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Introduction

Au Québec, les dernières orientations ministérielles, axées sur la professionnalisation et l’approche culturelle de l’enseignement (ministère de l’Éducation du Québec – MÉQ, 2001), véhiculent une vision renouvelée de la formation des futurs enseignants[1] et appellent notamment à éprouver de nouvelles articulations entre les lieux traditionnels de formation (Lang, 1999, cité par le MÉQ, 2001, p. 30). À la rentrée 2003, en conformité avec ces orientations, dans le cadre de la mise en place des nouveaux programmes de baccalauréat en enseignement au secondaire (BES) et en enseignement de l’anglais langue seconde (BEALS), un nouvel espace de formation a été créé à l’Université de Sherbrooke sous l’étiquette activités d’intégration interfacultaires. Inscrites au programme de chaque année du baccalauréat, ces activités de trois crédits amènent les étudiants à se familiariser avec l’apprentissage par situations professionnelles (APSP), un dispositif pédagogique développé par une équipe de chercheurs de la Faculté d’éducation (Dezutter, Guay, Hasni et Manseau, 2004). L’activité de deuxième année, intitulée Enseigner dans une perspective culturelle, concrétise la double visée de formation professionnalisante et d’approche culturelle de l’enseignement souhaitée par le ministère, mais cible au surplus de façon prioritaire le développement de la première compétence professionnelle du référentiel, soit celle d’agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions (MÉQ, 2001, p. 61).

Une recherche développement associée à cette activité a débuté au printemps 2004 et a impliqué jusqu’à maintenant deux groupes d’étudiants (n=40 au total) du profil Français, ainsi que trois formateurs (n=3), incluant le chercheur principal de la recherche.

Dans l’esprit de la thématique du présent numéro, nous présentons le contexte dans lequel s’inscrit cette recherche, décrivons les orientations et les fondements ayant inspiré le développement de l’activité d’intégration, présentons l’état actuel de l’activité, discutons de quelques extraits tirés de travaux d’étudiants qui illustrent le déploiement intégré de la compétence culturelle, puis concluons par des interrogations auxquelles devra tenter de répondre le prochain prototype de l’activité.

Un contexte de formation en évolution

De nouvelles orientations dans la formation à l’enseignement

En 2001, les universités du Québec ont été amenées à concevoir de nouveaux programmes de formation initiale à l’enseignement, à partir d’un référentiel de compétences professionnelles établi par le ministère de l’Éducation (MÉQ, 2001). Pour les futurs enseignants du secondaire, ce référentiel confirmait le choix, établi dès 1994, d’une formation intégrée, associant, durant les quatre années de la formation initiale une formation disciplinaire, d’une part, et en sciences de l’éducation d’autre part (incluant la formation pratique), et directement orientée vers la professionnalisation. Quant à l’approche culturelle, seconde orientation générale du référentiel, elle se trouve elle-même incluse dans la visée de professionnalisation puisque traduite dans la première des douze compétences professionnelles. Elle apparaît de surcroît explicitement dans plusieurs composantes de chacune des compétences professionnelles (MÉQ, 2001, p. 61). Or, comment favoriser une véritable formation à la fois professionnelle et culturelle sans se contenter d’ajouter des « cours de culture », des objets culturels (MÉQ, 2001, p. 41) ? Quels dispositifs proposer pour relever le défi d’une formation à l’enseignement intégrée qui donne la place qui lui revient à la culture (ibid.) ?

Des choix novateurs pour la formation des enseignants

À l’Université de Sherbrooke, la Faculté d’éducation a encouragé l’introduction de plusieurs innovations pédagogiques au sein des nouveaux programmes de formation à l’enseignement mis en place à partir de la rentrée 2003. Pour le programme de formation des enseignants du secondaire, la réflexion a porté sur plusieurs axes, dont en particulier celui qui touche à l’intégration entre les volets disciplinaires et pédagogiques de la formation. L’activité d’intégration pour les étudiants de deuxième année, qui fait l’objet de cet article, de même que l’ensemble des activités d’intégration touchent à cet aspect crucial de la mise en place des nouveaux programmes et permettent à notre université d’expérimenter une nouvelle culture de la formation des enseignants par la mise en oeuvre d’une véritable formation intégrée, novatrice. C’est dans cet esprit que nous avons conçu, que nous expérimentons et que nous étudions actuellement ce nouvel espace dans le curriculum de formation.

