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Introduction

Lorsqu’une entreprise est incapable de respecter ses obligations envers ses bailleurs de fonds, elle peut soit renégocier sa dette de manière informelle avec ses créanciers en marge du cadre juridique, soit se placer sous la protection de la loi de la défaillance en vue de soumettre au tribunal et à ses partenaires des propositions de redressement et un rééchelonnement de la dette. Dans le second cas, les différences constatées entre les codes de faillite nationaux couplées à l’étude de l’activité régulière des tribunaux permettent de réaliser deux distinctions majeures parmi les droits de la faillite.

La première consiste à ordonner les législations selon le degré de protection qu’elles accordent aux créanciers et aux dirigeants des entreprises défaillantes. Bien qu’ils soient des pays de common law, les États-Unis et le Royaume-Uni s’oppo-sent fondamentalement dans ce cas. Dans le cadre du Chapter 11, la protection de l’entreprise défaillante prime sur la défense des intérêts des créanciers régulièrement soumis à des déviations par rapport à la règle de priorité absolue au profit des actionnaires. A contrario, au Royaume-Uni, la protection temporaire du débiteur y est sans doute la moins importante. En Allemagne, un pays de droit civil, le respect des engagements financiers l’emporte également, bien que le code de la faillite allemand ait été modifié en 1999 afin de favoriser le redressement des entreprises défaillantes. Malgré leur orientation différente (prodébiteur ou procréancier), ces systèmes combinent tous une procédure de liquidation et une procédure de réorganisation au cours de laquelle les propositions de redressement établies par le débiteur sont soumises au vote des différentes classes de créanciers (voire des actionnaires aux États-Unis). À titre d’illustration, au Canada, une proposition est acceptée si toutes les classes de créanciers non garantis votent en sa faveur par une majorité en nombre et une majorité des deux tiers en valeur des créances non garanties de chaque catégorie de créanciers présents lors du vote (y compris les créanciers garantis couverts par la proposition) (Martel, 1996). À l’inverse, en France, le sort de l’entreprise repose exclusivement sur la décision du tribunal en vue de protéger l’activité et l’emploi en raison de l’impact social des liquidations judiciaires.

Une seconde distinction apparaît entre les régimes judiciaires de traitement de la défaillance selon leur mode opératoire. Le premier, le plus répandu, fonde la décision du sort de l’entreprise sur une étude des possibilités de redressement où le tribunal, le dirigeant et les créanciers ont des pouvoirs plus ou moins importants en fonction de l’orientation affichée de la législation (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne et France). On peut opposer à ce groupe, le régime suédois dans la mesure où la cession des actifs, soit en un bloc à l’entrepreneur (continuation) ou à un tiers (cession), soit en morceaux (liquidation) s’effectue via une enchère au deuxième prix organisée par le juge. Dans le premier cas, on considère qu’une procédure collective permet de déterminer la forme de la résolution de la défaillance qui maximise la valeur de l’entreprise. Au cours de cet exercice, l’institution judiciaire se heurte aux asymétries d’information et aux conflits d’intérêt entre les parties à la faillite en ne supportant pas directement les répercussions de sa décision. En d’autres termes, le tribunal n’est pas le créancier résiduel. Dans le second cas, une mise aux enchères des entreprises défaillantes s’avère, pour des entreprises de taille moyenne à grande, légèrement plus performant que la procédure collective américaine en matière de redressement et d’apurement du passif (Thorburn, 2000; Strömberg, 2000; Couwenberg, 2001). Pour des entreprises de petite taille, il est à notre avis impossible de se prononcer dans la mesure où aucune étude empirique n’est suffisamment précise sur ce sujet. Cette lacune pose problème dans la mesure où le traitement de la défaillance s’applique en forte majorité à des petites entreprises. Cet effet de la taille des entreprises qui composent les échantillons disponibles complique en outre les comparaisons internationales dans la mesure où la continuation, et plus encore la cession, dépendent positivement de cette variable. Par ailleurs, à la charge de l’enchère, en cas de crise macroéconomique, les banques sont moins enclines à financer la survie des firmes défaillantes et dans le cas d’une liquidation, peu d’enchérisseurs se manifestent. Les moyens financiers requis pour l’achat de l’ensemble des actifs afin de poursuivre l’activité font défaut. Il est alors préférable, dans ce cas, de favoriser l’accès au redressement en offrant davantage de répit à l’entreprise afin que des repreneurs se déclarent ou que le redressement via une renégociation de la dette soit effectif. Cela est cependant plus coûteux.

