Chroniques : Essai/Études

Utopies du dogme et de la rupture[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

Entre l’écriture et soi, telle une lueur latérale, s’impose souvent la présence d’un texte tiers qui n’a d’autre rôle que de nous montrer le chemin à suivre. Ainsi, ce soir encore, au moment de commencer à écrire cette chronique, j’ai tiré de la petite étagère de livres derrière moi La bulle d’encre , un essai de Suzanne Jacob. J’ai tourné quelques pages à la recherche d’un mot, d’une phrase, d’un point de départ. À la page 31, par hasard, le mot « discernement » s’est découpé : « un échange sur le discernement », voilà, disait l’essayiste, ce qu’il fallait faire en fin de compte. Plus loin, le même paragraphe suggérait une sorte de praxis de la lecture : « Je crois que la position qui imprime l’élan d’écrire s’élabore en tout premier lieu à l’intérieur même du travail de lecture et de synthèse que chacun effectue depuis sa naissance pour survivre. » (31) Ce besoin d’un tiers n’était donc pas, comme je l’avais cru, le signe d’une carence, mais une nécessité vitale, car il me fallait toujours chercher ailleurs, dans le souvenir des autres textes, ce dont j’avais besoin pour démarrer, pour mettre en branle cet « échange sur le discernement » qu’évoquait Suzanne Jacob. Par mes propres moyens, j’avais l’impression de ne jamais pouvoir y arriver. Comme les grammairiens, je comptais sur un embrayeur par lequel la mise en réseau des textes s’effectuerait. C’est par cette lecture tierce qu’une approche s’imposerait tout naturellement. Ce soir, par exemple, sans cette étrange dette envers le livre de Suzanne Jacob, cette chronique pour Voix et Images n’aurait sans doute pas pu commencer. Il ne s’agit pas d’un essai, bien qu’il repose sur un certain nombre de propositions théoriques. Son titre, Littérature amérindienne du Québec. Écrits de langue française, nous invite à penser que nous avons affaire à une histoire de la littérature autochtone d’expression française au Québec . Dès la préface de Robert Lalonde, nous savons que le livre du chercheur italien Maurizio Gatti s’inscrit plutôt dans une logique de la réappropriation, de la « vengeance douce » au coeur de l’Indien : « J’imaginais une grande place au soleil, des tams-tams [sic] endiablés, des voix surnaturelles qui déchiraient l’azur, psalmodiant la vérité des choses et des êtres toujours vivants. » (13) En effet, cet ouvrage consacré à un corpus littéraire dont le statut institutionnel reste encore très faible n’aurait vraisemblablement jamais pu se réclamer entièrement de l’essai, car ce mode auctorial aurait occulté la pluralité des « voix » à entendre. Il fallait d’abord répertorier les lieux de parole où s’expriment les peuples amérindiens du Québec et tenter d’intercéder en leur nom sur la place publique : « Engagés dans une quête identitaire constante qui implique inévitablement la reconnaissance par autrui, les Amérindiens ont besoin de proclamer leurs valeurs et leur indianité face au monde entier. » (32) Reconnaissant cette urgence et utilisant son « empathie pour pénétrer les réalités amérindiennes et les comprendre de l’intérieur » (41), le chercheur opte aussitôt pour le mode anthologique. Il recueille ainsi au gré de ses voyages à travers le territoire québécois un ensemble de textes divers, certains glanés dans des ouvrages déjà parus, d’autres trouvés dans les écrits personnels et intimes d’auteurs encore inédits. L’ouvrage témoigne donc d’une littérature autochtone embryonnaire, peu institutionnalisée et peu diffusée, puisque son corpus appartient largement à la sphère privée. Gatti dit avoir « pourchassé » les auteurs sur le terrain, dans les villages innus, abénakis, atikamekw, hurons et algonquins : « Compte tenu du nomadisme de plusieurs, je n’ai pu joindre toutes les …

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