Chroniques : Essai/Études

Le fantasme de Melville[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

Herman Melville, l’auteur de Typee et de Moby Dick, ne s’est jamais beaucoup intéressé aux espaces terrestres. Il rêvait plutôt de la démence des mers qui emporte avec elle tous les repères territoriaux. Déracinés, en quête d’une révélation surhumaine qui présiderait à leur transformation héroïque, les personnages de Melville s’abandonnent à la violence des océans et s’y réinventent. Qu’ils fréquentent les abords de l’Amérique ou les îles lointaines de la Polynésie, ils s’excusent de l’étrangeté de leur monde. Ils semblent faits pour l’utopie, mais n’en acceptent pas les conséquences. Tel est le dépassement qui préside à leur refus de la vie domestiquée, à leur vénération pour l’errance et à leur attirance pour l’extraordinaire (l’extrême, dirait-on aujourd’hui). Comme ses personnages, disloqués par la tourmente et l’ambition, Melville lui-même n’en sortira pas indemne. C’est sa figure gigantesque et maladive, « mangeant de l’espace et du temps », dans le portrait qu’en a offert Victor-Lévy Beaulieu, qui continuera d’éclairer l’histoire de la littérature, non seulement aux États-Unis, mais partout dans les banlieues excentriques du Nouveau Monde. Au Québec, nous retrouverons ses avatars chez Louis Fréchette, Honoré Beaugrand, et même Gaston Miron. Dans la présentation des trois ouvrages au menu de cette chronique, le simulacre de Melville, nous le verrons, se profile comme une référence fugitive, mais étonnamment tenace. Commençons par Victor-Lévy Beaulieu, car son intérêt pour la littérature américaine s’impose d’emblée ! C’est d’ailleurs sous l’angle du « continent à explorer » que Jacques Pelletier situe l’auteur de Monsieur Melville, dans un ouvrage collectif qui vient de paraître chez Nota bene . On se rappellera que Pelletier avait été le premier, au milieu des années quatre-vingt-dix, à consacrer une monographie à cet écrivain dont les récits et le théâtre s’imposent alors, selon lui, par leur « masse énorme » et par leur dimension « colossale, démesurée  ». Partout dans l’oeuvre de Beaulieu, la figure « archétypale, exemplaire, de l’écrivain romantique » assume la destinée baroque des individus et des collectivités en mouvement, incapables d’incarner seuls le rôle messianique qui les hante. Dans Un rêve québécois et dans La nuitte de Malcomm Hudd, par exemple, la dimension mythique de l’oeuvre romanesque relève avant tout de la luxuriance de la langue québécoise, de sa surdimension tragique, puisque c’est en elle que se rencontrent dans un combat sans merci les signes du déclin inexorable de l’histoire humaine et l’espoir de renaître, ici même, au-delà de cette impuissance congénitale. En cherchant à décrire les récits les plus marquants de l’écrivain, l’ouvrage dirigé par Pelletier entend jeter, cette fois, les jalons d’une enquête qui sera appelée à rendre compte de toutes les dimensions des oeuvres de Beaulieu. Recueil essentiellement composé de travaux d’étudiants et d’étudiantes, à l’exception du chapitre que Pelletier lui-même consacre à l’imaginaire parodique chez Beaulieu, le livre n’échappe guère malheureusement aux aléas de la publication souvent prématurée de textes trop longs et surtout terriblement digressifs. Cela dit, il faut y souligner de belles analyses, en dépit de la difficulté théorique que posait la lecture des oeuvres de Beaulieu. C’est à Michel Nareau que revient la tâche d’examiner la présence de Melville dans l’essai que, très tôt dans sa carrière (1978), Beaulieu consacre à l’auteur du grand roman Moby Dick. « Le premier à concevoir une épopée américaine » (329), Melville se présente au romancier québécois comme le précurseur d’une entreprise d’appropriation des mythes continentaux. Bien plus, substitut littéraire du père, Melville fonde l’oeuvre à venir dans un processus de filiation, « légitimant sa trajectoire et sa vision » (333). De là naîtra le personnage récurrent d’Abel Beauchemin par lequel …

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