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L’impuissance de l’artiste vis-à-vis du monde le convainc qu’il est dépositaire d’une vertu immaculée. Une pièce de théâtre est le champ de bataille imaginaire où le dramaturge prend sa revanche sur la « vie réelle »[1].

Voici vingt ans, Les feluettes lançaient avec éclat la carrière de Michel Marc Bouchard auquel les critiques s’efforcèrent d’emblée de donner une place dans l’histoire de la dramaturgie québécoise, en le désignant comme l’héritier de Tremblay ou le chef de file du théâtre gay. La carrière internationale qu’ont connue plusieurs de ses pièces semblait avoir libéré la critique de cette quête de filiation comme d’affirmation, mais la réécriture de La poupée de Pélopia sous le titre Des yeux de verre [2] incite à une relecture de l’oeuvre à la lumière de ce qui pourrait bien être, si l’on en juge par la préface de l’édition, une nouvelle dimension, celle d’un théâtre d’intervention. En effet, l’auteur y explique que la réécriture d’une pièce « mal-aimée » lui a été en quelque sorte imposée moins par souci d’en effacer les maladresses du débutant qu’il était en 1985, à la création, que pour donner leur pleine dimension à des personnages auxquels il avait alors tenté de « pardonner », en l’occurrence les parents, ou qu’il avait mal écoutés, la fille victime de l’inceste paternel. Des yeux de verre ont donc été pour lui l’occasion de « montrer ce qu’[il] ne comprend […] pas » (p. 7-8), d’être, selon la citation de Tchekhov placée en exergue de l’édition, « le témoin impartial » de ses personnages. Est-ce cette fiction d’impartialité et d’écoute qui aurait incité Marie-Thérèse Fortin, la metteure en scène de 2007, à citer dans le programme un large extrait de L’ogre intérieur de Christine Olivier, un témoignage autobiographique sur l’inceste, et à s’adjoindre les services d’une psychanalyste, Jane Bauer, pour aider les comédiens à mieux interpréter les personnages ?

Le programme, faisant fond sur des statistiques [3], donne à la pièce, qui « explore les ravages causés par l’inceste mais surtout par l’impunité, le silence et la négation », même si elle n’est pas « clinique », un « enjeu », celui de « protéger l’enfant, même adulte ». L’inspiration sociale et prophylactique de cette dernière production semble cautionnée par certaines autres préfaces où le dramaturge se présente comme un contempteur de notre société et, en particulier, de sa violence. L’enjeu de Sous le regard des mouches serait ainsi de dénoncer « le spectacle du morbide [qui] s’offre à nous avec une impudeur de plus en plus insupportable ». Mais, comme le dit l’auteur lui-même, « la ligne est ténue entre la dénonciation et la valorisation » et si, dans le monde contemporain, « la noirceur part toujours avec une longueur d’avance » (p. 7), dans son oeuvre, les ténèbres du mal et son corollaire, la violence, prennent avec le temps une part de plus en plus importante.

La comparaison des deux versions de Pélopia met en évidence cette surenchère de la violence. À la dénonciation publique de l’inceste par la victime elle-même, qui trouve là sa vengeance, se substitue sa mise à mort par sa propre mère… et la découverte de son cadavre par le père incestueux qui entre en scène les mains tachées de sang. Est-ce à dire que, du mélodrame dont on l’a souvent accusé de s’inspirer, Michel Marc Bouchard serait passé au Grand Guignol, à la violence explicite qui fait florès sur la scène contemporaine et qui a déjà ses dramaturges (Sara Kane, Bond), sa controverse, celle du Festival d’Avignon 2005, et son lot de publications ? Plutôt que de le porter au compte de la mode ou de l’édification sociologique, le dénouement sanglant des Yeux de verre incite à retracer les occurrences du meurtre et des sévices corporels qui, narrés, mimés ou suggérés dans les premières pièces, puis de plus en plus explicites, dessinent un parcours propre à l’oeuvre, un autre chemin de passes-dangereuses, le chemin des violences.

Les écrits de René Girard, dont la réflexion foisonnante, complexe s’est, avec le temps (La violence et le sacré a été publié voici 35 ans) décantée [4], offrent à l’analyse de cette composante tant fictive que scénique, une approche plus globale qui permet d’élargir les points de vue sociologique ou psychologique. Ils sont d’autant plus pertinents au présent propos qu’après l’intuition issue du champ romanesque, Girard a pris le corpus tragique comme champ d’investigation et, en 1990, a consacré un essai à Shakespeare [5], un des dramaturges dont l’oeuvre survit à l’épreuve du temps parce qu’ils ont su, selon lui, mettre en scène, représenter les conflits inhérents au désir mimétique. Le théâtre serait donc un mode privilégié de représentation de cette structure anthropologique fondamentale dont la manifestation première est la violence sous toutes ses formes et l’origine est une sorte de catharsis née du spectacle du désir de l’autre. Cette homothétie structurelle entre la mimésis théâtrale et le désir mimétique permettra de prendre en compte la réception du spectateur, autrement dit le rapport anthropologique de plus en plus étroit qu’établit l’oeuvre de Michel Marc Bouchard avec la société québécoise.

