Chroniques : Poésie

Un classique, un terroiriste et deux sacrés lurons[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Les amateurs de curiosités littéraires et artistiques se réjouiront de la réédition du premier ouvrage en vers paru au Québec, Épîtres, satires, chansons, épigrammes et autres pièces de vers  de Michel Bibaud (1830), et du livre-album que Gaëtan Dostie et Jean-Guy Paquin consacrent à Albert Ferland , poète, illustrateur et éditeur. Les esprits plus strictement littéraires feront plutôt porter leur choix sur Jean-Aubert Loranger  et Louis Dantin  — si, bien entendu, ils n’ont pas acheté une réédition à peine moins récente : j’y reviendrai. Le sacré luron, à vrai dire, ce serait plutôt Michel Bibaud qui prend sa grosse voix et feint de fustiger les travers de ses contemporains sur un air connu, celui des Satires de Boileau. Bibaud est l’un des premiers, parmi nos écrivains, à faire de la littérature en s’appuyant sur les modèles français, comme si l’originalité n’avait pas d’importance ou mieux, comme si écrire consistait très exactement à se parer des plumes du paon. La leçon ne sera pas perdue. D’ailleurs, le romantisme n’a pas encore abordé les rives du Saint-Laurent et n’a donc pas infecté nos rares beaux esprits, avec ses exigences d’innovation. La première « Satire » commence ainsi : « Heureux qui dans ses vers sait, d’une voix tonnante,/Effrayer le méchant, le glacer d’épouvante » (25). Dans son Art poétique, Boileau, sans doute connu par coeur de tous les collégiens de l’époque, écrivait plutôt : « Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère/Passer du grave au doux, du plaisant au sévère ! » (I, 75-76). Le plagiat est patent, mais difficile à interpréter. De l’ironie s’y mêle peut-être. On pourra toujours admirer l’écart que marque notre sympathique poète local entre sa tonitruante et militante vertu et le culte de la raison et de la nuance propre à Boileau. Bibaud est un classique, certes, et il fait comme son maître l’éloge de la raison, mais il s’érige surtout en imprécateur et en prédicateur. Boileau aussi entend corriger les vices — le moralisme se porte bien, à la cour de Louis XIV —, mais il le fait avec esprit. L’esprit n’est pas le fort du Canadien. Ses écrits rappellent ceux d’un collégien, où la bonne volonté le dispute à la maladresse. Autre exemple de plagiat, là encore au début d’une « Satire », la quatrième, « Contre l’ignorance ». Bibaud va pousser la coquinerie jusqu’à mettre en italique quelques mots qu’il identifie en note comme un « hémistiche de Boileau » : Or, c’est tout le premier vers et la quasi totalité du deuxième qui reprennent le début de L’art poétique : On pourrait poursuivre longuement la chasse aux emprunts. Elle montre Bibaud soucieux de s’accaparer magiquement une inspiration qui équivaut au magistère par excellence. Se faire Boileau, c’est incarner sinon la poésie — nos deux B prétendent modestement n’être que des rimeurs —, du moins la littérature dans son exercice le plus flatteur, puisqu’il se confond avec celui de redresseur des torts de chacun. Corriger, fouetter, flageller, porter des coups, donner du bâton ou de la férule, faire main basse sur les vilains, frapper d’estoc et de taille, effrayer les méchants, ce riche lexique réaffirme sans cesse un sadisme trop excessif pour n’être pas faux. Bibaud s’amuse, sans toutefois trouver le moyen d’amuser son lecteur. Mais au moins, chaussé des bottes de Boileau, parfois de La Fontaine ou de La Bruyère, il fait quelques lieues en écriture, rimaillant et tonnant. Il ouvre ainsi une première voie à la littérature au sein de nos arpents de neige, et une tonalité composée de bonne humeur, de simplicité, de naturel perce par-ci par-là le …

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