Pour rendre compte des avantages et des limites liés à l’utilisation d’une enchère dans le traitement des défaillances d’entreprises, l’article est organisé comme suit. Dans une première section, nous définissons les concepts d’efficacité requis pour juger de l’utilité de cet instrument : l’efficacité ex ante et l’efficacité ex post. Dans une seconde section, nous exposons les difficultés et les limites liées au recours de cette nouvelle organisation en considérant des interrogations précises. Quelle enchère est préférable pour les créanciers, les dirigeants ou les actionnaires : une enchère sous plis scellés avec attribution au premier prix ou une enchère ascendante? Quelles sont les caractéristiques des acteurs de la défaillance en terme d’aversion vis-à-vis du risque et de sensibilité à l’entente? Doit-on permettre à tous ces agents de participer à l’enchère? Comment fixer un prix de réserve? Enfin, nous conclurons sur les modalités de mise en oeuvre d’une enchère dans des systèmes où le sort des entreprises défaillantes repose sur une renégociation des contrats financiers plus ou moins encadrée par le tribunal.

1. L’enchère au service du traitement de la défaillance : définition et avantages de cet instrument

Discuter l’efficacité d’un mécanisme de traitement de la défaillance conduit classiquement à distinguer son efficacité ex post (les actifs sont-ils affectés à leur meilleure utilisation possible?) et son efficacité ex ante. Dans ce second cas, il s’agit d’examiner comment l’utilisation des actifs et la répartition des droits sur ces actifs influencent les incitations du débiteur et des créanciers en amont de la défaillance.

1.1 L’efficacité ex post d’une mise aux enchères des entreprises défaillantes

Une procédure de résolution de la défaillance est efficace ex post si elle permet d’affecter les actifs de l’entreprise défaillante à leur meilleure utilisation possible pour le bénéfice de l’ensemble des créanciers. Par conséquent, elle doit le moins possible permettre à des entreprises non viables de poursuivre leur activité (en d’autres termes, commettre des erreurs de type 1) ou favoriser la liquidation d’entreprises dont la survie aurait été préférable (c’est-à-dire des erreurs de type 2) (White, 1989).

Dans les faits, le Chapter 11 s’expose à la première critique dans la mesure où son caractère trop protecteur des dirigeants d’entreprise est accusé de favoriser des continuations excessives (Bradley et Rosenzweig, 1992). Cette critique est valable globalement pour les pays soucieux de maintenir l’activité quelle que soit la finalité, sauvegarder l’emploi ou donner une nouvelle chance aux managers. En comparaison, un mécanisme d’enchères est plus apte à transférer la propriété des actifs d’une entreprise et simultanément déterminer le prix auquel ce transfert a lieu. Précisément, l’enchère réussit, contrairement à la procédure collective de réorganisation canadienne (ou autre), à séparer la décision de l’utilisation des actifs du problème de la distribution des revenus obtenus entre les créanciers. De la sorte, cette dernière respecte davantage les priorités de remboursement des créanciers puisqu’il suffit de répartir le produit de la vente en tenant compte de l’ordre de priorité établi selon le type de la créance. À titre d’illustration, les régimes juridiques relativement cléments à l’égard des dirigeants d’entreprises défaillantes (les États-Unis) sont souvent accusés de ne pas respecter cette règle au bénéfice des dirigeants (Weiss, 1990). L’enchère permet, en outre, d’éviter la poursuite d’activités non rentables, le gaspillage des actifs et par conséquent une hausse du coût du capital ex ante. En d’autres termes, les erreurs de type 1 sont moins fréquentes. Quant aux erreurs de type 2, leur survenance dépend du nombre et de la qualité des enchérisseurs. Enfin, cette résolution plus rapide des difficultés financières évite également à l’entreprise de subir une perte de valeur lors du redressement du fait de la poursuite d’une activité non rentable (Bebchuck et Chang, 1992). Cette rapidité est d’ailleurs d’autant plus désirable qu’elle permet de réduire significativement les coûts indirects liés à la résolution des difficultés financières (Thorburn, 2000).

Cette allocation ex post des ressources est reliée à une efficacité ex ante des décisions. Nous retenons, au vu des travaux de White (1996), trois effets ex ante d’une procédure collective : l’effet de sanction, l’effet de prise de risque et l’effet de report ou de dissimulation.

1.2 L’efficacité ex ante d’une mise aux enchères des entreprises défaillantes

Les modalités du traitement juridique de la défaillance influencent les inci-tations du débiteur, des gestionnaires et des créanciers avant même la faillite. La finalité de la loi sur la faillite plus ou moins favorable aux débiteurs ou aux créanciers renforce ou amenuise les trois effets suivants.

