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Inspiré au départ de l’arbitrage conventionnel du Code civil du Québec[1], l’arbitrage des griefs est devenu au fil des ans le mode statutaire et exclusif en vue de disposer des mésententes relatives à l’application et à l’interprétation des conventions collectives[2].

De privé qu’il était à l’origine, le système d’arbitrage est devenu de plus en plus public sur le plan de la compétence que les arbitres sont appelés à exercer, alors qu’il a conservé pour l’essentiel toutes les caractéristiques d’un régime privé quant à son mode de fonctionnement. Cette évolution se manifeste par un élargissement du champ d’intervention de l’arbitre de griefs dans des domaines qui étaient auparavant l’apanage des tribunaux de droit commun. Cette compétence élargie a été confirmée par une suite de décisions de la Cour suprême du Canada[3] : « De tout cela, il ressort clairement que la compétence arbitrale ne porte plus seulement sur les règles de droit élaborées par les parties à la convention collective. Elle comprend aussi le pouvoir et le devoir d’appliquer le droit du pays. Les arbitres de griefs exercent sans contredit une compétence dont l’objet est, en ce sens, devenu largement public[4]. »

Sans reprendre la démonstration faite par Gilles Trudeau en 2005, notamment en ce qui concerne l’élargissement du champ de compétence de l’arbitre, cela pose la triple question de l’indépendance, de la compétence et de l’accessibilité, aussi bien sur le plan de la disponibilité que sur le plan des coûts.

Le noeud de la difficulté réside, premièrement, dans le fait que la rémunération des arbitres est en relation avec le libre choix qu’en font les parties et, deuxièmement, dans l’appréciation de la qualification et des habiletés professionnelles nécessaires pour exercer correctement la compétence judiciaire élargie qui est maintenant la leur.

De cela découle un certain nombre de conséquences qui appellent une recherche de voies et de moyens qui permettraient de conserver le plus possible des éléments du régime actuel tout en assurant au mieux l’indépendance et la compétence professionnelle des arbitres.

Il s’agit là d’une question qui retient l’attention depuis un certain temps et qui mérite considération.

En effet, des universitaires et des praticiens ont eu l’occasion de s’exprimer sur l’une ou l’autre de ces questions, soit dans des articles parus dans des revues avec comités de lecture (Trudeau[5] et Notebaert[6]), soit au 9e Colloque Gérard-Picard sous l’égide de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) en février 2007 (entre autres par les arbitres Hamelin, Nadeau, Veilleux et Doré)[7] ou à l’occasion du congrès de la Conférence des arbitres du Québec tenu en 2008 (Morin[8]) ou encore dans d’autres forums ou publications.

Il n’y a pas lieu de reprendre ici, ne serait-ce qu’en résumé, l’essentiel de l’argumentation des uns et des autres si ce n’est pour souligner que certains inscrivent leur propos dans le contexte du maintien du régime actuel d’arbitrage, alors que d’autres vont dans le sens d’une réforme, d’un changement en profondeur, voire du remplacement du système actuel par une commission nationale de l’arbitrage.

Pour les premiers, surtout des arbitres en exercice, il n’est pas exclu que des améliorations puissent être apportées au fonctionnement du régime actuel ; pour les seconds, il faut aller beaucoup plus loin, car, selon les tenants de cette position, l’indépendance institutionnelle et la compétence même des arbitres sont en cause.

À notre avis, les modifications qu’a connues l’arbitrage au cours des dernières années, en particulier l’élargissement du champ de compétence des arbitres, militent en faveur d’une réforme importante du régime, sans aller pour autant jusqu’à souscrire à la suggestion de créer une commission nationale de l’arbitrage. Il y a lieu d’explorer, croyons-nous, d’autres moyens de résoudre les problèmes soulevés tout en conservant un certain nombre de caractéristiques propres à l’institution arbitrale.

Il importe auparavant d’expliciter quelques questions que soulève le contexte nouveau dans lequel s’exerce la fonction d’arbitre de griefs.

1 Les questions soulevées

Bien qu’elles soient distinctes, les trois grandes questions soulevées, à savoir l’indépendance, la qualification et l’accessibilité, ont quand même des liens du fait qu’elles ont une source commune, soit le déplacement de l’arbitrage de la sphère d’influence des parties, donc privée, vers le domaine public, en particulier en raison de l’élargissement du champ de compétence des arbitres.

En effet, dans la mesure où l’arbitre est appelé à interpréter et à contrôler l’application de l’oeuvre des parties, en l’occurrence la convention collective, il est possible de reconnaître une certaine logique au fait que, dans un contexte d’arbitrage à l’origine d’inspiration conventionnelle, l’indépendance de l’arbitre peut découler de la seule confiance que les parties lui accordent au moment où elles le choisissent. Il en va de même de sa qualification et de ses habiletés professionnelles dont l’appréciation est laissée aux seules parties qui retiennent ses services. Et dans ce libre marché, rien de plus normal que le niveau de la rétribution que reçoit l’arbitre résulte d’une entente entre les parties, même dans les cas où elle est tacite pour autant qu’elle découle d’une adhésion à des conditions préalablement et unilatéralement énoncées par l’arbitre.

