Chroniques : Recherche

Identités[Notice]

  • Robert Dion

…plus d’informations

  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

On n’en a pas fini avec l’identité, personnelle et collective, dans notre Québec de la diversité culturelle et de la nation civique : c’est du moins ce que la masse de publications qui s’attachent à cette question, en sciences sociales mais aussi dans le domaine des études littéraires, nous force de constater. Depuis que le débat a pris forme, on a ainsi vu se dégager quelques paradigmes dont certains, s’il faut en croire Joseph Yvon Thériault dans Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie au Québec, se sont cristallisés en nouvelles doxas. C’est aux automatismes de la « pensée québécoise de l’Amérique » (p. 18) qu’a choisi de s’en prendre Thériault dans un ouvrage qui, en multipliant les exemples issus de la recherche littéraire, en particulier dans la première des trois parties du livre, a le mérite de montrer, après les travaux de Fernand Dumont et de Gérard Bouchard, la prégnance de la littérature dans la définition d’une référence identitaire québécoise. Ce n’est pas rien, on en conviendra, car ce n’est pas tous les jours qu’une pertinence pour la compréhension des enjeux fondamentaux de notre temps lui est reconnue de l’extérieur. Thériault n’a pas peur des thèses fortes, ni des propos tranchés : c’est assurément l’un des mérites de son riche ouvrage. Ainsi, l’américanité signifie pour lui rien de moins que « la fin de l’intentionnalité dans l’histoire au nom du réalisme continental » (p. 14) ; elle est ce qui « empêche de comprendre la singularité du déploiement d’une nation française en Amérique » (p. 15). Entre la « pensée molle » de l’américanité, de peu de conséquence — un mot à la mode, une banalité : le Québec est américain puisqu’il est en Amérique —, et la « pensée forte » selon laquelle elle serait le caractère le plus déterminant de l’identité québécoise, un ethos, une culture exigeant le consentement de tous, le sociologue de l’Université d’Ottawa se fraye un chemin à grands coups de serpe, écorchant au passage les Gérard Bouchard, Yvan Lamonde, Jean Morisset et autres thuriféraires, parfois moins voyants ou moins bruyants, de l’américanité québécoise. À ceux qui proposent d’envisager l’américanité comme nature vraie, instinctuelle d’un « être » québécois émancipé des propositions idéologiques aberrantes d’une élite décrochée du « réel » québécois et désespérément agrippée à la France, Thériault rappelle l’existence d’un legs culturel qui traverserait toute l’histoire du Canada français puis du Québec : celui d’une intentionnalité, d’un projet collectif, d’un désir d’affirmation nationale qui, depuis le milieu du xixe siècle, viserait à proposer un autre modèle de société que celui de l’Amérique anglo-saxonne. Pour Thériault, la thèse de l’américanité procède notamment d’une confusion malencontreuse entre américanité et américanisation. Malgré les tentatives d’établir une rigoureuse distinction entre les deux phénomènes, l’américanité apparaîtrait comme « le pendant culturel de l’américanisation » (p. 30), puisqu’elle se résumerait, au total, au consentement à l’intégration à la société de consommation et à l’espace économique américains sous la forme de la culture de masse et des industries culturelles (p. 71 sq.). Ainsi, sous le pavillon de l’américanité circuleraient, selon Thériault, des idées on ne peut plus disparates et discordantes, la notion désignant tantôt un « être » américain, tantôt un processus d’intégration économique et culturelle, tantôt encore un mouvement de modernisation technique conduisant à une représentation de la civilisation américaine comme machine sans sujet, pur déploiement de l’univers de la technique. Non sans avoir recours à quelques raccourcis, l’auteur en vient à identifier l’américanité au seul versant négatif d’un individualisme hypermoderne qui projette sur le passé québécois les valeurs consensuelles d’un Québec actuel inquiet …

Parties annexes