  • L’effet de sanction

    Si les dirigeants anticipent leur éviction ou au moins une réduction significative de leurs pouvoirs de gestion ou de négociation, ils sont plus enclins à réaliser un effort dans la gestion des affaires de l’entreprise afin d’éviter la défaillance. En outre, ils hésitent à utiliser de manière stratégique le dépôt de bilan en vue de se débarrasser de certains contrats pesants. À l’inverse, s’ils sont traités avec trop de clémence ces incitations disparaissent (Povel, 1999; Recasens, 2001).

  • L’effet de prise de risque

    Réalisant que les créanciers seront les principaux perdants en cas de liquidation, les dirigeants sont incités à substituer des actifs risqués à des actifs rentables à long terme ou contracter des dettes de plus en plus risquées afin de faire face aux remboursements. Cet effet est lié au premier puisque les débiteurs prennent davantage de risques si le régime judiciaire en place s’avère fortement liquidatif. Les sanctions à l’égard du débiteur en cas de dépôt de bilan incitent au contraire notre agent à plus de prudence.

  • L’effet de report ou de dissimulation

    Quel que soit le pays considéré, le tribunal ou les créanciers ne peuvent pas considérer le dirigeant comme une source d’information totalement fiable du fait de l’avantage informationnel dont il bénéficie vis-à-vis de ses partenaires. Désireux de conserver l’avenir de l’entreprise entre leurs mains et de préserver la confiance de leurs partenaires, les dirigeants sont peu enclins à déclarer précocement d’éventuelles difficultés (Blazy, 2000).

Si on prend en compte ces trois effets, la loi américaine incite les entreprises défaillantes à se déclarer telles dans la mesure où la procédure de redressement confie aux dirigeants un fort pouvoir de négociation avec leurs partenaires et syndicats au risque de faire du dépôt de bilan un outil de gestion stratégique (Perroti et Spier, 1993; Dasgupta et Sengupta, 1993). En comparaison, un traitement de la défaillance fondé sur une mise aux enchères systématique des entreprises défaillantes s’avère plus sévère à l’égard des dirigeants. Ainsi, en Suède ce dispositif particulier incite les dirigeants à déclarer leurs difficultés financières afin de maximiser leurs chances de conserver leur poste (Strömberg, 2000). Un autre moyen consiste à instaurer des sanctions (civiles ou pénales) à l’encontre des débiteurs qui tardent à déposer leur bilan

Au vu des résultats théoriques sur l’utilisation d’un mécanisme d’enchères dans le traitement de la défaillance, une question de fond demeure : quelles sont les limites à l’utilisation d’une enchère dans le traitement de la défaillance? Par exemple, le recours à l’enchère se heurte à certaines difficultés organisationnelles telles le choix d’un mécanisme d’enchères, l’incitation à la recherche d’acquéreurs potentiels (Bhattacharrya et Singh, 1999) ou l’apparition de comportements stratégiques d’entente (Hotchkiss et Mooradian, 1999).

2. L’enchère au service du traitement de la défaillance : difficultés et limites

Le problème de la cession des actifs d’une entreprise défaillante par le biais d’une enchère a pour particularité que la valeur véritable de l’entreprise en difficulté est en général incertaine et qu’il existe des différences dans les évaluations personnelles de l’entreprise par les enchérisseurs. Au-delà du choix d’un cadre théo-rique, le recours à cet instrument se heurte à la divergence des préférences des parties à la faillite à l’égard des procédures d’enchères, aux stratégies des agents intéressés au sort de l’entreprise et plus généralement aux caractéristiques éco-nomiques et financières des entreprises en difficulté et à l’institution judiciaire en place.

2.1 Les préférences divergentes de l’entreprise et de ses partenaires à l’égard des mécanismes d’enchères

Les préférences de chaque acteur de la défaillance sur le processus d’enchères diffèrent selon leur place dans l’ordre de priorité de remboursement établi (créancier garanti, chirographaire, actionnaire ou dirigeant). Cette divergence peut alors être source de conflits si on permet aux créanciers de choisir le mécanisme de cession de la firme (Bhattacharyya et Singh, 1999). Dans la mesure où ce droit de décision a ainsi lui-même une valeur, la question de la protection des créanciers résiduels réclame à nouveau une attention particulière.

