Corps de l’article

Après deux baccalauréats spécialisés (philosophie et arts plastiques) obtenus à l’Université Laval, François Mathieu, mieux connu pour ses oeuvres visuelles, complète une maîtrise en études québécoises à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Son livre Les cloches d’église du Québec constitue son mémoire de maîtrise. Premier ouvrage complet portant sur la campanologie québécoise, le sujet faisait appel à une recherche exhaustive pour laquelle la littérature spécifique demeure quasi-inexistante. Défi de taille pour l’auteur qui a dû glaner ses renseignements auprès d’informateurs et diverses sources autres que livresques.

L’ouvrage ayant fait l’objet d’un article en première page du journal Le Devoir, c’est avec grand enthousiasme que je me suis lancée dans sa lecture. Le texte se subdivise en quatre chapitres, précédés d’un avant-propos et d’une courte introduction. Au premier chapitre, l’auteur met la table en faisant une historiographie intéressante de la campanologie tant européenne que québécoise, des fondeurs itinérants de la Nouvelle-France aux grandes entreprises de France, d’Angleterre et d’ailleurs. Ainsi, l’auteur nous fait connaître le savoir-faire derrière l’objet. Intitulé Les cloches déglise : des objets signifiants, le deuxième chapitre poursuit sa quête de patrimoine immatériel campanaire par le biais d’anecdotes qui tiennent autant de l’histoire québécoise que de la légende. Il est bien réel que la cloche de l’église donnait l’alerte lorsqu’un feu se déclarait au village, tout comme il est peu probable que les cloches des missions, pour lesquelles le Père Labrosse avait oeuvré, aient tinté lors de son décès, et ce, sans sonneurs! Puis, Mathieu s’attaque au côté matériel en décrivant les différents styles de cloches, leurs mécanismes de sonneries et leurs attributs sonores. Par ailleurs, le chapitre 3 est consacré au patrimoine campanaire québécois. Bien que l’auteur mentionne la plus vieille cloche en terre québécoise (1666), soit la cloche de Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, celle de la paroisse Saint-François-Xavier de Batiscan (1770), ainsi que la cloche (vers 1859) conservée par les Soeurs du Bon-Pasteur oeuvrant à Rivière-du-Loup, dorénavant mise en valeur dans un parc de cette ville, l’auteur a omis de mentionner l’existence d’une doyenne importante, soit la cloche de la deuxième chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours datant de 1771. Cette cloche fêlée, réduite au silence, trône dorénavant au sommet de la chapelle aérienne du Musée Marguerite-Bourgeoys rue Saint-Paul dans le Vieux-Montréal. Bien sûr un chercheur ne peut inclure toutes ses trouvailles. Malgré tout, j’étais surprise de cette omission étant donné que les récits de Marguerite Bourgeoys sont mentionnés à deux reprises dans le texte. Cette dernière fut la première à mentionner la fonte d’une cloche en Nouvelle-France, cloche destinée à la chapelle qu’elle avait fait ériger (travaux terminés en 1678), détruite par le feu en 1768 et reconstruite en 1771. Il allait de soi qu’une cloche de la nouvelle construction survivait en quelque part, les Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame étant très attachées à leur sainte fondatrice et à l’histoire de leur communauté. Quant au chapitre 4, il se penche sur les modes de mise en valeur. Finalement, la conclusion ne tient que sur une mince page et demie. De fait, Mathieu inclut une conclusion plus exhaustive à la fin de chacun des chapitres.

Abondamment illustré, l’ouvrage, bien qu’étant le fruit d’un mémoire de maîtrise, se lit facilement. Encore que Mathieu mentionne dès le chapitre 1, à la page 35 que « [cette] recherche porte davantage sur les biens matériels que sur la liturgie […] », la principale lacune de ce livre se situe au niveau du manque de connaissances de l’auteur en ce qui a trait aux us et coutumes de l’Église catholique québécoise. En effet, quoique que très concerné en ce qui a trait à la sauvegarde des églises et surtout des cloches de notre belle province, l’auteur n’a malheureusement pas orienté ses recherches vers le monde ecclésiastique. D’entrée de jeu, dès les premières lignes de l’avant-propos, l’auteur mentionne que son parrain avait mis le prix pour que les cloches résonnent lors de son baptême. Il poursuit en écrivant « Je ne sais pas si cette attention est courante pour les baptêmes, mais ça l’est pour les funérailles ». Or, au Québec, même de nos jours, les cloches sonnent lors de toutes les cérémonies sacramentelles. De plus, il a toujours été d’usage au Québec que le parrain paie pour faire sonner les cloches lors du baptême : plus ce dernier desserrait les cordes de sa bourse, plus les cloches sonnaient longtemps. Avec la venue des baptêmes communautaires, cette coutume tend à disparaître. Toutefois, les cloches sonnent toujours après la célébration. Même constat au chapitre 2 où l’auteur escamote l’explication du silence des cloches du Jeudi Saint jusqu’à la vigile de Pâques; le récit tire du merveilleux mais le pourquoi du silence des cloches manque à l’appel.

Sans être dépourvu d’intérêt, l’ouvrage présente quelques hiatus. Par exemple, plusieurs affirmations ne sont pas supportées par des références scientifiques (Wikipedia n’est pas une source fiable scientifiquement) ou n’ont carrément pas de références. De plus, lors d’enquêtes orales, les dires de l’informateur doivent être confrontés (une réplique de la direction de l’Oratoire Saint-Joseph aux affirmations de Monsieur Claude Aubin, actuel carillonneur titulaire de l’Oratoire, aurait été de mise).

En conclusion, François Mathieu aura eu le courage de se lancer sur des chemins inexploités et son livre nous fait découvrir une nouvelle facette d’un patrimoine religieux en péril. En effet, on médiatise abondamment la sauvegarde et surtout la perte des églises, des couvents, voire des orgues. Merci Monsieur Mathieu de sonner l’alarme (sans jeu de mots!) en ce qui a trait à la sauvegarde des cloches.