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La scène se déroule un soir de mars 2006 dans le village indien de Mailam (figure 1). Il est minuit, et comme chaque année, le sang d’un chevreau sacrifié est offert par les villageois aux démons de la frontière de la localité, pour parachever les huit jours de fête dédiés à la déesse du village. Ce rituel, qu’on retrouve dans de nombreux villages de l’Inde, se distingue des autres fêtes calendaires de la localité par le recours au « sacrifice sanglant » (Biardeau et Malamoud, 1996 : 138) nécessaire pour calmer les démons et renouveler la sécurisation religieuse de l’espace villageois.

Figure 1

Les États fédérés de l’Union indienne

Les États fédérés de l’Union indienne
Réalisation: P.-Y. Trouillet 2009 (UMR ADES)

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S’il n’est pas question de juger ici la violence de cette pratique culturelle – conformément à la neutralité axiologique webérienne – il convient néanmoins d’en mettre en lumière le sens sociospatial, car la violence de ce sacrifice et les spatialités qu’il révèle préfigurent symboliquement les violences d’un conflit local qui opposera les deux castes (jāti[1] majoritaires du village, quelques semaines après ce sacrifice.

Ce conflit impliquera d’une part les Paraiyar, qui constituent la principale caste intouchable [2] du Tamil Nadu (rappelons que le mot « paria » provient de ce nom de caste) ; et d’autre part les Vanniyar, qui forment la caste dominante de Mailam et de nombreux villages des plaines du nord-est du Tamil Nadu (qui signifie pays tamoul) et qui sont réputés pour leurs rapports conflictuels avec les castes intouchables qu’ils côtoient (Headley, 2006).

La caste des Vanniyar est une caste d’agriculteurs de rang rituel relativement peu élevé, étant répertoriée dans la catégorie des castes les plus arriérées (Most Backward Classes[3]. Elle correspond en revanche à la catégorie des castes dominantes introduite par le sociologue indien Srinivas (1955) [4], car son pouvoir repose davantage sur la forte proportion de ses membres aux échelles locale et régionale, sur sa mainmise sur une large part du foncier et sur son pouvoir politique, que sur la notion de pureté rituelle (Dumont, 1966). En 2006, les Vanniyar rassemblent 58 % de la population de Mailam, possèdent la majeure partie des terres agricoles et dirigent le conseil villageois élu (panchayat).

Quelques semaines après le sacrifice de 2006, des familles paraiyar qui se rendent au temple de la déesse tutélaire du village s’y font injurier, maltraiter et chasser par des Vanniyar estimant que ces Intouchables ne doivent pas pénétrer dans l’enceinte du temple. Une bande de jeunes Paraiyar décide alors d’aller se battre avec ces Vanniyar, ce qui débouche sur un conflit ouvert entre les deux castes. Après avoir porté plainte au commissariat du village, les Paraiyar décident finalement de ne plus se rendre à ce temple.

Cet incident se déroulant peu de temps avant les élections régionales de mai 2006, des Paraiyar placent ensuite devant l’unique arrêt de bus du village des affiches de leur parti politique, les Panthères de la liberté (Viduthalai Siruthaigal[5], et d’autres portant l’effigie du Dr. Ambedkar, le personnage politique le plus emblématique du mouvement panindien de libération des plus basses castes. La réaction des Vanniyar ne se fait pas attendre puisqu’ils retirent immédiatement ces affiches. Les Dalit [6] (c’est-à dire les Intouchables militants se réclamant du dalitisme) portent à nouveau plainte avant de réinstaller les affiches, ce qui donne lieu à de nouveaux affrontements (injures, jets de pierres, coups de bâtons) entre bandes rivales des deux castes.

Au début de l’année 2007, les relations entre les deux castes restaient tendues avec une récurrence de violences du même ordre, notamment lors de la fête des récoltes (Pongal). Or, et c’est là un paradoxe de taille, les principaux acteurs traditionnels coopérant lors des rites de la fête de la déesse et du sacrifice, sont justement issus de ces deux castes.