Le meurtre comme recours en grâce

On ne s’étonnera pas que le meurtre soit le topos récurrent d’une production qui partage avec le genre tragique nombre de caractéristiques. Dans les premières pièces, il est évoqué par un récit rétrospectif ou suggéré par une théâtralisation. Le dénouement de La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste ne fait qu’évoquer par jeu de rôles interposés le meurtre d’Alice, la femme du héros éponyme qui, avant que le « Noir » ne marque la fin de la représentation, est décrit tenant « un couteau [qu’il] retourne contre lui » (p. 71). Le geste est suspendu, potentiel et peut être, comme le suggère Diane, la travailleuse sociale, le premier pas vers une nouvelle vie. Les feluettes mettent en scène pas moins de trois meurtres qui font l’objet d’un traitement qui en atténue la violence potentielle. Le premier, le martyre de saint Sébastien, est un acte théâtral d’amour entre compagnons d’armes, le second, un acte d’amour filial, une sorte d’euthanasie poétique : Vallier enterrant sa mère dans l’humus dont elle se nourrissait exauce ses dernières volontés. Il y a donc, dans les deux cas, une décriminalisation de l’acte qui est encore accentuée par le dénouement de la pièce cadre qui ne sacrifie pas à la loi du talion : monseigneur Bilodeau, malgré ses supplications, ne recevra pas le châtiment auquel il aspire et que lui vaudrait l’abandon délibéré de Vallier dans l’incendie du grenier allumé par Simon.

Le meurtre du père, dans Le chemin des Passes-dangereuses, qui relève lui aussi de la non-assistance à personne en danger, est l’objet d’un récit et le prétexte de toute la situation puisque l’accident délibérément provoqué par le frère aîné va en quelque sorte punir les trois frères complices, associant la victime à ses assassins. Dans Le voyage du couronnement, le meurtre est un acte de légitime défense : c’est pour protéger son frère, Sandro, des désirs du Diplomate auquel son père l’a cédé en échange d’un passeport que Hyacinthe jette celui-ci par-dessus bord. Le meurtre ici n’est que suggéré au détour d’une réplique de Sandro qui mentionne à la fin de la pièce, en passant, que le Diplomate est « tombé dans l’océan » (p. 119). Si, dans Le peintre des madones, le meurtre est présenté sur scène, il est différé puisque l’agression agira à retardement. C’est parce que Marie-des-Morts a volontairement essuyé avec un mouchoir taché du sang d’une malade la bouche du peintre que celui-ci, comme on l’apprend quelques scènes plus loin, mourra de la grippe espagnole. Là encore la réalité du crime est atténuée par la douceur du geste qui l’a suscité. En fait, avant Des yeux de verre qui donne à voir sur les mains de Maître Daniel le sang d’un meurtre hors scène, seules deux pièces, L’histoire de l’oie et Sous le regard des mouches, représentent scéniquement la mort violente d’un des personnages. La première, toutefois, s’inscrit dans un traitement métaphorique puisque l’histoire de l’oie, qui assure une partie de la narration en voix off, se substitue peu à peu à celle de l’enfant. C’est donc par une marionnette que le spectateur perçoit l’évolution au terme de laquelle l’enfant intériorise la violence des adultes jusqu’à la reproduire à son tour. Le bris du jouet familier, dont les enfants sont coutumiers, incarne, au sens propre du terme, l’intolérable trahison que sont les sévices familiaux : comme les parents de la fiction, l’auteur et le metteur en scène mettent à mal la créature à laquelle ils avaient donné naissance. Sous le regard des mouches, où le meurtre s’explique par une double dépendance [6], est la première pièce dans laquelle le spectateur peut assister « en direct » à la mort d’un personnage, comme la femme du vétérinaire aime le faire sur son écran de télévision. Le voyeurisme macabre auquel il est convié est un des motifs récurrents de la pièce comme le montre cette évocation, par la mère de Vincent, des expérimentations auxquelles se livraient les deux cousins :