La recherche développement

La recherche développement, parfois aussi appelée recherche de développement, consiste essentiellement en l’étude systématique de la conception, de la réalisation et de l’évaluation de programmes, processus ou produits éducatifs (Seels et Richey, 1994, p. 127), avec la particularité que le chercheur [est] généralement le concepteur […] ou [fait] partie de l’équipe de concepteurs (Loiselle, 2001, p. 93). Elle peut notamment prendre la forme d’une étude de cas comportant une analyse rétrospective (Richey, Klein et Nelson, 2004, p. 1099) de la démarche. Dans une analyse des écrits portant sur une grande variété de recherches développement, Richey et collab. (2004, p. 1102-1103) ont identifié deux catégories d’études : la première (type 1) inclut des recherches qui décrivent et analysent la démarche de conception didactique d’un dispositif particulier et évaluent le produit final ; la seconde (type 2) inclut des recherches qui analysent de façon générale la démarche de conception didactique. La présente recherche s’inscrit dans la première catégorie ou dans ce que Van der Maren (1996, p. 179) désigne comme une recherche axée sur le développement d’objets. La démarche intégrale de design présente habituellement une phase d’analyse préalable de la situation d’enseignement-apprentissage, une phase de production et de planification, une phase de mises à l’essai et une phase d’évaluation et de révision (Loiselle, 2001, p. 84). Toutefois, vu l’ampleur de cette démarche et des ressources nécessaires, Loiselle (2001, p. 87) estime qu’une recherche développement peut aussi se limiter à l’étude du processus de création et d’amélioration du produit en laissant à des recherches ultérieures le soin de faire la preuve scientifique de l’efficacité du produit ou de faciliter son implantation dans le milieu. Au moment de publier ces lignes, notre recherche en est à la deuxième mise à l’essai de l’activité d’intégration centrée sur la compétence culturelle.

Le contenu des activités d’intégration

Pour le profil Français, langue d’enseignement, l’activité d’intégration de première année met l’accent sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) et le volet langue de la formation disciplinaire. En deuxième année, l’accent est placé sur la compétence culturelle et le volet littérature. Cette scission entre les volets langue et littérature ne signifie bien sûr pas qu’il faille, dans un cours de français, recourir aux TIC lorsqu’on fait de la grammaire et à la littérature lorsqu’on veut enseigner dans une perspective culturelle : la culture, en effet, ne passe pas que par le livre et la littérature (Dezutter, 2004). Nous avons plutôt fondé cette répartition des contenus disciplinaires sur les passerelles intégratrices possibles qu’offre la trame du curriculum en étant particulièrement attentifs aux liens pouvant être établis avec la progression des cours disciplinaires. L’activité de troisième année est centrée sur la compétence à coopérer au sein de l’équipe-école avec les différents acteurs impliqués (parents et autres professionnels de l’éducation). En quatrième année, l’activité d’intégration consiste en la réalisation d’un mémoire professionnel qui rend compte d’une recherche-action menée à l’occasion du dernier stage d’enseignement en pleine responsabilité.

Les fondements de l’activité Enseigner dans une perspective culturelle 

L’activité d’intégration Enseigner dans une perspective culturelle a été pensée à partir de fondements relatifs notamment à l’approche culturelle, à l’intégration des savoirs, à l’interdisciplinarité et à l’apprentissage par situations professionnelles (APSP).

L’approche culturelle

La mise en place d’un dispositif de formation implique qu’il faille adopter une vision à la fois théorique et pratique de l’approche culturelle, vision qui soit suffisamment claire pour que les étudiants s’en inspirent à leur tour. Or, quelle signification véhiculer devant les irréconciliables différences des discours, devant les conceptions de la culture divergentes des écrits officiels comme des auteurs ayant pensé la culture en lien avec l’éducation (Côté, 2004, p. 128) ? Parallèlement à une appropriation de la vision de la culture défendue par les documents officiels du ministère, deux angles d’entrées nous apparaissent pertinents pour les étudiants de deuxième année avec qui nous travaillons : d’une part, un travail sur les représentations initiales et, d’autre part, une appropriation de balises conceptuelles devant guider l’action culturelle dans la classe de français.

