HommageChuck Tilly et l’art de la conversationTributeChuck Tilly, Conversationalist Extraordinaire[Notice]

  • Doug McAdam

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  • Doug McAdam
    Department of Sociology, Stanford University, Stanford, CA 94305-2047, USA
    mcadam@stanford.edu

Traduction : Marianne Champagne

Il m’a été confié d’écrire en hommage à Chuck Tilly une introduction à ce numéro thématique de Sociologie et sociétés, axé sur une critique de la conception du pouvoir et de l’État relevant de l’approche du processus politique, auquel on associe Chuck si intimement. À première vue, il peut paraître incongru — voire irrespectueux — d’unir ainsi hommage et critique, mais connaissant Chuck, c’est finalement tout approprié. Car personne n’appréciait plus que lui les débats soutenus et ouverts entre penseurs et qui font du savoir un voyage imprévisible. À la fin des années 1990, il parlait de son propre parcours intellectuel comme d’une « route erratique » jalonnée d’une « série d’essais et d’erreurs, de critiques et de corrections, de reformulations ». Il voyait tout simplement l’entreprise intellectuelle comme une conversation ininterrompue et animée, émaillée d’idées exploratoires, d’éclaircissements progressifs et, au mieux, de conclusions provisoires. Par conséquent, il aurait été heureux de voir son oeuvre alimenter et soutenir cette conversation, malgré son désaccord avec certaines affirmations des parties en présence. Je suis de la même veine, ayant toujours considéré mes travaux — même les meilleurs — comme une sommaire approximation d’une réalité sous-jacente bien plus complexe. Ainsi, même un regard critique sur la notion de processus politique m’a toujours semblé être une bonne chose. Cela signifiait qu’au moins mes idées pouvaient susciter une conversation. Dans le même esprit, j’ai acquiescé à bon nombre de critiques formulées à l’égard de cette théorie, cherchant au fil des années à modifier mon propre regard en réponse à la critique (2004). Chuck était peut-être plus véhément dans sa défense (2004a, 2004b), mais cette conversation lui tenait tant à coeur qu’il acceptait bien plus les idées adverses que ne le suggérait sa réaction parfois virulente. Donnons juste un exemple de son ouverture au changement par la conversation : s’il était autrefois un structuraliste invétéré et un critique notoire des thèses culturalistes, ses intenses discussions avec Bill Sewell, Jim Jasper, Ann Mische et bien d’autres noms du même acabit l’ont amené progressivement à s’éloigner de sa première école pour se rapprocher toujours plus de cet autre courant, dans les dix à quinze dernières années de son extraordinaire carrière. Par son insistance sur les « performances contestataires », sur la contestation comme un phénomène mis en scène à travers une interaction prolongée, sur les répertoires comme « boîtes à outils » de la lutte, sur la nature « jazzy » et improvisée du conflit, Tilly, au fil du temps, développa une compréhension de plus en plus « culturelle » de la contestation politique, au sens idéationnel comme au sens dramaturgique. Ainsi enclin à l’échange intellectuel, à la réflexion et à la modification, comment aurait-il réagi à la critique centrale présentée ici, selon laquelle « l’approche du processus politique sous-entend que la domination s’organise par et autour d’une seule source de pouvoir » (Armstrong et Bernstein, 2008 : 74) ? Je ne peux bien sûr en être certain, mais puisque nous partagions le même regard théorique, je me permets en son nom de protester un peu, d’acquiescer dans l’ensemble et de renchérir par un défi plus grand. Commençons par la protestation. À proprement parler, je trouve l’accusation d’Armstrong et Bernstein pour le moins exagérée. En vérité, les analyses empiriques de contestation que présentent les adeptes du modèle « pullulent », comme dirait mon père (elles sont « densément peuplées »), d’acteurs qui possèdent plus ou moins de pouvoir et/ou d’autorité. Il suffit de lire Popular Contention in Great Britain, 1758-1834 (1995) ou n’importe quel ouvrage majeur de Chuck pour découvrir la multitude étourdissante d’acteurs collectifs qui interagissent …

Parties annexes