« Un jour, ils ont égorgé un porc ; ils ont observé minutieusement son agonie. Ils cherchaient les secrets du grand passage. Ils se sont couverts du sang de la bête et ils ont discuté philosophie avec sa tête décapitée. Ils disaient chercher l’origine de l’âme. »

p. 26

Cette expérimentation de la mort, comme sa mise en scène, est rappelée à la scène suivante lorsque Cousin entre, portant « deux têtes de porcs décapités » (p. 27) et que, pour se présenter à Docile, la jeune femme que Vincent a ramenée à la maison après une fugue de trois jours, il lui explique le rôle des mouches dans la putréfaction des cadavres. Le nécrophile fait un cours sur les nécrophages… comme le Docteur du Peintre des madones qui, après avoir offert au personnage éponyme le coeur sanguinolent d’une « jeune fille de quinze ans heurtée par un cheval fou » (p. 41), entreprend un long monologue sur le coeur des femmes. Si les mouches investissent les cadavres, le cadavre de la femme retient dans son sexe le sexe de l’homme nécrophile qui l’a ressucitée [7]. L’exposé de Cousin comme le récit halluciné et métaphorique du Docteur sont emblématiques de la dimension organique de la mort dans la dramaturgie de M. M. Bouchard qui s’attache plus au destin du corps qu’à celui de l’âme. C’est pourquoi le meurtre, la mort sont le plus souvent relégués hors de la scène alors que les stigmates des sévices corporels, de la maladie y sont systématiquement exhibés.

Violence familiale, famille de violence

Les premières pièces, qu’il s’agisse des coups de ceinture sur le dos de Simon, le héros des Feluettes, de l’oeil au beurre noir de Shortcake dans Rock pour un faux-bourdon, du démembrement de la poupée dans La poupée de Pélopia, développent le thème des sévices paternels. Par contre, dans L’histoire de l’oie, l’auteur de l’agression qui oblige Maurice à tenir son bras en écharpe n’est plus identifié et on ne sait s’il faut n’en accuser qu’un seul des parents. De même, dans Le voyage du couronnement, la violence s’opère par délégation, car le Caïd a envoyé ses sbires écraser les mains de son fils, Hyacinthe, pour mettre un terme à sa carrière de pianiste. Avec Les muses orphelines, les agresseurs deviennent les villageois de Saint-Ludger-de-Milot qui ont défiguré et réduit au silence Luc dont le visage porte au dénouement les traces de leurs sévices.

Si Les manuscrits du déluge renouaient brièvement avec la dénonciation de la figure paternelle ou d’autorité [8], Le peintre des madones inaugure une nouvelle forme de violence, au-delà de la référence, la violence concrètement présentée sur scène. Le dramaturge semble avoir fait sienne cette affirmation d’Arthur Adamov selon laquelle pour que le théâtre advienne, que la représentation soit, il faut que

la manifestation [du] contenu coïncide littéralement, concrètement, corporellement avec le drame lui-même. Ainsi, si par exemple, le drame d’un individu consiste en une mutilation quelconque, [il n’y a] pas de meilleur moyen pour rendre dramatiquement la vérité d’une telle mutilation que de la représenter corporellement sur la scène [9].

La pièce, en effet, est tout entière centrée sur le corps, puisque c’est le corps ou sa représentation qui réunit le Docteur, le Prêtre et même un personnage symbolique, l’Ange annonciateur. Véritable coryphée de la pièce, ce dernier n’a d’angélique que son statut fictif, car son corps meurtri porte les traces indélébiles des violences qui lui furent infligées dès sa gestation par sa propre mère qui tentait d’avorter du fruit d’une brève liaison avec un « quêteux sale » qui dormait sur un banc : « Quand elle a su qu’il était dans son ventre, elle a pris ses broches à tricoter et là, il est né difforme. » (p. 91) Son corps sera supplicié tout au long de sa courte vie. Comme il l’explique lui-même : « Depuis ma naissance j’étais suspendu au-dessus de mon lit. Je prenais appui uniquement sur mes orteils et sur mon front. » (p. 33) En filigrane de ce rudimentaire appareillage orthopédique, se dessine l’image concrète du crucifix placé au-dessus des lits dans les campagnes. Mais cette violence faite au corps se prolonge dans la prière que prononce Marie-des-Morts, sa soeur, celle qui pourtant l’a naguère délivré de son supplice. Enceinte des oeuvres du Peintre et abandonnée par lui, elle en appelle à sa mère — « Inspire-moi, ma mère, et sors de moi, larve de mensonges, embryon d’espoir. » (p. 91) — et s’apprête à dénaturer la chaîne de la filiation. De même, le Docteur, qui ne manifeste aucune compassion à l’égard des souffrances de ses patients [10], reniera-t-il le serment d’Hypocrate puisque c’est avec son scalpel, avec la morphine qui lui sert à endormir les malades, qu’il « scalpera » le jeune Prêtre dont il dépèce le visage en scène…

C’est encore dans Le peintre des madones qu’une jeune fille, Marie-Paule, raconte comment elle a jeté dans la rivière les douze morceaux du cadavre d’un petit soldat canadien-anglais découpé par le Docteur pour propager la maladie dont elle est elle-même atteinte pour avoir embrassé le soldat sur la bouche (p. 78) ; qu’on voit un Prêtre (p. 81) se faire flageller en scène par une autre Marie dans un dispositif qui rappelle plus le sadomasochisme que la mortification. Cette pièce, la dernière avant Des yeux de verre, en ayant exhibé toutes sortes de pratiques sulfureuses, pourrait bien avoir libéré l’écriture de toute règle de bienséance comme de toute mission sociologique ; comme l’affirme la préface, il ne s’agissait plus de dénoncer, mais d’écouter « les chuchotements [des habitants de son village natal] sur les querelles conjugales entre Dieu et Satan » (p. 8).

