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Les Fêtes de la Nouvelle-France (FNF[1]) représentent un événement populaire à caractère culturel et historique prenant place annuellement (au cours de la première quinzaine du mois d’août) dans le Vieux-Québec. À l’image d’autres événements, comme les Fêtes au Bourg (lesquelles se déroulent à Beauport sur une base annuelle), elles se réclament d’une dimension patrimoniale étroitement reliée à la commémoration du régime français. Les FNF existent depuis 1997 et ont connu un développement plutôt rapide. Dotées initialement d’un budget annuel de 500 000 dollars, elles disposent dorénavant d’un montant avoisinant les 2 millions de dollars[2]. De même, les FNF accueillent désormais au-delà de 500 000 visiteurs annuellement. De fait, elles occupent, en 2004, une place significative au sein du calendrier culturel proposé par la Ville de Québec et, particulièrement, au coeur de ses événements spéciaux orientés autour de l’animation, un type d’activités où s’insère également le Festival International d’Été de Québec.

Depuis quelques années, à l’échelle occidentale, le nombre de fêtes, de festivals et d’événements populaires à caractère historique tend à augmenter de façon significative[3]. Une telle dynamique n’échappe pas au processus croissant de commercialisation de l’histoire. Il s’ensuit un mouvement de « festivalisation » à l’intérieur duquel la mémoire est partiellement guidée par la logique économique[4]. Par ailleurs, lorsqu’ils véhiculent une conception du patrimoine[5] mettant en relief l’interrelation entre l’objet patrimonial et son interprète[6] – perspective actuellement en émergence dans la littérature francophone –, ces festivals et événements à caractère historique peuvent inciter leurs participants à entrer dans la fête (Grandmont, 1997). Dès lors, l’interprète demeure certes lié de près aux mécanismes de la marchandisation de la culture, mais sa position dans le tableau d’ensemble revêt une autre forme : au lieu d’être localisé en aval de la marchandisation, l’interprète s’y retrouve plutôt en amont, en vertu du sens qu’il confère à l’objet patrimonial.

Les Fêtes de la Nouvelle-France ont déjà attiré l’attention de la communauté scientifique. Ainsi, Josette Brun s’est récemment intéressée à la question de la communication de l’histoire à travers le cas des FNF (Brun, 2002). C’est toutefois Alexandra Arellano qui, à notre sens, a fourni la contribution la plus éclairante à l’égard des différentes dimensions des FNF. Arellano, dont la thèse de doctorat aborde la question de la « festivalisation » à travers l’étude de la Fête péruvienne du Soleil (Arellano, 2003), propose une lecture des FNF sous l’angle de la « mémoire performative ». Selon elle, l’identité s’ancre dans un ensemble de pratiques collectives de commémoration, auxquelles elle recourt à titre de moyen d’expression concret. C’est à ce moment que la marchandisation de la culture rejoint la question identitaire, dont elle a pour effet de s’« emparer ». Ainsi, dans un festival, l’individu est mobilisé par une mémoire performative (Arellano, 2005). De fait, le renouvellement festif du fait français, au coeur des FNF, au demeurant habilement cerné par Arellano, s’opère en fonction d’une dynamique économique et culturelle dont le sens semble globalement échapper à l’interprète ; si l’attraction croissante exercée par l’économie sur la culture, le patrimoine et la mémoire n’est plus à démontrer[7], elle revêt néanmoins un caractère quelque peu déterministe. Aborder les FNF à partir de leur aspect patrimonial permet d’apporter une perspective complémentaire apte à mettre en lumière les préoccupations de l’interprète constructeur de sens.

Les Fêtes de la Nouvelle-France ne visent pas seulement la reconstitution historique, mais davantage l’évocation historique. Dès lors, la fête recherche surtout la participation. Ainsi, la sensibilisation à l’histoire permet de vivre l’objet patrimonial, et principalement l’objet architectural issu de la reconstruction de Place-Royale. Sur le plan historique, les FNF s’inscrivent à la suite du vaste chantier de reconstruction de Place-Royale entamé au début des années 1970. En s’insérant dans un contexte où l’interprétation tend à dominer une partie de l’activité patrimoniale de Place-Royale, les FNF constituent, en quelque sorte, l’image d’une manifestation culturelle dont la finalité patrimoniale réside dans le fait de vivre l’objet patrimonial davantage que dans l’objet patrimonial lui-même. En cela, les FNF s’arriment à la conception d’un patrimoine perçu, depuis peu, comme une relation entre un interprète et un objet patrimonial.

Afin d’illustrer la façon dont les Fêtes de la Nouvelle-France incitent l’interprète à vivre l’objet patrimonial de Place-Royale, nous orienterons notre analyse autour de la genèse, de l’énonciation, du cheminement et de la réception de la mission de l’organisme. Une telle perspective amènera à aborder les FNF à partir de leur caractère d’animation, tout en mettant en relief leur orientation fondamentale à l’égard de l’évocation historique. En outre, cette optique permettra d’explorer la façon dont les FNF prennent place, depuis 1997, dans l’espace social et physique du Vieux-Québec, en fonction d’une conception du patrimoine vécu « au jour le jour ». Aussi, il importe de préciser au départ la notion de patrimoine.