Bien sûr, les choses ont changé au fil des années, et il y a déjà longtemps que l’heure n’est plus à l’arbitrage conventionnel à l’état pur et que cette activité a été l’objet d’interventions successives de la part de l’État pour en préciser et en encadrer minimalement l’exercice tantôt par voie législative, tantôt par voie réglementaire. C’est ainsi que sont apparus le tarif minimal, le délai pour rendre sentence et, plus tardivement, la déclaration obligatoire du tarif et autres conditions pécuniaires (forfait en cas de règlement avant audience, taux applicable au temps de déplacement, etc.)[9]. Cela dit, notons que ces interventions législatives et réglementaires touchent bien peu la détermination de la compétence professionnelle et la formation, pas plus que la liberté des parties dans le choix de la personne à qui elles s’en remettront pour interpréter leur convention collective.

Toutefois, force nous est de reconnaître que le régime actuel d’arbitrage conserve toujours les grandes caractéristiques d’un arbitrage privé, c’est-à-dire qu’il repose essentiellement sur le libre choix des parties qui le rémunèrent.

C’est précisément cela qui pose problème dans un contexte où l’arbitre n’agit plus uniquement comme le juge des parties, mais est appelé à dire le droit du pays.

En somme, le choix et l’appréciation de la qualification peuvent-ils continuer de reposer sur le seul critère de l’« acceptabilité » par les parties dès lors que l’arbitre peut avoir à interpréter et à contrôler l’application de lois émanant des instances législatives, à la condition que les faits de l’affaire se situent dans un contexte de rapports collectifs du travail ? Les parties à l’origine d’un acte privé qui régit leurs rapports deviennent ainsi les seuls garants de la capacité de celui qui sera appelé à dire le droit public.

Il n’y a pas de réponse simple à cette question et les opinions varient largement selon les interlocuteurs et selon la place qu’ils occupent dans ce monde de l’arbitrage, qu’ils soient représentants des intérêts de l’une ou l’autre des parties, qu’ils soient arbitres en exercice ou leur porte-parole ou encore qu’ils soient ex-arbitres devenus observateurs.

Les options vont du maintien du régime actuel jusqu’à son remplacement par une commission nationale de l’arbitrage en passant par des voies intermédiaires. L’argumentaire des tenants du maintien du régime privé repose pour l’essentiel sur le fonctionnement efficace du système actuel depuis des décennies avec des délais et des coûts plus que raisonnables et bénéficiant, sur le plan de la compétence professionnelle, d’une longue expérience collective[10]. Pour les tenants de la création d’un tribunal administratif, remplaçant l’arbitrage, c’est la voie à privilégier pour bénéficier d’une justice arbitrale institutionnellement indépendante et professionnellement compétente[11].

1.1 L’indépendance institutionnelle

La question de l’indépendance institutionnelle ne peut être complètement dissociée de celle de l’impartialité, deux notions qu’il ne faut cependant pas confondre. En effet, bien que ces composantes puissent interagir et qu’elles soient « très étroitement liées », elles sont pourtant « séparées et distinctes[12] ». En fait, « [l]’indépendance est la pierre angulaire, une condition préalable nécessaire, de l’impartialité judiciaire[13] ». Plus encore, elle est « une garantie de l’impartialité judiciaire[14] ».

Si l’indépendance a été traditionnellement conçue pour protéger le tribunal contre l’ingérence du gouvernement (ou du pouvoir exécutif), la Cour suprême du Canada a reconnu ce principe, qui s’applique aussi dans les cas où cette ingérence (pression, influence, etc.) est le fait des parties elles-mêmes[15]. Le renvoi à ces précédents présente donc une pertinence certaine en l’espèce. Un peu comme les juges municipaux en cause dans l’arrêt Lippé et dont la Cour suprême a confirmé l’indépendance et l’impartialité institutionnelles, certains arbitres de griefs siègent à temps partiel et peuvent continuer de pratiquer le droit, malgré leur pratique arbitrale.

Par ailleurs, la récusation pour cause de partialité appréhendée, principe inspiré de l’article 234 du Code de procédure civile[16], « s’applique [aussi] aux arbitres[17] » : « La jurisprudence décrit le test applicable en matière de récusation pour cause de partialité de la façon suivante. Le décideur doit être en mesure de trancher le litige dont il est saisi en toute liberté d’esprit. Il doit être à l’abri de pressions extérieures et ne pas être influencé par ses intérêts personnels[18]. »

Il est bien clair que les arbitres jouissent d’une très grande indépendance par rapport à la puissance publique. Chacun aura compris que l’indépendance dont il est question ici est celle de l’arbitre par rapport aux parties qui le choisissent et qui le rémunèrent et dont dépend, de ce fait, le revenu découlant de sa pratique arbitrale. En ce sens, nous pouvons dire que la fonction arbitrale se pratique un peu à la façon d’une profession libérale, encore que la Conférence des arbitres du Québec (CAQ) ne soit pas un ordre professionnel, tant s’en faut, mais elle exerce certaines des fonctions qui sont les attributs d’un ordre professionnel.