Se basant sur une observation participante des rites villageois effectuée en 2006 et 2007 à Mailam, cet article propose de mettre en lumière les fondements socioculturels de ces violences. Il s’agira d’identifier les correspondances entre champ sacré, champ social et champ spatial relatives aux multiples expressions de la violence liées au sacrifice et à la caste au sein d’un même village. À cet effet, c’est en tant qu’acte spatialisé « fondamentalement violent » et « forme suprême de l’activité villageoise » (Malamoud, 1976 : 14) que le sacrifice constituera un phénomène (géo)rituel des plus utiles pour saisir les relations entre culture religieuse et géographie de la violence intercaste à l’échelon d’une formation sociospatiale villageoise. Nous verrons, plus précisément, dans quelle mesure les spatialités des violences polymorphes du sacrifice hindou révèlent une géographie socioreligieuse idéologique de l’espace villageois, porteuse de violences symboliques constituant l’un des enjeux du conflit de caste. Enfin, l’autre objectif de cet article est de combler partiellement un manque quant à l’étude géographique de la performativité sociospatiale du sacrifice, le rite violent par excellence.

Contexte et réflexion théorique

Contrairement à l’intérêt porté aux guerres de religion et aux conflits communautaires inter- et intra-étatiques (Dubois, 2005 ; Lacoste et Racine, 2002), la violence et les conflits traversant l’étendue d’une même formation sociale, surtout à l’échelon local, restent assez peu étudiés par la géographie des religions et la géopolitique. Or dans le monde indien, les conflits de caste obligent à se pencher précisément sur cette échelle locale, notamment en contexte rural. En effet, loin de l’idéal gandhien de non-violence (a-him?sā), les villages indiens (72 % de la population nationale) [7] restent en proie à de nombreuses violences intercastes, dont les ressorts relèvent parfois du champ socioreligieux.

Notons au préalable que, si les conflits de caste et leurs violences ont toujours dû exister, les facteurs de ces conflits se sont quant à eux diversifiés, à la suite notamment des différentes mesures législatives [8] qui ont contribué à précipiter la caste dans l’arène politique indienne. Les identités de caste, qui étaient déjà fortes au XIXe siècle, se sont en effet affermies depuis, à mesure que le poids politique et électoral de la caste s’est renforcé. La dispute du pouvoir économique continue également d’alimenter de nombreux conflits de caste contemporains, opposant non seulement des hautes castes à des basses castes, mais aussi des basses castes entre elles. La caste est en fait progressivement devenue un support et un enjeu majeur de compétitions sociales, politiques et économiques, et ce, aussi bien à l’échelon national qu’aux niveaux régionaux et locaux.

La question religieuse peut aussi intervenir dans certains conflits de caste, surtout lorsque ceux-ci opposent des très basses castes à des hautes castes ou à des castes dominantes, notamment dans les villages. Bien que les villes n’échappent pas à la règle, les questions de l’intouchabilité et de la hiérarchie sociorituelle des castes sont en effet mobilisées et disputées dans ce type de conflits, gagnant épisodiquement les scènes politiques régionales (et parfois nationale) qui influencent à leur tour la physionomie des rapports sociaux locaux. Comme nous le verrons par la suite, l’hindouisme et ses rites concourent régulièrement à la sacralisation d’ordres sociaux hiérarchiques locaux (voire régionaux dans le cas de certains pèlerinages) qui légitiment autant la perpétuation de discriminations envers les plus basses castes que le maintien de positions de domination des hautes castes ou des castes dominantes. La religion participe ainsi, à sa manière, à de nombreux conflits opposant des castes de plus en plus politisées, comme l’évoque l’affaire des affiches politiques des Paraiyar de Mailam. En somme, si le poids de la caste connaît un réel renforcement, attribuable notamment à sa politisation (Assayag, 2006), il convient cependant de ne pas oublier que l’hindouisme reste le champ originel du système des castes, celui de sa légitimation et celui de sa consécration.

Les géographes reconnaissent que les faits religieux sont des plus heuristiques quant à la compréhension des phénomènes de territorialisation (Vincent et al., 1995), mais aucun ne s’est directement intéressé à la dimension sociospatiale du sacrifice. Pourtant, celui-ci révèle de profondes structures symboliques qui l’enracinent non seulement dans une transcendance, de par sa nature religieuse, mais également dans un territoire, par la spatialisation de ses rites et les représentations de l’espace social qui leur sont associées. Plus largement, en mettant en scène dans l’espace public certains acteurs rituels aux statuts sociaux distincts, les teneurs spatiales et sociosymboliques des fêtes de temples hindous sont de puissants vecteurs de valeurs sociales, de règles collectives et, souvent, d’organisations spatiales hiérarchiques des statuts. Les travaux effectués par Di Méo sur la géographie des fêtes vont dans ce sens. Leur auteur considère les fêtes en tant qu’« espaces des positions sociales et (toujours) du pouvoir » (2001 : 15) et comme des « codes socioculturels imprimés dans l’espace géographique » (Ibid. : 3) dont les vertus performatives résident dans la capacité qu’ont les fêtes à créer un interstice spatial et temporel hautement signifiant.

