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Des risques omniprésents

La problématique relative aux risques sanitaires est actuellement sur le devant de la scène des recherches en sciences sociales. Alors que l’état de santé des populations occidentales s’est considérablement amélioré au cours du dernier siècle, la crainte des risques de maladie semble s’exacerber dans le public. Angoisse et risque sont indissociables, et, ainsi que le soulignent Douglas et Wildavsky (1982), l’angoisse devient envahissante : nous craignons la nourriture que nous mangeons, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les énergies que nous utilisons. La confiance dans le monde physique, la foi dans le progrès ont fait place à un doute vertigineux. Et, paradoxalement, alors que les dangers sont de mieux en mieux contrôlés, les risques sont omniprésents sur la scène publique. Tout se passe comme si notre capacité à produire les risques, voire à les évaluer, était largement supérieure à notre aptitude à les maîtriser, d’où les pressions sur la maîtrise des risques, tant sur le plan individuel que social et politique.

Les études sur les risques se situent à la croisée de plusieurs problématiques de sciences sociales. Il est certainement nécessaire de se référer à différents courants pour aborder un objet aussi complexe, caractérisé par des procédures, des acteurs et des institutions qui se multiplient. Le concept de société du risque a été forgé pour exprimer l’attention exacerbée au risque, notamment aux risques omniprésents produits par l’activité technologique humaine (Beck, 1982), ce qui marquerait une rupture par rapport aux acceptions antérieures du danger.

Avec Beck, ainsi qu’avec Giddens (1992), nous sommes confrontés à une vision catastrophiste de l’évolution des sociétés, qui courent à leur perte du fait d’une activité humaine allant contre la nature, débridée, sans contrôle, machines infernales sans pilotes. Cette vision n’est pas sans analogie avec les représentations profanes des maladies telles que Herzlich (1969) les recueillait à la fin des années 1960, qui définissaient la maladie — mais non le risque — comme une offense faite à la bonne nature. De fait, le risque a remplacé la maladie et il véhicule un même imaginaire proche à propos de la technicité et de la vulnérabilité qu’elle engendre, vulnérabilité exacerbée par le caractère imprédictible et sans précédent de nombre de risques.

Dans une contribution étayée sur une analyse fine des théories développées à propos du risque, Raymond Massé nous invite au dépassement d’une sociologie du soupçon, rendu possible notamment par le recours à des études empiriques qui permettent de confronter le discours des théoriciens du risque aux pratiques des individus et des groupes. Il s’agit de développer une phénoménologie du risque dans la quotidienneté, d’accéder à une compréhension du risque du point de vue de l’individu, et du travail sur le sens qu’il opère. La nouvelle position préconisée participe aussi d’une attention aux retombées positives de la société du risque afin de contrer une position qui procède d’une dénonciation généralisée et d’un pessimisme fondamental. Massé redonne espoir dans la capacité des individus à faire face aux dangers et dans la capacité des sociétés à les administrer.

Les individus face aux risques sanitaires

Dans des sociétés individualistes comme le sont les sociétés occidentales, la gestion des risques sanitaires par les personnes est un impératif. Elles sont en effet responsabilisées et le blâme est porté sur elles si elles sont réticentes à abandonner leurs conduites à risque pour adopter des comportements de santé dont la rationalité apparaît évidente, à partir du moment où les individus disposent des informations sur les menaces concernant leur santé. Ainsi apparaissent de nouvelles formes de contrôle et de moralisation. Et toute une panoplie de moyens est développée afin d’induire des comportements de santé raisonnables, dans une société ou une culture données (Crawford, 1986; Lupton, 1999).