Il demeure que l’arbitre qui ferait preuve de partialité évidente, ou donnerait des raisons de croire qu’il a un certain parti pris en faveur de l’une ou l’autre des parties, ne ferait pas long feu dans ce système.

La question de l’indépendance se manifeste en pratique de façon plus subtile, plus insidieuse, souvent même de façon inconsciente. C’est ce que nous appellerions le désir plus ou moins conscient chez l’arbitre de « ne pas déplaire », d’éviter des situations ou des décisions susceptibles de créer un inconfort : par exemple, comme cela a été souligné par Gilles Trudeau[19], ne pas exercer pleinement toute son autorité dans des situations où non seulement il pourrait le faire, mais où il pourrait être justifié de le faire, tel qu’éviter de convoquer d’office, consentir aux demandes de remise sans poser de questions, adopter une attitude très libérale eu égard à la pertinence de certains éléments de preuve.

1.2 La qualification et les habiletés professionnelles

Le corps des arbitres est composé de personnes appartenant à diverses professions, le plus souvent liées directement ou indirectement au monde du travail. Leur formation professionnelle et l’expérience acquise avant d’accéder à la fonction arbitrale constituent un atout important pour cette justice de proximité et permettent de compter sur une diversité de compétences.

Cependant, les causes dont sont saisis les arbitres sont de plus en plus complexes et nécessitent des connaissances de base en droit que n’ont pas, ou pas à un degré suffisant, un certain nombre d’arbitres.

Dans un régime de justice privé, sans doute est-il possible de s’en remettre à l’appréciation des seules parties pour déterminer si la qualification de l’arbitre qu’elles choisissent est suffisante ou adaptée à la situation conflictuelle qu’elles s’apprêtent à lui demander de trancher. Cependant, selon des commentaires entendus, il y a, en vertu du régime actuel, des procureurs d’un côté comme de l’autre pour se plaindre, surtout au regard d’arbitres qu’ils n’ont pas choisis, qui du manque de connaissances de tel arbitre, qui de la méconnaissance de l’art de conduire une audience chez tel autre.

1.3 L’accessibilité

L’arbitrage se veut une justice de proximité, donc non seulement rapide et efficace, mais également accessible, sur le plan du libre choix, des coûts et aussi des délais, lesquels impliquent également des coûts plus élevés.

La question qui se pose ici est en partie liée aux deux précédentes. En effet, il y a lieu de se demander jusqu’à quel point l’accessibilité ne se trouve pas limitée par le système de libre choix du fait que certains arbitres plus en demande ont une disponibilité moins grande et qu’il existe des écarts de tarifs imposés selon que l’arbitre est choisi par les parties ou qu’il est désigné par le ministre[20]. Aussi, quel impact peut avoir sur le ralentissement de la procédure et, le cas échéant, sur la création de goulots d’étranglement le fait que des arbitres hésitent à exercer pleinement leur autorité ?

Cet aspect de la question demeure pour l’instant le moins bien documenté, même s’il ne va pas sans soulever quelques interrogations, notamment celle qui est relative à la capacité de certains petits syndicats de payer les coûts de recours qui pourraient s’élever au-delà de leurs moyens[21].

2 Des voies à explorer

Devant ces multiples interrogations, il peut être intéressant d’explorer une autre voie que celle de la création d’une commission nationale de l’arbitrage cherchant à conserver le plus possible des éléments caractéristiques du régime actuel, c’est-à-dire une participation des parties au choix des personnes aptes à exercer la fonction tout en assurant indépendance et compétence.

2.1 Un fractionnement de la compétence ou un guichet unique ?

Une des voies déjà évoquées reposerait sur une intervention législative en vue de partager les recours entre ces diverses instances spécialisées en fonction du champ de compétence de chacune (Tribunal des droits de la personne, Commission des normes du travail, Commission des relations du travail, etc.), tout en réservant le champ de l’interprétation et du contrôle de l’application de la convention collective exclusivement à l’arbitre des griefs. Cette approche aurait pour avantage de permettre que les affaires soient entendues par des instances indépendantes et spécialisées, et ce, en conservant intact le régime d’arbitrage privé de litiges résultant de l’application des conventions collectives.

À notre avis, cette approche doit être rejetée : non seulement elle va à l’encontre des enseignements de la Cour suprême[22], mais elle a pour inconvénients de multiplier les recours et, par voie de conséquence, les délais et les coûts inhérents[23].

Il apparaît nettement préférable, selon nous, de favoriser l’approche dite du guichet unique, lequel permet de disposer en entier d’un litige aussi bien dans sa dimension conventionnelle que dans ses aspects légaux ou constitutionnels, et ce, de façon rapide, complète et définitive.