En effet, si les créanciers de premier rang décident de la poursuite ou non de l’activité de l’entreprise, ils opteront probablement pour une liquidation dans la mesure où une cession rapide des actifs leur permettra d’être intégralement remboursés, quelles que soient les conséquences sur la valeur de l’entreprise. L’option rivale, c’est-à-dire conférer ce droit de décision aux autres partenaires (créanciers de second rang, dirigeants ou propriétaires) permettra sans doute à ces agents de récupérer à leur profit une partie de la valeur a priori destinée à d’autres. En particulier, les créanciers de second rang risquent de retarder le recouvrement et de laisser continuer une entreprise non viable jusqu’à l’instant où les créanciers de premier rang seront prêts à leur concéder des capitaux supérieurs à ceux auxquels ils pourraient prétendre autrement. De la sorte, les propriétaires, qui souvent ne détiennent plus de fonds propres dans l’entreprise, n’ont donc plus rien à perdre et peuvent être tentés de s’engager dans des opérations risquées dans l’espoir d’un renversement de tendance.

Dans le cas qui nous intéresse, il ne suffit donc plus de définir l’ordre de priorité de remboursement de chaque créancier, il faut également définir l’affectation optimale du droit de décider de la forme du mécanisme d’enchères. Ici, la notion d’optimalité dépend des considérations ex ante que nous avons définies précédemment. L’efficacité ex post est, quant à elle, atteinte dans la mesure où le but de l’enchère reste le transfert des actifs à ceux dont l’évaluation est la plus forte. Dans leur description théorique de l’enchère, Bhattacharyya et Singh (1999) distin-guent deux hypothèses particulières pour rendre compte des préférences des parties à la faillite en matière d’enchères. Dans un premier temps, le nombre d’enché-risseurs est exogène, c’est-à-dire qu’ils supposent que l’activité de recherche d’offreurs potentiels est exercée par un tiers (le tribunal). Dans un second temps, ce nombre est endogène. L’activité de prospection est désormais assurée par les acteurs de la défaillance eux-mêmes. Dès lors, l’enthousiasme à effectuer cette tâche, condition nécessaire d’une réalisation efficace de cette recherche, dépend des gains qui en résultent. Les acteurs de la défaillance ne sont pas égaux dans ce domaine non plus.

  • Le nombre d’enchérisseurs est exogène

    Sous l’hypothèse d’un nombre d’offreurs exogène, un créancier de premier rang préfère une enchère scellée au premier prix alors que le créancier de dernier rang (l’actionnaire ou le créancier chirographaire) préfère une enchère ascendante. L’idée qui fonde ce résultat est la suivante. Premièrement, les agents présentant de l’aversion à l’égard du risque préfèrent une enchère scellée au premier prix à une enchère ascendante alors que les agents riscophiles ont des préférences inverses. Deuxièmement, le remboursement des créances de premier rang est une fonction concave du produit de l’enchère puisque leur paiement est égal à min {L, F} où F est la valeur faciale de la dette et L le produit de la vente de l’entreprise insolvable. À l’inverse, le remboursement des créances dites de dernier rang est une fonction convexe du produit de la vente puisqu’il est égal à max {0, LF}. Troisièmement, compte tenu du résultat précédent, les créanciers de premier rang se comportent en agents riscophobes par rapport au produit issu de l’enchère. Quant aux créanciers de dernier rang ou les actionnaires dont les paiements en cas de défaillance sont une fonction convexe du produit de l’enchère, leurs préférences en matière de procédure d’enchères sont identiques à celles des agents riscophiles.

    Pour l’instant, nous avons supposé qu’il incombe au tribunal de rechercher des repreneurs éventuels de l’entreprise. Le nombre d’enchérisseurs est d’autant plus élevé que cette activité, dont la finalité est de maximiser le prix de vente de la firme, dure longtemps. Le tribunal y met donc fin lorsque son revenu escompté est maximal, c’est-à-dire lorsque le gain marginal lié à l’attente d’apparition d’un nouveau candidat devient égal au coût marginal de cette attente. Cette décision est en outre indépendante du mécanisme d’enchères choisi dans la mesure où la valeur escomptée des gains de l’enchère est identique, les deux mécanismes d’enchères satisfaisant le théorème d’équivalence du revenu. Cette décision (de la date de réalisation de l’enchère qui reflète l’intensité de l’activité de recherche d’enchérisseurs[1]) adoptée par le tribunal sert ensuite de base de comparaison pour tester l’alternative : le comportement des créanciers ou de l’entrepreneur lorsque le nombre d’offreurs est endogène.