En conséquence, si le fait de trancher la gorge d’un chevreau pour en recueillir le sang pourrait sembler constituer la seule violence contenue dans l’acte sacrificiel hindou, la coopération rituelle entre castes (rivales à Mailam) et la dimension religieuse – c’est-à-dire collective, symbolique et performative – du sacrifice en tant qu’acte violent ordonné par les dieux, invitent à interroger également le symbolique comme champ d’expression de la violence. Pour Pierre Bourdieu, « la violence symbolique, c’est cette violence qui extorque des soumissions […] en s’appuyant sur des « attentes collectives », des croyances socialement inculquées » et sur un « travail de socialisation nécessaire pour produire des agents dotés de schèmes de perception et d’appréciation qui leur permettront de percevoir les injonctions inscrites dans une situation ou dans un discours et de leur obéir » (1994 : 190). Or, et comme nous le verrons ici, la hiérarchisation fonctionnelle des castes issue du modèle sociétal et culturel hindou (brahmanique) fondé sur les varnas [9], dépend précisément de ces attentes collectives, schèmes et croyances, dont le but est d’assurer la reproduction d’un système social institué fondé sur l’inégalité des statuts. L’expression symbolique des violences sociales doit donc impérativement être analysée pour comprendre les tenants et les enjeux des violences liées à la caste, et ce n’est qu’à ce prix que l’étendue des violences contenues dans le sacrifice pourra pleinement se saisir.

Comment considérer alors, d’un point de vue géographique, les relations entre violence, culture religieuse et espace social, lors de leur mise en scène par le sacrifice hindou ?

Invitant à une « plongée dans l’ontologie spatiale », Claval répond en partie à cette question en appelant de ses voeux les (ethno)géographes à s’interroger sur « la topologie des forces à l’oeuvre dans le Cosmos, dans le monde et dans la société » et sur « comment la différenciation des forces transcendantes ou immanentes se traduit […] dans l’espace » (Claval et Singaravélou, 1995 : 369). Ce sera l’une des clés de notre analyse, car l’espace des dieux fait écho à l’espace social du village hindou.

Néanmoins, en pensant la culture comme une donnée à la fois stable et déterminante, une approche trop culturaliste des spatialités du sacrifice hindou risquerait de négliger les mobilisations politiques, les conflits sociaux et leurs violences, aujourd’hui présents dans la réalité sociale des castes et qui, de fait, modifient inévitablement cette réalité en lui conférant un caractère dynamique. En ce sens, les apports de Di Méo sur l’approche géographique de la culture sont ici utiles, car ils posent le principe de la production de la culture comme étant « sensible aux forces, aux impulsions créatrices d’une action sociale dynamique et spatialisée, à ses jeux et à ses enjeux, aux conflits et aux luttes qui la secouent, aux formes de régulation qui la rendent possible » (2008 : 50). Cet auteur postule d’ailleurs qu’il convient d’« affirmer la consubstantialité absolue du social et du culturel en géographie » (Ibid.).

Pour les individus, les groupes ou les sociétés, une conception immuable de la culture comme réalité que l’on tient à maintenir au nom de la tradition peut constituer un enjeu pour lequel on est parfois « prêt à se battre » (Claval et Staszak, 2008 : 5). Dès lors, cet enjeu relève davantage de rapports de pouvoir l’englobant que de la question culturelle en tant que telle car, comme nous le verrons pour le sacrifice hindou, la culture ne peut se comprendre sans envisager « l’imaginaire sociétal » (Chivallon, 2008 : 69) dans lequel elle s’intègre et qu’elle contribue à maintenir. Et c’est précisément lorsque l’ensemble d’une formation sociale n’est plus d’accord sur la conception sociétale véhiculée par la culture, que des luttes, parfois violentes, peuvent se manifester afin de redéfinir les données culturelles créatrices, à moment donné, de sentiments d’injustice sociale pouvant revêtir une dimension spatiale. L’étude géographique de la culture doit donc tenir compte « des effets majeurs, y compris culturels, provoqués par la compétition, la distinction, les luttes, l’action sociale en général et ses traductions géographiques : exclusion, ségrégation, relégation, marginalisation… » (Di Méo, 2008 : 64), qui sont autant de violences symboliques spatialisées. La question de la plasticité de la culture et de sa sensibilité aux rapports sociaux est donc majeure, et dépasse largement l’enjeu épistémologique dès lors que la culture devient un enjeu politique et social source de violences.