À l’articulation entre niveau individuel et niveau social se situent les actions de prévention dont les cibles sont individuelles, mais qui sont organisées au niveau collectif, voire politique. Elles vont jouer sur différents ressorts et formes d’incitation, car la prévention se doit de promouvoir, par la communication, des conduites qui ne sont pas toujours désirables, et de réfréner des conduites ancrées socialement et valorisées (Morin, 2004). L’empowerment — et la participation citoyenne — se trouvent au coeur des stratégies d’intervention abordées par Bastien Quirion et Charles Bellerose. Au lieu d’être la cible de méthodes interventionnistes, les individus se voient équipés des moyens qui leur permettent de gérer eux-mêmes leurs risques, de leur plein gré. Ainsi, dans le champ de la toxicomanie, la réduction des méfaits va viser, non au sevrage radical, mais à une gestion personnelle, réaliste et raisonnable de l’usage de drogues afin d’en supprimer les effets délétères. Mais l’empowerment ne serait-il pas une nouvelle forme de contrôle social, raffinée et subreptice?

Outre les usagers de drogue, Marcelo Otero s’intéresse à un ensemble de personnes, difficile à délimiter, en danger, mais aussi dangereuses. Personnes dont les problèmes de conduite confinent à la santé mentale — psychosociaux, car à la frontière entre le psychologique et le social — et qui manifestent autant des problèmes sanitaires que des troubles sociaux. Quel mode d’intervention adopter face à ces fauteurs de troubles dans le système de santé, de protection sociale ou de sécurité? Faut-il seulement intervenir? Comment les populations visées par l’intervention socio-sanitaire sont-elles catégorisées, repérées, encadrées, traitées en dehors du cadre judiciaire et dans le contexte d’une politique active de déjudiciarisation? Quels dispositifs légaux et institutionnels sont mis en oeuvre? Marcelo Otero centre son analyse sur l’activité du service mobile d’intervention d’urgence psychosociale-justice (UPS-J), implanté à Montréal en octobre 1996. La population cible de l’UPS-J comprenait alors des personnes ayant des problèmes de santé mentale graves et persistants, justifiant une intervention policière, un encadrement judiciaire, voire une incarcération. Puis l’intervention de l’UPS-J s’est élargie à des populations problématiques difficiles à définir, à une conflictualité et à une vulnérabilité psychosociales difficilement codifiables dans les registres de la criminalité et de la maladie mentale. De fait, le dispositif légal et institutionnel — marqué par un mouvement de désinstitutionnalisation — a engendré de l’ambiguïté tant sur le plan des populations à traiter que des structures de prise en charge.

Pressions professionnelles et production individuelle de sens

La question de la construction du sens est au coeur de la contribution de Michelle Proulx. Centrant son travail sur l’hypertension artérielle, elle démontre comment les définitions médicales contraignent cette construction chez les individus. L’intérêt de l’hypertension artérielle pour le sociologue est qu’elle définit un trouble qui n’est perceptible que par le médecin, avec ses instruments de mesure; qui ne se manifeste par aucun symptôme pour un individu qui se pense sain jusqu’à ce que la médecine lui prouve le contraire; enfin qui n’est pas perceptible par l’entourage. De surcroît, l’hypertension signale un risque de maladie, mais pas une affection en tant que telle, ou bien elle est conçue comme une maladie chronique pendant longtemps asymptomatique, ce qui apparaît paradoxal. La recherche de Michelle Proulx a procédé d’une démarche qualitative, par une analyse secondaire de discours des patients à propos de leur hypertension artérielle, de la façon dont ils comprenaient à la fois sa physiologie et son traitement; recherche centrée sur l’observation à l’origine. Comment le diagnostic a-t-il été reçu? Comment le risque de complications — imprévisible, par nature — était-il compris et géré? Quelles causes, parmi lesquelles le stress figure au premier rang, étaient attribuées à la survenue de l’affection? Toute cette activité de production de sens — qui resitue les individus dans leur contexte social — creuse l’écart entre discours savant et discours profane.

Johanne Collin appuie aussi sa contribution sur l’analyse de l’hypertension artérielle. Elle y adjoint deux autres exemples, la dysfonction érectile et la dépression, afin d’analyser la façon dont les médicaments sont proposés, non pour soigner des maladies, mais pour procurer une santé parfaite, selon des critères qui peuvent être extérieurs aux individus eux-mêmes auxquels il est imposé une vision normative de l’épanouissement. Le couple santé-maladie se reconfigure à la faveur de l’offre de médicament qui est de plus en plus présente sur le territoire de la prévention. La notion de qualité de vie vient frôler celle de bonheur pharmacologique. L’appellation d’épidémie qui se généralise et qui est employée à propos de nombreux troubles de santé vient signaler le caractère envahissant et irrépressible du mal contre lequel il faut lutter avec détermination en employant les remèdes les plus en pointe. L’activité médicale et la consommation de médicaments connaissent une progression accélérée. La quête du mieux que bien, où le médicament s’impose comme processus de socialisation, s’appuie sur la recherche du bonheur, de la réalisation de soi, de l’optimisation de ses possibilités. Ce n’est plus le normal, mais bien l’excellence, qui s’oppose au pathologique.

