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Voilà ce qu’écrivait Murray Bookchin en 1965 dans le journal Anarchy : « la quantité de dioxyde de carbone que dégage chaque année l’utilisation des combustibles fossiles (pétrole et charbon) […] va donner naissance à des perturbations atmosphériques de plus en plus dangereuses et risque, à terme, de provoquer la fonte des calottes glaciaires des pôles et la submersion de vastes étendues de terre ». Il ajoutait, toujours en 1965 : « [l]e parasitisme de l’être humain moderne […] corrompt pratiquement tous les cycles fondamentaux de la nature et menace la stabilité de l’environnement à l’échelle planétaire ».

La prédiction lancée à l’époque par cet anarchiste et quelques autres écologistes est reprise aujourd’hui par des milliers de scientifiques et des institutions comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). C’est dans ce contexte que Greta Thunberg, une Suédoise de 15 ans, a lancé le mouvement des grèves scolaires pour le climat (Youth Climate Strike) en août 2018, manifestant chaque vendredi après-midi à Stockholm, devant le parlement. Tout comme elle, les figures emblématiques de cette mobilisation mondiale sont souvent des femmes mineures, comme les Australiennes Milou Albrecht, Harriet O’Shea Carre et Jean Hinchcliffe, qui ont lancé School Strike 4 Climate en novembre 2019. En Belgique, il s’agit d’Anuna De Wever — par ailleurs fièrement lesbienne — et d’Youna Marette, qui, à 17 ans, a déclaré : « Nous continuerons à nous battre, débattre, faire la grève, manifester et désobéir pour notre avenir […] nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend !  » (FranceInfo, 25 février 2019). À Montréal, il s’agit de Sara Montpetit, une élève de 5e secondaire née en 2001, qui a relayé l’appel venu de Suède et invité ses camarades à fonder Pour le futur Montréal.

Forte de sa renommée acquise par les médias sociaux et ses solides relais internationaux, Greta Thunberg a invité les jeunes et moins jeunes de la planète à manifester le 15 mars 2019, puis de nouveau en mai et en septembre de la même année. Environ 1,5 million de personnes ont participé à chaque journée de mobilisation dans 125 pays (Haynes, 2019). Cette vague a même touché le Yukon, où trois jeunes filles de Whitehorse ont assisté au conseil municipal pour proposer des pistes cyclables, une amélioration du transport en commun et l’installation de panneaux solaires (Molgat, 2019).

Aussi importante qu’elle soit par son ampleur et son déploiement transnational, cette mobilisation d’élèves n’est pas la première, loin de là (Dupuis-Déri, 2020a ; pour la Grande-Bretagne, Cunningham et Lavalette, 2016 ; pour la France, Morder, 2020). Dans l’histoire, des grèves d’élèves ont parfois touché plusieurs écoles d’un quartier, ou même d’un pays entier, comme en Grande-Bretagne contre les punitions corporelles à l’automne 1911, contre la guerre en Irak en 1991 et en 2003, ou contre les armes à feu aux États-Unis en 2018. Dans quelques cas, une mobilisation d’élèves provoque même un mouvement populaire qui mène à la chute d’un gouvernement, comme à Madagascar en 1971-1972, en Thaïlande en 1974, en Afrique du Sud contre l’apartheid dans les années 1970 et 1980 ainsi qu’en Haïti en 1985. Outre la grève, la rébellion des jeunes a pu prendre des formes plus radicales dans les « écoles de réforme » (Greissler, Lacroix et Morissette, 2020) et les pensionnats autochtones (Miller, 1996 : 368-369), comme l’attaque physique contre des adultes et l’incendie des bâtiments, à l’école des filles de Wikwemikong en 1888 et à celle des garçons du Mohawk Institute en 1903 (l’incendie volontaire est encore très souvent utilisé par les élèves au Kenya [Cooper, 2014]).

Au Québec, des grèves d’élèves ont eu pour cause des commentaires antisémites, la crise économique des années 1930, un système de chauffage dysfonctionnel, la défense de la langue française, la note de passage d’un cours, l’annulation d’activités parascolaires, le renvoi d’élèves aux cheveux teints en bleu ou en mauve, la guerre, des grèves du mouvement étudiant postsecondaire, etc. (Dupuis-Déri, 2020b et 2021). Cette histoire, méconnue, est d’autant plus intéressante d’un point de vue politique que les élèves ne disposent pas, à la manière du mouvement étudiant postsecondaire, d’instances collectives comme les assemblées générales, ni d’associations locales ou de fédérations provinciales qui permettraient de donner à la contestation des ressources matérielles et financières. Des élèves du secondaire ont d’ailleurs mis sur pied des organisations temporaires, dont l’Association indépendante des élèves du secondaire (AIDES) et l’Association militante des élèves du secondaire (AMES), lors de grèves nationales du mouvement étudiant postsecondaire de 2005, 2012 et 2015. Certes, des élections désignent les membres du conseil d’élèves, mais cette instance reste dominée par les adultes qui y siègent, préparent les ordres du jour, canalisent la prise de parole et décident des sujets discutés. Des directions se permettent même de manipuler les élections, écartant des candidatures ou des élèves élus, et se réservent un droit de veto quant aux décisions du conseil, comme nous l’ont rapporté bien des jeunes qui y siégeaient (Dupuis-Déri, 2006 et 2021)[2].

Quant à la mobilisation pour le climat, le Québec y occupe une place particulière. Dès le 22 avril 2012 à Montréal, la Marche pour la terre avait été qualifiée de la plus grande manifestation de l’histoire du Canada, avec ses 150 000 personnes selon la police ou 300 000 selon le comité organisateur (Teisceira-Lessard, 2012). Le 27 septembre 2019, c’est encore à Montréal que se déroulait la manifestation du mouvement de la jeunesse pour le climat la plus importante au pays, mais également au monde, avec ses 300 000 personnes selon la police ou 500 000 selon le comité organisateur (Scali, 2019). Greta Thunberg était du nombre, après s’être adressée à l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York.

De nouveaux groupes ont vu le jour dans la foulée du mouvement de la jeunesse, dont La Planète s’invite au Parlement et des branches locales d’Extinction Rebellion, entre autres à Montréal et à Sherbrooke. À l’hiver 2020, l’épidémie de la Covid-19 a provoqué la mise en suspens des grèves planifiées par la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) pour la « semaine de la transition », au début du mois d’avril.