Dans le cas d’étude qui nous intéresse, les dimensions violentes, culturelles et collectives du sacrifice, d’une part, et le conflit social qui agite le village, d’autre part, incitent à identifier les violences instituées, symboliques ou déguisées du pouvoir établi incarné par la caste dominante des Vanniyar envers les Paraiyar, afin de comprendre les fondements des violences décrites en introduction. Celles-ci ne pourront pleinement se saisir sans mesurer également l’inscription locale, à Mailam, de la résistance contemporaine aux violences symboliques de la caste, manifestée dans toute l’Inde par de nombreux Intouchables politisés et militants : les Dalit. Outre la compréhension des fondements culturels des violences intercastes par l’étude géographique des violences du sacrifice, il s’agira donc de déterminer in fine la place qui revient localement à la violence dans « l’instauration du lien social, dans sa perpétuation, sa transgression, sa subversion » (Vidal et al., 1994 : 9), mais aussi dans sa territorialisation.

Violences du sacré et violences rituelles

La violence rituelle du sacrifice sanglant pratiqué chaque année à Mailam [10] intervient en réponse à la représentation collective de menaces d’ordre sacré, susceptibles de causer du tort aux villageois. Ces menaces concernent essentiellement les divinités démoniaques qui inquiètent les villageois par les possessions et les maladies qu’elles véhiculent, pouvant entraîner folie ou stérilité, dès lors que ces démons parviendraient à entrer dans le village. Les enjeux du sacrifice et de la fête de la déesse portent donc sur la prévention religieuse de violences provenant du champ sacré. Cette prévention revêt également une dimension spatiale, car les rites ont pour fonction de renouveler la protection et la sécurité religieuse de l’espace villageois contre les démons, dont le lieu rituel est situé à la frontière nord-est du village (figure 2).

Figure 2

Parcours des processions lors de la fête et du sacrifice

Parcours des processions lors de la fête et du sacrifice
Réalisation: P.-Y. Trouillet 2009 (UMR ADES)

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Le sacrifice sanglant est la seule réponse que les humains peuvent directement apporter aux dangers venant de la frontière. Pour ce faire, le dernier soir de la fête de la déesse, les hommes se rendent à cette frontière rituelle pour jeter aux démons du riz cuit, mélangé au sang du chevreau sacrifié au préalable devant le temple de la déesse du village. En sacrifiant ce chevreau, c’est-à-dire en payant un tribut aux démons et en ayant recours à la violence sur une victime émissaire, les villageois cherchent à échapper aux violences d’un monde sacré et menaçant. D’ailleurs, tous les hommes qui se rendent en procession à la frontière portent un collier de protection et aucun ne doit dépasser la borne rituelle, au risque de courir un grand danger.

Mailiyamman, déesse du village dont la fête se conclut par le sacrifice, est une autre figure divine majeure de ces rites. En tant que déesse tutélaire du village reconnue pour sa puissance, elle participe à la sécurisation de l’espace villageois par les processions quotidiennes de sa forme mobile (une statue sur un palanquin) dans la localité, afin de maintenir les êtres maléfiques à l’extérieur du village. Les habitants précisent également que la fête de la déesse apporte, chaque année, de bonnes relations sociales entre les villageois et une pluie généreuse synonyme de bonnes récoltes. L’intervention fertilisante de la déesse peut aussi et surtout guérir les villageoises n’ayant encore pu mettre au monde. Ainsi, après le don du mélange sacrificiel aux démons, les restes de la mixture rituelle sont-ils rapportés au temple de la déesse, où les femmes stériles mangeront, dans l’espoir d’une guérison, les quelques grains de riz restants, imbibés du sang sacrificiel.