Une ouverture à la polysémie

Notre premier angle d’entrée vise à questionner les représentations initiales des étudiants par rapport à la culture, à exposer ceux-ci à une pluralité de discours et de conceptions entourant la notion de culture ainsi qu’à situer la réflexion actuelle sur l’approche culturelle dans son contexte d’émergence. À cet égard, les travaux réalisés par Saint-Jacques, Chené, Lessard et Riopel (2002) sur les représentations d’enseignants du primaire quant à la dimension culturelle du curriculum mettent en lumière des représentations diverses liées à des énoncés tirés de différents documents officiels. Les énoncés définissant la culture, la personne cultivée et ceux qui se rapportent à la dimension culturelle sont présentés selon des conceptions descriptive/anthropologique, d’une part, et normative/patrimoniale, d’autre part. Nous retenons également les travaux de Côté (2004) qui présentent une analyse des discours humaniste, instrumentaliste, sociologique, psychologique et philosophique sur la culture. Ce qui importe ici, ce n’est pas tant de saisir les diverses définitions et conceptions que l’on peut trouver sur la culture, et encore moins de chercher l’unique signification à adopter, mais bien de fournir aux étudiants une grille de lecture leur permettant de mieux poser un regard critique sur leurs propres représentations et sur les demandes culturelles qui leur sont et leur seront adressées dans le cadre de l’exercice de leur future profession.

Quelques balises fondamentales d’une approche culturelle

Parmi les nombreuses définitions et visions de la culture, de la compétence et de l’approche culturelles, il nous faut opter pour des ancrages conceptuels qui permettront aux étudiants d’agir sur leurs représentations et de concevoir plus aisément le travail qui est attendu d’eux, ce qui constitue notre second angle d’entrée.

La première balise, empruntée à Fernand Dumont (1987) et que l’on retrouve notamment dans le document d’orientation pour la formation à l’enseignement, est celle du maître cultivé, dont le rôle consiste à amener les élèves à se distancier de la culture première pour les faire accéder à une culture seconde, tout en considérant que [l]a culture première n’est plus homogène et que [l]a culture seconde s’est également transformée de fond en comble (MÉQ, 2001, p. 37). La culture première – ambiante, familière, spontanée – et la culture seconde – intellectualisée, réfléchie, légitimée –, de même que la relation dialectique qui à la fois les unit et les distancie, sont les concepts sur lesquels nous fondons le rapport à l’approche culturelle et qui aident les étudiants à comprendre leur futur rôle de guide, de médiateur et de passeur culturel (MÉQ, 2004, p. 87). Toutefois, à eux seuls, ces concepts ne suffisent pas à orienter ce travail de médiation.

Une deuxième balise à laquelle nous référons est la notion de repère culturel, omniprésente dans le nouveau programme de formation pour le secondaire, qui considère qu’enseigner dans une perspective culturelle consiste, notamment, à exploiter des repères culturels (MÉQ, 2004, p. 7). Le document de référence L’intégration de la dimension culturelle à l’école (MÉQ, 2003, p. 17) propose, en complément, une grille d’évaluation du caractère signifiant des repères culturels, qui consistent essentiellement en des événements, produits médiatiques ou objets de la vie courante […], objets patrimoniaux, références territoriales, réalisations artistiques, découvertes scientifiques, modes de pensée, valeurs et pratiques qui conditionnent les comportements, personnalités, etc. Les étudiants doivent ainsi sélectionner des référents culturels porteurs de sens et s’inspirer des prescriptions ministérielles à propos des repères culturels (répertoire personnalisé de l’élève, familles de situations, stratégies d’apprentissage, etc.) (MÉQ, 2004) dans la réalisation de certains travaux.