Greta Thunberg et les jeunes qui répondent à son appel ont été la cible de critiques souvent virulentes. Dans le quotidien Le Devoir, par exemple, le chroniqueur Christian Rioux (2019a) ironisait au sujet de « Sainte Greta », déplorait le « caractère irrationnel de cet engouement empreint de religiosité » et parlait de rien de moins que d’une « dictature de l’émotion » (Rioux 2019b)[3]. Au Journal de Montréal, les chroniqueurs Mario Dumont (2019), Richard Martineau (2019) et Mathieu Bock-Côté (2019a) ont qualifié Greta Thunberg de « prophétesse » et ce dernier a prétendu que « la place des enfants et des adolescents n’est pas dans la rue, mais à l’école. […] Le combat pour le climat ne devrait pas se transformer en croisade des enfants. L’enrôlement d’une jeunesse par définition impressionnable et spontanément fanatique devrait nous inquiéter. » Il déplorait aussi que ces jeunes soient « endoctrinés […] par une propagande », refrain repris dans un autre billet (Bock-Côté, 2019b) : « [l]’embrigadement idéologique de la jeunesse est le propre des régimes totalitaires. C’est que la jeunesse, qui s’enthousiasme facilement, se laisse aisément fanatiser ». De telles critiques ont aussi été exprimées ailleurs qu’au Québec, par exemple par l’intellectuel français Michel Onfray (2019), selon qui :

Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion — ni sourire ni rire, ni étonnement ni stupéfaction, ni peine ni joie. Elle fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du posthumain. […] [U]n troupeau de moutons de cette génération qui se croit libre en bêlant le catéchisme que les adultes leur inculquent, propose de suivre son exemple et offre en sacrifice expiatoire la culture qu’elle n’a pas, mais qu’elle pourrait avoir — si d’aventure elle allait à l’école […]. « Nous les enfants », dit-elle quand elle parle ! Quelle civilisation a jamais pu se construire avec des enfants ? C’est le monde à l’envers !

Il est évidemment possible d’adopter une posture moins outrancière et plus généreuse face à ce mouvement, de chercher à saisir les rapports de force entre élèves et adultes et à comprendre les clivages entre élèves. Notre méthode consiste principalement à prendre au sérieux la parole des jeunes, à éclairer le sens politique des actions « vertes » dans les écoles et de la grève pour le climat, ainsi que les clivages entre les grévistes, et les réactions et les manoeuvres des directions d’établissement.

méthode

L’engagement politique des jeunes au Québec a été l’objet d’études qui portaient leur attention sur des cohortes spécifiques, par exemple le mouvement étudiant postsecondaire (voir entre autres Theurillat-Cloutier, 2017 ; Ancelovici et Dupuis-Déri, 2014 ; Surprenant et Bigaouette, 2013), les « jeunes » de 15 à 30 ans (Gauthier, 2003) ou les femmes de 18 à 30 ans (Quéniart et Jacques, 2004). Pour notre part, nous nous intéresserons à des jeunes qui n’ont pas encore atteint la majorité civile et qui s’engagent politiquement dans le cadre de leur école.

Lancée en 2015 bien avant d’entendre parler de Greta Thunberg, cette recherche qualitative sur « la démocratie et la contestation à l’école secondaire » repose sur une méthode d’enquête mixte. Une recherche dans les archives des périodiques de la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ) et sur les sites web de médias québécois nous a permis de relever environ 200 grèves scolaires dans l’histoire du Québec.

En parallèle, nous avons réalisé 68 entretiens semi-dirigés avec 47 femmes et 21 hommes[4], dont 21 avaient de 12 à 17 ans, 34 de 18 à 24 ans, 9 de 25 à 29 ans et 4 de 30 à 43 ans. Le recrutement s’est effectué par la méthode par réseau, par l’entremise de parents dans nos connaissances et par la méthode volontaire, par une invitation transmise à des classes de baccalauréat sur les mouvements sociaux à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal (invitation reprise à notre insu sur différents médias sociaux). Parmi les témoignages, 62 portaient sur des écoles publiques, 9 sur des écoles privées (5 élèves ayant fréquenté 2 écoles différentes), pour un total de 29 écoles différentes, dont 15 à Montréal. Nous avons ainsi pu recueillir des informations sur la manière dont les élèves se mobilisent et la réaction des adultes, sur le fonctionnement du conseil d’élèves et de comités verts, ainsi que sur les dynamiques et les conflits entre élèves, lors des mobilisations. Plusieurs de ces contestataires aimaient l’école (ce qui semble la norme [Lignier et Pagis, 2017 : 71]), y obtenaient de bons résultats scolaires et près de la moitié (35/68) avaient siégé au moins une année comme délégués de leur conseil d’élèves. À la suite des entretiens, des élèves nous ont remis des copies de lettres adressées par la direction aux élèves et aux parents.

Même si notre enquête ne portait pas spécifiquement sur ce sujet, plusieurs des jeunes avaient participé à des actions collectives sur des enjeux environnementaux dans leur école, aux manifestations pour le climat et même, dans quelques cas, aux rencontres et aux actions d’Extinction Rebellion (XR), à Montréal et à Sherbrooke. Notre matériel nous permet de présenter ici une première analyse de cette mobilisation de la jeunesse au Québec et des dynamiques de mobilisation dans neuf écoles du Québec, soit six à Montréal, une sur la Rive-Sud et une autre sur la Rive-Nord, et une à Sherbrooke. Par respect pour l’anonymat des jeunes, nous ne mentionnons pas toujours le nom des écoles en question.

Les données recueillies ne nous permettent pas de proposer des analyses développées et rigoureuses des déterminants familiaux ou des facteurs socioéconomiques (comme chez Lignier et Pagis, 2017, par exemple), mais le matériel est riche d’enseignement quant aux dynamiques politiques — rapports de force, jeux de pouvoir — qui se déploient à l’école et quant aux significations que les jeunes leur attribuent.

Pistes théoriques et conceptuelles

Un nombre important de travaux sur les « jeunes » (parfois âgés de 25, voire 35 ans) évaluent le processus de socialisation et Luc Reginensi constate même une tendance à évaluer positivement l’adhésion aux valeurs et pratiques du modèle politique officiel (élections, partis politiques, parlementarisme) (Reginensi, 2005 ; voir aussi Garneau, 2016 et Passy, 2001). Voilà d’ailleurs l’objectif explicite des agences gouvernementales qui font la promotion de la « démocratie » et d’activités citoyennes dans les écoles, par exemple les conseils d’élèves ou les simulations d’élection lors des campagnes électorales pour adultes, ou encore les conseils municipaux pour enfants (à ce sujet, et pour des perspectives plus ou moins critiques, voir — entre autres — Boone, 2016 ; Lefrançois et Éthier, 2015 ; Pache-Hébert, 2015 : 85 ; Wall, 2011 ; Dostie-Goulet, 2009 ; Westheimer et Kahne, 2004 ; Muxel, 2001 ; Birzéa, 2000 : 63).

Cette approche légitimiste (Reginensi, 2005 : 187) s’intéresse avant tout à l’influence des adultes et surtout à ce que les jeunes deviendront une fois adultes (James, 2004). Pour la sociologue Caroline Caron et d’autres spécialistes, il s’agit là d’adultocentrisme (Pagis et Simon, 2020 : 10 et 13) ou d’adultisme (Taft et Gordon, 2013 ; Wall, 2011), soit :

une attitude stéréotypée qui produit et maintient des rapports dichotomiques et hiérarchisés entre les jeunes et les adultes. Cette posture repose sur le présupposé voulant que les adolescents soient privés de la maturité et des compétences cognitives que requièrent l’expression et la satisfaction de leurs besoins […] où le stade adulte est perçu comme l’achèvement ultime de l’humanité d’une personne et de son appartenance à la communauté sociale et politique.