Si la présence de la violence semblait consubstantielle à la production de Michel Marc Bouchard, on constate que Sous le regard des mouches met en évidence une évolution de son traitement scénique qui oblige le spectateur à un rapport de plus en plus rapproché, de plus en plus complice avec sa matérialité comme avec ses acteurs. On ne saurait expliquer ce constat par la seule perspective sociologique qui prendrait en compte l’exhibition médiatique à laquelle est désormais soumis le public et dont les pièces se feraient l’écho pour mieux en conjurer la fascination. Ce serait minimiser une autre dimension de l’oeuvre, le traitement fictionnel des intrigues comme des fables qui dénature systématiquement la donnée référentielle initiale et défie le plus souvent les lois élémentaires de la vraisemblance. Le père des Yeux de verre, pour incestueux qu’il soit, n’en est pas moins un être de fiction parce qu’il parle aux poupées qu’il fabrique comme à ses autres filles. Que dire de la famille de Soirée bénéfice pour tous ceux qui ne seront pas là en l’an 2000, fruit de l’union d’un loup et d’une femme, ou de la représentation par d’anciens détenus d’une pièce devant un évêque… on pourrait multiplier les exemples de ces infractions au réalisme qui constituent la signature du dramaturge et autorisent une autre approche du rôle de la violence dans son oeuvre. Si les analyses que consacre René Girard aux oeuvres romanesques et dramaturgiques offrent un cadre théorique pertinent à une relecture de la production de Michel Marc Bouchard, c’est parce qu’elles s’attachent d’abord au traitement de la fiction. Loin de voir dans cette dimension narrative le reflet d’une société particulière, le miroir que lui tendrait l’auteur, il y décèle plutôt la permanence d’une configuration relationnelle, d’une structure anthropologique fondamentale qui génère la violence comme les pratiques qu’au fil du temps, l’humanité a inventées pour y remédier.

Les vertus de la violence

Si cette approche anthropologique trouve un écho dans le théâtre de Michel Marc Bouchard, c’est non seulement parce qu’il est traversé des premières aux dernières pièces par la violence, mais aussi parce que ses personnages sont regroupés en communautés repliées sur elles-mêmes, sorte de microcosmes dont la métaphore la plus prégnante est bien sûr la famille. Mais il faudrait aussi rappeler le groupe d’écriture des Manuscrits du déluge dont la communauté d’âge et d’intérêts est d’emblée inscrite dans le costume (ils portent tous les mêmes bottes de caoutchouc), le microcosme que constitue les passagers d’une croisière, la métropole de trente-cinq porcheries, sans parler de la famille de lycanthropes de Soirée bénéfice ou des ex-détenus tous victimes d’une erreur judiciaire des Feluettes. Cette récurrence de la cellule se traduit dramaturgiquement par la focalisation de l’action, pour ne pas dire par une unité d’action, qui limite le nombre de personnages secondaires (trois touristes seulement à l’Hôtel Roberval des Feluettes), les relègue dans le hors scène (les bénévoles des Manuscrits) ou ne les fait figurer que dans une seule séquence scénique (le vétérinaire et sa femme dans Sous le regard des mouches). Tout est alors en place pour que se joue le sort de ces communautés dont « l’autodestruction […], l[a] (re)fondation et l[a] pérennité dépendent respectivement de ces trois principales figures : la violence indifférenciatrice, le meurtre fondateur, la violence différenciatrice [11] ».

Le premier type de violence, la violence « indifférenciatrice », prend plusieurs formes dans l’oeuvre de Michel Marc Bouchard dont la plus manifeste est le cataclysme naturel [12]. Les manuscrits du déluge, dès son titre [13], met en scène un monde sur lequel a déferlé, comme le dit l’auteur dans sa préface, « la vague dévastatrice des standardisations de l’existence, de l’oppression des diktats sociaux, de la mondialisation qui banalise les cultures spécifiques […], une mode oppressante du Young is beautiful… » (p. 9) Dans cet univers de l’indifférenciation, les personnages du troisième âge ne peuvent que confondre l’écrit et le vécu par le biais des mémoires qu’ils tentent de sauver de l’eau et de l’oubli. De même, à la fin de Soirée bénéfice, une lumière aveuglante annonce, dans la didascalie, une sorte de fin du monde à laquelle n’échapperont que les enfants Tanguay, frappés d’immortalité.