Le présent article fait appel à une argumentation sociologique, mise en diachronie à travers une perspective historienne. Les techniques de recherche privilégiées ont été l’analyse documentaire, principalement une revue de presse, et l’entrevue semi-dirigée avec des acteurs sociaux du milieu. Cette étude repose sur un total de treize entrevues réalisées en 2003 avec, d’une part, des acteurs internes à l’organisation (au nombre de quatre) et des acteurs périphériques à l’organisation (employés du Service de la culture de la Ville de Québec, du Service des événements spéciaux de la Ville de Québec, du Service de l’action culturelle du Musée de la civilisation, du ministère de la Culture et des Communications et, enfin, de la Polyvalente Bélanger, de St-Martin). L’analyse des propos de ces deux premières catégories d’acteurs permet d’aborder les préoccupations de l’interprète énonciateur de la mission des FNF. D’autre part, nous avons réalisé quatre entrevues avec des gens du public intéressés par l’événement ainsi qu’une observation participante[8]. Cette orientation méthodologique vise à cerner les préoccupations de l’interprète récepteur de l’événement culturel et historique que représentent les FNF. L’analyse des données repose sur un principe de triangulation inspiré de celui de Pourtois et Desmet. Ce principe, encore peu développé en sociologie de la culture, permet de confronter divers paliers de représentations (Pourtois et Desmet, 1988).

Patrimoine et histoire : une relation entre un interprète et un objet

Depuis quelques années, le patrimoine revêt un intérêt sans cesse grandissant dans le public. Il en va de même au sein de la communauté scientifique francophone[9] qui, de plus en plus, en étudie les mécanismes de construction et de production ou, en d’autres termes, de patrimonialisation. En insistant sur le processus global de production du patrimoine, la patrimonialisation met en relief les préoccupations de l’interprète tout comme les caractéristiques de l’objet patrimonial. En outre, elle renseigne sur les différents usages associés au patrimoine à travers le temps. Jean Davallon a récemment proposé une synthèse des étapes du processus de patrimonialisation. En premier lieu, la « découverte » d’un objet (de patrimoine potentiel) est inévitablement liée à un sentiment de rupture avec le passé : l’objet en question permet à celui qui le découvre de conserver des liens physiques avec les êtres disparus. Chez Davallon, le comportement de l’héritier, à cette étape, fournit un exemple de « logique de la trouvaille », telle qu’explorée par l’approche structuraliste d’Umberto Eco (Davallon, 2002, p. 74). Deuxièmement, la patrimonialisation implique l’affirmation de l’authenticité de l’objet découvert, tout comme de l’authenticité du contexte à l’intérieur duquel il a été créé. À ce stade, la science interfère intimement avec le processus de production du patrimoine. En dernier lieu, la patrimonialisation nécessite, selon Davallon toujours, la conservation et la mise en valeur de l’objet, tout comme sa transmission. À terme, l’objet, devenu patrimoine, contribue à assurer la « continuité de l’humanité entre le passé et le présent » (Davallon, 2002). L’émergence d’une conception du patrimoine conciliant l’interprète et l’objet constitue une des principales « raisons d’être » de l’étude de la patrimonialisation.

En 1980, au moment de l’Année française du patrimoine, Jean-Pierre Babelon et André Chastel entament l’étude de la patrimonialisation à travers une perpétuelle confrontation entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif ; leur étude révèle que la notion de patrimoine, telle que la connaît l’Occident, possède des racines familiales : « en réalité, le terme désigne a priori un bien transmis de père en fils, de génération en génération » (Babelon et Chastel, 1994, p. 49). Ainsi, la finalité du patrimoine « de la première heure » réside davantage dans la transmission et la perpétuation de la famille que dans le bien lui-même. Ce patrimoine associé à un nombre restreint d’individus correspond donc à une relation entre un interprète et un objet, relation que l’histoire modifie progressivement.

Avec la Révolution française, la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe sont marqués par la nationalisation du patrimoine, qui se voit ainsi doté de façon durable, d’un caractère collectif. L’émergence d’un patrimoine collectif est intimement liée au mode de connaissance légué par le Siècle des Lumières qui privilégie l’observation et la fréquentation des objets en tant que révélateurs de l’identité des collectivités (et par là même, des nations). À l’intérieur de ce cadre, l’altérité des premiers touristes britanniques de la fin du XVIIIe siècle consacre l’émergence du monument historique. Au sens du muséologue Bernard Schiele, l’ensemble de cette dynamique est soutenue par l’émergence de l’épistémè, en tant que phénomène d’énonciation de l’interprète intimement lié à l’héritage de la philosophie des Lumière. Chez B. Schiele, une telle dynamique contribue à faire du patrimoine un regard porté sur un objet (Schiele, 2001).

