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  • Gilles Dorion

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  • Gilles Dorion
    Université Laval

L’oeuvre de Claire Martin s’est élaborée au cours de deux moments d’écriture, séparés par une longue période d’inactivité presque totale — traductions exceptées — lorsqu’elle et son mari ont décidé d’aller vivre dans le sud de la France en 1972. C’est par un recueil de nouvelles, intitulé Avec ou sans amour, que débute sa carrière, un recueil qui a aussitôt retenu l’attention des lecteurs et de la critique par le regard aigu, parfois piquant, que porte Claire Martin sur les êtres de même que par une écriture d’une pureté remarquable. Ce livre lui a mérité le Prix du Cercle du livre de France en 1958. L’écrivain y met l’accent sur les contrastes des liens amoureux, paradoxalement proches de la haine, de la vanité, de l’égoïsme, imprégnés de rouerie, de jalousie, bref de tous les avatars d’un sentiment marqué par l’ambivalence, de ce que la critique a nommé « les maladies de l’amour ». S’y ajoutent l’attente, la solitude, l’ennui, la recherche de l’être aimé et la fuite inéluctable du temps, qui laisse les traces de son passage. Trois romans ont suivi. Dans Doux-amer (1960) revient en force l’analyse de l’amour, à l’éclosion lente duquel on assiste — une jeune romancière s’éprenant de son éditeur avec qui elle vit ensuite une liaison passionnée qui prend peu à peu la routine de l’habitude pour en arriver à l’apaisement —, au vide et à la solitude à deux. Au faîte de sa gloire littéraire, Gabrielle Lubin, la romancière, succombe à un coup de foudre qui la jette dans les bras d’un journaliste-écrivain à demi raté, égoïste de surcroît, qu’elle épouse sous le coup de la passion. Le mariage fait bientôt naufrage et Gabrielle connaît une autre aventure amoureuse, jusqu’à ce que le mari soit victime d’un accident de la circulation. L’éditeur tend une main secourable à Gabrielle, l’amour est sur le point de renaître. Les mêmes thèmes que dans Avec et sans amour refont surface, mais développés d’une façon beaucoup plus approfondie : le désir et la passion, les souffrances de l’amour, l’attente, l’ennui et la solitude, la douceur et la tendresse également. Quand j’aurai payé ton visage (1962), qui épouse une structure à triple focalisation, ramène le fameux triangle amoureux, mais dans la perspective d’un milieu familial bourgeois aux valeurs traditionnelles et mesquines, où règnent les préjugés de classe et l’antisémitisme, un milieu, selon Jean Éthier-Blais, « plein d’affrontements cruels sur le plan de la vie en société ». Le troisième roman, Les morts (1970), est précédé de deux volumes de mémoires, Dans un gant de fer, sous-titré La joue gauche (1965), puis La joue droite (1967), qui connaissent un retentissement considérable et pour lesquels l’écrivain reçoit successivement le Prix de la Province de Québec en 1966, puis le Prix du Gouverneur général du Canada en 1967. Cette oeuvre documentaire inégalable sur le milieu étouffant et sclérosé du Québec de l’entre-deux-guerres, mémoires d’une enfance et d’une adolescence malheureuses, ponctuées de rares escales heureuses, constitue une dénonciation parfois féroce d’un père tyrannique, né pour la violence, des préjugés de l’époque sur la place de la femme dans la famille et la société, des « bonnes soeurs » idiotes, de leurs vexations et de leur ignorance crasse, des préjugés non moins stupides et étroits sur l’amour, bref d’une société étriquée et ultra-conformiste. Cette dénonciation parsemée d’aphorismes ironiques et d’humour noir, de sarcasme même, a contribué à ouvrir les yeux de la génération de la Révolution tranquille sur le climat qui prévalait alors au Québec. Plusieurs ont cru à un roman, tant certains faits rapportés dépassaient l’imagination. Aussi Patricia Smart, dans son article …

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