La crise mimétique est aussi au coeur des Muses orphelines qui présentent une fratrie unie et figée dans son rapport au passé, au personnage, modèle et obstacle tout à la fois, celui de la mère absente. Pour mieux imiter cette mauvaise mère qui les a abandonnés et a fui avec son amant, Catherine, l’aînée, non seulement multiplie les liaisons, mais traite avec rudesse sa petite soeur dont elle assure l’éducation. C’est contre cette image que Martine, la soeur homosexuelle, porte, comme son père, engagé volontaire pour fuir le scandale de l’adultère et mort au front en Europe, l’uniforme des Forces armées canadiennes. Quant à Luc, le seul garçon de la famille, il s’habille des robes qu’a offertes à sa mère son amant espagnol. À la mimésis scénique au cours de laquelle les enfants rejouent la scène du scandale de la veillée pascale qui a dressé tout le village de Saint-Ludger-de-Milot contre la femme adultère et son amant, succède la violence contre le fils qui, dans un geste d’autodestruction, est allé rejouer « en vrai », mais hors scène, la provocation maternelle et qui revient le visage tuméfié. On ne comprend l’ironie amère du titre de la pièce qu’au dénouement quand la benjamine qui joue, elle aussi, sa mère, mais une mère réinventée, bienveillante et attentive, annonce que l’enfant qu’elle porte, « […] c’est une muse. C’est lui qui l’a inspirée à faire tout cela. Isabelle a préféré se venger sur vous, pas sur sa muse… » (p. 81) C’est lui qui va lui inspirer cette autre phrase, qui est celle de la différenciation et de la refondation : « Ce qui est beau dans une famille, c’est de savoir la quitter. » (p. 81) [14]

Cette régénération de la famille par la différenciation qui met un terme au cycle de la violence que perpétuent, chacun à sa façon, le fils par la provocation, l’aînée en jouant la marâtre et la cadette par le maniement des armes, trouve un écho inverse dans Des yeux de verre où la fille de maître Daniel, Estelle, revient dans sa famille pour être la muse de son père : « Dois-je comprendre que je suis maintenant votre muse ? » (p. 27) est une des premières questions/provocations qu’elle adresse à son père alors qu’elle peut encore croire que celui-ci n’a pas reconnu en Mme Pélopia, la cliente, Estelle, la fille qu’il a violée voici quinze ans. Ce retour qui se voulait une vengeance, une vengeance effective dans la première version, devient une reprise du rituel fétichiste qui les unissait. Tout sera rejoué : elle lui servira de modèle, il retrouvera grâce à elle l’inspiration créatrice qu’il a perdue au fil des années ; elle se dévêtira, lui offrira son corps comme modèle. Le mimétisme est ici double : mimétisme du corps de la poupée, image du corps de la fille, mais aussi mimétisme de la soeur Brigitte qui tente de reproduire ou sa soeur ou sa mère pour devenir elle aussi la muse, l’amante de son père. La crise est à son paroxysme et ne s’achèvera que par un dénouement inattendu : le meurtre de la fille par la mère. On peut choisir d’expliquer ce geste par la volonté de protéger sa famille, mais c’est oublier que ce meurtre va, « en réalité », tout détruire [15]. Judith, la mère, a donc sacrifié sa fille pour rétablir l’ordre familial et, dans le cadre de la représentation, elle y est parvenue. Elle a mis un terme à la crise mimétique par un sacrifice humain qui n’est pas sans rappeler celui d’Iphigénie ou d’Abraham, figure biblique prégnante du Voyage du couronnement. Dans La poupée de Pélopia, où c’était le père qui démembrait la poupée de la fille modèle (p. 47-48), le sacrifice réalisé par le biais d’un objet symbolique s’apparentait plus à une forme de ritualisation. La violence était alors désamorcée par le simulacre, l’accessoire théâtral, comme dans L’histoire de l’oie où la marionnette joue également le rôle de victime sacrificielle, pour reprendre l’expression de Girard [16].

Mais, parce qu’il s’agit de théâtre, le rituel s’explique moins par les motivations psychologiques du personnage ou ses effets sur son destin, que par l’effet qu’il provoque sur le public, qu’il soit consciemment recherché ou non par l’auteur. Sans prétendre reformuler la dynamique qui préside à la réception, qu’à d’autres époques, on nomma comme chacun sait catharsis, on peut cependant émettre l’hypothèse que le désir mimétique anthropologique trouve dans la mimésis théâtrale une sorte d’équivalent, de « doublet » qui se manifeste dans l’identification du spectateur au personnage. Ainsi, dans L’histoire de l’oie comme dans La poupée de Pélopia, le rituel donnait à voir la violence pour mieux en libérer le spectateur. Rien dans L’histoire de l’oie ne permet de faire du crime de Maurice, le jeune héros, un acte de soumission à l’autorité parentale ; par contre, il est présenté à plusieurs reprises comme un sacrifice offert à la colère du Dieu vengeur, Bulamutumumo. Le sacrifice participe d’un rituel apotropaïque, un rituel qui écarte le mal, prophylactique, pour en finir avec la violence. Reproduire pour en finir sont aussi les termes clés de la crise mimétique décrite par Girard.