Les deux dernières balises conceptuelles concernent les continuités à restaurer et les dimensions constitutives d’une approche culturelle. Simard (2003) considère que, par l’approche culturelle, l’on doit entre autres restaurer la continuité entre les savoirs et la vie, entre les savoirs, entre les hommes et ainsi qu’entre le présent et le passé. Enfin, les travaux récents de Simard et Côté (2005) ont permis de préciser six dimensions constitutives d’une approche culturelle du français : les dimensions littéraire et esthétique, historique, langagière, sociologique, herméneutique et critique.

Prise en compte de la culture première des élèves, accession à une culture seconde par l’exploitation didactique de repères culturels signifiants, exploitation qui vise la restauration de continuités selon des dimensions constitutives précises, voilà en somme les principales assises conceptuelles de l’approche culturelle que nous véhiculons à travers l’activité d’intégration.

L’intégration des savoirs

La continuité entre les savoirs dont parle Simard (2003, p. 8) réfère à un des concepts centraux de l’activité d’intégration dont il est question dans ce texte. Simard écrit que [l]e renforcement de la finalité culturelle du curriculum d’études exige précisément l’affermissement de liens entre les connaissances (Inchauspé, 1997), et donc une plus grande structuration des savoirs. […] Il n’y a pas de culture sans intégration des savoirs.

Or, la notion d’intégration renvoie à des acceptions variées. Artaud (1989) insiste sur la dimension personnelle de l’intégration, qui affecte toute la personne et se traduit tant dans ses actes professionnels que dans le développement de son identité professionnelle. Lenoir (1992) distingue l’intégration des apprentissages d’un point de vue interne à la personne qui apprend (relative aux processus cognitifs) et d’un point de vue externe (relative aux caractéristiques d’un programme). Cette différenciation permet de distinguer les approches pédagogiques qui stimulent des processus cognitifs intégrants, et les leviers (agencement du programme, facteurs organisationnels) qui s’inscrivent aussi dans une perspective intégratrice. L’intégration sera d’autant plus forte, estime Lenoir (1992), si elle est promue sur ces deux dimensions, ce qui est le cas dans notre activité d’intégration.

L’interdisciplinarité

Une telle vision de l’intégration inscrit résolument notre activité dans une démarche interdisciplinaire. Toutefois, le concept d’interdisciplinarité tel qu’utilisé dans différents domaines (enseignement, recherche, pratique professionnelle) renvoie à plusieurs sens (Klein, 1990 ; Salter et Hearn, 1997). Dans celui que nous privilégions, l’interdisciplinarité implique, à la différence de la juxtaposition des disciplines à laquelle se réduisent les pratiques pluri ou multidisciplinaires, un effort considérable d’intégration qui nécessite une collaboration entre des personnes en provenance de deux disciplines ou plus (Davis, 1995 ; Klein, 1990 ; Rege Colet, 2000). Cette intégration doit toucher les quatre niveaux suivants (Davis, 1995) : la planification, les contenus d’enseignement (savoirs disciplinaires), l’enseignement et l’évaluation.

Une analyse de la documentation scientifique portant sur les pratiques de recherche et d’enseignement interdisciplinaires dans différents domaines (Hasni et Lenoir, 2000) montre que l’interdisciplinarité ne constitue pas une pratique facile et que sa réussite exige la prise en compte de plusieurs facteurs relevant, d’une part, d’une dimension épistémologique et, d’autre part, de l’interaction entre les différentes personnes composant l’équipe impliquée dans la réalisation du projet. Or, le travail interdisciplinaire regroupe des personnes se référant à des paradigmes différents et, par conséquent, à des conceptions différentes du savoir et de la formation. Dans le cas de notre activité d’intégration, l’équipe est composée d’un formateur en didactique du français, rattaché au Département de pédagogie de la Faculté d’éducation, et d’une formatrice en littérature, rattachée au Département des lettres et communications de la Faculté des lettres et sciences humaines. Les deux formateurs interviennent ensemble dans tous les aspects de la tâche d’enseignement.

