Chroniques : Poésie

Lyrismes divers[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Un recueil collectif considérable de Paul-Marie Lapointe, un recueil posthume de Roland Giguère et un choix de poèmes de Rina Lasnier se proposent à notre admiration. Leurs mérites sont parfois inégaux, mais il s’agit de trois voix majeures de notre littérature. Paul-Marie Lapointe est, sans aucun doute, l’un de nos plus grands poètes. Gaston Miron, qui fut son éditeur, voyait en lui un égal. Dès 1960, il se plaisait à dire : « Lui, c’est un lyrique objectif, moi, je suis un lyrique subjectif . » Il admirait surtout, chez l’auteur d’« Arbres », le sens de l’image qui, selon lui, était la marque principale du vrai poète. Pour ma part, j’avoue être moins sensible que d’autres au lyrisme « objectif » même si les réussites de Lapointe, dans tel poème ou recueil, me remplissent d’admiration. Il y a très certainement un ton, une patte, une touche propres à Paul-Marie Lapointe, une façon inimitable de créer, par des rapprochements de mots qui lui sont propres, des évocations saisissantes, et d’un charme particulier, de la nature, de la vie sensible, de telle réalité sociale ou humaine. Les recueils qui composent Le réel absolu. Poèmes, 1948-l965  réunissent sans doute les plus remarquables contributions de leur auteur à la tradition poétique québécoise, sur fond de Révolution tranquille et d’invention à plusieurs d’un langage et d’un imaginaire nouveaux, accordés à la modernité. Voilà que paraît L’espace de vivre. Poèmes, 1968-2002  qui reprend les recueils intitulés Tableaux de l’amoureuse suivi d’Une, unique, art égyptien, voyage & autres poèmes (1974), Bouche rouge (1976) dont la diffusion était restreinte, Transfiguration d’un nô par la télévision (l978), Tombeau de René Crevel (1979), le monumental écRiturEs (1980) ici reproduit en partie seulement, Le sacre. Libro libre para Tabarnacos libres. Jeux et autres écritures (l998) et Espèces fragiles (2002). Cela fait un livre de 646 pages, qui est le complément total (ou presque) du Réel absolu. Certains des recueils qui le composent appartiennent à la veine de Lapointe qui a le plus de chance d’enchanter le lecteur et d’exercer sur lui la même fascination que les poèmes du Réel absolu. Tels sont Tableaux de l’amoureuse, Bouche rouge où l’érotisme à la fois cru et magique du poète atteint un sommet inégalé, et Espèces fragiles qui retourne à l’inspiration majeure des recueils antérieurs à 1978. À côté de cela, on trouve de drôles de monstres qui ne s’expliquent guère que par le souci du poète, légitime sans doute, d’explorer de nouvelles voies, d’exercer la liberté d’écriture la plus totale possible et de se surprendre lui-même, ou encore de se mettre à l’écoute des signes dans l’espoir de tirer quelque chose du chaos qui fait le fond de toute communication. C’est peut-être à cette nébuleuse du langage que mène la notion de lyrisme objectif : le monde sans le moi n’est plus que décombres de phrases (Tombeau de René Crevel) ou constructions verbales fondées sur l’automatisme (écRiturEs) ou quelque grande machine arbitraire pour projeter la vérité d’un peuple, à partir d’une appellation dérisoire (tabarnacos) ramenée à ses phonèmes, dans un espace touristique incongru (Le sacre ). D’un côté, donc, le Paul-Marie Lapointe « classique » (et certainement le plus révolutionnaire), qui accède au merveilleux par des moyens toujours surprenants, mais d’une belle simplicité à travers l’hermétisme qui les porte : Cet extrait d’un court poème de Tableaux de l’amoureuse, « Sombre archange », est tout de suggestion. Il ne décrit pas une scène de la nature, il crée une magie à partir de mots-choses qui, ensemble, proposent un spectacle édénique …

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