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, plusieurs nations et collectivités occidentales manifestent un intérêt soutenu à l’égard de l’accessibilité à la culture. Le processus s’entame vraisemblablement au moment de la Révolution bolchevique, en URSS, dont les dirigeants cherchent, au cours des années 1920, à donner forme à une « révolution culturelle » qui privilégie l’éducation des masses et l’accessibilité à la culture. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la France d’André Malraux s’en préoccupe également, en soutenant la démocratisation de la culture. L’historiographie française relie ces considérations à l’égard de l’accessibilité à la culture pour un plus grand nombre à un projet identitaire et collectif ; le patrimoine se présente alors comme projet (Poulot, 2002 ; Hartog, 1998).

À terme, le souci de l’accessibilité à la culture entraîne la « multiplication des voix des prétendants à l’héritage » (Noppen et Morisset, 2003 ; p. 5), lequel voit, de fait, le nombre de ses interprètes (et de leurs contextes particuliers) augmenter. Dans le monde anglo-saxon, le phénomène est alimenté par la prolifération d’écrits porteurs de préoccupations post-coloniales. Cette littérature met l’accent sur l’hétérogénéité de la vie et de l’organisation sociales (Grahamet al., 2000). À l’intérieur de ce cadre, Laurier Turgeon, tentant un rapprochement entre les argumentations francophone et anglo-saxonne dans l’analyse patrimoniale, présente le patrimoine comme une tension, un mouvement, un déplacement de l’Autre vers soi (Turgeon, 2003).

De nos jours, la notion de patrimoine tend à s’exprimer autour d’une certaine « quotidienneté » notamment marquée par l’économie de marché et la montée des valeurs d’usage qui l’accompagnent. De fait, Luc Noppen et Lucie K. Morisset appréhendent le patrimoine à travers le rapport au cadre de vie (Noppen et Morisset, 2003, p. 5). À l’image du patrimoine de la « première heure », la notion contemporaine de patrimoine correspond donc également à une relation entre un interprète et un objet.

En marche vers l’interprétation du patrimoine français de Place-Royale

Quelle place les Fêtes de la Nouvelle-France et leur conception du patrimoine occupent-elles dans l’espace de Place-Royale ? Afin de répondre à cette question, un rappel historique s’impose. Dans le sillage de la Révolution tranquille et de la montée de l’État québécois, le domaine du patrimoine se trouve « étatisé », et le gouvernement provincial prend en charge l’institution patrimoniale.

Conduite, à partir de 1964, sous l’égide d’un ministère des Affaires culturelles dont les ressources et les effectifs s’accroissent régulièrement, la reconstruction de Place-Royale témoigne pleinement de la nationalisation du patrimoine. Elle est conçue selon une intention de ville française. La reconstruction de Place-Royale en fait le berceau de la Nouvelle-France : l’« urbanité » inhérente à Place-Royale s’insère dans la représentation « moderne » que l’appareil d’État de la Révolution tranquille cherche à diffuser (Morisset et Noppen, 2003). Faisant appel aux connaissances de nombreux experts (architectes, historiens, archéologues et autres), ce chantier illustre bien qu’au cours des années 1960 et 1970, la priorité est à la restauration de l’objet (architectural) patrimonial.

À la toute fin des années 1970 s’entame une phase de décentralisation de certaines responsabilités patrimoniales de l’État provincial vers les instances municipales (Groupe-conseil, 2000). La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (1978) oblige les Municipalités régionales de comté (MRC), qui sont de fait instituées, à prendre en considération le patrimoine dans la réalisation de leur schéma d’aménagement. En outre, au cours des années 1980, des modifications apportées à la Loi sur les biens culturels (1972) confèrent des responsabilités accrues aux municipalités en matière de désignation et de gestion du patrimoine. Parmi celles-ci se trouve la possibilité, pour les municipalités, de constituer des sites du patrimoine sur leur territoire. Dans ce contexte de décentralisation, l’espace « étatisé » de Place-Royale accueille un nombre croissant d’acteurs locaux. Ce phénomène s’accompagne d’une lente transformation des représentations patrimoniales : un important colloque tenu en 1978, à l’instigation d’un groupe d’universitaires et d’intervenants dénonçant l’éradication de l’héritage anglais de Place-Royale, rend compte d’un double phénomène. D’une part, il témoigne d’une opposition à l’égard du « patrimoine d’experts » au coeur de la reconstruction de Place-Royale. D’autre part, il rend compte du désir d’associer un aspect social marqué au patrimoine. À cette occasion, Fernand Dumont affirme percevoir le patrimoine de Place-Royale comme « un motif, une inspiration » au service de la démocratie et du rassemblement citoyen (Dumont, 1979, p. 38). Dans cette optique, au cours des années 1980 et 1990, la Ville de Québec effectue plusieurs démarches destinées à accroître la fonction résidentielle de Place-Royale – démarches qui, au demeurant, ont eu une portée limitée (Rocher, 2001). De la reconstruction et de la restauration de l’objet architectural de Place-Royale, les paradigmes patrimoniaux se déplacent, au cours des années 1980, vers l’habitation.

