Dossier

France DaigleChronique d’une oeuvre annoncée[Notice]

  • Jean Morency

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  • Jean Morency
    Université de Moncton

Depuis 1983, France Daigle élabore patiemment une oeuvre littéraire qui compte jusqu’à ce jour onze livres, plusieurs poèmes publiés dans des revues, ainsi que cinq pièces de théâtre inédites, qui ont toutes été créées à Moncton. La métaphore la plus juste pour exprimer l’originalité de cette oeuvre est sans doute celle de la maison en devenir. Non pas une maison solidement plantée dans le sol, comme on en voit dans les campagnes québécoises ou françaises, mais une maison en apparence fragile, au style un peu baroque et biscornu, qui n’en dégage pas moins une impression de force tranquille. France Daigle est l’architecte de cette maison qui se construit peu à peu, une architecte patiente et réfléchie, qui connaît autant la valeur du temps que le sens de l’espace. Cette image de l’architecte, on la retrouve d’ailleurs dans plusieurs de ses romans, comme si l’écriture n’était au fond que la transposition du travail de l’architecte, notamment de sa liberté de jouer avec les formes et les volumes, mais aussi de l’exigence infinie de sa démarche. Si on a pu utiliser l’expression d’un « roman à l’imparfait » pour désigner la production québécoise des années 1960, c’est plutôt celle d’un « roman au futur » qu’il faudrait mettre à profit pour qualifier la composition d’ensemble de l’oeuvre de France Daigle. Un roman au futur parce qu’au départ le roman n’y est pas donné, mais bien situé vers l’avant. C’est ainsi que les trois premiers « romans » de l’auteure, Sans jamais parler du vent (1983), Film d’amour et de dépendance (1984) et Histoire de la maison qui brûle (1985), qui forment une espèce de trilogie, nous donnent à voir la naissance du roman, avec des mots qui jaillissent sous la plume, des dialogues qui prennent forme et des personnages qui émergent progressivement de l’écriture. Si le premier livre est désigné, par son sous-titre, comme un « roman de crainte et d’espoir que la mort arrive à temps », si le deuxième est présenté comme un « chef-d’oeuvre obscur », le troisième se donne d’emblée comme une « histoire » qui campe un décor, une intrigue et des personnages. On comprend mieux alors ces phrases tirées de Sans jamais parler du vent : « Le creux d’une langue comme le creux d’une vague, parler à force de soulèvements. Se taire, parler sélectivement. Tout le temps dont dépendent sa langue et son langage. En peu de mots le pays d’où venir. Et finalement la maison y arriver, y parvenir . » Après Variations en B et K (1985) et L’été avant la mort (1986, en collaboration avec Hélène Harbec), qui lui ont permis de mieux explorer les possibilités d’une écriture en miroir ou en alternance, c’est avec La beauté de l’affaire (1991), cette « fiction autobiographique à plusieurs voix sur son rapport tortueux au langage », et surtout avec La vraie vie (1993), que France Daigle va relancer son entreprise romanesque en lui donnant une portée référentielle plus manifeste, tendance qui va d’ailleurs caractériser ses romans subséquents, 1953. Chronique d’une naissance annoncée (1995), Pas pire (1998), Un fin passage (2001) et Petites difficultés d’existence (2002). Sans délaisser la recherche formelle et stylistique qui caractérise ses premiers écrits, France Daigle va proposer à ses lecteurs des romans plus accessibles, bien ancrés dans la réalité sociale et linguistique de Dieppe et de Moncton, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, comme en témoigne la place grandissante qu’occupent, dans ses dernières oeuvres, les formes variées du français acadien et le fameux « chiac » monctonien. Cette réalité acadienne est pourtant donnée comme allant de soi, sans aucune velléité d’affirmer …

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