  • Le nombre d’enchérisseurs est endogène

    Désormais, les agents décident eux-mêmes de la date de réalisation de l’enchère et donc de l’intensité de leur activité de prospection. Sur ce point, aucun des acteurs de la défaillance ne semble incité à affecter le même niveau de ressources dans la recherche d’éventuels enchérisseurs. Les créanciers, dont le remboursement est prioritaire, ont tendance à ne pas investir ou peu dans cette recherche alors que les créanciers moins bien classés ou les actionnaires adoptent un comportement inverse. Par conséquent, les actionnaires sont incités à reporter exagérément la date de mise aux enchères. Leur objectif légitime est d’augmenter le nombre d’offreurs et, par le jeu de la concurrence, d’augmenter le prix de vente. Cette incitation est d’autant plus forte que la valeur faciale de la dette est élevée. Au contraire, les créanciers les mieux garantis ne sont pas suffisamment incités à générer une enchère pleinement concurrentielle. Ainsi, dans la mesure où il est communément admis que les créanciers (en comparaison des actionnaires ou des créanciers de dernier rang) sont incités à précipiter la vente de l’entreprise insolvable, il semble plus opportun de laisser aux actionnaires le droit de décider de la date de la réalisation de l’enchère, notamment si le nombre d’enchérisseurs est faible.

Bhattacharyya et Singh (1999) proposent, quant à eux, l’affectation suivante en fonction de la valeur faciale de la dette. Si cette dernière est suffisamment forte, le créancier de premier rang est moins enclin à précipiter l’apurement du passif. Dans ce cas, il est optimal d’attribuer à cet agent le droit de décision en question. En effet, si la date de mise aux enchères est reportée, le nombre d’offreurs potentiels augmente, modifiant la distribution des paiements issus de l’enchère. Ainsi, un créancier dont la valeur faciale de la dette est faible bénéficie proportionnellement moins de ce changement contrairement à un créancier dont la valeur faciale de la dette est forte. Il est donc moins enclin à se consacrer à la recherche d’éventuels enchérisseurs. Dans ce cas, l’utilisation d’une enchère sous plis scellés au premier prix permet de diminuer les incitations à une liquidation immédiate. Dans le cas contraire (une faible valeur faciale de la dette), les créanciers choisissent de liquider trop rapidement la firme et les actionnaires reportent trop cette liquidation. Toutefois, si la valeur faciale de la dette reste suffisamment faible, les actionnaires retardent assez peu la vente de l’entreprise insolvable.

Ces résultats se heurtent néanmoins à deux limites liées aux hypothèses de modélisation retenues par Bhattacharyya et Singh (1999) : la restriction de la structure du capital à un actionnaire et un créancier et surtout la symétrie des croyances. Supposons donc que les évaluations des enchérisseurs sont issues de supports différents. En particulier, les évaluations possibles des derniers agents à soumissionner pour l’acquisition de l’entreprise insolvable sont plus faibles que celles des premiers enchérisseurs. L’arrivée tardive de ces nouveaux soumissionnaires développe la concurrence uniquement sur la partie inférieure de l’intervalle dont sont issues les évaluations. Par conséquent, les actionnaires sont, dans ce cas, incités davantage que les créanciers mieux classés dans l’ordre de remboursement à conduire rapidement la vente de l’entreprise insolvable. Si on poursuit ce travail d’investigation sur l’instauration d’une vente aux enchères systématique des entreprises défaillantes, une seconde interrogation demeure : quel impact peut avoir la présence de l’entrepreneur ou des créanciers déjà en relation avec l’entreprise parmi les éventuels enchérisseurs? Précisément, quelles sont les stratégies de ces parties totalement prenantes à la faillite?

2.2 Les comportements stratégiques des enchérisseurs

Une entreprise défaillante soumise à une vente aux enchères n’a souvent d’autre issue préférable qu’une entente avec ses créanciers afin de poursuivre son activité pour deux raisons. Premièrement, le débiteur et les créanciers sont préoccupés par le devenir de l’entreprise. Les créanciers offriront de meilleures conditions d’emprunt dans la mesure où ils bénéficieront de toute hausse de la valeur de l’entreprise qui dépend elle-même de l’enchère (Gertner et Scharfstein, 1991). Deuxièmement, cette coalition bénéficie d’un avantage informationnel sur les autres offreurs qui subissent, quant à eux, un coût d’évaluation de l’entreprise défaillante (Hotchkiss et Mooradian, 1999).