Caron, 2018 : 54 ; nous soulignons

Pour notre part, nous inscrivons notre démarche dans la « nouvelle sociologie de l’enfance » — ou Childhood Studies — qui s’intéresse surtout à la capacité des jeunes de penser, de vouloir et d’agir par et pour soi (Greissler et al., 2020 : 29 ; Lacroix, 2016 : 6 ; Caron, 2014 : 98-99), approche parfois critiquée pour son penchant à idéaliser l’enfance et les jeunes (Lahire, 2019 : 20-23 ; Garnier, 2015). Or ces mobilisations pour le climat peuvent apparaître dans toute leur rationalité politique lorsqu’elles sont replacées dans leur contexte institutionnel, l’école. Les jeunes grévistes interpellent certes les gouvernements, mais le sociologue Marcos Ancelovici (2009) rappelle qu’il ne faut pas limiter l’analyse des mouvements sociaux à leurs interactions avec l’État.

Dans son étude sur les grèves scolaires au Royaume-Uni, Robert Adams (1991) a ainsi constaté que les établissements d’enseignement représentent de véritables espaces politiques où se jouent conflits et rapports de force entre divers acteurs individuels et collectifs qui collaborent ou luttent au sujet de ressources matérielles et de normes, dont les critères de réussite, la discipline et le code vestimentaire. Les mobilisations conflictuelles d’élèves traduisent l’expression critique de demandes pour le changement ou contre des changements au sein de l’institution ou dans la société en générale, mais aussi des revendications pour plus de liberté, d’égalité, de dignité et de sécurité (Garneau, 2016 : 236). Les conflits à l’école peuvent être verticaux, c’est-à-dire contre le ministère de l’Éducation, la direction, le corps enseignant, ou horizontaux, contre d’autres élèves et d’autres écoles. Plus schématiquement, Adams a relevé quatre formes de mobilisation — non mutuellement exclusives — chez les élèves : la diversion (absentéisme, noyautage du conseil, désobéissance au code vestimentaire, etc.), la subversion (sabotage, vandalisme, etc.), l’affrontement (sit-in, grève, piquetage, etc.) et l’alliance ou la collaboration (avec la direction, des enseignants, des parents, les médias). De la part des adultes, l’engagement politique des jeunes provoque soit la répression (discipline, punitions, etc.), soit un accompagnement qui se traduit souvent par un contrôle à travers des processus et des institutions pensées, établies et dominées par les adultes (Pickard, Nativel et Portier-Le Cocq, 2018).

Des actions « vertes » à l’école

Voilà déjà plusieurs années que des jeunes s’activent un peu partout sur la planète en réaction aux changements climatiques, en proposant diverses initiatives (Cocco-Klein et Mauger, 2018) et en participant à des opérations de nettoyage, par exemple, ou à la Youth Climate Action Conference à Sydney en 2007 ou à la Conférence sur le changement climatique des Nations Unies à Bali, la même année (Partridge, 2008 ; voir aussi le document des Nations unies, Youth in Action on Climate Change : Inspiration From Around the World, 2013). Avant même l’entrée en scène de Greta Thunberg, des recherches indiquaient que les jeunes se mobilisaient pour le climat en intégrant des institutions déjà existantes (l’alliance ou la collaboration, selon Adams), en les contestant par diverses formes de protestations comme la pétition et les manifestations (l’affrontement, selon Adams), ou encore en participant à des projets « alternatifs » qui incarnent ici et maintenant un monde postcapitaliste et postconsommation (une forme qu’Adams n’avait pas identifiée) (O’Brien, Selboe et Hayward, 2018). Selon Sarah Pickard, les jeunes écologistes préfèrent la Do-It-Ourselves (DIO) political participation, c’est-à-dire faire la politique soi-même et se mobiliser hors des institutions, de manière autonome (Pickard, 2019 : 5).

Cela dit, des élèves s’activent depuis des années au Québec pour mettre en place un comité vert dans leur école et proposer certains projets environnementalistes, par exemple la projection de films, des conférences sur le tri sélectif ou la production de cellophane avec de la cire naturelle. Il s’agit d’une approche de l’alliance ou de la collaboration, pour reprendre la typologie d’Adams. Pourtant, les jeunes qui ont participé à notre recherche nous ont surtout parlé des différentes formes d’opposition des adultes à leurs projets.

Dans une école de Sherbrooke en 2015, le comité vert a proposé que la cafétéria devienne « écoresponsable » et que des bacs de compost soient installés. La direction a répondu que c’était inutile, puisque l’école allait déménager dans quelques années. Dans une école de Montréal où l’uniforme est obligatoire, le comité vert souhaitait organiser une friperie d’uniformes usagés, pour éviter le gaspillage. La direction a expliqué que la compagnie qui vend les uniformes allait protester contre une perte de revenu[5]. Le comité vert a également proposé de bannir les bouteilles de plastique de la cafétéria, mais la compagnie qui la gère a menacé d’augmenter les prix pour compenser les pertes occasionnées. « C’est toujours une affaire d’argent », a commenté l’élève qui nous expliquait ces projets, déplorant que le surveillant fondateur du comité vert y siège et le contrôle, rejetant même a priori des projets d’élèves sous prétexte que « la direction ne sera pas d’accord avec ceci ou cela ». Un comité vert mis sur pied sans adultes, dans une autre école de Montréal, a proposé des ateliers de jardinage et l’installation de bacs à fleurs devant l’école, mais sans succès. D’autres élèves de la même école ont protesté contre le gaspillage de nourriture à la cafétéria, en vain.

Ces exemples révèlent qu’une approche institutionnelle d’alliance et de collaboration entre les élèves et des adultes n’assure en rien que ces derniers accepteront les projets des premiers. Les élèves considèrent que ces manoeuvres des adultes de contrôle, d’évitement, de blocage ou de détournement représentent autant d’occasions de déception, d’indignation et de révolte, surtout considérant l’importance de la cause écologiste. S’il est déjà décourageant pour les élèves de constater que les gouvernements ne se mobilisent pas sérieusement pour le climat et l’environnement, les manoeuvres des directions d’école les consternent, tout comme leur refus de solutions simples pour régler des problèmes concrets, à leur échelle.

Nos entretiens nous ont appris que les adultes ont l’habitude de considérer les membres du conseil d’élèves comme de petites mains corvéables, par exemple pour aménager et nettoyer la salle pour la fête d’Halloween, collecter de l’argent et téléphoner pour réserver des autobus pour des activités parascolaires. En lien avec l’environnement, la direction du Collège Mont-Saint-Louis (Montréal) s’est ainsi vantée, dans son rapport annuel 2018-2019 (accessible sur le web), que son conseil d’élèves — l’Association générale des étudiants (AGE) — avait organisé une « collecte d’appareils électroniques dans le cadre de la semaine de l’environnement ». Un élève nous a pourtant confié que « le problème avec l’AGE, c’est qu’elle n’a aucun pouvoir. C’est pour nous faire croire qu’on a du pouvoir, alors qu’on n’en a pas. Même les profs le savent. C’est surtout les adultes qui gèrent tout. »

Le même contrôle et le même opportunisme semblent à l’oeuvre avec les élèves des comités verts. Un délégué de 4e secondaire au conseil d’élèves de son école de Montréal nous expliquait d’ailleurs que

[l]e conseil d’élèves et le conseil d’établissement ont un fondement légal, dans la Loi sur l’instruction publique, mais pas les comités verts. C’est uniquement la bonne volonté de la direction et du prof responsable. À mon école, c’est un prof qui a créé le comité vert, après les grèves pour le climat, et les élèves qui y siègent sont surtout des bénévoles, par exemple pour le recyclage.

