas d’organisation, de pérennisation ou de véritables logiques d’accompagnement entre eux, d’autant plus qu’il n’est pas certain qu’un individu immergé dans son travail puisse toujours mener à bien cette activité éditoriale qui consiste « à passer d’un à moi ou un à eux pour aboutir à un à nous » (Guyot, 2009, p. 117). Ainsi, nous tentons de constituer un cadre pertinent de délimitation de leurs besoins en matière de ressources et de méthodes pour retrouver et suivre les informations, en visant des usages pratiques opérationnels, en l’absence parfois de cadres réglementaires et de connaissances scientifiques spécifiques en matière d’éco-construction. À terme, notre dispositif d’informations et d’accompagnement de la connaissance (Liquète, 2012) visera à repérer et orienter vers des producteurs d’information méritant d’être partagés par la chaîne des acteurs de l’éco-construction, à générer les processus de dialogues et d’échanges entre les acteurs, à favoriser les contacts et la mise en lien avec les experts et les personnes informatives centrales[5], enfin, à fournir une base de méthode de gestion et de suivi d’un projet[6].

Figure 2

Architecture de l’offre d’accompagnement et d’information durable pour les acteurs de l’écoconstruction en Aquitaine

Architecture de l’offre d’accompagnement et d’information durable pour les acteurs de l’écoconstruction en Aquitaine

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Les critères de sélectivité, de conservation, de référencement, de mémorisation et de diffusion des données, se feront après observation des pratiques, analyse des récits professionnels et des systèmes d’information, en recherchant la durabilité des informations selon le schéma évoqué précédemment.

Conclusion

Davantage qu’une conclusion, il s’agit pour nous de démontrer que le principe de durabilité appliqué aux pratiques informationnelles et de structuration des systèmes d’information, nous oblige à concevoir des architectures de sites et d’offres excessivement complexes, visant à la fois la mise à disposition de mémoires de travail, la conservation de données, en associant des systèmes de repérage de personnes tout en considérant un accompagnement de la connaissance par le biais d’une approche pédagogique. En filigrane, le schéma de durabilité que nous venons de présenter, aiderait le chercheur à discriminer des critères et des facteurs pour pérenniser ceux-ci dans un système d’information dynamique et fonctionnel. L’enjeu pour les différentes organisations (entreprise, école, association, etc.) est de conserver et valoriser un ensemble de documents, de données et de méthodes renforçant non seulement le réseau de praticiens mais favorisant également un dépassement des pratiques individuelles d’information.