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Santé mentale au coeur de la ville : au carrefour urbain des différences[Notice]

  • Olivier Farmer

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  • Olivier Farmer
    Psychiatre, adjoint au chef du Département de psychiatrie du CHUM pour le développement de la psychiatrie urbaine
    Professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal

À la fin de ma formation psychiatrique, en 2005, je suis parti un an à New York, pour connaître ce qui se faisait dans le domaine de la psychiatrie communautaire dans cette métropole unique. J’ai été étonné de constater que des psychiatres travaillaient dans des contextes très divers, tels les grands refuges qui hébergeaient les personnes sans-abri, les complexes résidentiels pour une clientèle de santé mentale, ou encore les cliniques affiliées à des organismes gérés par les pairs (le Fountain House Club). Il ne s’agissait pas de visites ponctuelles faites dans ces lieux par des psychiatres affiliés à un hôpital ou à une clinique de santé mentale, mais bien de leur principale et unique pratique. Le paradigme prévalent à Montréal d’une pratique psychiatrique (publique, non privée) hospitalo-centrique était complètement renversé, avec une organisation de services entièrement centrés sur les besoins de la clientèle particulièrement visée. Ce choc culturel m’a permis de développer une perspective sur les contraintes et les limites de l’organisation classique des soins psychiatriques, fondée sur la triade de l’urgence hospitalière, des lits d’hospitalisation et de la clinique externe traditionnelle organisée en équipes multi ou interdisciplinaires. Sur ce modèle de base se sont ajoutés selon les milieux les services suivants : un hôpital de jour ; parfois une équipe de suivi intensif (sur le modèle américain du Assertive Community Treatment) ; dans de rares cas, une équipe spécialisée pour une clientèle avec trouble psychotique émergent (les cliniques de premier épisode psychotique) ; et depuis plus récemment, la modalité de psychiatre répondant, selon laquelle un psychiatre hospitalier est à la disposition des équipes de première ligne et des omnipraticiens du territoire pour les soutenir dans leur travail auprès de clientèles avec problème de santé mentale. Un des constats de l’analyse de cette organisation est que l’expertise psychiatrique tend à rester enclavée dans la pratique hospitalière, sans être enrichie par les perspectives, l’expérience et l’expertise d’autres organismes oeuvrant dans le domaine de la santé mentale (ceux de la première ligne, les organismes communautaires, les regroupements d’utilisateurs de service en santé mentale, les associations de parents et amis de personnes souffrant d’un trouble de santé mentale). À titre d’exemple, au centre-ville de Montréal, une personne sans-abri avec un problème de santé mentale peut avoir séjourné dans des refuges, obtenu un suivi de proximité par un organisme tel Diogène ou le Fil, fréquenté un centre de jour (tel que Chez Pops de l’organisme Dans la Rue), cherché des seringues propres dans un centre de distribution (Cactus), et fait plusieurs visites sans rendez-vous pour son problème de santé mentale à la clinique locale de première ligne, ainsi que plusieurs séjours à l’urgence de l’hôpital ; tout cela sans qu’il n’y ait eu une réelle coordination ou façon d’échanger l’information avec l’équipe psychiatrique hospitalière. Des ressources peuvent exister mais, sans coordination, elles n’agissent pas en synergie et l’ensemble de l’oeuvre peut être sérieusement compromise. Une autre conséquence est la relative rigidité de l’offre de services, qui oblige le patient à se conformer à des modes de références et de suivi passablement enrégimentés qui s’adaptent plus ou moins aux besoins spécifiques (qui parfois sortent de la norme) d’une personne. Ce manque de flexibilité contribue à l’aliénation face aux services, d’un nombre important de personnes avec des profils particuliers, qui peuvent présenter une réticence à « s’engager avec “le système” », de la difficulté à persévérer dans la tâche parfois sisyphéenne d’obtenir des services psychiatriques ou une incapacité à gérer les exigences d’un suivi psychiatrique et du traitement qui en fait partie. Ces personnes à profil particulier, peut-être une relative exception dans des communautés bien intégrées …