Cependant, il faut encore que cette voie offre toutes les garanties nécessaires en matière d’indépendance, de compétence et d’accessibilité. Or, il semble que le régime actuel présente des lacunes importantes à cet égard indépendamment de la qualité des personnes qui exercent la fonction d’arbitre et de l’association, la CAQ, qui s’est donné pour mandat d’assurer la compétence et l’intégrité des arbitres.

À cet égard, selon Gilles Trudeau[24], l’arbitrage ne peut demeurer la seule affaire des parties du fait que le champ de compétence est devenu tel qu’il s’étend largement à des questions qui ne relèvent pas de l’acte des parties, à savoir la convention collective, mais qui émergent directement de la sphère publique.

Par ailleurs, il n’est pas évident que la seule ni même la meilleure solution à cette question réside dans la création d’une sorte de tribunal administratif qui serait appelé « commission nationale de l’arbitrage ». Du point de vue des parties, cette formule aurait évidemment l’avantage de faire porter par les pouvoirs publics une part non négligeable des coûts de l’arbitrage. Par ailleurs, elle aurait probablement pour effet de bureaucratiser l’arbitrage, d’en alourdir le fonctionnement, d’éloigner les parties du processus de sélection et de rendre inutile la CAQ, si ce n’est d’en modifier la vocation de façon importante. De manière plus générale, il n’est pas évident non plus que cela contribuerait à réduire les coûts de l’arbitrage, même si ceux-ci devenaient en bonne partie à la charge de la société.

Cela dit, il y a donc lieu d’explorer une voie qui permettrait tout à la fois de conserver certains des éléments du régime actuel, notamment un certain contrôle de la part des parties, et d’assurer chez les arbitres indépendance, compétence et accessibilité.

2.2 Une banque d’arbitres agréés

Pour la constitution d’une banque d’arbitres agréés, les parties représentées au sein du comité compétent du Conseil consultatif du travail et de la main-d’oeuvre (CCTM) continueraient, selon la procédure actuelle, de constituer la liste des personnes jugées aptes à agir comme arbitres et suscitant la confiance des parties.

Bien que les arbitres soient de plus en plus amenés à décider des affaires qui comportent une dimension relevant du droit public et non de la seule convention collective, il n’y a pas lieu, croyons-nous, de réserver l’exercice de la fonction d’arbitre aux seuls membres de la profession juridique ou à des personnes qui ont fait des études en droit. En effet, compte tenu du fait que la convention collective demeure au coeur du champ de compétence de l’arbitre, il est important d’avoir un corps d’arbitres diversifié sur le plan disciplinaire et connaissant bien le milieu du travail et les relations du travail.

Ce n’est pas à dire pour autant que toutes ces personnes considérées comme hautement compétentes dans leurs domaines respectifs et ayant la confiance des parties ont nécessairement toute la qualification requise pour disposer des questions qui leur seront soumises et pour conduire correctement les audiences.

Un spécialiste en relations industrielles, un sociologue, un ingénieur industriel, un ergonome ou un psychologue n’a pas forcément la formation nécessaire pour décider de questions techniques qui peuvent découler de l’interprétation des chartes ou pour disposer de questions relatives au harcèlement psychologique, par exemple. De la même manière, ce n’est pas parce qu’un candidat est issu de la profession juridique qu’il a les qualités nécessaires à la conduite sereine et rigoureuse d’une audience.

D’où l’importance que soit correctement évaluée la qualification d’un futur arbitre, le seul agrément des parties basé sur la « confiance », sur l’« acceptabilité » et sur l’opinion qu’elles peuvent se faire de la capacité d’un candidat ne pouvant suffire, car l’objectif est non pas de pouvoir compter sur des arbitres qui sont en mesure de rendre des décisions « acceptables » (non déraisonnables), mais de viser l’excellence.

D’où aussi la nécessité que soient mises en place une formation ou des formations adaptées en vue de combler ces lacunes, le cas échéant. Cela pourrait être fait sous l’égide du CCTM, comme cela avait été le cas en 1972, avec la collaboration des parties, lorsqu’il a fallu recruter de nombreux arbitres pour suppléer à la pénurie d’arbitres résultant des modifications à la loi qui interdisait aux juges en exercice d’agir comme arbitres[25].

Il existe déjà un programme d’accueil et d’intégration des nouveaux arbitres. S’il y a lieu de se demander si cela est suffisant, il peut également être intéressant de voir dans quelle mesure et selon quelles modalités la CAQ pourrait être associée à ces formations en collaboration avec le comité compétent.

Selon cette approche, seules les personnes ainsi certifiées seraient habilitées à agir comme arbitres. Les parties n’auraient plus le loisir de désigner comme arbitre une personne de leur choix en qui elles ont grandement confiance, mais qui n’aurait pas été ainsi agréée. En somme, la reconnaissance de la compétence ne s’inférerait pas de la confiance que les parties accordent à une personne, mais elle résulterait d’un processus d’évaluation et de certification.

