Dossier

La guerre dans la littérature québécoise[Notice]

  • Michel Biron et
  • Olivier Parenteau

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  • Michel Biron
    Université McGill

  • Olivier Parenteau
    Cégep de Saint-Laurent

Les rapports entre la guerre et la littérature québécoise n’ont été traités jusqu’ici par la critique que de façon indirecte. On s’est beaucoup intéressé, par exemple, au boom éditorial consécutif à la capitulation de la France en mai 1940 et aux deux crises de la conscription (1917 et 1942), qui sont des dates clés de l’histoire littéraire du Québec. Mais qu’en est-il des textes eux-mêmes ? Comment la guerre est-elle représentée dans les romans, les poèmes, les pièces de théâtre ou les essais ? La question peut sembler piégée dans la mesure où les différentes manières de raconter, de penser ou d’imaginer la guerre ne sont nullement spécifiques au corpus québécois et, par là, ouvrent le grand récit national à un contexte transnational. Or c’est là justement leur intérêt, nous semble-t-il : l’imaginaire de la guerre tend à déterritorialiser la littérature québécoise. Mis à part les rébellions de 1837-1838 qui deviennent le symbole de ce qu’Hubert Aquin appellera « l’art de la défaite  », mis à part aussi quelques vieux poèmes patriotiques comme Le drapeau de Carillon  d’Octave Crémazie ou des textes plus modernes liés à la conscription, la guerre a lieu ailleurs, sur un autre continent, et déplace le grand texte national. C’est la guerre des autres, parfois même la guerre de l’autre, de l’adversaire par excellence de la nation, c’est-à-dire des Anglais. Dans tous les cas, les guerres du xxe siècle ne cadrent pas avec le discours de l’enracinement auquel on associe l’essor de la littérature québécoise. Dans son poème « Le jeu », Saint-Denys Garneau résume bien le sentiment d’extériorité que suscitent les guerres du monde : D’octobre 1935 à mai 1936, l’Italie de Mussolini mène une offensive pour s’emparer de l’Éthiopie pendant que l’Angleterre, comme les autres pays de la Société des Nations, assiste, impuissante, à ce qui marque l’engagement de l’Italie fasciste envers l’Allemagne nazie. Le poète ne sait pas que cette guerre deviendra mondiale deux ans plus tard et, de toute façon, il ne se réfère pas à la guerre comme on le fait dans les journaux et à la radio de l’époque. La gravité qui se voit dans son oeil gauche tandis que le droit s’amuse transcende le contexte historique : c’est une gravité « de l’autre monde », c’est-à-dire du monde de l’au-delà, mais elle trouve une image forte dans une actualité qui envahit les consciences et qui projette le ludisme de l’enfant dans l’absurdité des drames universels. Ces guerres ont beau avoir lieu sur d’autres continents, elles fascinent l’écrivain canadien-français malgré la distance ou, plus exactement, elles le fascinent par la distance même qui le sépare de l’événement. Celle-ci a longtemps été compensée par un patriotisme romantique dont on trouve encore des traces au moment de la Première Guerre mondiale. L’exemple le plus connu est sans doute le recueil Lauriers et feuilles d’érable (1916) d’Albert Lozeau, qui en montre des signes dès le poème liminaire, « Le drapeau », où le soldat canadien-français se bat au nom du drapeau français, celui de sa mère patrie : On n’écrira plus guère de cette façon à partir du moment où la poésie, comme l’ensemble de la littérature canadienne-française, refusera ce romantisme qui rapproche le poème d’un discours de propagande. L’écrivain parlera depuis sa propre expérience du monde plutôt qu’au nom de valeurs abstraites, de lieux communs et de mots empruntés. Même si les grands conflits guerriers du xxe siècle se déroulent loin du territoire québécois, ils n’en jouent pas moins un rôle majeur dans l’avènement de la modernité culturelle. C’est le cas tout particulièrement de la Seconde Guerre mondiale, qui marque …

Parties annexes