Dans les années 1990, les principes d’interprétation du patrimoine, qui tâchent in extremis de faire vivre le patrimoine, font leur entrée à Place-Royale. C’est ainsi que le Musée de la civilisation se voit attribuer le mandat de la mise en valeur et de l’animation de l’endroit en prenant la direction du Centre d’interprétation de Place-Royale. En outre, à partir de 1993, Place-Royale, et plus largement le Vieux-Québec, accueille un événement au succès retentissant mû par les principes mêmes d’interprétation du patrimoine : les Médiévales de Québec.

À l’instigation de la Ville de Québec, les Médiévales de Québec ont lieu à deux reprises, soit en août 1993 et en août 1995. Elles se déroulent sous l’égide de la Corporation des Médiévales de Québec, un organisme sans but lucratif qui en confie l’organisation à la compagnie Gestion Trois fois plus, dirigée par Rémi d’Anjou, une personnalité ayant oeuvré durant plus de trente années au sein du milieu médiatique de Québec. C’est le même Rémi d’Anjou, à qui les médias attribuent une fougue et un charisme exemplaires, qui sera perçu comme le principal responsable des succès tout comme des difficultés financières des Médiévales.

En dépit de leur popularité auprès de la population locale et régionale, tout autant que touristique – l’événement attire près d’un million de participants en 1995 –, les Médiévales de Québec connaissent des difficultés financières dès leur implantation. Ainsi, tout au cours de leur brève histoire, elles accumulent un déficit financier qui constitue un fardeau pour l’image de l’organisation[10], image ternie par une mauvaise gestion interne, de même qu’une quête incessante de financement (André Ségal, cité par Fleury, 1995, p. A3). C’est d’ailleurs ce déficit financier et les conséquences négatives qui s’ensuivent (joints au fait que l’organisation se montre peu disposée à « rendre des comptes » aux instances municipales) qui incitent la Ville de Québec, en 1996, à ne plus autoriser la tenue des Médiévales sur son territoire.

À la base, les Médiévales de Québec sont essentiellement une grande fête populaire. Elles visent la reconstitution de la mémoire lointaine d’une époque historique, certes étrangère à la ville de Québec, mais que les qualités architecturales « anciennes » de cette dernière (principalement sa Place-Royale) lui permettent tout de même d’évoquer. L’imaginaire y occupe donc une place prépondérante (Rocher, 1997, p. 190-191). En somme, les Médiévales véhiculent une conception du patrimoine dont la vertu réside moins dans la création d’une mémoire reliant la jeune Amérique à l’Europe médiévale, comme l’a écrit l’ethnologue Marie-Claude Rocher (1997, p. 197), que dans une invitation à entrer dans la fête et, ainsi, à vivre l’objet patrimonial de Place-Royale, et ce même s’il revêt alors un caractère anachronique.

Par les principes de reconstitution et d’évocation historiques à la base de leur mission, les Médiévales de Québec contribuent, à leur façon, à implanter l’interprétation du patrimoine au sein de Place-Royale. Ainsi, à l’image des Fêtes de la Nouvelle-France, dont elles préparent la venue, les Médiévales s’inscrivent dans les « événements à caractère commémoratif [qui] font entrer le visiteur dans la dynamique même de la présentation, faisant de lui un acteur de la métaphore » (Grandmont, 1997, p. 264). Voilà qui explique qu’en 1997, l’objet patrimonial de Place-Royale semble prêt à être vécu à travers les FNF dont la mission devra, cette fois, s’ancrer dans le milieu.

La genèse des Fêtes de la Nouvelle-France : entre la ville de Québec et le rôle de l’organisateur

La ville de Québec possède une tradition de commémoration bien affirmée, du tricentenaire soulignant l’arrivée de Jacques Cartier à Québec (1835) aux célébrations – fort attendues – entourant le 400e anniversaire de la ville, en 2008, en passant par le tricentenaire de Québec de 1908[11]. Comme le souligne Jean-Marie Lebel, la célébration ne sait manifestement pas se limiter à un plaisir nostalgique, mais revêt plutôt l’allure d’un « devoir de mémoire » (Lebel, 2004, p. 57). En vertu de l’époque qu’elles soulignent, celle d’avant 1760, les Fêtes de la Nouvelle-France s’inscrivent à l’intérieur de cette tradition de commémoration, dont elles se réclament pleinement en prenant forme autour du « décor naturel » des XVIIe et XVIIIe siècles de Place-Royale.

C’est la Ville de Québec qui est l’initiatrice des Fêtes de la Nouvelle-France. Au début de 1996, l’administration municipale entreprend de substituer aux Médiévales de Québec un nouvel événement. Le défi paraît de taille puisque sur le plan de la participation populaire, les Médiévales tirent tout de même leur révérence, fortes d’un immense succès. À cet égard, la Ville recherche un événement possédant un caractère marqué d’animation. Selon le souhait du maire Jean-Paul L’Allier, la Ville diffuse un appel d’offres public destiné à susciter la création d’une grande fête historique et culturelle devant prendre place, au cours de la première quinzaine du mois d’août, dans le Vieux-Québec, et surtout autour de Place-Royale. Sans minimiser le sens premier de l’événement, la Ville recherche, en tout premier lieu, l’équilibre budgétaire, une donnée intimement liée au contexte politique de lutte à la dette et au déficit.