Pour ce qui est du maintien des connaissances, la CAQ organise chaque année des sessions de formation sur des sujets divers et souvent d’actualité. Ces sessions sont habituellement d’excellente qualité et sont animées soit par des arbitres chevronnés, soit par des intervenants de renom. Cette pratique doit non seulement demeurer, mais il faut aussi l’encourager. Reste à savoir dans quelle mesure il est raisonnable de penser que la fréquentation de ces sessions devienne obligatoire ou, à tout le moins, qu’il y ait obligation pour les arbitres de mettre à jour leurs connaissances chaque fois qu’apparaissent des changements législatifs majeurs susceptibles d’influer leur champ de pratique[26].

Les arbitres ainsi reconnus le seraient pour des périodes de cinq ans (ou autre) renouvelables.

2.3 La répartition des dossiers

Dans le régime actuel, mis à part les cas où l’arbitre doit être désigné par le ministre du Travail, les arbitres sont, dans la grande majorité des cas, choisis par les parties. Correspondant à la philosophie de base qui a présidé à la mise en place de ce système de justice privé, ce mode de désignation a une incidence à la fois sur l’indépendance de l’arbitre, sur les délais et sur les coûts. Sur l’indépendance : s’il veut être choisi, l’arbitre doit non seulement être impartial, mais il a avantage à « ne pas déplaire ». Sur les délais : il convient de tenir compte du temps qu’il faut aux parties pour s’entendre sur le choix de l’arbitre, en fonction de la disponibilité et de la souplesse dont il fait preuve à l’égard des demandes de remise. Sur les coûts : le taux horaire varie d’un arbitre à un autre en fonction de critères qui n’ont pas toujours à voir avec les compétences ou l’expérience, mais davantage avec la confiance et la popularité.

Dans un régime d’arbitrage qui laisserait moins de place à l’initiative des parties à cet égard, celles-ci conserveraient la faculté de désigner dans la convention collective les arbitres de leur choix parmi les personnes agréées par le comité compétent. Certains y verront une façon d’accélérer le processus et surtout de bénéficier d’arbitres qui connaissent bien le milieu de travail et la convention collective qui s’y applique.

Dans tous les autres cas, il n’y aurait plus de désignation par les parties. Il y aurait lieu d’examiner la possibilité de mettre en place une structure légère, par exemple un greffe, qui verrait à répartir les dossiers entre les arbitres en fonction de leur disponibilité et des régions et, le cas échéant, pour des besoins spécifiques, en fonction de leur expertise professionnelle (médecin, ergonome, ingénieur industriel, etc.). À cette fin, tous les arbitres devraient faire connaître au greffe leur disponibilité à court et à long terme, y compris le fait d’être ou non désignés dans certaines conventions collectives.

Il existe d’ailleurs un précédent en ce domaine au Québec, c’est celui du Greffe des tribunaux d’arbitrage de l’éducation qui joue en rôle important dans la répartition des dossiers en fonction de la disponibilité des arbitres inscrits au greffe et dans la détermination des dates d’audience. Cette expérience a contribué, dans une certaine mesure, à « déprivatiser », au moins en partie, le processus d’arbitrage des griefs dans ce secteur. Il y aurait intérêt à examiner dans quelle mesure ce greffe pourrait servir de modèle, en faisant les adaptations nécessaires, pour la mise en place du mode de désignation dont il est question ici.

La qualification et l’expertise ayant été reconnues au moment de l’agrément par le comité compétent, les avantages d’une répartition en fonction de critères objectifs (disponibilité, région, domaine d’expertise) l’emportent sur le libre choix reposant sur un critère dit de « confiance » plutôt difficile à définir.

Cette approche permettrait aussi de disposer de façon commode du « problème » des désignations par le ministre. Il est connu que les arbitres qui ont un fort volume d’arbitrage sont souvent réticents à accepter de tels mandats. En effet, ce sont, dans la majorité des cas, des dossiers émanant de petites ou moyennes entreprises ou bien de petits syndicats qui ont peu de moyens ou encore des dossiers qui « traînent » et dans lesquels les parties ne sont guère pressées de procéder (le syndicat cherchant par une requête au ministre à protéger ses droits et ceux des salariés en se mettant ainsi à l’abri de la prescription). Ces dossiers demandent souvent beaucoup de temps, sont peu payants et se règlent fréquemment par eux-mêmes.

Ce mode de répartition serait plus équitable pour les arbitres, sans compter qu’un arbitre « indépendant », c’est-à-dire qui ne reçoit pas ses mandats directement des parties, serait probablement moins hésitant à convoquer péremptoirement au besoin, la convocation enclenchant du même coup l’ouverture à une procédure de médiation préarbitrale qui sera décrite plus loin.

2.4 La rémunération

Dans le système actuel, le niveau de rémunération d’un arbitre dépend essentiellement de deux aspects : du nombre de dossiers qu’il doit traiter et du taux horaire auquel il évalue la qualité de sa prestation.

Dans un régime où l’arbitre ne reçoit plus ses mandats des parties (sauf dans les cas où il est désigné dans la convention collective), comment pourrait être articulée cette situation délicate de la rémunération des arbitres ? Deux questions se posent ici : qui doit payer ? Et quel prix ?