Par conséquent, l’opposition entre la fertilité polymorphe apportée par la déesse et la stérilité occasionnée par les possessions des démons indique qu’au-delà de la sécurisation du village, c’est plus largement la reproduction de la société locale qui est attendue par ces interrelations entre les hommes et le sacré lors du sacrifice. Cela est d’autant plus vrai que les villageois évoquent l’importance des rites pour maintenir localement de bonnes relations sociales. Le sacrifice est certes violent, mais sa violence rituelle est nécessaire et bénéfique ; elle sera toujours moindre que celles qui menacent chaque année les gens du village. C’est une violence domestiquée protégeant les humains des violences démoniaques. Cette violence du sacrifice étant employée en vue de conserver et de reproduire la société villageoise, elle nous paraît correspondre à ce que Balandier appelle une « violence de fonctionnement, une violence de maintien » (1979 : 13).

La symbolique signifiée par l’opposition de nature entre les deux types d’êtres divins en action lors du sacrifice doit également être soulignée, car leurs fonctions autant que leurs noms vernaculaires sont hautement significatifs. Mailiyamman, déesse tutélaire du village dont le nom renvoie à cette relation fusionnelle – Maili- évoquant Mailam et amman signifiant « déesse mère » –, est un être à la fois protecteur, bénéfique et fécondateur, dans la mesure où elle est garante de la reproduction des humains et de la société villageoise. Comme toutes les déesses hindoues tutélaires de localités, Mailiyamman est une déesse dharmique, c’est-à-dire défendant le dharma, l’ordre sociocosmique hindou. En contrepoint, la nature agressive, néfaste et sauvage des démons est à relier à une catégorie de divinités démoniaques et porteuses de troubles, signifiée par le terme tamoul « ạtarma tēvatai » (dieu a-dharmique). En conséquence, ces deux catégories divines incarnent une première opposition symbolique, rituelle et signifiante, mobilisée pour la conservation de l’ordre social (dharma), permettant d’envisager un ensemble de correspondances plus vaste entre le sacré, le social et le spatial. Car tout comme les rites et les groupes sociaux, les dieux sont spatialement mis en scène lors du sacrifice.

Spatialités du sacrifice et violence sociosymbolique du système des castes

Le sacrifice a lieu au temple de la déesse qui est sous le patronage des Vanniyar. Ce temple a été construit au XIXe siècle par leur initiative, et ils se partagent depuis le privilège d’y organiser la fête et le sacrifice, ce qui élève localement leur statut sociorituel, car ces prérogatives revenaient jadis au roi (Dumont, 1996). Le temple est aussi le haut lieu rituel de leur territoire. En effet, l’espace qui se situe et où il est quotidiennement sacralisé par les processions de la déesse lors de la fête, n’est habité que par des Vanniyar (figure 2). Ainsi se réalise-t-il chaque année l’affichage spatial d’une distinction socioterritoriale, dépendant certes du sacré, mais relevant surtout d’une stratégie symbolique de placement de la part de la caste dominante.

Toutes les autres castes du village sont autorisées à entrer et à prier dans ce temple et dans le sanctum sanctorum. Toutes sauf celle des Paraiyar qui rassemble pourtant près du tiers de la population de Mailam. Après 20 ans de revendications, ces Intouchables ont néanmoins acquis le droit en 1995 d’entrer dans le sanctuaire, mais le saint des saints leur reste interdit. Aucun autre temple ne connaît d’interdit discriminant à Mailam et toutes les castes principales y ont un temple de référence. L’organisation spatiale de l’habitat des castes s’y établit en effet selon une ségrégation sociospatiale où les principaux quartiers monocastes ont leur propre temple, dont la divinité est toujours une déesse [11] (figure 3). Si le temple de Mailiyamman pose problème, comme nous l’avons vu en introduction, c’est parce que celle-ci est la déesse de tout le village et que seuls les Paraiyar sont interdits dans le saint des saints. Cette discrimination renvoie à leur relégation hors du village des castes (ūr), dans deux hameaux (cēri) réservés aux Intouchables, considérés de fait comme des hors caste, selon des questions de ségrégation et de mise à distance (figure 3) fondées sur la pollution rituelle de l’intouchabilité.

Mais avant que les processions de la déesse aient lieu, un officiant vanniyar et deux Paraiyar effectuent une procession dite « du son » (figure 2) afin de « nettoyer et protéger le parcours » (aux dires des organisateurs vanniyar), de sorte que les démons ne viennent pas menacer les Vanniyar durant la remise de leurs offrandes à la déesse siégeant sur un palanquin. Cette procession sonore produit un grand effroi auprès des villageois, car les risques encourus par quiconque se situerait devant le son de ce cortège nocturne sont considérés comme mortels. Personne ne doit donc sortir de chez soi durant ce rite. La mort est la forme ultime de la violence, même si celle-ci est d’ordre sacré.

