ChroniquesFéminismes

La rencontre des extrêmes[Notice]

  • Lori Saint-Martin

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  • Lori Saint-Martin
    Université du Québec à Montréal

Aboutissent sur ma table deux livres que tout oppose, deux livres qui pourtant sont le reflet inversé l’un de l’autre. À eux seuls, ils illustrent tous les clichés des identités sexuelles traditionnelles : l’un, mince, subjectif, est une confession douloureuse qui tourne autour de la beauté et du paraître ; l’autre, impressionnant par son volume, classe, analyse, répertorie, adopte un ton savant et une posture confiante, détachée. Bref, le premier, Burqa de chair de Nelly Arcan , est aussi « féminin » qu’Être ou ne pas être un homme. La masculinité dans le roman québécois de Victor-Laurent Tremblay  est « viril ». Ce qui les réunit, outre l’attention soutenue portée à la formation et au maintien des identités sexuées, est une dimension subjective revendiquée à tout instant par Arcan, et qui, chez Tremblay, émerge dans une émouvante et courageuse petite préface. Ensemble, les deux textes ajoutent une nouvelle pièce à conviction à la critique des identités figées : elles contraignent, elles blessent, à la limite elles tuent. Qui dit « femme » dit « homme » et vice versa ; on l’a maintes fois montré, les deux définitions, bien qu’opposées, sont interdépendantes : tout comme on n’a pas de fumée sans feu, on n’a ni public (masculin) sans privé (féminin), ni raison (masculine) sans émotion (féminine), par exemple. Comme le fait Arcan, mais tout autrement, Victor-Laurent Tremblay, dans une préface qui tranche sur le ton universitaire du reste du livre, lève le voile sur sa vie privée : son homosexualité, son enfance dominée par « l’identification et le désir partagés, sinon déchirés, entre un trop-plein féminin et un manque masculin » (9). C’est donc à son plus jeune âge que remonte la question d’« être ou ne pas être un homme » qui donne son titre au livre. Victor-Laurent Tremblay fait ici ce que personne ne fait, et que, pourtant, beaucoup gagneraient à faire : expliquer pour quelles raisons intimes, viscérales, nous choisissons nos thèmes de recherche (ou sommes choisis par eux). Dans ce cas, précise-t-il, il s’agit d’une « quête de puissance, de reconnaissance par l’Autre, qui n’était pas étrangère à ce que je croyais être une défaillance virile » (10). Pour l’essentiel, Être ou ne pas être un homme propose, de quelques thèmes névralgiques du roman québécois masculin, une lecture transversale fondée sur la théorie du désir mimétique de René Girard. Notamment, l’auteur se demande comment les doutes autour de la masculinité trouvent une résolution partielle dans l’affirmation des liens homosociaux (amitiés ou rivalités érotisées) entre les hommes, dans la quête patriotique, le sport, la guerre, le mouvement nationaliste ainsi que, tout autrement, dans le rapport père-fils. Dans le premier cas, par exemple, Victor-Laurent Tremblay montre comment l’Église, dans sa tendance ultramontaine, a soumis les ambitions personnelles et économiques, à la Jean Rivard, à des impératifs de spiritualité et de conservation. À l’ancien « mythe du Nord », plus viril, se substitue alors le « mythe de la Terre », plus passif et plus féminin. Cette « castration psychique et morale » (481) se voit en partie compensée par l’idéalisation de héros morts au combat, dans le roman historique entre autres, ou encore par le culte populaire des hommes forts. Mais la puissance des « pères divin et anglais » (481) est telle que les fils ne disposeront pendant longtemps que de « modèles stériles qui n’ont aucune emprise sur le réel » (482). La valeur de telles analyses réside dans leurs nuances, impossibles à présenter ici : dans l’interprétation des couples masculins romanesques, notamment, comme liés par la rivalité ou par l’amitié, alors que leur alliance …

Parties annexes