Il a aussi constaté que l’introduction du recyclage dans les écoles se heurte à deux problèmes, premièrement parce que ce n’est pas prévu dans la description de tâches des concierges et parce que les compagnies de collecte du recyclage n’ont pas d’autorisation formelle pour que leurs camions entrent sur le terrain des écoles. Ce qui sert d’excuse, au final, pour que les élèves travaillent bénévolement.

Une direction d’école a ainsi accepté d’installer des bacs de compost, mais a demandé aux élèves de les trouver, les transporter et les laver, selon un horaire planifié par une enseignante. Un jeune nous a expliqué qu’au primaire déjà, le comité vert de son école organisait des « corvées nettoyage » pour l’ensemble des élèves qui devaient arriver avec des sacs-poubelles pour ramasser les déchets autour de l’établissement.

Certes, bien des élèves ressentent et expriment de la fierté à effectuer une bonne action pour l’environnement. Mais les jeunes qui ont participé à notre recherche y voyaient surtout une manipulation par les adultes qui profitent de leur enthousiasme pour leur faire exécuter des corvées, sans que les adultes engagent le temps, l’énergie et les ressources nécessaires pour l’environnement.

Dans une autre école secondaire de Montréal, une déléguée au conseil d’élèves a fondé un comité vert en février 2019 sans l’appui de la direction, pour retransmettre les appels à manifester les vendredis après-midi et offrir des activités aux élèves qui ne pouvaient ou ne voulaient pas faire grève, par peur des risques de sanction. La direction a préféré créer son propre comité vert à l’automne 2019, avec des membres du conseil d’élèves et un adulte pour les encadrer. L’élève qui nous communiquait cette information était outrée par cette manoeuvre : « C’est tellement immature ! Y jouent à un jeu, mais nous, on n’est pas là pour jouer. C’est dur de collaborer avec des gens immatures, qui nous mentent très souvent. » Le directeur avait même procédé à une distribution de bonbons un vendredi, pour décourager les jeunes de faire grève.

Dans d’autres écoles, la direction refuse simplement la formation d’un comité vert, parfois par peur d’être associée à des groupes comme Greenpeace. C’est donc hors de l’école que des élèves poursuivent leur formation politique. Une élève a ainsi assisté à un camp de formation sur l’écologisme où elle a entendu parler pour la première fois des luttes autochtones et de démocratie directe. Elle en tirera la conclusion que l’école est « une sorte de dictature ».

Les grèves pour le climat

Le mouvement lancé par Greta Thunberg s’inscrit donc dans un contexte où des élèves tentent de convaincre les adultes d’introduire des mesures « vertes » à l’école. Ces projets se heurtent souvent à diverses manoeuvres d’opposition plus ou moins ouvertes : esquive, obstruction, cooptation, refus pur et simple (ce qui peut aussi survenir à propos d’autres initiatives d’élèves, par exemple contre l’homophobie [Taft et Gordon, 2013 : 96]). Sans être une conséquence directe de cette situation de blocage, la grève apparaît tout de même comme un mode d’action qui permet de contourner les manoeuvres des adultes et les instances sous leur contrôle, tout en modifiant possiblement les rapports de force à l’école.

L’école publique Robert-Gravel, à Outremont, est dédiée à l’enseignement des arts dramatiques et a joué un rôle particulier dans les grèves du vendredi après-midi pour le climat, puisque c’est là qu’étudiait Sara Montpetit. En février 2019, elle retransmet l’appel de Greta Thunberg, sans l’appui d’aucun comité scolaire institutionnel. Il faut dire que Sara Montpetit avait été déléguée de 2e secondaire au conseil d’élèves et avait alors constaté qu’il s’agissait d’une instance plutôt inutile et sans pouvoir. Elle a donc lancé son appel par les médias sociaux privés[6], Instagram™ plus spécifiquement.

De l’alliance et de la collaboration, ces jeunes passent alors à l’affrontement (Adams,1991). Environ 200 élèves ont répondu à l’appel le premier vendredi, dont une centaine de l’école de l’initiatrice de l’appel. La direction leur a imposé une retenue, avec l’obligation de rédiger une dissertation sur l’engagement individuel. Cela n’a pas dissuadé Sara Montpetit et ses camarades de poursuivre leur lutte. Dépassée par l’ampleur des tâches d’organisation, Sara Montpetit a utilisé les médias sociaux privés pour appeler à une rencontre dans un café, pour fonder Pour le futur Montréal. Une quarantaine de jeunes de différentes écoles ont répondu à l’invitation et se sont réparti des tâches et responsabilités. À la suggestion de Sara Montpetit, des élèves se sont mis debout sur une table de leur cafétéria de leur école pour parler aux élèves et les encourager à faire grève le vendredi après-midi. Dans certaines écoles, les grévistes encourageaient leurs camarades à se joindre au mouvement en montant sur des chaises dans le hall d’entrée ou en courant dans les couloirs en criant et en tapant sur les casiers. Plusieurs grévistes ne se présentaient plus aux retenues, avec ou sans l’appui de leurs parents.

Sans prétendre pouvoir brosser le portrait de la quarantaine de volontaires qui ont fondé Pour le futur Montréal, plusieurs jeunes très sensibles à divers enjeux sociopolitiques s’y retrouvaient. Une élève née en 2005, par exemple, suivait Greta Thunberg sur les médias sociaux privés depuis au moins un an, avait assisté à des conférences sur le commerce équitable et participé à la Marche Oxfam contre la pauvreté, organisée par son école. Elle avait aussi demandé à sa mère un mot pour être dispensée de disséquer des bêtes dans le laboratoire de biologie. Après la fondation de Pour le futur Montréal, elle est montée sur une table dans la cafétéria de son école pour expliquer le réchauffement climatique et appeler à manifester. Elle a été envoyée au bureau de la direction, mais d’autres élèves ont imité son geste et poursuivi son action.

En prévision de la journée de manifestation mondiale pour le climat du 15 mars 2019, les élèves de l’école Robert-Gravel ont obtenu de la direction la tenue d’une assemblée générale supervisée par une enseignante, dans la cafétéria. Une telle concession est très rare dans l’histoire des grèves au secondaire (il y a eu quelques cas lors du « Printemps érable » de 2012). À l’école Montcalm à Sherbrooke, deux filles avaient lancé un appel par Facebook™ pour la manifestation du 15 mars, sans avoir consulté la direction. Un membre du conseil d’élèves a convaincu la direction de retransmettre l’appel par l’interphone, en échange de quoi les adultes pouvaient encadrer la marche. Plusieurs jeunes ont confectionné à domicile ou à l’école des pancartes et des bannières, en inventant ou reprenant différents slogans : « Je suis venue te dire que tu peux changer » ; « Il n’y a pas de plan B » ; « L’école appelle ça une absence non motivée mais nous sommes motivées à sauver notre planète !  » Le matin du 15 mars, ces jeunes ont sauté hors du lit particulièrement tôt pour participer au piquetage devant leur établissement et en bloquer l’entrée. À l’école publique Sophie-Barat à Montréal, des lignes de piquetage ont été dressées et des cris de joie ont éclaté lorsque la direction a annoncé l’annulation des classes pour la journée. Devant certaines écoles, les élèves utilisaient des craies pour tracer des slogans sur le trottoir. Des cortèges de grévistes ont ensuite convergé vers les centres-villes pour participer à la manifestation mondiale. À l’école publique Magdeleine, à La Prairie sur la Rive-Sud, la manifestation s’est déroulée le midi sur le boulevard Taschereau, et aucune classe n’a été annulée. Quant à l’école privée l’Académie Lafontaine, à Saint-Jérôme, sur la Rive-Nord (Montréal), elle déclare sur son site web encourager « l’adoption de valeurs relatives au pacifisme, à la solidarité, à la démocratie et à l’environnement » et précise être membre des « Établissements verts Brundland », un réseau instauré en 1993 par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) en partenariat avec Recyc-Québec (Centrale des syndicats du Québec, 2008). Regroupant environ 1 500 établissements, sa mission est de penser globalement et d’agir localement « pour favoriser un avenir viable. C’est-à-dire un endroit où l’on pose des gestes concrets et continus susceptibles de contribuer à la construction d’un monde écologique, pacifique, solidaire et démocratique » (site web Établissements verts Brundland). Malgré cet engagement de principe, les élèves de l’Académie Lafontaine n’ont pas fait la grève pour le climat. La direction a plutôt organisé une conférence sur l’environnement et une chaîne humaine autour de l’école.