2.4.1 Qui doit payer ?

Il y a un grand avantage à maintenir un système selon lequel les frais et les honoraires doivent être payés en parts égales par les parties. Et cela, pour plusieurs raisons : ce mode de partage des frais semble plus conforme à l’esprit de cette justice entre des parties qui font face à un problème qu’elles doivent faire résoudre par un tiers, mais qui doivent continuer de vivre ensemble une fois la décision rendue. Le partage des frais reflète l’image que, de ce point de vue, il n’y a pas de perdant. Ensuite, les frais partagés constituent une incitation au règlement avant audience chaque fois que cela est possible. À cet égard, il faut dire qu’il y a actuellement une évolution dans le genre d’affaires qui se rendent en audience. En effet, à une certaine époque, les parties venaient devant l’arbitre pour des questions relativement simples qui auraient pu se régler dans le contexte de bonnes relations du travail, mais qu’elles préféraient faire trancher par un arbitre, parfois pour toutes sortes de raisons qui avaient peu à voir avec le fond du litige[27]. Aujourd’hui, ces questions se règlent avant audience, de telle sorte que les causes qui se rendent à l’adjudication sont souvent beaucoup plus complexes qu’autrefois, reposent sur des enjeux plus importants et nécessitent une plus grande expertise de la part de l’arbitre.

Il semble évidemment, pour toutes les raisons mentionnées dans la littérature[28], qu’il convient de proscrire le système dit du « Qui perd paye » : celui-ci n’est pas[29] adapté à la justice arbitrale et il soulève de multiples difficultés de mise en oeuvre, sans compter son incidence sur l’indépendance de l’arbitre comme cela a été indiqué[30].

2.4.2 Le niveau de la rémunération

Dans le système actuel, la détermination de la rémunération de l’arbitre obéit aux règles du marché avec un minimum de réglementation, à savoir une déclaration obligatoire et publique du tarif demandé[31], un tarif plancher déterminé par voie réglementaire et un encadrement du temps consacré au délibéré et à la rédaction de la décision, le tout en fonction du nombre de jours d’audience[32].

Pour le reste, soit l’essentiel, c’est un marché libre où chaque arbitre détermine pour lui-même le taux horaire qu’il estime convenable selon l’opinion qu’il se fait de la valeur de sa prestation : « Dans bien des cas toutefois, le jeu de l’offre et de la demande contribue à fixer la rémunération de l’arbitre : celui qui est en demande sera enclin à hausser le taux horaire de sa rétribution[33]. »

C’est donc dire que le prix chargé n’est pas en fonction de la compétence ou de l’expérience de l’arbitre, mais plutôt de l’offre et de la demande et de ce que les parties qui recourent à ses services sont disposées à verser. Il ne s’agit pas ici d’inférer qu’il y aurait des arbitres incompétents ou moins compétents parmi ceux qui commandent les tarifs les plus élevés, mais plutôt que le fait pour un arbitre de demander un tarif moindre ne signifie pas non plus qu’il serait moins compétent. De toute manière, s’agissant d’un marché libre et « privé », les motifs qui peuvent justifier un tarif plutôt qu’un autre demeurent obscurs. Ces écarts peuvent s’expliquer aussi bien par le fait que certains arbitres ont des frais de logistique moins élevés que par le fait que d’autres arbitres évoluent dans un « marché » de grandes entreprises et de « gros » syndicats, tandis que certains de leurs collègues sont moins recherchés sans qu’il soit possible d’en préciser les raisons (eux-mêmes n’y arrivant pas).

Le système envisagé ici à titre d’hypothèse s’accommode mal d’un mode de libre tarification, même si, dans le présent régime, celle-ci fait l’objet d’une déclaration publique.

Comme les parties, dans les limites de cette proposition, n’auraient plus le choix de l’arbitre, sauf dans les cas où ce dernier serait désigné dans la convention collective, il serait opportun que le tarif soit déterminé par voie réglementaire après consultation des partenaires sociaux au sein du comité compétent et de la CAQ. Cela pourrait donner lieu à la mise en place d’une courte échelle de tarifs, tenant compte de l’expérience de l’arbitre et dont le niveau le plus bas permettrait à l’arbitre débutant de toucher un revenu convenable. De toute manière, avec un régime de répartition des dossiers selon la disponibilité, et non selon la demande pour un arbitre donné, le volume d’affaires devrait normalement compenser le fait qu’un nouvel arbitre est nécessairement moins connu.

Le niveau de rémunération ne dépendrait donc plus du libre choix des parties au cas par cas, mais d’une répartition des dossiers par un organe neutre.

2.5 Les délais

S’il est une facette de l’arbitrage qui est particulièrement bien documentée, c’est celle des délais[34].

Il ne s’agit pas tant de savoir dans ce cas si les délais imputables à l’arbitre ou au « système » sont trop longs ou moins longs qu’avant ou encore plus ou moins longs que devant d’autres instances, mais plutôt de déterminer s’il existe quelque moyen de les réduire davantage, de façon qu’ils répondent mieux aux objectifs de cette justice de proximité.

