ChroniquesPoésie

Un mot de la fin[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

La fin, telle est bien la présente affaire puisque je signe ici ma dernière chronique. À regret, bien entendu, mais avec la tête plutôt dégagée du côté d’un certain travail accompli. Tout en restant fidèle à son inspiration, qui consiste en une prise en charge substantielle de la vérité du monde — humains, lieux, objets, machineries et, surtout, le moi qui n’obéit en rien à un maladif repli sur soi malgré l’omniprésence des malheurs —, Pierre Nepveu modifie à chaque nouveau recueil son approche poétique. Cette fois, le poème en prose prédomine même si le texte versifié s’interpose par moments ; et le sujet des textes se ramène le plus souvent à la relation entre l’homme (le moi) et la nature. Celle-ci est identifiée à un paysage précis, celui de Lachine au sud-ouest de Montréal, où le fleuve, les rapides, le parc abritant le Musée plein air de Lachine avec ses installations impressionnantes sollicitent les émotions du moi. Le titre, La dureté des matières et de l’eau, semble pointer vers une réalité difficile où l’eau elle-même participe de la dureté des choses. Mahler et autres matières (notons la récurrence du mot « matières » dans les titres des deux recueils), publié plus de trente ans plus tôt, faisait état de chutes, de trébuchements, de destructions, d’exécutions et de nombreuses autres catastrophes, tout en déclarant que « Le moi/n’est pas intéressant. » Le contenu du récent recueil est moins véhément, malgré l’affirmation de la dureté de tout, et le moi y fait figure respectable. Il n’est que de lire les mots du tout premier poème : « La douceur d’être se sent jusque dans les jointures et l’interstice des mots. Tout rétracte ses griffes et l’ambition range ses couteaux » (9) pour constater l’existence, à tout le moins, d’une trêve dans la rudesse du monde. La présentation qui accompagne le livre, oeuvre de l’auteur ou de l’éditeur, va dans ce sens : « Ce livre se construit selon une quête de pureté et de guérison, au-delà de blessures anciennes et face à une vie contemporaine souvent égarée ou meurtrie. » Tout se passe comme si l’auteur avait dû affronter de terribles épreuves, dont son Mahler (aux consonances suggestives) ferait état et qui laisserait des traces jusque dans le présent recueil. Pourtant, quelle personne plus aimable, plus généreuse et, apparemment du moins, plus sereine que l’auteur de ces beaux livres que sont Lignes aériennes, Intérieurs du Nouveau Monde et le monumental Gaston Miron? C’est donc entre les deux pôles d’un paradoxe, le dur et le doux, la nuit et le jour, que s’établit le discours du poète — un discours finement charpenté, d’une lecture fort agréable, même quand la veine sombre l’emporte sur l’autre : Voilà qui relève de l’existence simple mais nourrie, où l’école et la vie matinale composent une sorte d’antienne triste. Du côté de la douceur, un mot-image revient fréquemment, la lumière, parfois associée à son contraire : La nature est un motif privilégié, mais les installations du Musée plein air de Lachine, reproduites en photos, viennent s’intercaler et complexifier le propos, de même que les Carnets de Jean Mongeau (1803), personnage imaginaire de « voyageur », qui introduisent une dimension versifiée dans l’évocation des épiques Stations Lachine — Pierre Nepveu retrouve ici, d’une certaine façon et en plus restreint, le filon géographique et social qui charpentait le Mirabel de Lignes aériennes. Nicole Brossard publie un mince recueil composé de poèmes de trois vers, qui n’ont rien de haïkus, mais qui comportent une puissance d’évocation accordée à la modernité poétique. La marque de celle-ci …

Parties annexes