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Cet ouvrage collectif publié sous la direction de Cécile Canut et Catherine Mazauric se propose d’explorer les différentes manières de mettre en récit l’expérience migratoire transafricaine. Partant du postulat que la migration est aussi une affaire de « dire », les seize contributions cherchent, en se penchant sur les récits produits autour de la migration, à rendre compte de la réalité migratoire dans sa complexité. Il s’agit aussi pour les auteures de donner la parole à ceux qui sont absents des commentaires portés sur eux, de qui l’on parle comme d’une masse indifférenciée, à savoir aux migrants eux-mêmes. Ainsi, les principaux concernés, ceux qui partent comme ceux qui restent, peuvent être appréhendés dans leur singularité, reflétant ainsi la multiplicité des formes et des conditions de la migration.

Les supports servant à mettre en parole cette pratique sociale centrale en Afrique sont divers : du film fictionnel au poème en passant par l’entretien individuel, ils permettent d’illustrer les différentes facettes de l’expérience migratoire. À travers l’étude de ces discours, les auteures cherchent à comprendre cette expérience et les imaginaires qui circulent autour d’elles.

Les différentes contributions illustrent notamment le rôle central que joue le langage avant, pendant et après l’expérience migratoire.

En effet, ce sont souvent les mots qui poussent à la migration, que ce soit ceux clamés par les chanteurs populaires (Lafay et Mick) ou par les jeunes filles mossi (Degorge), ceux des aînés qui racontent l’ouverture des chemins migratoires comme une épopée (Laurent), ou ceux des proches ou des médias qui véhiculent une image dorée des pays convoités (Furtado). Pendant et après la migration, ce sont les migrants eux-mêmes qui, par leur parole ou plutôt par leur silence, renforcent les imaginaires positifs associés aux pays d’accueil même lorsque l’expérience migratoire s’est avérée décevante (Furtado). Toutefois, la prise de parole peut aussi être une arme, avec laquelle les migrants tentent de dénoncer les méfaits et les mensonges de la migration (Faty).

Les mises en récit de la réalité migratoire agissent donc sur cette réalité, puisque les mots inventent et réinventent la migration. Ils conditionnent la planification, le déroulement mais aussi la manière de percevoir l’expérience migratoire. Même le choix du terme qui nommera l’acte de migrer et celui qui l’accomplit est tributaire des mises en parole existant autour de la migration (Canut et Mazauric).

S’intéresser aux manières de dire la migration, c’est aussi inévitablement s’intéresser aux manières de vivre la migration. Plusieurs contributions mettent notamment en lumière les dynamiques sociales et familiales qui agissent sur l’expérience migratoire. Si la famille, et plus généralement le réseau social, jouent un rôle central dans l’activation des ressources financières ou symboliques nécessaires pour migrer (Laurent, Ly et al.), ils exercent aussi une pression considérable sur le migrant qui devient le « catalyseur des espoirs et des attentes » (p. 233) de son entourage et se doit de réussir pour conserver son statut social. L’acte de migrer peut même constituer la seule issue pour être reconnu socialement, comme chez les Haalpulaar où ceux qui ne migrent pas sont considérés comme des vauriens (Faty). C’est en ce sens que l’on peut considérer l’expérience migratoire comme une expérience collective qui implique non seulement la famille du candidat, mais aussi tout son réseau social (Ly et al. ; Faty).

Pour mener à bien leur projet migratoire, les acteurs à qui cet ouvrage donne la parole développent différentes stratégies. Les migrants soninkés, par exemple, construisent des maisons où les futurs migrants de leur village pourront vivre et s’entraider (Wagué et Nossik). Les étudiants « diaspos » au Burkina Faso, eux, s’insèrent dans des réseaux de solidarité (Mazzochetti). Cependant, ces stratégies peuvent aussi être narratives, comme dans le cas des requérants d’asile qui réinventent leur passé pour éviter un refus des autorités (Beneduce).

Les seize chapitres esquissent, à l’aide des outils de l’anthropologie linguistique, un portrait complexe de ce que signifie migrer pour les sociétés d’Afrique de l’Ouest. Les résultats empiriques sont inscrits, de manière plus ou moins importante selon le chapitre, dans un contexte théorique adéquat.

La force de cet ouvrage réside dans la polyphonie des voix qu’il laisse entendre, permettant ainsi aux acteurs de dire la migration à leur manière. Or, les auteurs ne se contentent pas de rapporter des discours, ils se penchent aussi sur la fonction symbolique de l’acte de dire, sur le rapport entre réalité racontée et réalité vécue. En ce sens, le livre peut bénéficier à tout lecteur s’intéressant à la mobilité dans sa dimension sociale comme langagière.