Au terme du processus d’appel d’offres, trois propositions retiennent l’attention de la Ville, qui donne finalement son aval à la formule privilégiant l’organisation des Fêtes de la Nouvelle-France. À l’origine, cette formule émane de Michel Sylvestre, alors à l’emploi de Gestev, une compagnie spécialisée en gestion d’événements sportifs. Le concept séduit particulièrement la Ville de Québec car il permet d’introduire les célébrations à venir entourant son 400e anniversaire. La compagnie Gestev, qui hérite de son organisation, doit toutefois se soumettre sine qua non à une supervision stricte, afin d’éviter un échec financier comparable à celui des Médiévales. Pour ce faire, la Ville crée, à la fin de l’année 1996, la Corporation des Fêtes historiques de Québec. Consacrée exclusivement aux Fêtes de la Nouvelle-France, cette corporation constitue un intermédiaire entre la compagnie Gestev et la Ville de Québec, qui s’octroie de la sorte un moyen de contrôle direct sur la gestion des FNF. En outre, la Ville impose à l’organisation des FNF un comité de suivi dont le mandat est de superviser l’ensemble des démarches de la Corporation, notamment financières, pour une période de deux ans, à compter du moment de sa création[12].

Si la Corporation des Fêtes historiques de Québec reçoit un mandat ferme de la Ville de Québec comportant des exigences précises en ce qui regarde la gestion financière tout comme le caractère historique et culturel de l’événement, il lui appartient en propre de donner vie aux Fêtes de la Nouvelle-France. À cet égard, le rôle des organisateurs prend toute sa signification. Ceux-ci sont d’abord appelés à oeuvrer à l’intérieur d’un contexte de croissance rapide de l’événement. De fait, comme nous l’apprennent les entrevues réalisées avec les membres de l’organisation ainsi qu’avec les acteurs périphériques, une capacité d’adaptation de même qu’une flexibilité leur sont indispensables. Par ailleurs, la mise en place de célébrations d’une telle ampleur exige des organisateurs un engagement personnel et, surtout, une passion. À partir de 1998, la direction générale de la Corporation des Fêtes historiques de Québec est assumée par Josée Laurence, à qui les acteurs rencontrés reconnaissent une fougue et un dynamisme créateur[13]. À cette époque, Gestev procède à l’embauche de Jean-François Brochard à titre de directeur artistique. L’année suivante, il obtient la direction de la programmation. À l’image de Josée Laurence, les personnes interviewées attribuent à J.-F. Brochard un dynamisme et une facilité à communiquer son enthousiasme.

Ce sont les acteurs internes à l’organisation qui développent et personnalisent le concept d’ensemble à la base des Fêtes de la Nouvelle-France. À cet effet, en vertu de leurs statuts, les FNF comprennent un conseil d’administration qui fait notamment place à des membres de la communauté universitaire[14]. Parmi ceux-ci se trouve l’historien Alain Laberge dont la présence contribue à valider l’information historique véhiculée par l’événement, tout comme la conception du patrimoine dont il se réclame. Les acteurs internes à l’organisation rencontrés mentionnent que la conception de l’histoire à laquelle A. Laberge est attaché, est tout à fait compatible avec le dialogue entre la reconstitution et l’évocation historiques, présent au coeur de la mission des FNF, que nous nous proposons maintenant d’analyser.

Entre la reconstitution et l’évocation historiques : la conception du patrimoine des Fêtes de la Nouvelle-France énoncée et reçue

De 1997 à 2004, les Fêtes de la Nouvelle-France connaissent un achalandage croissant. De fait, l’organisation développe un concept de programmation dont elle se trouve quelque peu prisonnière. Les FNF doivent revêtir la forme d’un événement populaire afin de maintenir un débit constant de participants et, ainsi, de respecter les objectifs que leur assigne, dès 1997, la Ville de Québec. Pour ce faire, elles adoptent le concept mis de l’avant par les Médiévales de Québec : la fête historique et culturelle via la reconstitution et l’évocation historiques[15].

À l’image des Médiévales, la mission des Fêtes de la Nouvelle-France s’appuie d’abord sur la reconstitutionhistorique. C’est la base même de leur programma- tion. Cette reconstitution est susceptible de revêtir plusieurs formes : d’un univers « authentiquement repensé », comme celui de la Batterie Royale, à certains aspects des costumes des comédiens et des bénévoles. À tout coup, elle reflète le désir de diffuser une information historique crédible. À cet égard, les bénévoles d’animation présents aux FNF[16] bénéficient, depuis quelques années, de conférences historiques dispensées par des étudiants du département d’histoire de l’Université Laval, sous la direction du professeur Alain Laberge.

Si la reconstitution historique vise à conférer une crédibilité aux Fêtes de la Nouvelle-France, elle ne représente pas pour autant une fin en soi. Selon la mission de l’organisme, elle doit conduire à la seconde grande dimension de la programmation des FNF : l’évocation historique (Corporation des Fêtes historiques de Québec, 2000). L’évocation historique consiste globalement en une interprétation de la réalité historique reconstituée qui doit permettre à l’artiste de transcender l’objet historique et patrimonial (au sens large) et de le vivre, tout comme de le fairevivre au participant. C’est, en vertu d’une telle dynamique que le public est convié à entrer dans la fête et, ainsi, à vivre l’objet patrimonial. Intimement liée à la reconstitution, l’évocation historique s’inscrit donc à l’intérieur du concept d’« interprétation » du patrimoine.