Ce sont les deux Paraiyar qui produisent ce son si terrible avec leur tambour (parai), qui leur est traditionnellement associé pour les funérailles et qui est à l’origine de leur nom de caste. En produisant le son, ils accomplissent la tâche rituelle d’éloigner de la localité les êtres adharmiques, comme c’est habituellement le cas avec les matières polluantes que sont les corps des défunts lors des rites funéraires et comme l’évoque le terme « nettoyer » employé par les Vanniyar. Ces deux Paraiyar sont cependant reconnus comme les gardiens de la déesse, l’épaulant dans son combat contre les démons. Aussi doivent-ils, tout en étant interdits dans le saint des saints, demeurer dans l’enceinte du temple durant toute la fête (moyennant une faible rémunération), porter une tenue rituelle, adopter un comportement de castes supérieures (être chastes et végétariens) et ne plus retourner chez eux, au hameau (cēri) des Intouchables, considéré comme un espace polluant.

Figure 3

Temples et quartiers des castes à Mailam

Temples et quartiers des castes à Mailam
Réalisation: P.-Y. Trouillet 2009 (UMR ADES)

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Enfin, juste avant le sacrifice, une dernière procession de près de 200 Paraiyar (figure 2) apporte au temple les flammes nécessaires à la cuisson rituelle du riz destiné aux démons car, comme nous l’a précisé l’un des deux Paraiyar gardiens, « la puissance du mélange (sacrificiel) vient du hameau ». On retrouve ici la fonction des Paraiyar de chasser les êtres adharmiques de la localité. Mais leur relation avec la pollution rituelle et les éléments adharmiques est telle qu’aucun des 200 Paraiyar n’entre ensuite dans le sanctuaire.

La coopération entre les deux castes majoritaires du village est donc nécessaire au bon déroulement de la fête et du sacrifice. La présence des Paraiyar y est indispensable, mais l’interdit spatial concernant l’accès au temple est doublement mis en scène : le cortège des Paraiyar n’entre pas dans le sanctuaire et les deux gardiens n’ont pas accès au sanctum sanctorum malgré leur statut provisoire de gardiens. Ce statut ne remet donc pas en cause la discrimination instituée envers leur caste, ni même d’ailleurs, la domination des Vanniyar, qui organisent la fête, possèdent le temple et en interdisent l’accès aux Paraiyar. La domination et la discrimination, tout comme la relégation des Paraiyar à plusieurs niveaux (espaces de vie, lieux sacrés), sont ainsi symboliquement et publiquement affichées par la mise en scène des rites liés au sacrifice. De fait, les violences symboliques envers les Paraiyar et l’ordre social hiérarchique sont à la fois spatialisés et consacrés. Les violences de ce sacrifice concernent donc bien la question du maintien, du bon fonctionnement et de la reproduction sociale et spatiale du village, rejoignant et complétant les enjeux du champ sacré.

Les dessins spatiaux de desseins sociaux

Le temple de la déesse, également lieu du sacrifice, est le pôle socioreligieux central du village, évoquant l’ordre social (dharma) que Mailiyamman incarne et protège, et que les Vanniyar tiennent à maintenir. Mailiyamman étant la déesse de tout le village, la mainmise des Vanniyar sur son temple reflète leur domination numérique, économique et politique, étendue à l’ensemble du village. La centralité de ce temple est donc autant géographique que sociosymbolique, ce qui invite à plonger dans la symbolique des lieux et des espaces rituels, pour voir combien la fête et le sacrifice révèlent une composition territoriale élaborée, dessinant une véritable géographie socioreligieuse et idéologique du village.

Lorsqu’ils évoquent la frontière rituelle, les villageois abordent généralement une opposition entre un dedans (le village) et un dehors associé au danger venant de la frontière, rappelant l’opposition archétypale entre village et forêt explicitée par Malamoud (1976) pour le sacrifice de l’Inde ancienne. Comment alors, les pratiques d’aujourd’hui recyclent-elles cette opposition classique ?

