Chroniques : Roman

Le personnage de roman. Parole, corps ou allégorie ?[Notice]

  • Frances Fortier

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  • Frances Fortier
    Université du Québec à Rimouski

La cause est entendue depuis belle lurette : le personnage, quand bien même il relèverait d’une ambition mimétique, est un être de papier, sans autre épaisseur que celle des signes qui le désignent ou le font advenir. Comment, dès lors, en faire malgré tout le support d’une histoire, le vecteur d’une anecdote ou l’enjeu d’une quête ? En marge des romans qui l’ont carrément dissous dans un entrelacs intertextuel, qui en font un maëlstrom de passions sémiotisées ou, à l’inverse, le figent dans une posture hiératique à la façon de l’écriture minimaliste, des romanciers persistent à croire au personnage. Héritiers métissés du soupçon et de la captatio illusionis, ils tentent d’en contourner les apories en le saisissant autrement : trois fictions au JE mais qui font la part belle au personnage, un roman anthropologique, un polar ludique et un récit de voyage, illustrent ici des façons plus ou moins inédites de cerner le personnage, insistant sur ses costumes, sur sa peau, sur son appartenance culturelle. La structure agonique du quatuor où chacun des personnages occupe le pôle inverse de l’autre, le vieux et le jeune, le beau et le laid, le silencieux et le beau parleur, le sédentaire et le nomade, le bon mari et la marginale, loin de servir une logique oppositionnelle, permet plutôt la complémentarité des points de vue. « Ç’aurait pu être cacophonique ! C’était polyphonique » prévenait déjà l’exergue, extraite de Villes pour un sociologue d’Alain Méda . S’élabore ainsi une image renforcée de Port-Alfred comme lieu d’échanges cosmopolites, où transitent les macalous qui font rêver d’ailleurs, qu’ils viennent d’Europe, d’Asie ou d’Amérique, tel cet inoubliable amant Brésilien, Miguel, qui hante toujours les rêves de la Lili de Port-Alfred, connue de tous les marins. Cette image se voit réfractée et renforcée par les propos du narrateur, qui superpose les espaces au gré de ses réminiscences, se mettant en scène dans une chambre similaire « à Moscou au sixième étage d’une tour de RGGU » (99), dans « un quartier populaire et périphérique d’Érévan en Arménie » (16) ou à « la terrasse d’un bar branché de la Tverskaïa » (149). À la fois ici et ailleurs, dans le passé et le présent, les personnages de Port-Alfred Plaza affichent en outre bien haut leur statut de prolétaire qui accentue, selon le parti-pris anthropologique du narrateur, la valeur de leur témoignage. La hiérarchie des personnages ainsi instaurée permet de jouer de la frontière entre réalité et fiction, comme si le quatuor avait en quelque sorte un surplus de réalité attesté par les transcriptions, l’oralité s’opposant alors à l’écriture comme gage d’authenticité. D’autres clins d’oeil viennent confirmer cette déconstruction du personnage, telles ces pseudo-métalepses qui font que le narrateur rencontre ses personnages pour leur demander l’autorisation de les faire figurer dans son roman, que la femme de chambre Johanna devient à la fois un personnage du roman, l’interlocutrice du narrateur tout autant que sa lectrice ou que le narrateur lui-même deviendra acteur d’un scénario tourné avec ladite Johanna. Ces jeux de miroir se doublent d’allusions fines, qui font se diluer les personnages, l’écrivain ressemblant à chacun d’eux par l’un ou l’autre aspect. Mais c’est sans conteste dans le motif réitéré du vêtement déchiré que se lit le mieux cette sémiologie du personnage mise à mal. Ce fantasme s’illustre de mille manières, dans le détail de l’uniforme de Johanna (23), dans les souvenirs érotiques de Jean-Claude (115), dans les vêtements de la poupée qu’on brûle (161), dans la chemise devenue doudou de la grande soeur et que la mère découpe (75), dans les uniformes de collégiennes qu’on fait …

Parties annexes