La conception du patrimoine véhiculée par les Fêtes de la Nouvelle-France est reçue différemment par trois types de publics à propos desquels il faut dire quelques mots. D’abord, une très vaste proportion de visiteurs prennent plaisir à participer à la fête en tant que telle. Cette catégorie s’intéresse aux nombreuses animations de rues, tout comme à plusieurs autres activités, comme les représentations théâtrales et, surtout, les défilés. Puis, il est possible d’identifier un public dont l’intérêt se porte aussi vers la fête, tout en montrant une curiosité à l’égard de l’histoire. Cette catégorie regroupe les amateurs d’histoire et de généalogie, bien servis par les nombreux kiosques de généalogie aux enseignes familiales que propose la rue Saint-Pierre. Enfin, il y a les participants qui recherchent une information historique spécialisée et auprès desquels les conférences historiques présentées au Musée de la civilisation, par exemple, trouvent preneur.

Les entretiens réalisés auprès des organisateurs indiquent que ceux-ci tendent, partiellement du moins, à mesurer la nature active de la participation aux Fêtes de la Nouvelle-France par le port du costume. En effet, les FNF invitent le public à se costumer afin de mieux entrer dans la fête, ne serait-ce que par le port d’un tricorne. De plus, chaque édition propose un « concours de costumes » plutôt prisé des festivaliers, déguisés ou non. Le port du costume n’est cependant pas spécifique à un type de public en particulier mais réparti dans chacun des trois types de publics mentionnés précédemment. En soi, cette approche s’inscrit dans le dessein d’évocation historique au coeur de la mission des FNF.

Au-delà des taux élevés de satisfaction générale[17], la réception de la mission des Fêtes de la Nouvelle-France par le participant peut d’abord, à notre sens, se mesurer à travers le processus d’interaction qui unit celui-ci au comédien, amateur ou professionnel – un aspect que toutes les personnes rencontrées en entrevue tendent à percevoir comme une particularité des FNF[18]. D’un côté, l’interaction avec le comédien suscite la curiosité du participant, celui-ci tâchant d’obtenir des détails à propos de la vie et (ou) des occupations du premier ; ainsi, une enseignante rencontrée en entrevue mentionne que lors de l’édition 2002 des FNF, où elle accompagnait un groupe de comédiens bénévoles, le public cherchait à obtenir des informations sur la vie et le métier des personnages joués. De l’autre côté, le processus d’interaction entre le participant et le comédien peut donner l’impression au participant qu’il vit momentanément dans une autre période historique, comme le croit un étudiant universitaire également interviewé. D’une façon ou d’une autre, la curiosité et le sentiment de « dépaysement temporel » suscitent un plaisir que trahit un sourire aux lèvres quasi généralisé. C’est probablement ce qui, au sens des personnes du public rencontrées en entrevue et lors de notre observation participante, confère aux FNF l’image d’une « grande fête » populaire.

La réception de la mission des Fêtes de la Nouvelle-France peut également se mesurer par le partenariat qu’entretiennent, depuis 2002, l’organisation des FNF et la Commission scolaire de Beauce-Etchemin (spécifiquement avec Jean-Pierre Lagueux et Christian Lagueux, passionnés par l’histoire du régime français). Ce partenariat prend forme autour d’un kiosque de reproductions d’objets historiques rappelant l’époque de la Nouvelle-France (lui-même logé dans la cour du Séminaire de Québec). Des élèves du secondaire ont la possibilité d’y exposer le fruit du travail d’une année scolaire. S’il permet de mettre en relation les FNF et le monde scolaire et laisse généralement une impression favorable aux visiteurs[19], le kiosque constitue également une stratégie par laquelle les organisateurs tentent d’accroître la participation des adolescents – la seule clientèle qui, en 2004, fasse encore défaut à l’événement. En ce sens, le partenariat entre l’organisation des FNF et la Commission scolaire de Beauce-Etchemin traduit un intérêt mutuel, davantage qu’une oeuvre d’éducation conduite de façon unilatérale.

Si la programmation représente un outil conférant directement aux Fêtes de la Nouvelle-France un caractère d’animation, il demeure qu’en vertu de sa portée elle oblige également l’organisme à opérer une quête massive de financement et de visibilité. C’est d’ailleurs à ce moment que la conception du patrimoine véhiculée par les FNF prend véritablement place dans l’espace social et physique du Vieux-Québec (particulièrement de Place-Royale) selon une dynamique de réciprocité.