L’apprentissage par situations professionnelles (APSP)

L’APSP, comme nous l’évoquions précédemment, est au coeur de chaque activité d’intégration. Il est fondé sur la résolution de problèmes que peuvent rencontrer des enseignants du secondaire dans le contexte de leurs activités professionnelles. Il est important de préciser que le sens du terme situations professionnelles, tel que nous l’envisageons, ne se réduit pas à celui de la conception de situations ou d’outils didactiques ; il peut s’agir tout aussi bien de problématiques, de défis, de demandes, de mandats, de besoins devant lesquels les enseignants peuvent se retrouver à un moment ou l’autre. Bref, ce sont des situations qui font ou qui peuvent faire partie des activités professionnelles d’un enseignant et qui représentent un défi à la mesure des étudiants. Pour solutionner les situations professionnelles, les équipes doivent s’activer, dans une démarche de pédagogie de projets et de résolution de problèmes (Jonnaert, 2000 ; Poirier Proulx, 1999), afin de réaliser des productions et des communications, qui pourraient idéalement servir un jour dans leur milieu de travail. Nous présenterons plus loin les situations professionnelles que nous soumettons aux étudiants.

À l’origine inspiré par ce qui se vit notamment dans les facultés de médecine et de génie de l’Université de Sherbrooke, où l’apprentissage par problèmes constitue depuis 1987 l’approche pédagogique privilégiée (Des Marchais, 1991), l’APSP s’inscrit dans un esprit parent de celui de l’apprentissage et de l’enseignement contextualisés authentiques (AECA), (Bédard, Frenay, Paquay et Viau, 1998), qui vise justement à favoriser l’intégration des connaissances et le développement des compétences, l’activation et le transfert des connaissances et une perception positive de la tâche et de soi-même comme apprenant (Bédard et collab., 1998). L’AECA se fonde sur deux axes : l’authenticité du contexte et le compagnonnage cognitif. Ces axes se retrouvent d’ailleurs dans les travaux menés par Parmentier et Paquay (2001), de même que par Beckers, Paquay, Coupremanne, Scheepers, Closset, Foucart, Lemenu et Theunssens (2003), sur la description de dispositifs réputés professionnalisants, lesquels ont aussi contribué à baliser la conception de l’APSP. Les travaux de ces chercheurs mettent en évidence que le caractère professionnalisant tient au fait que les apprenants font face à des situations-problèmes, exploitent des ressources variées dont divers savoirs, sont actifs et interagissent avec les autres, réfléchissent sur leur action, participent à l’évaluation de leurs apprentissages, structurent leurs acquis nouveaux, intègrent leurs ressources personnelles diverses, orientent leur activité vers la construction de sens et vers le transfert des connaissances, et enfin sont accompagnés dans leur démarche (Parmentier et Paquay, 2001).

Prototype actuel de l’activité Enseigner dans une perspective culturelle pour le profil Français, langue d’enseignement

Les objectifs

Selon la description officielle, l’activité d’intégration Enseigner dans une perspective culturelle[2], outre sa visée d’intégration des savoirs disciplinaires et des sciences de l’éducation, a pour objectifs d’amener l’étudiant à comprendre le rôle de l’enseignant comme médiateur de la culture, à approfondir son rapport aux savoirs et à la culture en lien avec le français, langue d’enseignement, à établir des liens explicites entre savoirs savants et savoirs scolaires et à manifester une compréhension critique de ces savoirs. L’activité vise aussi à tisser des liens entre les savoirs scolaires, les situations de la vie et l’univers des professions, de même qu’à concevoir des productions ou activités culturelles accessibles aux élèves du secondaire. Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, cette activité cible en priorité le développement de la compétence à agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions (MÉQ, 2001, p. 61-68) et sollicite toutes les composantes de la compétence[3].

L’organisation générale

Dans l’activité d’intégration, les formateurs soumettent aux étudiants des situations professionnelles, au nombre de deux pendant l’année, sur lesquelles ces derniers doivent se pencher en équipe de quatre ou cinq. Les rencontres en classe, à raison d’environ une par trois semaines, consistent en des moments de travail collectif sur ces situations et des séminaires de présentation, de discussion et d’évaluation formative. Ces séances ont lieu le plus souvent avec le groupe en entier, mais peuvent parfois se dérouler par sous-groupes, voire par équipes. Les contenus notionnels proviennent en grande partie des autres activités du programme. Toutefois, les formateurs incorporent aussi certains éléments de contenus complémentaires en fonction des situations professionnelles auxquelles les étudiants sont confrontés. À différents moments de leur démarche de travail, les étudiants sont également invités à effectuer de la recherche documentaire, à exploiter et à partager des ressources qui ne proviennent pas nécessairement des autres activités de formation.

