Chroniques : Roman

Les ressorts diégétiques du livre ou le livre comme prétexte[Notice]

  • Frances Fortier

…plus d’informations

  • Frances Fortier
    Université du Québec à Rimouski

Une maison d’édition, un clavier d’ordinateur, un Palais des livres, et voilà que le roman déporte l’interrogation du livre, au coeur de la modernité littéraire, du côté de la matérialité de l’objet. À mille lieues des impasses narratives démultipliées par l’abyme, trois fictions prennent prétexte du livre — qu’il soit inexistant car inventé, en train de s’écrire puis de disparaître sous nos yeux ou reproduit en artefact — pour construire des récits hybrides, mixtes de rebondissements diégétiques, de réflexions sur la littérature et de plongées dans l’imaginaire. En mode ludique, sans prétention affichée autre que celle d’une fluidité de la narration, ces romans, qu’ils sollicitent en filigrane le polar, le merveilleux ou le jeu vidéo, inscrivent de diverses manières, à même les dispositifs romanesques, la représentation du lecteur et de la lecture, indexant du coup, mais sans appuyer, la dimension pragmatique de l’acte littéraire. Tout le bonheur du récit de Samson réside dans une langue absolument maîtrisée, qui sait conjuguer l’acerbe et le jubilatoire, donner à voir tout en donnant à lire : La figure du livre, omniprésente, structure autant le décor de l’histoire que les enjeux de l’écriture, pastillée d’allusions à des auteurs québécois, de clins d’oeil à des canevas narratifs préformatés ou à des signatures contemporaines, comme ce trente-quatrième et dernier chapitre qui n’est pas sans évoquer l’American Psycho de Bret Easton Ellis . Vient s’y ajouter une critique virulente de la médiocrité culturelle ambiante, qui dénonce tous les engouements, tant l’autofiction onaniste au « pathos déniché au Dollarama du coin » (52) que « les becketteux, les sarrautiques, les robes grillées qui ne font pas dans la fantaisie et les festivals juste pourris » (133), avec une férocité accrue à l’endroit des organismes subventionnaires : La verve caustique du personnage de l’éditeur n’épargne rien ni personne, égratignant au passage les chercheurs universitaires, les journalistes-vedettes, l’Énaurme Bibliothèque (102) et le Québec Post-Aquin (53), en un délire ininterrompu qui se nourrit de tout ce qui grenouille autour de la machine culturelle. La scénographie de Nous autres ça compte pas, de François Blais , pour convenue qu’elle puisse paraître de prime abord, finira par surprendre. Un personnage masculin, attelé à son clavier d’ordinateur, écrit un roman, plutôt une sorte de « journal de bord de notre ermitage » (20) : jailli de nulle part et sous prétexte d’offrir ses condoléances pour le décès de la tante dudit écrivain — tante qui n’est pas encore morte — apparaîtra un visiteur « passablement âgé, bien vêtu, et affichant un air grave » (11) et qui demande à le regarder écrire. Ce spectateur de l’acte d’écrire, qui se transformera à la toute fin en lecteur, avant de disparaître, rythmera de sa présence le déroulement du texte en revenant jour après jour pour assister à la scène, reprochant à l’occasion à l’écrivain de ne pas écrire de manière spectaculaire, à la façon d’un Kerouac « qui rédigeait ses ouvrages au crayon sur de grands rouleaux de papier, assis à l’arrière d’une automobile fonçant à tombeau ouvert dans la nuit » (36) ou d’un Hemingway « tapant frénétiquement sur une pittoresque Remington, fumant un cigare sur une plage cubaine ou sirotant une absinthe dans un café parisien » (36). Cet énigmatique visiteur, sorte de Lecteur Idéal (81) tant qu’il demeure coi, se muera en critique féroce, reprochant à l’écrivain « ces blocs erratiques de banalité » (175) auxquels il ne reconnaît aucune signification. Et le lecteur, le vrai, de se dire qu’il n’a pas tout à fait tort… Un « Avant-propos » prenait pourtant figure de mise en garde : En bout de …

Parties annexes