2.5.1 La question

Le fait est connu : certains délais, les plus longs en fait, échappent au contrôle de l’arbitre. Ils sont de trois ordres : les délais qui courent durant la procédure interne de réclamation habituellement encadrée par la convention collective ; les délais qui s’écoulent entre la fin de cette procédure et le choix d’un arbitre lorsqu’il est désigné par les parties, le délai qui s’étend de la désignation de l’arbitre jusqu’à la date de la première audience.

S’agissant des délais de fixation d’une date d’audience, il est des secteurs d’activité où il est proprement impossible d’obtenir une disponibilité de la part des parties, le plus souvent de la part de la partie syndicale, avant 12, 14 ou même 18 mois ou plus.

Par ailleurs, il est fréquent que, dans le cas de mandats donnés par le ministre, les parties, une comme l’autre, satisfaites d’avoir suspendu le délai de prescription, répondent tout bonnement à l’invitation de fixer une date : « Écoutez, on est en pourparlers ; si on a besoin de vous, on vous appellera. » L’arbitre moins vigilant ou trop occupé à d’autres dossiers pourra voir des mois s’écouler sans avoir de nouvelles des parties. S’il fait un rappel, il se fera répondre : « Écoutez, je pense que nous sommes sur le point d’en arriver à un règlement, rappelez-nous dans un mois ou on vous rappellera. »

L’arbitre soucieux de ne pas déplaire aux représentants des parties, qu’il est susceptible de retrouver devant lui dans d’autres mandats qu’ils voudront lui confier, pourra être tenté de ne pas intervenir et de respecter ces longs silences : « Après tout, c’est leur affaire ! » Il évitera de convoquer péremptoirement les parties, à moins d’avoir des raisons de croire qu’il y aurait manifestement mauvaise foi de la part d’une partie. L’arbitre qui convoque péremptoirement, même en pareilles circonstances, ne manque pas de provoquer un grand étonnement !

Enfin, il y a les délais propres à l’arbitre, c’est-à-dire ceux du délibéré et de la rédaction, lesquels, selon les données que nous avons obtenues, sont les plus courts.

2.5.2 Des voies de solution à examiner

Si une part des délais est attribuable aux parties (à noter que l’arbitre n’a aucune emprise sur ceux-ci), certains autres délais résultent du système lui-même, et le régime proposé permettrait probablement d’améliorer la situation. Ces délais sont de trois ordres : les délais relatifs à la nomination et à la saisine de l’arbitre, les délais de convocation et les délais attribuables aux fréquentes demandes de remise.

À cet égard, il est raisonnable de penser que des économies de temps importantes pourraient résulter du mode de désignation. Les parties n’ayant plus à chercher à s’entendre sur le choix d’un arbitre, le mandat pourrait être confié rapidement à un arbitre disponible, sauf évidemment dans les cas où il serait déjà désigné dans la convention collective.

L’arbitre ainsi saisi d’une affaire disposerait d’un pouvoir de persuasion et d’intervention plus grand qu’à l’heure actuelle pour fixer des dates d’audience et, au besoin, convoquer péremptoirement. Libéré du « devoir de ne pas déplaire », il verrait son autorité accrue. Ce n’est pas à dire pour autant qu’il ne devrait pas agir avec civilité ni tenir compte des disponibilités réelles des acteurs, mais il disposerait de façon utile des moyens nécessaires pour réduire les reports futiles ou inconsidérés. De plus, la convocation des parties à une audience, quelle qu’en soit la date, aurait pour effet de donner ouverture à la possibilité d’une intervention conciliatrice ou médiatrice volontaire dont les modalités seront explicitées ci-après.

Pour ce qui est des demandes de remise, la très grande majorité résulte soit d’une requête commune des parties, soit d’une requête d’une des parties en particulier, l’autre déclarant « ne pas s’y opposer ». Dans un système de justice privé, l’arbitre n’a guère d’autre choix que de s’incliner devant le voeu exprimé d’un commun accord, sans poser de questions, sans se demander si cela est dans l’intérêt de la justice, s’il y a risque de préjudice. Si l’arbitre s’avise en pareille occurrence d’interroger l’une ou l’autre des parties sur l’impact éventuel de la remise ou, parfois, sur la nature précise du litige dont il n’a pas toujours été préalablement ou suffisamment informé, il suscite l’étonnement tellement il va de soi que nul ne saurait douter du bien-fondé d’une demande de remise formulée de consentement. Il arrive que les remises soient de courte durée et portent peu à conséquence, alors que parfois, et dans certains secteurs d’activité, une remise « accordée » a pour effet de reporter l’audience de plusieurs mois, ce qui ne va pas sans conséquence pour les justiciables.

Nous pouvons raisonnablement nous demander dans quelle mesure la faculté plus grande qu’aurait un arbitre indépendant de limiter les remises serait susceptible de contribuer à une réduction significative à cet égard. Il est possible que cet effet escompté soit peu important en pratique, notamment parce que ce ne sont pas toutes les causes qui font l’objet d’une demande de remise et aussi parce que certaines remises sont inévitables. Néanmoins, ce qui paraît plus significatif, c’est que l’élimination du caractère automatique ou quasi automatique des remises serait l’une des expressions de l’indépendance institutionnelle de l’arbitre.