Institutions et professions face à la prédiction des risques sanitaires

Sur le plan social se pose la question de la construction des risques sanitaires, des procédures qui sont mobilisées à son propos, ce qui amène à s’interroger sur le fonctionnement de l’épidémiologie et de la médecine, sur les risques et les facteurs de risque qu’elles construisent et sur la manière dont elle les mesure, donc sur leurs fondements épistémologiques (Goldberg, 1982; Berlivet, 2000; Peretti-Watel, 2004).

La construction des risques entraîne aussi des modes d’organisation. C’est ce que Danièle Carricaburu analyse dans le champ de la périnatalité. Comment apprécier le risque lié à l’accouchement? Comment traiter ce risque dans des structures adaptées pour atteindre la meilleure efficience possible? Est-il vraiment possible de hiérarchiser le risque, puisqu’il est aussi lié à l’imprévisible et puisque définir un risque consiste à l’intégrer dans le champ du prévisible? En France, trois niveaux de risque ont été définis et trois types de maternités, différenciées par leur technicité, ont été mises en place. Mais les professionnels achoppent sur la définition du risque intermédiaire, moyen, entre-deux, en fait. S’il leur est facile de distinguer un risque faible d’un risque élevé, il ne savent pas ce que recouvre le risque intermédiaire. En outre, ces définitions du risque participent de deux mouvements opposés, qui existent depuis des décennies, soit vers une médicalisation extrême, apte à faire face à tous les imprévus, soit vers des institutions de naissance plus conviviales, peu encadrées médicalement, qui considèrent l’accouchement comme un événement naturel et peu dangereux de ce fait.

La volonté médicale d’encadrer l’imprévisible et de parvenir à le contrôler s’exprime particulièrement dans le domaine des dépistages du cancer. Marie Ménoret analyse le cas du cancer du sein, particulièrement éclairant en la matière. La volonté de détecter le cancer le plus petit possible va, dans ce domaine, amener à détecter des prédispositions génétiques, dont on ne sait pas si elles s’exprimeront un jour, de même qu’on ne sait comment intervenir pour les prévenir. La bonne santé devient une sorte de leurre et disparaît sous la potentialité de maladie. Nombre de femmes deviennent des malades qui s’ignorent, et que de surcroît la médecine ignore comment traiter. En revanche, on sait dépister les cancers, tant par l’imagerie que par le diagnostic génétique. Ensuite, la médecine est impuissante, quand elle n’est pas inefficace. Dans ce cas, c’est bien le savoir et la technologie qui produisent des risques, en même temps que de l’incertitude. La science peut produire plus de problèmes qu’elle n’en résout, comme l’analysait déjà Fleck (2005) dans les années 1930.

Les risques sanitaires dans l’arène publique

La prise en charge d’un problème sanitaire public nous renvoie au questionnement relatif à la mise sur agenda politique dans un contexte où tous les problèmes ne peuvent être pris en compte. Quels sont les facteurs de la remontée des problèmes publics sur l’agenda? Ils sont liés à l’activation de mouvements sociaux développant des stratégies — symbolisation, montées en généralité, dénonciation, etc. — et des modes de construction de la réalité, des cadrages.