Réciprocité des rapports avec le milieu : la conception du patrimoine des FNF prend place dans l’espace social et physique de Place-Royale

En tant qu’événement culturel et historique à grand déploiement, les Fêtes de la Nouvelle-France requièrent un financement important (lequel s’établit, pour l’édition 2002, à 2 400 000 dollars). La Corporation des Fêtes historiques de Québec bénéficie d’un soutien financier de la part des instances gouvernementales (provinciale, fédérale puis municipale, dans l’ordre décroissant) ; à cet effet, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) représente un partenaire de la « première heure » des FNF. La collaboration entre les deux organismes est essentiellement financière ; depuis 1999, le soutien annuel du MCC avoisine 110 000 dollars et il est renégocié sur une base triennale.

D’un côté, la collaboration entre la Corporation des Fêtes historiques et le MCC – et surtout la renégociation du soutien financier sur une base triennale – confère plus de temps aux organisateurs des Fêtes de la Nouvelle-France afin de compléter leur quête de financement. De l’autre, cette collaboration associe directement les FNF aux priorités véhiculées par le MCC. Des aspects culturels, historiques et patrimoniaux unissent, bien entendu, les FNF et le MCC. Toutefois, deux éléments contextuels sous-tendent particulièrement leur collaboration. D’abord, celle-ci s’insère dans un contexte où la culture tend à être perçue par les instances politiques comme un outil de développement économique (Baillargeon, 1993). Ainsi, le produit des FNF doit-il susciter des retombées économiques. De plus, le soutien financier consenti aux FNF doit conférer à ces dernières une base leur permettant, par la suite, de diversifier leurs sources de revenus et, éventuellement, de prendre une distance significative à l’égard du financement public. La collaboration entre les FNF et le MCC représente donc, croyons-nous, une étape significative dans le processus que Arellano (2005) désigne comme le moment où la marchandisation de la culture, et la performance qui s’ensuit, rejoint la question identitaire par la voie de la « festivalisation »[20].

La dynamique en vertu de laquelle les Fêtes de la Nouvelle-France reçoivent leurs subventions oblige l’événement à se doter d’une grande visibilité, tout comme de préoccupations soutenues à l’égard du marketing relié à ses activités. Il s’agit d’un processus que les FNF entendent, toutefois, mener de façon particulière en développant des rapports avec les milieux socioéconomique, touristique, politique, culturel et résidentiel à partir d’un principe de réciprocité.

Dans l’optique de la diversification de leurs sources de revenus, les Fêtes de la Nouvelle-France s’associent, dès leur création, au milieu touristique. Les commanditaires – dont la Société des Alcools du Québec (SAQ) représente à ce jour le plus important – réclament une forte visibilité. Sur le plan spatial, les FNF ne tardent pas à répartir leurs activités selon un principe de « concentration » : les incursions réalisées au Jardin des Gouverneurs, lors de la seconde édition de l’événement (1998), sont abandonnées dès 1999 au profit d’un déploiement plus local, davantage centré sur Place-Royale, la Côte de la Montagne, le Parc Montmorency et, depuis 2002, la cour du Séminaire de Québec[21].

Les Fêtes de la Nouvelle-France entretiennent également des relations avec le milieu local des affaires du Vieux-Québec. Les entretiens réalisés révèlent que les FNF récoltent de l’aventure un capital symbolique, un capital de « sympathie ». Leur intégration récente à la Chambre de commerce de Québec s’inscrit dans cette lignée.

L’intérêt soutenu du milieu des affaires – surtout celui à vocation touristique – envers les Fêtes de la Nouvelle-France s’explique par les retombées économiques associées à l’événement. Les données disponibles indiquent que le montant total dépensé par les festivaliers se chiffre à 3,3 millions de dollars en 1997 ; ces dépenses excluent celles des résidents vivant à l’intérieur du périmètre d’activité des FNF. En vertu des recettes fiscales générées par l’événement, un document produit par la CUQ en 1997 mentionne que le gouvernement provincial obtient un retour d’investissement de 1,40 dollar pour chaque dollar investi. Les FNF s’avèrent donc rentables[22] (CUQ, 1997).

L’attention portée par les Fêtes de la Nouvelle-France au milieu des affaires se double d’une préoccupation à l’égard des résidents du Vieux-Québec. En effet, comme l’événement prend forme autour d’un petit district habité – le Vieux-Québec, il ne faut pas l’oublier, s’étend sur une superficie de trois kilomètres carrés –, les dirigeants des FNF informent à l’avance les résidents du déploiement des activités. Il s’ensuit un dialogue qui s’opère à travers des regroupements de citoyens, notamment le Comité des citoyens du Vieux-Québec (CCVQ). L’attention portée à la fonction résidentielle du Vieux-Québec témoigne d’une volonté de la direction des FNF d’inscrire son événement dans un cadre local. Dans cette optique, les commentaires négatifs adressés à l’organisation des FNF, qui interpellent la plupart du temps des détails d’ordre technique reliés au déploiement des activités, sont reçus et étudiés. Contrairement à une croyance fortement répandue à la grandeur du territoire de la ville de Québec – croyance qui, au demeurant, concerne plusieurs festivals et événements culturels à grand déploiement –, le tourisme ne constitue pas la pierre angulaire des publics des FNF[23].