Dans la mesure où cette coalition est à la fois acheteur et vendeur, elle soumet donc une offre qui ne détermine pas uniquement le prix payé pour acquérir la firme mais également la somme permettant le désintéressement des créanciers. Deux comportements sont envisageables : soit la coalition réalise un gain si elle obtient l’entreprise à un prix inférieur à son évaluation, soit la coalition propose une offre supérieure à son évaluation afin d’obtenir une contre-offre plus élevée au profit de son désintéressement. Dans ce cas, le résultat est inefficace ex post si la coalition remporte l’enchère avec une offre supérieure à son évaluation dans la mesure où l’offreur dont l’évaluation est la plus élevée ne remporte pas l’enchère. En outre, cette stratégie consistant à soumettre une offre supérieure à sa propre évaluation augmente le prix auquel le créancier, non partie de la coalition, peut remporter l’enchère. Dans la mesure où celui-ci supporte un coût pour évaluer l’entreprise, les profits escomptés de cet enchérisseur risquent de devenir négatifs si l’offre de la coalition dépasse fortement leur évaluation. En réduisant de la sorte le nombre de participants à l’enchère, celle-ci n’est plus concurrentielle et les actifs ne sont pas affectés à leur meilleure utilisation[2]. Dans cette situation de carence d’éventuels acquéreurs de l’entreprise défaillante, une enchère ascendante facilite ces ententes contrairement à une enchère au premier prix.

Enfin, le caractère endogène ou exogène du nombre d’enchérisseurs a un impact sur le résultat précédent. Supposons avec Hotchkiss et Mooradian (1999) que le propriétaire de l’entreprise défaillante évalue assez faiblement son entreprise. Fort de cette information, la coalition formée avec ses créanciers, anticipant un gain moyen supérieur en tant que vendeur plutôt qu’acheteur (à condition que les dirigeants ne disposent pas d’importants bénéfices privés liés à leurs fonctions), se consacre à la recherche d’enchérisseurs. Cette action constitue un signal aux acheteurs potentiels externes leur indiquant de participer à l’enchère dans la mesure où le dirigeant ne soumettra pas d’offres supérieures à sa propre évaluation qui est déjà faible. Au contraire, dans le cas d’une enchère systématique où le tribunal suscite lui-même les offres de reprise de l’entreprise défaillante (l’hypothèse du nombre d’enchérisseurs exogène), les enchérisseurs dits externes disposent relativement de moins d’information[3] pour se décider à participer à l’enchère. Dès lors, si l’entrepreneur peut plus facilement s’entendre avec des créanciers pénalisés par l’ordre de remboursement, un système où le nombre d’enchérisseurs est endogène a plus de chances de transférer les actifs à celui qui les valorise le plus. En effet, dans la mesure où une entente avec des créanciers non prioritaires dans l’ordre de remboursement gagne lors d’une vente à un prix fort alors la coalition évaluant assez faiblement l’entreprise est davantage incitée à rechercher des enchérisseurs évaluant fortement l’entreprise. Au contraire, si l’entrepreneur tend à former une coalition avec des créanciers mieux classés (les banques), une loi sur la faillite affectant le droit de susciter des offres exclusivement au tribunal est préférable. En effet, ces créanciers gagnent peu, voire rien de la vente de la firme à un prix plus fort. Ils ne sont pas créanciers résiduels. Sous ces conditions, une enchère systématique permet d’attirer davantage d’éventuels acquéreurs parce que les coalitions formées avec des créanciers privilégiés n’ont pas intérêt à soumettre une offre supérieure à leur propre évaluation et à chercher d’autres candidats au rachat des actifs de l’entreprise défaillante.

Jusqu’ici, nous avons considéré qu’une coalition était constituée d’un entrepreneur et d’un établissement de crédit qui octroie le financement permettant de participer à l’enchère. On peut s’interroger également sur des stratégies d’entente entre des enchérisseurs quelconques disposant des fonds nécessaires à l’acquisition des actifs de la firme défaillante. Dans ce cas, la nature même des procédures mises en oeuvre est susceptible de faciliter ou non la formation des ententes. Dès lors, le mécanisme adopté influencera le désintéressement de l’ensemble des créan-ciers si on ne sélectionne pas le candidat dont l’évaluation des actifs est la plus élevée. Cette inefficacité ex post résultant d’un prix de cession trop faible du fait du découragement à l’entrée de nouveaux participants peut être réduite en recourant à une enchère au premier prix moins vulnérable aux stratégies d’entente. En effet, dans une enchère au deuxième prix, la stabilité de la coalition est assurée dans la mesure où aucun n’a intérêt à dévier à condition que celui à l’origine de l’entente possède l’évaluation la plus élevée. L’enchère au premier prix, quant à elle, incite les participants à l’entente à annoncer une offre plus élevée que celle proposée par l’autre membre de l’entente obligé, lui, de soumettre une offre inférieure à celle qu’il déposerait en l’absence d’entente. Dans le cas d’une enchère au premier prix, c’est en effet l’unique façon pour lui de réaliser un gain.

