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Une « relève » culturelle et nationale[Notice]

  • Robert Dion

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  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

Dans l’imaginaire populaire, jeunesse et poésie vont, semble-t-il, de pair : les émois et épanchements poétiques auraient ainsi partie liée avec les difficultés de l’adolescence, et l’âge adulte serait précisément marqué par un « dépassement » du lyrisme, pour parler comme Milan Kundera (ou comme son interprète québécois François Ricard). Certes, les exemples sont légion de jeunes gens dont la ferveur poétique n’aura duré que l’espace de la périlleuse traversée de l’âge ingrat. Mais il y a, d’une part, de nombreux exemples de réussites éclatantes imputables à de très jeunes poètes et, d’autre part, un nombre non moins important de cas où la passion de la poésie a perduré bien au-delà du cap de la vingtaine et de ses tourments. C’est en l’occurrence ce qui s’est produit chez certains membres du petit groupe à l’origine de la fondation, en 1953, des Éditions de l’Hexagone et dont Christine Tellier, dans Jeunesse et poésie. De l’Ordre de Bon Temps aux Éditions de l’Hexagone, retrace la trajectoire et les premières réalisations . Une telle « exploration de la préhistoire et des premières années de l’Hexagone » (12) ne s’effectue pas en territoire absolument vierge. Tellier prend d’ailleurs soin de rappeler ce qu’elle doit aux travaux précurseurs de Gilles Marcotte et de Jean-Louis Major. Mais elle va plus loin, d’abord en exploitant de manière systématique les fonds d’archives (de l’Hexagone, de l’Ordre de Bon Temps [OBT], ainsi que de Gaston Miron, Ambroise Lafortune, Roger Varin, entre autres), ensuite en ayant recours à un corpus considérable d’interviews réalisées entre 1997 et 2002. Ce faisant, elle parvient à montrer comment se constitue le réseau de l’OBT — mouvement de jeunesse actif entre 1946 et 1956, voué à la promotion de loisirs culturels populaires fondés sur la participation et inspirés des traditions canadiennes-françaises — et comment, de ce premier réseau, se dégage peu à peu l’équipe de six personnes qui se soudera autour du projet d’édition du recueil des poèmes de Gaston Miron et Olivier Marchand, Deux sangs. Parallèlement, l’auteure indique par quelles ramifications l’OBT s’insère dans tout un ensemble d’organismes — Jeunesse étudiante catholique (JEC), Jeunesse ouvrière catholique (JOC), clans de routiers, et ainsi de suite — qui, de façon convergente mais non sans quelques tiraillements parfois, travaillèrent, sur une base plus concrète qu’idéologique, au renouveau culturel québécois dans le cadre de ce qui apparaît comme une sorte de pré-« Révolution tranquille ». Elle fait aussi voir à quel point l’Ordre fut une pépinière de talents pour diverses institutions culturelles des années 1950 et 1960 — radio et télévision de Radio-Canada, Office national du film, théâtres et, bien sûr, maisons d’édition . Lorsqu’ils décident de lancer une souscription pour publier les poèmes de deux des leurs, les jeunes Gilles Carle, Jean-Claude Rinfret, Gaston Miron, Olivier Marchand, Mathilde Ganzini et Louis Portugais, les six « côtés » du futur Hexagone, n’ont pas le sentiment, tant s’en faut, de participer à ce qui deviendra une percée majeure de l’édition et de la littérature québécoises. Leur position institutionnelle leur interdit absolument une telle ambition. Ils se situent en effet en marge, sinon en-dehors, du milieu littéraire, et cette situation « exotopique » se traduit dans leurs choix esthétiques : souhaitant pratiquer une poésie qui « s’inscrive dans la vie de la communauté » (26), voulant rompre avec la problématique de la solitude et de l’échec, valorisant une prise de parole collective (d’où une première publication « à quatre mains »), ils se dissocient de l’esthétique des grands aînés — Alain Grandbois, Saint-Denys Garneau, Anne Hébert —, de ces « monuments » isolés pratiquant une poésie jugée élitiste, …

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