Les situations peuvent donc être très différentes selon les établissements où les rapports de force procèdent d’une triangulation inégalitaire entre les élèves d’une part, et deux groupes d’adultes : ceux qui contrôlent l’école et les parents, qui peuvent ou non appuyer leurs enfants et les autoriser ou non à faire grève, donc à éviter les sanctions. Cela dit, des élèves nous ont rappelé qu’il est généralement difficile pour les plus jeunes de 1re et 2e secondaire de tenir tête à la direction ainsi qu’à leurs parents, mais aussi d’interagir de manière égalitaire avec les élèves de 4e et 5e secondaire, qui lancent et dirigent les mobilisations.

Les mêmes rapports de force se reproduisent au sein de l’Association des élèves du secondaire (AESCSDM), fondée il y a plusieurs années par la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et qui est présentée sur son site web officiel comme « une voix qui s’exprime pour eux [les élèves] et qui les représente ». Une quarantaine d’élèves y siègent dans une assemblée qui se tient environ tous les mois à partir de décembre jusqu’à la fin de l’année scolaire. Trois adultes de la CSDM y siègent aussi. En 2019, un délégué a proposé que l’AESCSDM lance un appel à la grève du climat à toutes les écoles de la CSDM, mais les adultes l’ont interrompu pour dire qu’il fallait d’abord s’informer au sujet de cette mobilisation et surtout faire attention à ne pas ternir l’image de la CSDM. Un autre délégué à cette assemblée déplorait que « [c]es interventions [aient] tué le projet dans l’oeuf. Il n’y a même pas eu de vote au sujet de la proposition. Pourtant, on ne représente pas la CSDM, on représente les élèves auprès de la CSDM ! Mais on nous dit : “Vous ne pouvez pas ! ” »

La longue mobilisation de 2019 au Québec et dans le monde a finalement modifié certains rapports de force, poussant les directions à adopter une attitude plus ou moins tolérante, selon les écoles. Face aux grèves du vendredi après-midi, par exemple, plusieurs directions ont été tolérantes la première fois, mais ont sévi par la suite devant ce mouvement qui semblait ne pas vouloir s’essouffler. Des retenues ont été imposées et des examens prévus les vendredis après-midi, ce qui pénalisait les grévistes en termes de résultats scolaires. Des enseignantes et des enseignants plus sympathiques au mouvement présentaient plutôt des films, pour ne pas punir les grévistes.

Des directions ont aussi communiqué avec les parents pour les encourager à discipliner leurs enfants. À l’école publique Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont, le directeur a écrit aux parents en prévision de la manifestation du 22 mars, expliquant avoir « fait preuve d’ouverture » jusqu’alors mais rappelant que « le Régime pédagogique prévoit un calendrier scolaire dont au moins 180 jours doivent être consacrés aux services éducatifs. […] Nous comptons sur votre collaboration afin d’encourager la présence de votre enfant à l’école. » Le directeur précisait pouvoir « demander la présence policière » mais terminait sa missive de manière diplomatique, qualifiant de « juste et pertinente » « la cause du climat » et rappelant son « ouverture à organiser un comité qui permettrait de réaliser des gestes concrets pour notre école, notre quartier ». Le 29 mars, le directeur a adressé une autre lettre aux parents pour se réjouir que des élèves aient « décidé de nettoyer les alentours de l’école », mais déplorant qu’« une centaine d’élèves de l’école [aient] bloqué les portes d’entrée […]. Notre agente sociocommunautaire ainsi que des collègues [sic] policiers ont dû être appelés » par crainte que « la situation dégénère ». Le directeur a alors promis d’inviter le député de la circonscription à rencontrer les élèves pour que « leur voix » soit entendue.

Ainsi, les directions développent des stratégies pour réagir et endiguer le mouvement de grève, y compris en s’adressant aux parents qui exercent leur autorité sur leurs enfants, tout en félicitant les élèves qui exécutent des corvées de nettoyage. Les directions d’établissement peuvent chercher à manipuler les clivages entre élèves, pour bloquer le mouvement de grève. La direction de l’école montréalaise Père-Marquette, par exemple, a déployé une véritable stratégie de communication avec les élèves et les parents pour canaliser les élèves vers l’institutionnalisation et les décourager de faire grève. Le président du conseil d’établissement et le directeur ont ainsi conjointement signé une lettre adressée aux parents et aux élèves, pour les « informer des actions concrètes », par exemple : « le conseil des élèves a été rencontré et s’est mobilisé afin d’étudier la meilleure façon de consulter les élèves de l’école sur les changements […] de manière à réduire l’empreinte écologique des 1350 élèves [et] [l]es rencontres se poursuivent cette semaine ». La lettre annonçait également qu’un groupe de sept élèves — toutes des filles — de 5e secondaire avaient proposé d’installer des bacs de compost et de recyclage, de remplacer les assiettes en carton à la cafétéria par des assiettes en céramique, d’encourager les élèves à apporter leurs ustensiles pour éviter de jeter des ustensiles en plastique. La lettre soulignait fièrement la mise sur pied d’une « escouade pour nettoyer autour de l’école », y compris dans le grand parc avoisinant, et d’une « escouade d’élèves “Protégeons notre futur” » pour sensibiliser leurs camarades aux enjeux environnementaux, en plus d’évoquer la possibilité d’ouvrir une « éco-boutique ». La lettre insistait surtout pour rappeler que « chaque jour d’école compte », même si on signalait que les parents avaient la possibilité d’écrire une note justifiant l’absence de leur enfant gréviste. Elle était accompagnée d’un message du directeur adressé uniquement aux parents, leur expliquant qu’il avait discuté avec « plusieurs élèves militants et engagés » qui « participent aux marches » mais qui n’encouragent pas les autres élèves à faire grève. Le directeur a enfin souligné que « [l]a direction, l’équipe-école, les représentants du conseil d’établissement et une majorité d’élèves pro-environnement souhaitent, tant pour des enjeux de réussite que pour des enjeux environnementaux, que les cours puissent se dérouler normalement » (nous soulignons). Impossible de savoir comment la direction a pu évaluer ce que souhaitait la « majorité d’élèves pro-environnement ».