2.3 Les limites d’un recours à l’enchère dans le traitement des défaillances

Outre les mises en garde précédentes, recourir à l’enchère, en remplacement d’autres procédures fondées sur une analyse des issues possibles de la défaillance, peut ne pas s’avérer profitable pour plusieurs raisons. D’abord, en cas de crise macroéconomique, les banques sont moins enclines à financer la survie des firmes défaillantes et dans le cas d’une liquidation, peu d’enchérisseurs se manifestent. Les moyens financiers requis pour l’achat de l’ensemble des actifs afin de poursuivre l’activité font défaut. Il est donc préférable, dans ce cas, de favoriser l’accès au redressement en offrant davantage de répit à l’entreprise afin que des repreneurs se déclarent ou que le redressement au moyen d’une renégociation de la dette soit effectif.

Ensuite, Aghion, Hart et Moore (1992) évoquent les difficultés des enchérisseurs lors de leur évaluation personnelle de la firme défaillante, moindres si le tribunal veille à diffuser le maximum d’informations. Cette critique pertinente pour les petites et moyennes entreprises reflète plus généralement la particularité suivante des procédures d’enchères. Elles s’appliquent plus aisément aux grandes entreprises pour trois raisons. Premièrement, peu d’enchérisseurs se manifestent pour les petites et moyennes entreprises dans la mesure où leur évaluation est problématique et ces firmes ont peu de valeur sans leur dirigeant. Deuxièmement, pour les grandes entreprises, une réorganisation souvent trop longue, emmenée par les dirigeants et le tribunal, peut s’avérer catastrophique pour les créanciers comparativement au recours à une mise aux enchères immédiate de l’entreprise défaillante. Enfin, l’enchère pourrait lutter contre les prix de cession souvent faibles déterminés par le tribunal plus en fonction du nombre d’emplois sauvés que du chiffre d’affaires ou des actifs (spécialement en France où le pouvoir de décision du tribunal est important). Ces propos suscitent donc des inquiétudes sur la détermination du prix de réserve. Fixer un prix de réserve en dessous duquel les actifs de la firme défaillante ne sont pas cédés permet au tribunal d’accroître les gains issus de l’enchère. En contrepartie, l’agent qui valorise le plus les actifs risque de ne pas les acquérir si la vente n’a pas lieu à cause d’un prix de réserve trop élevé. Par conséquent, le tribunal doit, en situation d’incertitude, arbitrer entre les deux effets d’accroissement du gain moyen et de la probabilité de non-attribution en prenant en compte parfois des objectifs différents du désintéressement des créanciers. Par exemple, le maintien de l’emploi au travers de la poursuite de l’activité se reflète dans la fixation du prix de réserve.

Enfin, Shleifer et Vishny (1992) pour les États-Unis et Strömberg (2000) pour la Suède soulignent les problèmes liés à la liquidité des marchés. Si les marchés pour les actifs de la firme sont peu liquides, il est inefficace d’utiliser l’enchère, notamment si les actifs sont particuliers à une industrie. En effet, le nombre d’acqué-reurs potentiels d’actifs spécialisés est d’autant plus faible que les entreprises du même secteur éprouvent elles aussi des difficultés, celles-ci étant les mieux placées pour acquérir ces actifs particuliers[4] (Alderson et Betker, 1995). Empiriquement, le taux de liquidation suggéré par Thorburn (2000) pour l’ensemble des défaillances d’environ 60 % suggère néanmoins que ce système autorise autant (voire davantage s’il s’agit d’entreprises de taille relativement importante[5]) la poursuite de l’activité qu’un régime orienté vers la sauvegarde des entreprises défaillantes par le biais d’une procédure collective.