En plus des partenariats avec le milieu des affaires et du dialogue établi au fil des années avec les résidents, les Fêtes de la Nouvelle-France entretiennent, dès leur création, des rapports étroits avec le milieu culturel. Elles en obtiennent surtout une collaboration technique – bien davantage que financière. Ainsi, depuis 1997, le Musée de la civilisation (MCQ) et les FNF entretiennent une collaboration étroite quant à l’animation de Place-Royale. Le MCQ fournit des locaux à l’équipe de direction des FNF, et ce, à prix réduit, et met à la disposition des FNF son grand auditorium (pour la tenue de conférences).

L’étude des processus par lesquels les Fêtes de la Nouvelle-France se dotent d’une visibilité ne saurait ignorer le rapport qu’elles entretiennent avec les médias. Depuis 1997, les FNF jouissent d’une couverture médiatique croissante[24]. Au-delà de la popularité de l’événement – un facteur somme toute incontournable –, la raison en est probablement l’« approche active » qu’emploie la direction des FNF à l’égard du milieu médiatique, notamment des invitations répétées qu’elle lui adresse lors de ses activités publiques.

Ainsi, la recherche de commandites et de visibilité, inhérente au mode de financement de l’événement, permet aux FNF de s’« ancrer » dans l’espace social et physique du Vieux-Québec – et par là même de Place-Royale. À cet égard, la spécificité de l’événement réside dans le fait que sa direction développe des rapports avec les milieux socioéconomique, touristique, politique, culturel et résidentiel à partir d’un principe de réciprocité. En cela, les FNF donnent suite à une partie de leur mission (Corporation des Fêtes historiques de Québec, 2000). De fait, elles semblent surtout associer à leur conception du patrimoine une « quotidienneté » qui, reconnaissant l’importance du cadre de vie contemporain, invite à considérer le milieu à l’intérieur duquel prend place l’objet patrimonial (Noppen et Morisset, 2003).

Créées en 1997, les Fêtes de la Nouvelle-France ont connu une progression rapide. Alors qu’elles disposaient initialement d’un budget de 500 000 dollars, c’est une somme approchant les 2 millions qui fut mise à leur disposition en 2003, alors qu’elles accueillirent au-delà de 500 000 visiteurs. Depuis les premières éditions, les FNF ont su se tailler une place significative au sein du calendrier culturel proposé par la Ville de Québec ; elles sont même au coeur des événements spéciaux orientés autour de l’animation.

En abordant les Fêtes de la Nouvelle-France à partir de leur caractère patrimonial, nous avons ici cherché à mettre en lumière les préoccupations de l’interprète constructeur de sens, sur la base de la théorie de la culture de Fernand Dumont. De fait, nous avons tâché de dresser une analyse complémentaire à celle de Alexandra Arellano, qui positionne – trop unilatéralement à notre sens – l’énonciation et la réception des FNF en aval d’un processus de marchandisation de la culture et de production d’une « mémoire performative ».

Arrivant à la suite des Médiévales de Québec, dont avaient eu raison la mauvaise gestion et la quête incessante de financement, les Fêtes de la Nouvelle-France se retrouvèrent devant la nécessité d’animer et d’interpréter Place-Royale : de la restauration de l’objet architectural (années 1970) et de l’habitation de celui-ci (début des années 1980), les paradigmes patrimoniaux s’étaient déplacés et invitaient désormais à vivre l’objet patrimonial. Pour ce faire, la Ville de Québec, l’instigatrice du dossier, conféra aux FNF la forme d’un événement culturel et historique tenu de respecter l’équilibre budgétaire. À l’intérieur de ce cadre, l’organisation des FNF dut énoncer sa mission. La flexibilité, la capacité d’adaptation et la passion lui furent indispensables, en vertu du cheminement rapide que connut l’événement. À l’instar des Médiévales, les FNF eurent recours à la reconstitution historique, dans l’optique de mener à l’évocation historique. De fait, elles retinrent une conception du patrimoine liée de près à ce que les approches et les recherches récentes permettent d’appréhender comme une relation entre un interprète et un objet.

Le mode de financement à la base des FNF et le besoin de visibilité qui s’ensuivit eurent pour effet d’inciter la Corporation des Fêtes historiques de Québec à prioriser le développement de rapports avec les milieux socioéconomique, touristique, politique, culturel et résidentiel. À cet égard, le principe de réciprocité auquel elle recourut lui permit d’« ancrer » son événement dans l’espace social et physique du Vieux-Québec – et par là même de Place-Royale. Cette orientation associa finalement à la conception du patrimoine véhiculée par les FNF une « quotidienneté » en vertu de quoi l’interprétation de l’objet patrimonial s’avère indissociable du milieu à l’intérieur duquel celui-ci prend place.

En 2004, la Ville de Québec possède donc un festival annuel s’ajoutant aux événements qui, au fil des saisons, alimentent sa tradition commémorative et son « devoir de mémoire ». De même, elle possède une médiation culturelle au service de l’interprétation d’un espace étatisé avec éclat au cours des années 1960, que les autorités politiques ont peine, plus de trente ans après le début du chantier de reconstruction de Place-Royale, à humaniser.