À la rentrée de l’automne 2019, la CSDM a décrété que le 27 septembre serait une « journée pédagogique institutionnelle », libérant les directions de l’obligation de s’assurer que leurs 140 000 élèves soient en classe pour cette autre journée de mobilisation mondiale pour le climat. Cette décision a été qualifiée de « greenwashing » par une élève de Pour le futur Montréal qui avait participé, l’hiver précédent, à de vaines négociations pour convaincre la CSDM d’autoriser les élèves à faire grève. Ce changement de cap de la CSDM à l’automne a provoqué une tension entre le gouvernement, la Commission et les syndicats d’enseignement. Pour sa part, la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSPI) n’a pas choisi d’imiter la CSDM, sous prétexte qu’elle a la « responsabilité d’assurer la sécurité de ses élèves lors de cette journée qui est officiellement une journée d’école » (Métro [Montréal], 19 septembre 2019 ; La Presse, 17 septembre 2019 ; La Presse, 18 septembre 2019). Les élèves peuvent donc parfois bénéficier d’appuis institutionnels importants lors d’une mobilisation de masse comme celle pour le climat ou, au contraire se buter à des adultes inflexibles.

Des directions peuvent d’ailleurs prendre des mesures disciplinaires, au risque d’un déni de l’idéal démocratique. La direction de la Polyvalente des Monts, à Sainte-Agathe-des-Monts dans les Laurentides, a ainsi suspendu deux élèves qui avaient demandé en vain la tenue d’une assemblée de vote de grève, lors de rencontres avec la direction auxquelles participait même l’agent de police assigné à l’école, et avaient donc organisé une assemblée de manière autonome. « [P]our des gens qui demandent une démocratie, c’est vraiment exagéré », a confié aux médias un des élèves sanctionnés. La direction a expliqué pour sa part que les élèves auraient dû s’adresser au conseil d’élèves et que le vote en assemblée était invalide « parce que les élèves ont moins de 18 ans » (on leur permet pourtant d’élire les membres du conseil d’élèves). Il faut dire que l’assemblée autonome avait aussi voté la création d’une association d’élèves indépendante de la direction (Carabin, 2020). Bien différente a été l’attitude de cette direction en Suisse qui a rendu obligatoire la participation de ses élèves à la grève pour le climat, en informant les parents que tous les frais seraient à la charge de l’établissement, au grand déplaisir d’un politicien conservateur (Anonyme, 2019). Il s’agit, dans ces cas, de conflits verticaux, pour reprendre l’analyse d’Adams, contre la direction de l’école et même le gouvernement, dont l’inaction menace l’environnement. Mais la lutte écologiste provoque aussi des conflits horizontaux, entre élèves.

Clivages

Malgré leur caractère massif, les mobilisations de la jeunesse pour le climat connaissent leur lot de conflits et de clivages interpersonnels et collectifs. Comme le mentionne un élève de Sherbrooke, « [c]’est très clivé, tout le monde a son opinion au sujet de l’environnement » et « bien des gens veulent se donner une bonne image, mais ne changent pas leurs comportements ». S’il est possible de faire tout à la fois la grève pour le climat, d’être membre d’un comité vert, végétarien et ne pas avoir acheté des vêtements neufs depuis deux ans, il est aussi possible de faire grève simplement pour ne pas être en classe, comme l’expliquait un garçon : « je ne suis pas écolo, je ne crois pas aux changements climatiques, mais je veux jouer à des jeux vidéo ». D’autres élèves avancent diverses excuses pour s’opposer aux manifestations, par exemple l’importance de ne pas manquer des examens ou parce que « c’est mal de manifester », comme l’a déclaré une élève au sujet de la Marche pour le climat du 27 septembre 2019. Ces différentes positions provoquent des déceptions en amitiés et la stigmatisation d’élèves écologistes. « [Y] a des gens avec qui je ne peux plus parler », m’a rapporté une élève de Sherbrooke, alors qu’un autre m’a confié être l’objet de provocations : « Mes amis me niaisent, ils jettent par exprès devant moi des choses recyclables ou compostables dans la poubelle et me regardent les ramasser et aller les porter dans le bac de recyclage ou de compost. »

Une élève de l’école publique Père-Marquette a distingué trois tendances chez les élèves au sujet du climat : (1) « ceux qui s’en foutent », car « il y a beaucoup de climatosceptiques » ; (2) « ceux qui manifestent, mais ne savent pas de quoi ils parlent parce qu’ils consomment des produits des multinationales fabriqués par des enfants » ; et (3) les élèves qui disposent des informations pertinentes et affichent une réelle cohérence, par exemple en n’achetant que des vêtements usagés, et « qui vont à chaque manif ». Les tensions entre ces tendances peuvent se traduire par des insultes sur les médias sociaux ou en personne, comme nous le rapportait une élève :

Je me suis fait insulter. Parce que j’étais contre le piquetage, on me disait que j’étais hypocrite et que je ne voulais rien faire vraiment pour l’environnement. Mais ces gens de 5e secondaire veulent juste une excuse pour manquer l’école, ils achètent et portent des vêtements de grosses marques […]. Nous, on s’organise pour les bonnes raisons, mais les piquetages font perdre de la crédibilité. On discute beaucoup avec la direction, on fait tout pour que la direction soit vraiment de notre côté […]. On veut qu’il y ait du compost, du recyclage. […] Nous, on organise les « mercredis ramassage », avec des gants et des sacs, sur le terrain, et on empile et montre à toute l’école les sacs, pour montrer qu’il faut « agir concrètement » et pour leur montrer tout ce qui est jeté sur le terrain.

Les différentes formes de mobilisation à l’école pour le climat et l’environnement, par exemple l’alliance et la collaboration avec la direction ou l’affrontement et la subversion, ne sont donc pas seulement une question de choix quant à un « répertoire d’actions »[7], mais sont aussi le résultat de conflits horizontaux entre les élèves, ou les provoquent, un peu comme on en connaît dans d’autres mouvements sociaux, par exemple dans le syndicalisme. Ces clivages découlent des dynamiques complexes où interviennent des rapports de force avec des adultes et d’autres élèves, et des relations plus ou moins fluides avec les institutions, comme le conseil d’élèves ou le comité vert, en plus des débats parfois intenses et acrimonieux au sujet des moyens les plus appropriés pour mener la lutte pour le climat et l’environnement. On retrouve ici le clivage entre « réformistes » et « radicaux » qui traverse si souvent les mouvements sociaux progressistes, conservateurs et réactionnaires (Avanza, 2018), mais aussi les profils plus ou moins idéalisés des élèves responsables et raisonnables, d’une part, et irrévérencieux et tumultueux, de l’autre.

Les divergences quant à l’évaluation du choix des tactiques peuvent aussi s’expliquer par le positionnement institutionnel, comme cette élève qui a participé à la fondation du comité vert de son école et juge sévèrement le piquetage. Elle insiste sur l’importance d’entretenir de bons rapports avec la direction, plutôt que d’agir sur un mode conflictuel qui la rend mal à l’aise et qu’elle associe à un radicalisme incohérent. De ce fait, elle critique l’approche protestataire non seulement parce que les élèves qui l’adoptent ne seraient pas sérieusement environnementalistes, mais aussi parce que cela nuirait selon elle à la cause. En fait, la contestation tumultueuse s’oppose surtout à ses démarches auprès de la direction.