2.6 La médiation préarbitrale

La médiation préarbitrale se pratique déjà, souvent sans règles bien précises et, en l’absence de telles règles, avec les incertitudes et les inconforts qu’elle provoque parfois. Ainsi, la question se pose de savoir si la médiation doit être exercée par un arbitre distinct de celui qui entendra la cause en cas d’échec ou bien si, à certaines conditions qui restent à préciser, la même personne peut agir d’abord comme médiateur et ensuite comme arbitre dans la même affaire dont elle est saisie.

Certains arbitres ont même développé leur propre protocole en vue de fixer le cadre de la médiation et de prévoir la suite des choses dans le cas où il leur faut passer à l’étape du jugement en raison d’un échec de la médiation.

Une façon d’améliorer le règlement des griefs pourrait consister en une généralisation et en une accessibilité plus grande de la médiation dans un cadre prédéfini. Il existe d’ailleurs des précédents institutionnalisés qui ont contribué largement à faciliter la conclusion de transactions qui sont « revêtues d’une force exécutoire » mettant ainsi fin au litige avant jugement. Il en résulte des économies de temps, d’énergie et d’argent[35].

Dans l’hypothèse examinée ici, la convocation des parties à une première séance d’audience donnerait donc ouverture à une procédure de conciliation ou de médiation volontaire et gratuite assurée par des conciliateurs spécialisés mis à la disposition des parties par le ministère du Travail.

Nous pouvons nous permettre d’espérer que la qualité du service offert et sa gratuité inciteraient les parties à y recourir, ce qui contribuerait ainsi à réduire les coûts, à diminuer les délais et à alléger la tâche des arbitres héritant des dossiers plus complexes et plus lourds.

2.7 La conduite de l’enquête et la pertinence de la preuve

Il a été fait état à plusieurs reprises que les affaires dont sont saisis les arbitres sont de plus en plus complexes ; par voie de conséquence, ainsi en va-t-il de la preuve.

Dans le régime actuel, la divulgation de la preuve se pratique parfois, bien qu’elle ne soit nullement obligatoire. Dans certains cas, la partie qui en a le fardeau fera une déclaration liminaire dans laquelle elle annoncera ce qu’elle a l’intention de mettre en preuve et parfois aussi les objections qu’elle compte soulever en cours d’enquête.

Il y a lieu de se demander dans quelle mesure il ne serait pas opportun de rendre obligatoire la divulgation de la preuve.

Cela aurait pour effet d’accélérer le débat, de faciliter l’audience et de permettre à l’arbitre de disposer plus facilement des questions relatives à l’admissibilité de certains éléments lorsqu’une partie s’oppose pour des motifs de droit ou de pertinence.

Si l’arbitre expérimenté peut disposer facilement de bon nombre d’objections à la preuve, notamment en matière de preuve testimoniale, il n’en est pas toujours ainsi, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une preuve documentaire reposant sur des technologies nouvelles.

Il en va de même de la question de la pertinence de certains éléments de preuve, laquelle n’est pas toujours évidente, il faut en convenir. Il y a lieu de se poser la question de savoir dans quelle mesure le « souci de ne pas déplaire » conduira parfois l’arbitre à se faire plutôt tolérant à cet égard ou à « prendre sous réserve », ce qui est une solution de facilité et de dernier recours qui a pour effet de compliquer la tâche des procureurs et, éventuellement, celle de l’arbitre.

Conclusion

Compte tenu des intérêts en présence et de la satisfaction de certains acteurs quant au fonctionnement du régime d’arbitrage privé actuel, il est raisonnable de penser que des modifications importantes qui touchent au principe même du libre choix par ceux qui rémunèrent les arbitres ne paraîtront ni urgentes ni même nécessaires.

Certains pourront être tentés de croire qu’il y a simplement lieu d’améliorer le système par une meilleure sélection et une meilleure formation des arbitres, le principe du libre choix constituant, depuis les origines, le fondement même de ce régime.

La question qui se pose se situe toutefois bien au-delà du strict fonctionnement de la justice arbitrale privée ; elle repose sur des principes aussi importants que ceux qui touchent l’indépendance du juge-arbitre par rapport aux justiciables, de même que la sanction de sa qualification et de sa compétence professionnelles. Elle soulève en effet la question de savoir comment il est toujours socialement acceptable qu’une personne puisse être appelée à interpréter et à contrôler l’application de dispositions d’ordre public sans que la loi ou la réglementation n’exige de qualification ou de compétence particulière[36].

Bien que nous puissions reconnaître qu’il n’existe pas de solution unique à ces questions, nous devons constater qu’il n’en est guère qui pourraient y répondre sans une intervention législative modifiant de façon substantielle le statut de l’arbitre et le fonctionnement de cette instance.