La représentation théâtrale devient alors, comme le rite, « la répétition » (ou la reproduction) « d’un premier lynchage spontané » qui incite « à un retour à l’ordre dans la communauté » (ici le public) « parce qu’il a fait (ou refait) contre la victime émissaire, et autour d’elle, l’unité perdue dans la violence réciproque [17] ». Il s’agit bien alors d’une sorte de purgation qui inspire moins la compassion à l’égard du personnage humain, moins la pitié à l’égard de ce qui n’est après tout qu’une marionnette, que la crainte de l’engrenage d’une violence sans visage dont ont été victimes hors scène, l’enfant ou, par objet scénique interposé, la fille, l’animal et, par extension, dont pourraient, hors théâtre, avoir été tenus responsables (comme témoins complices ou acteurs) les spectateurs adultes représentés par Maurice. Dans ce sens, le dénouement des Yeux de verre peut paraître plus convenu parce qu’il n’est que faiblement théâtralisé (il se déroule hors scène) ou ritualisé (il ne participe d’aucune fétichisation) ; par ailleurs, on peut assumer que peu de spectateurs pourront s’identifier à un dénouement in extremis que l’excès de violence et le traitement sommaire confinent à l’anecdote.

Les feluettes mettent en scène deux désirs mimétiques : le premier s’inscrit dans le topos du martyre passionnel. C’est en jouant la pièce de d’Annunzio, puis en reprenant ses dialogues comme une sorte de langage codé de l’amour que s’épanouit la relation entre Simon et Vallier, ou plutôt que Simon s’autorise cette relation. Réticent dans les premiers tableaux à répondre à l’amour de Vallier, il lui déclarera publiquement sa passion en lui donnant la réplique au cours de la représentation d’une scène sur la terrasse de l’hôtel où l’on célèbre ses fiançailles avec Lydie-Anne. Dans la perspective de la représentation, c’est par ce truchement mimétique, par cette caution esthétique que l’amour homosexuel est en quelque sorte légitimé. Mais de façon significative, le dénouement joue la condamnation de cette modalité en refusant d’accéder au désir de sacrifice de Bilodeau qui s’est doublement mis à nu devant ses accusateurs/archers [18].

Là encore, la mise en scène de la vengeance potentielle, possible, légitime, vise moins le personnage que le public. C’est le cycle pervers du désir mimétique qui s’exhibe dans les supplications du prêtre dont la paradoxale condamnation ne sanctionne pas son action, le meurtre par non-assistance à personne en danger, mais donne plutôt à voir l’échec de la morale catholique, de l’ordre religieux à juger et, plus encore, à combattre le désir passionnel. Là encore la victime émissaire, Vallier, soude le groupe des détenus qui ne le venge pas, qui met un terme à la violence mimétique en refusant à Bilodeau d’être l’agent de sa reproduction, de sa répétition. Autrement dit et comme dans l’analyse que fait Girard de Roméo et Juliette, le point focal de la pièce n’est pas, comme on a l’habitude de le décrire, la passion romantique du couple Vallier-Simon, mais le jugement critique que porte l’auteur sur la règle morale qui a prévalu au Québec pendant près de deux siècles et qui, loin de lui servir de rempart, est à l’origine de la violence.

C’est cette règle qui est triplement bafouée dans Les feluettes, en la personne du père Saint-Michel qui, chaque année, sous prétexte de représenter des épisodes de la Légende dorée, dénature la vie des saints qu’elle retrace pour satisfaire ses penchants pédophiles. C’est lui qui exploite le mimétisme théâtral qui suscite à son tour le cycle de la violence mis en scène par la pièce. La règle est également bafouée par le père de Vallier, le Comte de Tilly qui abandonne sa femme au nom de la cause royaliste et de la lutte contre les lois Combes, qui imposent la séparation de l’Église et de l’État, mais qui est devenu maire d’une commune et père de deux filles. À la trahison de la cause au nom du mimétisme politique, s’ajoute la fin de la lignée légitime des comtes de Tilly. Monseigneur Bilodeau auquel tout le spectacle est destiné, faut-il le rappeler, est donc la vraie cible de la pièce, comme l’est Claudius dans Hamlet. Comme Hamlet, le Vieux Simon épargnera l’assassin, moins par mansuétude que par la volonté du dramaturge de donner à voir la déchéance de la morale qu’il prétendait incarner.