On voit ici à l’oeuvre l’opposition entre des formes de mobilisation identifiées par Adams (1991), soit l’alliance (avec des enseignants, des parents, les médias) et l’affrontement (grève, piquetage, sit-in, etc.), voire la subversion (sabotage, vandalisme). Or, une même personne peut être jugée trop modérée dans une situation et trop radicale dans une autre. Ainsi, une élève a-t-elle été mal reçue au comité vert par la « petite clique dans l’entre-soi » qui considérait ses propositions comme trop « radicales », parce qu’elle proposait d’appuyer la grève et de lancer une campagne d’affichage dans l’établissement. Pourtant, elle a aussi renoncé à une amitié avec un camarade qu’elle jugeait « trop colérique » et radical, car il engueulait la direction et voulait cadenasser les portes le jour de la grève. Ce type d’action provoquait chez elle la peur d’être renvoyée de l’école.

Une autre élève de 3e secondaire a connu elle aussi une trajectoire la plaçant parfois du côté de la modération et du respect de l’institution, parfois du côté de la contestation turbulente. La direction de son école à Montréal avait refusé d’organiser une assemblée générale au sujet de la grève pour le climat du 15 mars 2019. En réaction à l’annonce de la direction par interphone qu’il y aurait cours le lendemain, 15 mars, elle est montée sur une table de la cafétéria pour lancer un cri — « La terre est une bombe à retardement, notre avenir est à nous !  » — avant d’annoncer la grève et la manifestation du lendemain. L’élève a immédiatement été envoyée devant la direction qui l’a suspendue pour trois jours pour « insubordination », exigeant qu’elle revienne accompagnée de ses parents. À la suite des manifestations de l’hiver 2019, cette même élève a négocié avec la direction et obtenu le compostage, des ustensiles recyclables, une corvée ramassage dans la cour de récréation et la formation d’un comité vert, supervisé par un enseignant qui a mis sur pied une « brigade verte » qui se présente à la cafétéria et dans les classes pour conscientiser les jeunes et organise des conférences. Les choses semblaient donc bouger positivement alors que cette élève passait en 4e secondaire à l’automne 2019 et soumettait à la direction une nouvelle demande pour organiser une assemblée de vote de grève pour la manifestation mondiale du 27 septembre. La direction lui a expliqué que les élèves du secondaire n’ont « pas le droit » de tenir de telles assemblées et lui a plutôt proposé de se présenter aux élections du conseil d’élèves, pour ne « pas qu[’elle] remonte sur la table ».

Voilà qui permet de relativiser l’importance, à tout le moins pour ce mouvement, de la dichotomie classique entre l’environnementalisme et l’écologisme (Dufoing, 2012), puisque ces tendances semblent souvent s’y confondre, y compris dans des positions individuelles. Pour le dire trop rapidement, l’environnementalisme, qui compte plusieurs institutions comme le Sierra Club et les ministères de l’Environnement, est généralement qualifié de réformiste car son objectif est d’assurer que l’humanité dispose d’un environnement relativement sain à son service, en réduisant l’empreinte énergétique par le recyclage, la consommation locale et le « développement durable » ou le « capitalisme vert » (Combes, 2010). L’écologisme compte pour sa part plusieurs branches — écologie sociale, écologie profonde, écoféminisme, éco-anarchisme, primitivisme, antispécisme — et il est considéré comme plus radical que l’environnementalisme, puisqu’il trouve problématique que nous pensions maîtriser — et même dominer — la nature, sans comprendre que toutes les formes de vie sont interdépendantes et que l’humanité ne devrait occuper aucune place supérieure dans les écosystèmes (Larrère, 2012 : 110 ; Gandon, 2009).

Si ces deux tendances ne sont pas aisément distinguables chez les élèves qui se mobilisent pour le climat et l’environnement, des points de rencontre et des relais existent entre les tendances plus modérées et plus radicales. Un élève de Montréal s’est ainsi porté volontaire pour une action collective impliquant des arrestations, pour évaluer concrètement la pertinence de cette tactique pour la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES), lancée en partenariat en février 2020 par Pour le futur Montréal (PLF), Devoir environnement collectif (DEC) et La Planète s’invite à l’Université (LPSU). Cette organisation provinciale regroupe à la fois des jeunes du secondaire et du postsecondaire et a pour principe premier le respect de « la science et [d]es savoirs autochtones » des Premières Nations. Elle a offert des ateliers de formation dans les écoles secondaires en passant par les comités verts, proposant alors aux élèves un remue-méninges pour imaginer des actions dans leur établissement, considéré comme un milieu de « transition ». Favorisant la diversité dans la prise de parole publique, la CEVES avait trois porte-paroles pour chaque palier, l’université (Christina Lau, McGill University), le collégial (Tristan Pérez) et le secondaire (Mika Pluviose). Ce dernier a toutefois signé une lettre ouverte en août 2020, avec trois de ses camarades également racisé·e·s, pour dénoncer la « discrimination systémique au sein du mouvement environnemental mainstream », le tokenisme et le refus de plusieurs écologistes de prendre au sérieux le colonialisme et le racisme, alors que la crise climatique touche souvent plus durement des communautés autochtones, entre autres, ainsi que les femmes (Zadigue-Duné, Pluviose, Zhang et Chiu, 2020). Une position que Mika Pluviose a aussi défendue en entrevue (Labelle, 2020).

De manière plus autonome et hors des institutions formelles, des jeunes qui incarnent la posture plus conflictuelle ont rejoint les comités locaux d’Extinction Rebellion Youth (XR), une organisation qui pratique la désobéissance civile, souvent avec arrestations volontaires. Des jeunes de notre enquête ont participé à plusieurs de ces actions, par exemple le 29 novembre, lorsque des dizaines d’activistes ont manifesté dans les centres commerciaux pour dénoncer la surconsommation, y compris à Sherbrooke. Des activistes ont déroulé une bannière dans un centre commercial, bloqué l’entrée de boutiques et collé leurs mains dans des vitrines. La police a procédé à quelques arrestations (Journal de Montréal, 29 novembre 2019). Or, Extinction Rebellion peut à son tour être traversé de clivages interpersonnels et collectifs. À Montréal, les premières rencontres de la section jeunesse regroupaient une quarantaine de jeunes dans les bureaux de Greenpeace, pour discuter « de plein de trucs, de tout, c’était super agréable. Il y avait des propositions d’action, on discutait de qui serait volontaire pour se faire arrêter, etc. » Or, la fille et le garçon ayant instauré ce groupe formaient un couple dont la séparation conflictuelle a provoqué des manoeuvres d’alliance et d’opposition, malgré la présence d’un comité médiateur composé de quatre filles. La situation s’est dégradée au fil des semaines, avec son flot de cybermessages plus ou moins virulents et quelques réunions très intenses marquées par des pleurs et des cris. Ce conflit a entraîné le départ de membres du camp modéré, qui espéraient s’en tenir à un message environnementaliste plutôt ciblé, alors que le collectif mettait en lumière les liens entre la crise écologique et le colonialisme, et s’alliait aux luttes contre le racisme et la xénophobie et pour le définancement de la police, dans la foulée des mobilisations autochtones et de Black Lives Matter, par exemple sur sa page Facebook™ et lors de la manifestation mondiale pour la justice climatique du 26 septembre 2020[8].

discussion et conclusion

À notre connaissance, cette recherche est la première à proposer une analyse de la branche québécoise du mouvement de la jeunesse pour le climat. Assurément, d’autres recherches suivront, sans doute plus systématiques, mobilisant d’autres méthodes d’enquête, abordant d’autres enjeux et proposant d’autres réflexions. Très certainement, des jeunes aujourd’hui au secondaire conduiront plus tard des recherches sur leur propre mouvement. Tout ce travail permettra d’y voir plus clair quant à la composition du mouvement, ses motivations, sa signification politique, ses conséquences. Quelques constats peuvent tout de même déjà être formulés au sujet du rapport des élèves au régime électoral parlementaire, à la conflictualité politique et à l’expérience militante.