Pendant la réalisation des projets collectifs, le rôle des formateurs en dyade est essentiellement d’accompagner les équipes. Ils guident les apprenants dans leur exploration et leur exploitation des ressources diverses, dans leurs différentes interactions, leurs réflexions, leur motivation, leurs essais et leurs erreurs.

Dans l’optique d’un dispositif comme celui de l’APSP et des approches pédagogiques qui le sous-tendent, l’évaluation, formative et sommative, est axée non seulement sur les productions des équipes, mais aussi sur la démarche de réalisation ; ainsi, les étudiants doivent remettre un portfolio incluant des traces des démarches réalisées faisant preuve de rigueur et de pertinence par rapport à la situation professionnelle et aux objectifs du cours. Dans les critères, une grande importance est bien évidemment accordée à la visée d’intégration poursuivie et au développement manifeste de la compétence professionnelle ciblée. Les modalités prévoient des outils permettant une évaluation tantôt individuelle, tantôt collective et impliquent les étudiants dans le processus (autoévaluation, coévaluation).

Finalement, l’activité d’intégration culmine en fin d’année avec la tenue d’un colloque d’une demi-journée où convergent les étudiants de tous les profils et où sont présentées des réalisations d’équipes présélectionnées pour l’occasion.

Les situations professionnelles et le développement de la compétence culturelle

Deux situations professionnelles sont soumises aux étudiants durant l’année académique.

Première situation professionnelle : Au Congrès de l’Association des professeurs de français du Québec (AQPF) 

Dans la première situation professionnelle, à résoudre durant la session d’automne, les équipes d’étudiants sont invitées à préparer une communication simulée au congrès annuel de l’AQPF, dont la thématique en 2003 était Notre langue, un espace culturel à habiter. Cette communication doit présenter les résultats d’une enquête sur des dimensions de la culture première des élèves pouvant se rattacher au domaine du français, langue d’enseignement. De façon plus concrète, les étudiants ont à s’intéresser aux activités de lecture, d’écriture et de communication orale que les adolescents pratiquent en dehors de l’école. Quelques contraintes importantes sont reliées à cette situation professionnelle : les équipes doivent traiter d’une question de recherche précise, dans une perspective comparative par exemple ; elles doivent aussi obligatoirement rencontrer des adolescents, et cela, ailleurs que dans les écoles. Ces contraintes impliquent que les équipes ne peuvent, par exemple, présenter les résultats d’une recherche documentaire ; elles doivent se rendre sur le terrain, parler à de vrais jeunes et elles ne peuvent pas effectuer leur enquête dans un contexte scolaire, par exemple durant leur stage pratique.

Comment s’y prennent-elles, justement, pour explorer la culture première des adolescents ? Le vox pop filmé, le sondage, l’entrevue, le questionnaire, le groupe de discussion sont les techniques de cueillette de données privilégiées. En ce qui concerne l’échantillonnage et les questions de recherche, les équipes optent pour toutes sortes d’angles d’entrée : différences entre garçons et filles, entre adolescents de milieu rural et de milieu urbain, entre des jeunes du secteur public et du secteur privé, entre ceux qui jouent d’un instrument de musique et ceux qui n’en jouent pas ; portrait des pratiques culturelles de hockeyeuses ou de footballeurs, pratiques culturelles effectuées tout juste au retour de l’école. Il ne s’agit pas de dresser un portrait global de la culture adolescente, mais bien d’en faire émerger la diversité, l’hétérogénéité, tout en tentant d’établir des points de convergence et de comprendre qu’il n’existe pas une culture première mais bien des cultures premières.