Le traitement politique des risques sanitaires a donné lieu à des cadres réglementaires et à des institutions spécifiques, tant sur le plan des États qu’à un niveau supranational : le principe de précaution en est un exemple, principe dont le paradoxe est de prendre en charge des risques avant même qu’ils ne se manifestent, si tant est que cela puisse advenir. Néanmoins, ce principe ne considère pas tous les risques potentiels de la même façon, et opère donc une sélection entre ceux-ci, sélection souvent fondée sur leurs dimensions dramatiques, symboliques et sur les mobilisations qui s’opèrent à leur sujet. De façon intéressante, nous avons été témoins de contre-exemples flagrants à ce principe de précaution, et ce, non à propos d’effets délétères de technologies, mais à propos de phénomènes naturels paroxystiques, pourtant faciles à prévoir. Si, comme le font les auteurs Beck et Giddens sur le devant de la scène de la sociologie du risque, « on suggère que les risques technologiques sont les risques les plus importants pour notre sécurité, notre sauvegarde et notre survie, alors la menace des risques naturels est minorisée, ce qui peut conduire à des lacunes dans leur prise en charge d’urgence et à une mauvaise allocation des ressources » (Ekberg, 2007). C’est ce dont nous avons été témoins lors de différentes catastrophes naturelles, notamment la canicule de 2003 en France. En effet, pour anticiper, il faut disposer de dispositifs adéquats, de systèmes d’alerte, ce qui suppose de la communication entre différents niveaux d’expertise, de décision et d’institutions publiques.

Carine Vassy, Robert Dingwall et Anne Murcott analysent cet événement qui a déclenché l’indignation : la mort en France, en 2003, de 15 000 personnes du fait de la canicule. Tous les étés comptent des jours de très grande chaleur et cela semble normal. Ce qui a provoqué la stupéfaction, c’est que la chaleur puisse avoir de tels effets fatals. Le phénomène naturel n’est certainement pas nouveau, mais ce qu’il pouvait engendrer passait inaperçu jusqu’à présent. Les systèmes d’alerte étaient inexistants ou défaillants et les mesures préventives n’étaient pas prises à l’égard des personnes en situation de fragilité, mais pas n’importe lesquelles, car les enfants n’ont été que très peu concernés. Par une analyse sociologique, les auteurs s’emploient à repérer, au sein des institutions, les obstacles à la production et à la circulation des informations. Obstacles qui ne sont liés à la négligence ni des professionnels de santé et de l’administration, ni des familles facilement incriminées dans les médias. Mais le fait que la catastrophe frappe des personnes à la fois en situation de fragilité physiologique et sociale signale bien sa dimension sociale. Et ce fait n’est remonté que lentement aux autorités publiques, car les informations étaient parcellaires et éparses et ce n’est qu’après un temps de latence fatal qu’elles ont été mises en relation entre elles, ce qui a permis de prendre la mesure du désastre. S’il était possible de prévoir la météorologie, il était en fait structurellement difficile d’anticiper ses effets délétères pour les êtres humains, alors que les conséquences pour l’agriculture étaient envisagées. Les lanceurs d’alerte n’étaient pas entendus et des propos lénifiants étaient tenus par le gouvernement. De fait, les cadres interprétatifs habituels, ainsi que la veille épidémiologique centrée sur la surveillance des épidémies, ne permettaient pas de prendre la mesure du phénomène. Et surtout, une coordination efficace au sein de l’administration sanitaire, avec ses nombreux rouages, faisait défaut.

La question de la coordination entre expertise et décision au sein de l’administration publique est aussi abordée par Didier Torny. Alors que la question de l’expertise est au coeur de la problématique du risque, il importe que cette expertise soit efficace, utile et qu’elle circule de manière adéquate au sein des institutions. L’indépendance peut être garante de la qualité de l’expertise, ou au moins, elle en est une condition nécessaire. À la suite du scandale du sang contaminé ont été mises en place des instances autonomes dont les prérogatives ne dépendent pas de l’administration publique. Instances qui réunissent des experts pour produire les avis les plus circonstanciés possibles, avis qui devraient aider à la décision de l’acteur politique. Ce rouage supplémentaire dans la gestion politique peut entraîner des problèmes, ou, à tout le moins, des questionnements sur son utilité et son efficience et amener à dresser un bilan de cette innovation institutionnelle.