La grande majorité des universitaires menant des recherches sur la « démocratie » à l’école partagent la conviction de l’agence Élections Québec et même de l’Assemblée nationale qu’il importe d’entraîner les jeunes à voter à l’école pour que cette habitude se maintienne une fois atteinte la majorité civile. L’objectif n’est donc pas que les jeunes soient autonomes et puissent exercer un pouvoir souverain dans l’école. Ces spécialistes pourront se réjouir, car les grévistes pour le climat qui ont participé à notre recherche sont plutôt enthousiastes à la perspective de pouvoir voter aux prochaines élections. Avant les élections fédérales de 2019, par exemple, des porte-paroles de Pour le futur Montréal, Sara Montpetit et Mika Pluviose, expliquaient aux médias l’importance de manifester pour tenter d’influencer le vote (Lalonde, 2019 ; Shields, 2019). Une gréviste pour le climat nous confiait ainsi : « Tout le monde à mon école a calculé l’âge de voter. Notre vague de protestation va forcer le PLQ [Parti libéral du Québec] et la CAQ [Coalition avenir Québec] à avoir un programme écologique. […] J’ai peur qu’il ne reste pas assez de temps, c’est pour ça qu’il est important d’agir maintenant. J’ai espoir pour les prochaines élections. » Un appel au vote a d’ailleurs été lancé sur la page Facebook™ « Examen du ministère 2019 », un forum de 35 000 membres où s’exprimait la colère des jeunes contre l’exercice pédagogique consistant à rédiger une lettre ouverte de 500 mots sur le thème « Peut-on s’adapter aux changements climatiques ?  » (Shields, 2019). On ne peut toutefois savoir dès maintenant si ces jeunes voteront une fois adultes ni si leur vote aura un impact sur les programmes des partis ou sur la composition du Parlement et du gouvernement. Une jeune de 15 ans nous confiait d’ailleurs, avec une étonnante lucidité : « C’est important de voter, mais je sais qu’on évolue et que je ne sais pas quelle sera ma vision à ce moment-là », parlant du jour où elle aura atteint la majorité civile.

Il nous semble intéressant de constater que ce mouvement de la jeunesse pour le climat confirme l’hypothèse d’Adams et d’autres spécialistes de la question, à savoir que l’école est un espace politique et que des élèves s’y engagent dans des conflits significatifs ici et maintenant (et pas seulement comme une formation pour l’âge adulte). Ces luttes politiques verticales cherchent à faire pression sur le gouvernement et les partis politiques ainsi que sur la direction d’établissement, mais elles sont aussi horizontales puisqu’elles opposent des élèves pour ou contre cette mobilisation et des camps qui défendent des perspectives et des pratiques différentes, voire concurrentes.

Notre enquête a aussi permis de constater que la typologie d’Adams est trop schématique, puisque des tensions peuvent surgir entre élèves qui choisissent l’affrontement, par exemple la grève, ou qu’une même élève peut jouer à la fois sur le registre de la collaboration institutionnelle et sur celui de l’affrontement. Pour leur part, les directions sont sujettes à des rapports de force avec les élèves, mais aussi avec certains membres du corps enseignant et des parents, en plus de subir des pressions des commissions scolaires et même du gouvernement, sans oublier l’influence de l’« opinion publique » mondiale. Les directions sont fières de leurs élèves corvéables qui effectuent des tâches de nettoyage, mais cherchent le plus souvent à bloquer les initiatives qu’elles ne contrôlent pas, même quand celles-ci ne sont pas sur le mode de l’affrontement ou de la subversion.

Enfin, cette mobilisation est exceptionnelle autant par son ampleur que par son enjeu, même si la grève scolaire a une longue histoire (méconnue). Pour les jeunes, il s’agit sans conteste d’une expérience existentielle et politique très forte, comme en témoigne cette élève de 3e secondaire d’une école de Montréal :

C’est tellement puissant d’être tout le monde ensemble, ça donne le sentiment de pouvoir faire n’importe quoi, surtout tout ce monde de mon âge, des mineurs, avec les mêmes idées, le même but politique : « OK, on assume les conséquences de manquer l’école, mais c’est pas grave parce que ça, c’est plus important. » C’est vraiment beau, il y a vraiment une puissance, ça redonne de l’espoir, notre génération, c’est notre meilleur espoir. Y a juste nous qui [allons] être pris avec ça, avec ce problème. Je pense à mes petites cousines qui viennent de naître, à mes futurs enfants. Comment se fait-il que ce soit nous, des enfants qui n’ont même pas le droit de conduire de voiture, de voter, mais qui ont la responsabilité de sauver l’espèce humaine ?

Cette vague militante des élèves du secondaire touchera bientôt le mouvement étudiant postsecondaire, enfin allié aux écoles secondaires. Un participant à notre recherche qui avait atteint l’âge de la majorité civile et participait à la CEVES a ainsi constaté que

les jeunes au secondaire commencent à avoir des bases d’organisation pas mal plus fortes que nous avions, ils vont voir des alliés dans la lutte, comme Greenpeace ou La Planète s’invite à l’Université, c’est pour ça que ça marche, mais aussi parce que l’enjeu est nettement plus pressant et que cette crise va les affecter directement de plus en plus fort, bien plus qu’une hausse éventuelle de frais de scolarité. Ils sont prêts à prendre plus de risques. Ils sont aussi très bien informés, ils présentent et discutent de concepts, ils participent aux discussions lors des camps de formation de la CEVES, même si ça reste une préoccupation pour nous que ce ne soit pas des universitaires qui imposent leurs idées à des élèves du secondaire.

L’enjeu est en effet d’une importance inégalée, comme le rappelait en septembre 2019 un élève de l’École internationale du Phare, à Sherbrooke : « Comme des grandes personnes maintenant, on se doit d’assumer la 6e extinction, assumer notre autodestruction. Parce que les multinationales asservissent les régimes démocratiques à coups de lobbying, dans lesquels ni l’environnement ni les citoyens ne sont des variables » (Lessard 2019). La question n’est pas tant de savoir si le militantisme des jeunes d’aujourd’hui produira demain des adultes socialement et politiquement responsables, mais plutôt de savoir si le militantisme des jeunes leur permettra d’agir socialement et politiquement dans un monde finalement préservé. Voilà plus de 55 ans que cette catastrophe est annoncée, voici venue la génération qui a compris l’urgence d’agir, massivement. Pour bien des grévistes, cette grève pour le climat ne doit pas seulement être générale, elle doit être permanente, car il en va de leur survie même.