Seconde situation professionnelle : Le manuel imparfait 

À la session d’hiver, les équipes travaillent à la seconde situation professionnelle et sont amenées à produire une mini anthologie littéraire en guise de complément culturel à un manuel scolaire. Chaque équipe doit alors tenir compte, en plus des prescriptions du programme de formation, de leurs nouveaux acquis sur la culture première des élèves pour fonder leur sélection des éléments de culture seconde qu’ils entendent véhiculer dans leur anthologie.

Il faut voir ici une progression dans le choix des situations professionnelles soumises aux étudiants : alors que la première situation leur permet d’explorer la culture première des adolescents, celle-ci porte la réflexion sur la culture seconde à transmettre.

Il nous semble d’ailleurs que ce processus de sélection est une condition essentielle pour susciter un regard critique sur la discipline à enseigner. Par exemple, une équipe qui entend produire un recueil d’une dizaine de textes pour initier les élèves d’une classe multiculturelle à la poésie québécoise constatera les choix parfois déchirants et les prises de position que doit assumer un enseignant en matière de culture.

Aux textes littéraires inclus dans leur anthologie, les équipes doivent aussi incorporer des textes courants ou d’autres ressources documentaires en fonction des dimensions constitutives d’une approche culturelle en enseignement du français (Simard et Côté, 2005). Enfin, les équipes doivent suggérer des pistes d’exploitation didactique, toujours dans le sens de l’approche culturelle, en proposant par exemple des collaborations avec des partenaires culturels de l’école (MÉQ, 2003, p. 6).

Déploiement intégré de la compétence culturelle : quelques manifestations tirées de travaux d’étudiants

Rappelons que l’activité d’intégration vise en priorité, d’une part, la mobilisation conjointe de savoirs sur la langue, la littérature, la psychopédagogie, la didactique du français et, d’autre part, le développement de la compétence professionnelle liée à la culture. Or, comment observer et, à plus forte raison, évaluer l’intégration des savoirs et le développement de la compétence, alors que, comme le faisait remarquer une étudiante en se référant à un cours d’introduction au développement de l’adolescent et au processus d’apprentissage, lorsque nous avons réalisé un apprentissage réel, nous [devrions être] en mesure de nous en servir de façon naturelle et spontanée ? Selon Fourez (2002, cité dans Jonnaert, Barrette, Boufrahi et Masciotra., 2004, p. 686), [l]es situations nécessitent des réponses interdisciplinaires, à travers des constructions intégrant plusieurs savoirs. Ce sont ces réponses qui revêtent une dimension interdisciplinaire, et non la situation en tant que telle. Dans la phase actuelle de notre expérimentation, c’est donc dans les réponses des étudiants que nous cherchons des traces de savoirs intégrés, des traces du savoir-mobiliser en contexte d’action professionnelle (MÉQ, 2001, p. 51).

De façon tangible, nous exigeons que les étudiants réfèrent explicitement, dans leurs travaux écrits et oraux, à leurs autres cours, à des textes qu’ils y ont lus, à des notions qu’ils y ont traitées, à leurs notes de cours, aux travaux qu’ils ont réalisés, etc., comme le fait cet étudiant :

Extrait 1 : Tel que vu dans le cours Finalités de l’école et mission de l’enseignant (PED 100), l’école a une triple mission, soit celle d’instruire, de socialiser et de qualifier. Deux de ces trois missions sont directement liées à la culture. Julien

Toutefois, l’indication explicite des ressources ne suffit pas à elle seule à vérifier l’intégration des savoirs ; elle ne constitue en quelque sorte qu’un premier degré d’intégration. Nous cherchons aussi les traces de l’établissement de liens significatifs et pertinents avec le contexte de la situation professionnelle et d’une appropriation critique et fondée des savoirs, ainsi qu’on peut l’observer dans l’extrait qui suit :

Extrait 2 : Nous avons constaté que la famille et l’origine socioéconomique des adolescents du premier cycle influencent énormément leur conception de la lecture. Ce sont des facteurs immédiats et qui relèvent donc de la culture première. Ces influences semblent plus importantes que l’école, à laquelle les jeunes accordent une moindre valeur. Marianne, Marie-Claude, Karine, Francis, Mylène