Face à l’épidémiologie scientifique, nous assistons au développement d’une épidémiologie profane, c’est-à-dire à la mobilisation de citoyens concernés par un risque sanitaire non reconnu, qui entrent en action pour prouver son existence et l’évaluer afin de le faire reconnaître et d’obtenir la mise en place de mesures de prévention (Brown, 1992; Corburn, 2003). Dans le même ordre d’idée, nous voyons aussi des non-scientifiques contester les données collectées par l’épidémiologie — ce qui donne lieu à des controverses — ou s’opposer aux recommandations des médecins ou des autorités sanitaires en réfutant leurs arguments, ainsi que l’illustre la contribution de Geneviève Paicheler, à propos de la prise en charge d’un risque à la fois faible et difficile à évaluer, les accidents d’exposition sexuelle au VIH. Il est évident que cette catégorie de non-scientifique a besoin d’être précisée, affinée : il s’agit ici de personnes atteintes d’une maladie, ou concernées par un risque, qui ont un intérêt à ce que ce risque soit dévoilé, traité. Ils sont engagés dans des mouvements de contestation des démarches scientifiques à forte tonalité émotionnelle. Les malades, notamment, réclament d’être partie prenante des décisions qui les concernent au premier chef, puisqu’ils vivent la maladie dans leur intimité même. Les scientifiques sont sommés de sortir de leurs tours d’ivoire et de prendre en compte ce vécu de la maladie, à côté de l’efficacité de leurs recherches ou des traitements qu’ils mettent au point. D’où l’émergence de lieux d’échanges entre des acteurs très divers — des forums hybrides — à la fois pour comprendre et traiter une maladie, mais aussi pour prendre des décisions politiques à son propos (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001).

Ces acteurs sont d’autant plus efficaces, c’est-à-dire qu’ils exercent d’autant plus d’influence sur les pouvoirs publics, les médias, l’opinion publique qu’ils sont en mesure de s’organiser en collectifs, en associations (Barbot, 2003). La rhétorique de protestation va prendre des formes particulières où la dramatisation, notamment, tient une place primordiale, à côté de dimensions morales. Des cadres d’interprétation des risques vont être élaborés par différents groupes d’acteurs. Ces cadrages auront une influence déterminante sur les actions qui seront mises en place (Cefaï et Trom, 2001). Ils seront confrontés, réfutés, alignés. Cette compétition entre les cadres pourra aboutir au triomphe d’un cadre sur les autres, et à travers le partage du même cadre s’établiront des alliances. Dans d’autres circonstances, un cadre, porté par un collectif, pourra être adopté au détriment de ceux qui le portent qui perdront de ce fait leur visibilité et leur identité. Entre la mobilisation politique profane et la mobilisation des acteurs du politique (de l’agenda politique des experts et décideurs), entre la contestation profane de l’évaluation experte du risque et la non-reconnaissance par les experts de l’évaluation profane du risque sanitaire, la sociologie des risques sanitaires remet à l’avant-scène les tensions majeures qui traversent nos sociétés occidentales contemporaines.

L’influence des collectifs organisés de malades monte en puissance. La contribution de Janine Barbot et d’Emmanuelle Fillion explore, à propos de deux cas de contamination iatrogène — qui ont donné lieu à l’affaire du sang contaminé et à celle de l’hormone de croissance —, les dynamiques de l’engagement des associations de malades et leurs postures vis-à-vis du monde médical, mettant à jour, à côté de la dynamique des exclus et de celle des minorités, bien documentées, une dynamique des victimes. Cette contribution éclaire les tensions au sein de ces associations, plutôt orientées vers une coopération avec le monde médical, qui les a amenées à revendiquer une réparation du préjudice subi, donc à reconsidérer le risque lié aux thérapeutiques. Nous voyons bien, dans ce dernier cas, comment la construction du risque se développe à partir de la perte de confiance dans la science, la technique et les professionnels qui les utilisent. C’est donc bien la perte de crédibilité de la science qui se situe au coeur des grandes angoisses contemporaines. Elle n’est plus caractérisée par des grandes victoires et la marche triomphante vers l’impossible. Sa puissance fait mieux ressortir ses lacunes et ses limites. Dans un monde de nantis, elle se trouve piégée dans la spirale d’un toujours plus insatisfaisant et frustrant.