Le rituel de la violence

C’est une démonstration encore plus explicite que dresse Le peintre des madones, sans doute la pièce la plus violente de toute la production du dramaturge qui fait ici un retour aux sources puisque l’action se déroule dans son village d’origine, Saint-Coeur-de-Marie, « encore si récemment médiéval » (p. 7). Une des scènes de la pièce prend au pied de la lettre la toponymie, qui montre un personnage exhibant un coeur réel arraché à la poitrine d’une jeune fille, elle aussi, vierge. Autour de l’icône, la fresque de la Vierge que le jeune Prêtre sans nom veut faire peindre pour, autre rituel apotropaïque, protéger le village de l’épidémie de grippe espagnole et qu’un Docteur, lui aussi sans nom, subventionne, se constitue un quatuor de jeunes filles dont le prénom commence par Marie. Ce dispositif onomastique rappelle les Élisabeth du Voyage du couronnement, gagnantes d’un concours pour assister au couronnement de la reine du même nom. Les Marie sont toutes inspirées par le désir doublement mimétique d’être la Marie du tableau, le modèle et la maîtresse du Peintre dont elles répètent avec délectation le prénom, le seul indice onomastique attaché à un personnage masculin, Alessandro… Les deux personnages sans patronyme sont des archétypes assez clairs : le Docteur au savoir dénaturé, sadique, est la figure satanique qui s’oppose au Prêtre mystique. Dans un ailleurs que seule la représentation concrétise, l’Ange annonciateur/narrateur est le rhapsode d’un paratexte didascalique qui, au dénouement, explicite la dimension mythique pour ne pas dire anthropologique de la fiction :

Et c’est ainsi que dans ce village, de génération en génération, on réinventa […] l’histoire de ce triptyque […]. Les personnages parlaient une langue biblique. […] Tous les mots de cette foi où l’amour n’est que péché […] où l’enfer est le salaire de l’existence. Et, de conteurs en conteurs, d’oblats en diacres, ils rendirent l’histoire encore plus diabolique qu’elle ne l’était vraiment. Ce fut leur façon de défier la peur et la mort.

p. 99

La composition finale du triptyque est une mise en abyme de la fiction de la pièce puisqu’on y retrouve, de part et d’autre de la Vierge, trois des quatre Marie avec leur attribut respectif : le drap de Marie-Louise, les lèvres tachées de sang de Marie-Paule contaminée par le baiser du jeune soldat anglais, et un « diable à tête de chien » entre les jambes de Marie-des-Morts, évocation de l’avortement de sa mère qu’elle imitera sans doute pour se délivrer du fruit de sa liaison avec le Peintre. La Vierge, quant à elle, est ceinturée du fouet avec lequel Marie-Anne flagellait le Prêtre qui lui prête son visage, ou plutôt la peau de son visage scalpé par le Docteur qui en a fait cadeau au Peintre. Là encore, mais peut-être plus qu’ailleurs dans l’oeuvre, la violence et le sacré se conjuguent dans un mimétisme que décrit Girard à propos de la violence fondatrice, de la métamorphose du maléfique en bénéfique [19].

Comme dans « la pratique chamanique [qui] ressemble à une représentation théâtrale », dans laquelle le chaman « exhibe un quelconque débris qu’il prétend extrait du corps malade et qu’il déclare responsable de la maladie [20] », Le peintre des madones joue la transformation d’un triptyque saint-sulpicien avec séraphin, voile et lys, en un triptyque maléfique qui, dans la fiction, servira à écarter la grippe espagnole du village. Mais au niveau de la représentation, le corps malade est d’abord celui du représentant de l’Église et c’est le Docteur le chaman paradoxal qui a « réifi[é] la violence [21] » en découpant les cadavres, arrachant les coeurs et dépeçant les visages. La grippe espagnole n’a pas été combattue avec les armes de la science médicale, mais par un rite qui, pour reprendre les termes de Girard, va du katharma (l’objet maléfique rejeté au cours d’opérations rituelles) à la katharsis au sens médical et théâtral du terme… L’objet maléfique est ici le triptyque, c’est-à-dire un objet du culte catholique au centre duquel figure le coeur « emprisonné dans une couronne de fer », une couronne « serrée autour du coeur sacré de la Vierge » que le Docteur décrit comme « le fer qui […] empêche de battre » (p. 43) le coeur des femmes qui retiennent en leur corps le sexe des hommes. C’est là un message complexe que ne soutient aucune intrigue de surface crédible, comme celle d’un couple d’amoureux dans Les feluettes. La pièce a pu être interprétée comme une autre manifestation de l’esthétique homosexuelle, où se conjuguent quelques fantasmes misogynes et sadomasochistes, faisant oublier la dimension proprement mythique de son dispositif, sorte de jugement dernier, d’apocalypse du culte marial.