Les exigences impliquent que les étudiants repassent par tout ce qu’ils ont abordé depuis le début de leur formation, qu’ils traitent à nouveau ces acquis, qu’ils créent de nouvelles relations entre les savoirs (donc de nouvelles connaissances), ce qui ne va pas de soi pour des étudiants habitués à concevoir leurs cours comme étant indépendants les uns des autres. Dans l’extrait qui suit, une équipe d’étudiants établit des liens entre un livre étudié dans un cours disciplinaire (un cours de rédaction) et des enjeux didactiques :

Extrait 3 : Le livre de Daniel Pennac, Comme un roman, étudié dans le cours CRM 104, nous a renseignés sur les droits que nous devrions nous octroyer en tant que lecteurs. Ces droits, la plupart du temps interdits dans un contexte scolaire, sont en fait des moyens par lesquels on peut arriver à apprécier la littérature et donc stimuler l’intérêt de lire chez les jeunes adolescents. Marianne, Marie-Claude, Karine, Francis, Mylène

Le travail sur les situations professionnelles est également le lieu de remises en question qui viennent agir sur les représentations initiales des apprenants :

Extrait 4 : J’ai trouvé très intéressant de lire les réponses des élèves. J’ai réalisé qu’ils sont assez ouverts, que nous devons les stimuler et les motiver à s’ouvrir encore plus. La première situation professionnelle m’a donné des idées sur ce que nous pouvons faire pour capter l’intérêt des élèves. Cynthia

Enfin, elles sont l’occasion d’un regard critique sur ses propres origines et pratiques culturelles et sur son rôle social (MÉQ, 2001, p. 67) :

Extrait 5 : Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas beaucoup les autres cultures, je suis moi aussi dans « l’américanisation ». […] Oui, je me rends compte à quel point la culture première était moins prise en considération à mon époque au secondaire. Isabelle

Ces extraits n’illustrent que quelques-uns des éléments de la compétence culturelle et de la visée d’intégration qui se traduisent dans les travaux des étudiants. Après une année et demie d’expérimentation, des questions restent évidemment en suspens en vue d’améliorer l’activité. Nous en passons quelques-unes en revue pour terminer.

En guise de conclusion, quelques zones de développement à explorer

L’élaboration des situations professionnelles, comme celle de toute situation problème, représente un défi complexe à relever. Une des préoccupations principales qui concernent ce travail est d’évaluer dans quelle mesure les situations professionnelles soumises aux étudiants permettent effectivement de travailler de façon efficace au développement de la compétence culturelle. Sont-elles les plus riches, les plus pertinentes pour servir la cause ? Les préoccupations, les interrogations, les questionnements qu’elles suscitent se rapprochent-ils de la réalité ou demeurent-ils somme toute assez artificiels ?

Pour ce qui est de l’intégration des savoirs, le problème est d’amener les étudiants à tisser davantage de liens entre les savoirs en général et entre les savoirs qui touchent à la compétence ciblée en particulier. Comment les conduire à établir des relations qui soient réellement signifiantes pour eux ? Comment les amener à ne pas se contenter de jouer le jeu de l’intégration, en ne faisant que parsemer leurs travaux de références explicites dans le but d’obtenir des points dans les évaluations ?

De plus, sur quoi insister pour que les étudiants en viennent à inscrire sciemment l’apport de toutes leurs activités de formation dans la perspective culturelle ? Ceux-ci semblent comprendre le lien par exemple entre les courants pédagogiques actuels et les concepts de cultures première et seconde, mais en est-il de même pour les savoirs épistémologiques et historiques des disciplines en jeu, ainsi que pour l’importance d’acquérir des savoirs qui vont bien au-delà de ce qui est requis par le programme du secondaire ? Comment les amener à identifier les vides culturels laissés par la formation initiale reçue et qu’ils doivent chercher à combler par eux-mêmes ?

Ces quelques questions ne sont certes pas propres à notre expérimentation puisqu’elles touchent à des préoccupations pédagogiques et didactiques qui vont de pair avec les approches qui sous-tendent notre activité d’intégration. Celle-ci constitue notre tentative de concrétisation de certaines orientations ministérielles au regard de la formation à l’enseignement, tentative que la recherche développement actuelle devrait nous aider à bonifier au cours des années à venir.