Chroniques : Roman

Le choeur de l’intimité[Notice]

  • Martine-Emmanuelle Lapointe

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  • Martine-Emmanuelle Lapointe
    Université de Montréal

La trame de L’énigme du retour , prix Médicis 2009, peut paraître bien banale. Un écrivain haïtien en exil à Montréal depuis plus de trente ans, alter ego de son créateur Dany Laferrière, apprend la mort de son père qui vivait à New York. Abandonnant subitement sa routine et son confort montréalais, il décide de retourner au pays natal. L’itinéraire que décrit le roman rappelle ainsi les intrigues de nombreux récits parus récemment en France et au Québec, et dont les figures centrales sont des parents absents ou perdus, des aïeux spectraux et des héritiers inquiets. Tropisme d’époque sans doute… Méditant sur son histoire intime, le personnage du roman contemporain n’en finit plus de retracer ses origines et de recomposer sa généalogie familiale, comme s’il lui fallait tenter de s’enraciner quelque part. Mais le sol se dérobe, l’arbre généalogique se défait et l’histoire ne cesse d’échapper à celui qui espérait en rapailler les épisodes épars. Dès l’incipit de son roman, Laferrière témoigne de sa maîtrise exceptionnelle de l’art du récit. Oscillant entre les vers libres — inspirés du haïku — et la prose, il nous plonge dans les premiers moments d’un deuil, tout juste après l’« appel téléphonique fatal/que tout homme d’âge mûr/reçoit un jour » (13). Le réflexe du narrateur est de prendre la route « sans destination », de suivre le fleuve gelé jusqu’au bout, là où vit « un barbu plein de fureurs et de douceurs/au milieu d’une meute de chiens,/[qui] tente d’écrire le grand roman américain […]/le seul, aujourd’hui, qui sache/danser avec les fantômes, les fous et les morts » (17). Il s’arrête à Trois-Pistoles, mais ne trouve pas « le maître de maison » (18). Lors de ce premier voyage, il s’agit de traverser les étendues enneigées, d’y dessiner une boucle avant de revenir à Montréal pour se préparer au véritable départ. Perdu dans le blanc du paysage, le narrateur s’efface et se laisse envahir par les voix que lui transmet la radio et par les silences de la campagne. Ces moments voués à l’oubli de soi annoncent la suite d’un récit tissé de rencontres et de hasards. S’il commence à Montréal, le roman se termine à Baradères, le patelin du père. Encore une fois, l’auteur dessine une boucle, relie l’exil et le retour au point de les confondre : « Ce n’est plus l’hiver./Ce n’est plus l’été./Ce n’est plus le Nord./Ce n’est plus le Sud./La vie sphérique, enfin. » (285) Le temps est suspendu, comme en ces heures de fièvre que traverse le narrateur vers la fin de son récit. Sans commencement ni fin, sans origine ni destination, il ne cherche plus à s’inscrire en un lieu mais bien à se laisser envahir par l’instant, à se perdre « dans la gueule du temps » (286). Je disais que l’intrigue de ce roman pouvait paraître bien banale. Ce n’est pas tant par son propos que le roman de Laferrière a su séduire la critique et le lectorat, mais plutôt par son ton, son rythme et sa modestie. Grave sans être tragique, méditatif sans sombrer dans la mélancolie et le regret, contemplatif surtout, Laferrière se tient bien loin du pathos et du cynisme. Il nous offre au contraire un livre dominé par l’empathie, assez serein, dans lequel la notion d’accompagnement acquiert une réelle importance. Accompagné, le narrateur l’est, par les spectres de ses aïeux, par ses proches, par les amis et les connaissances qu’il croise au hasard de son parcours, mais aussi par les écrivains qu’il a lus et médités. Jamais ses références ne semblent plaquées ou ostentatoires. Le narrateur n’a rien à faire de …

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