L’appel de la race

On pourrait rapprocher de cette mise à mal de l’icône mariale le sort réservé à la mère de Soirée bénéfice pour tous ceux qui ne seront pas là en l’an 2000, pièce inédite dont le présent dossier reproduit un extrait. La dimension anthropologique et mythique de la fable est patente qui réunit sur le bord d’une route, en pleine forêt, une famille de marchands de fourrure ou plutôt une meute de lycanthropes immortels issus des amours de la mère et d’un loup. La légende originelle est, comme dans le reste de l’oeuvre, scéniquement représentée puisque le manteau que porte la mère est la peau même du père. Au dénouement, les fils mettront à mort la mère alors que le deuxième millénaire s’annonce avec son lot de catastrophes écologiques : guerre de l’eau, trafic d’organes, cancer de la peau et forêt réduite à un mince paravent le long de la route. Le propos polémique et critique est là aussi manifeste et, comme dans les pièces ultérieures, repose sur la mise en scène d’un mimétisme, ici consubstantiel à la nature hybride des personnages. Comme ils sont immortels, ils doivent chercher en dehors de la meute la victime émissaire par laquelle ils croient résoudre leur indifférenciation. Ils exécutent donc la mère qui les invitait à une sorte d’inceste collectif…

Cette pièce concentre tous les traits relatifs à la violence présents dans le reste de l’oeuvre : la cellule familiale emblématique, comme lieu de l’indifférenciation et de la violence, la figure du père, que la métaphore du loup désigne à la fois comme prédateur et comme chef de meute. Dans le paradigme du prédateur s’inscrit à l’évidence le Caïd du Voyage du couronnement, mais aussi le père du Chemin des Passes-dangereuses, dont le lyrisme alcoolisé étouffe la vie de ses fils, ou le maître Daniel des Yeux de verre, créateur solitaire qui vampirise le corps de sa fille avant que de le violenter. Mais cette métaphore montre aussi la valorisation implicite du père dont la violence est moins prégnante dans la fable que ne l’est le rôle symbolique. Certes, le Caïd est condamné à revenir à son point de départ, mais les fils des Passes-dangereuses viennent mourir au lieu même où ils ont laissé leur père se noyer, et ce ne sera pas maître Daniel le plus coupable de la famille. La violence se cristallise plutôt autour des figures féminines, comme le montre encore Sous le regard des mouches, où la mère de Vincent a, la première, injecté à sa soeur, la mère de Cousin, de la morphine pour mettre fin à ses souffrances, et bien sûr, comme le confirme le dénouement des Yeux de verre.

Au-delà d’une quelconque misogynie, l’oeuvre attribue à la mère la violence mimétique, ce qui est étranger aux thèmes du théâtre sociologique où l’inceste et les sévices familiaux sont traditionnellement le fait des hommes. Cette critique du matriarcat est implicitement assumée par le dramaturge dans le titre du Peintre des madones qui, en une mise en abyme de la signature qui s’ajoute au dispositif onomastique de toute la pièce, pourrait bien désigner un auteur qui peint les madones pour ce qu’elles sont vraiment : des avorteuses, des empoisonneuses, des agentes de la mort plutôt que des porteuses de vie.

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Dans cette perspective, le théâtre de Michel Marc Bouchard serait moins le théâtre de l’intervention sociologique que le théâtre de l’inversion des mythes fondateurs, des valeurs catholiques qui, pour servir à une autre « revanche des berceaux », ont été transmises par les mères québécoises à leurs filles. Sous l’intrigue de surface qui sacrifie à la victimisation contemporaine, pourrait se jouer, en fait, une remise en question de « l’ordre culturel [22] ». Dans cet univers scénique, doublement mimétique, où le modèle du père n’a plus force de loi, la médiation passe désormais par la figure maternelle, icône mariale dont la représentation devient l’enjeu de toute une communauté représentée par un quatuor de vierges homonymes, rivales et criminelles ; ou mère coupable qui assure, dans tous les sens du terme, l’économie domestique d’une famille ne comptant que des filles. Si c’est, selon Girard, la faiblesse de l’ordre social qui exacerbe la violence mimétique [23], c’est pour la dénoncer que les deux dernières pièces de Michel Marc Bouchard intensifient la violence des conflits sur lesquels elles se fondent. Cette exacerbation que signale le remaniement du dénouement de La poupée de Pélopia peut se lire dans l’évolution du traitement des figures maternelles dans l’oeuvre tout entière. Échappant à la relégation de l’absence, théâtralisée dans le jeu de rôles de Chrysippe ou le travesti des Feluettes, à la mise en accusation des Muses comme à la condamnation de Soirée bénéfice (préfigurée par la mise en terre symbolique de La Comtesse des Feluettes), les victimes de naguère sont devenues criminelles. C’est leur violence meurtrière, plus que la contre-nature du désir d’enfant de Chrysippe, qui défie les lois de la vraisemblance et condamne paradoxalement la sacralisation du rôle que la société, la religion accordent à la maternité.

« Aucune interprétation axée sur le héros lui-même, conçu comme un personnage individuel et splendidement unique — toujours un régal de plus pour nos psychologues et psychanalystes —, ne saurait rendre justice à ce qui fait la substance de cette pièce [24] », écrit Girard à propos du Roi Lear. Cette phrase pourrait bien être appliquée au théâtre de Michel Marc Bouchard sur la scène duquel se joue moins des histoires de famille que la critique d’un corps social menacé par la violence de l’indifférenciation.