Conclusion

Les propos précédents relatifs à l’utilisation d’une enchère dans le traitement de la défaillance peuvent servir de guide à l’élaboration des réformes des processus judiciaires de réorganisation. Il s’agirait en effet d’introduire l’enchère en qualité d’outil de redressement au sein des procédures existantes caractérisées habituellement par l’alternative liquidation immédiate / ouverture d’une période d’observation de l’entreprise en difficulté (Hansen et Thomas, 1998). Concrètement, dans cette nouvelle organisation, le tribunal tente, tout d’abord, de conclure un accord entre les créanciers et l’entreprise en majorant le rôle des créanciers via, par exemple, une procédure de vote. En cas d’échec, le tribunal ordonne la mise aux enchères de l’entreprise, qui ne signifie plus obligatoirement son enterrement, afin de laisser le marché décider de l’avenir de l’entreprise défaillante. Dans ce cas, le mandataire de justice pose l’interrogation suivante : faut-il céder l’entreprise en bloc ou en morceaux? Au cours de la période d’observation, cet agent aura collecté des indications d’intérêt auprès d’acheteurs potentiels en vue également de déterminer son prix de réserve. Le liquidateur restreint ensuite ce groupe d’enchérisseurs qui peuvent à cet instant se consacrer à une inspection plus approfondie de l’entreprise. Puis, chaque candidat soumet une offre sous plis scellés pour le rachat de la firme. En prenant en compte le prix de réserve, l’entreprise est cédée au plus offrant afin de désintéresser au mieux les créanciers. Cependant, l’anticipation par les acteurs de la défaillance de cette dernière étape génère deux difficultés.

Premièrement, si le prix de réserve déterminé par le tribunal est établi en fonction des indications préliminaires d’intérêt récoltées au cours de la période d’observation alors, par anticipation, les candidats potentiels à la reprise sont confrontés au risque d’un prix de réserve élevé s’ils révèlent honnêtement leur disponibilité à payer.

Ensuite, une deuxième difficulté survient si les propriétaires de l’entreprise et ses partenaires ont la possibilité de voter l’approbation du plan de redressement. À cet instant, chacun évalue les gains de l’alternative plan de redressement – mise aux enchères et, dans ce dernier cas, le désintéressement qu’il peut obtenir lors d’une liquidation. Dans ce contexte, les créanciers de dernier rang ou les actionnaires anticipent qu’ils seront remboursés uniquement si les gains sont supérieurs aux obligations des autres créanciers. Par conséquent, si la procédure d’enchères génère une forte variance dans les prix de vente, les créanciers et les actionnaires bloqueront l’adoption d’un plan de redressement au profit de l’enchère. Pour y remédier, il s’avère préférable de recourir à une enchère sous plis scellés comparativement à une enchère orale dans la mesure où la première procédure minimise la variance dans les prix de vente (Vickrey, 1961).

Cette question se pose si les créanciers et les actionnaires votent l’adoption ou le rejet d’un plan de redressement de l’entreprise, comme cela se déroule aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Allemagne. Dans des systèmes où le pouvoir des créanciers est moindre à cause de l’inexistence d’une procédure de vote, le recours à une procédure d’enchères pour organiser un éventuel redressement à l’issue de la période d’observation peut ne pas être également souhaitable. En effet, l’existence de deux procédures séparées, avec d’un côté le redressement et, de l’autre côté, la liquidation, envoie un signal fort aux repreneurs éventuels de l’entreprise sur la qualité de cette dernière. Une entreprise dont le redressement a échoué ou n’a pas été souhaité par le tribunal ne peut en effet guère espérer être cédée autrement qu’à un prix très faible, voire même éviter une liquidation par morceaux. Réciproquement, l’inexistence de ce signal dans le système suédois et la taille relativement plus élevée des entreprises composant l’échantillon de Thorburn (2000) tempèrent les taux de recouvrement élevés obtenus et, par conséquent, l’attrait d’une procédure d’enchères. En outre, ce mécanisme réduit la défaillance à un problème exclusivement financier résumé par cette interrogation : faut-il encore accorder un crédit à cette entreprise? Si la réponse est négative, on liquide. Si la réponse est positive, on injecte des fonds dans l’espoir de sauver sa créance.

Les résultats théoriques et empiriques disponibles démontrent donc d’une part, les limites liées à l’utilisation d’une procédure d’enchères dans le cadre des procédures collectives fondées sur une renégociation des contrats de dette encadrée par le tribunal et, d’autre part, sa capacité à redresser les entreprises défaillantes, plus particulièrement dans un pays où le recours au crédit bancaire est important (la Suède). En complément, pour juger de l’efficacité des différents systèmes, les recherches théoriques dites normatives, doivent se fonder, non pas uniquement sur la capacité de chaque système à décider de manière optimale du sort de l’entreprise, mais sur une analyse de l’impact des règles des codes de la faillite sur le comportement, les stratégies de l’entreprise et de ses partenaires avant l’apparition des difficultés.