Pour saisir pleinement l’idéologie spatiale et le sens performatif local du sacrifice, il convient d’examiner le vocabulaire tamoul utilisé pour désigner les espaces, lors du rite. En l’occurrence, les habitants de Mailam se réfèrent à l’opposition entre nạ̄tu (pays, localité, royaume) [12], qui évoque un espace domestiqué, et kạ̄tu (jungle, terre sèche ou encore lieu de crémation) [13] qui renvoie à un espace éloigné, hostile ou polluant. Chaque année, le kạ̄tu empiète donc sur le nạ̄tu, ce qui rend le sacrifice et la fête nécessaires. Notons que les divinités et les localisations de leurs sanctuaires valident également cette opposition entre deux types d’espaces entrant en conflit lors du sacrifice : la déesse dharmique a son temple au centre du nạ̄tu alors que les démons, parfois nommés kạ̄teri en référence au kạ̄tu, ont leur lieu rituel sur la frontière (figure 4).

Dès lors, le plus ancien des deux hameaux des Intouchables, situé dans la partie est du village (Kil Mailam) et d’où part la procession des 200 Paraiyar, constitue une sorte d’entre-deux spatial. Il se situe en effet entre le temple de la déesse (haut lieu du nạ̄tu et du dharma) et la frontière des démons (haut lieu du kạ̄tu et du danger / chaos). Le rôle rituel des Parayiar de débarrasser la localité des matières polluantes, y compris les êtres adharmiques, permet de comprendre cette logique voulant que ces Intouchables vivent entre ces deux types d’espaces. Nous savons en effet, grâce à Daniel (1984), qu’en pays tamoul l’espace et ses habitants sont pensés comme étant consubstantiels (ce qui se vérifie puisque les deux gardiens ne peuvent retourner dans leur hameau durant la fête). Le lien entre les Paraiyar et l’espace polluant et adharmique renvoie donc à la condition et aux fonctions rituelles de ces personnes selon un système sémiotique et cumulatif ternaire (figure 5) : i) par leurs fonctions rituelles ; ii) par leur lieu de vie ; iii) par leur « substance » (Daniel, 1984).

Figure 4

Modélisation des dessins spatiaux du sacrifice à Mailam

Modélisation des dessins spatiaux du sacrifice à Mailam
Réalisation: P.-Y. Trouillet 2009 (UMR ADES)

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Figure 5

Système cumulatif ternaire de l’intouchabilité

Système cumulatif ternaire de l’intouchabilité
Réalisation: P.-Y. Trouillet 2009 (UMR ADES)

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La discrimination et l’exclusion, qui déterminent la localisation de ce hameau entre le village (ūr) et la frontière et qui sont liées à la fonction d’interface rituelle et spatiale des Paraiyar vis-à-vis des éléments polluants, renvoient à la fois à la symbolique de ce système ternaire et à l’opposition entre nạ̄tu et kạ̄tu. La situation du second cēri, plus récent, suit d’ailleurs cette logique d’interface, car ce cēri est également établi au nord-est de l’ūr, mais cette fois-ci à Mel Mailam, la moitié ouest du village (figure 4).

Ainsi, selon une relation d’homologie qui unit l’espace des dieux, l’espace des rites et l’espace social, la localisation de la borne-frontière des démons à la limite nord-est du village renvoie à la répartition spatiale des deux castes dans le village, fondée sur le critère idéologique de la pureté relative – et ce, en fonction de toute une gamme d’oppositions en correspondance révélées par le sacrifice – où les espaces rituels sont à la fois classés et classants : nạ̄tu et kạ̄tu, dieux dharmiques et adharmiques, village et hameaux, domination / centralité des Vanniyar et exclusion / marginalité des Paraiyar, ordre (dharma) et désordre / troubles (ạtarma).

Ce dernier point nous semble crucial, car les enjeux du conflit de caste qui s’est déclaré au temple quelques semaines après le sacrifice de 2006 ne peuvent se comprendre sans souligner combien les spatialités du sacrifice consacrent un ordre social spatialisé, vecteur d’injonctions se référant à un modèle sociétal idéologique, et illustrant l’« immense puissance des dispositifs spatiaux dans les manières de discipliner les corps et de fabriquer le corps social lui-même », soulignée ailleurs par Chivallon (2008 : 85). En incitant les castes à « faire corps », la géographie des rites et les violences du sacrifice tendent en effet à prévenir tout trouble social, car le sacrifice, comme le soulignait Girard, a pour fonction majeure « d’apaiser les violences intestines et d’empêcher les conflits d’éclater » (1990 : 27).

Les ruses de la violence et la violence légitime

L’espace des rites sacrificiels est donc à la fois un outil de « contrôle et de légitimation de configurations sociales inégalitaires » (Chivallon, 2008 : 85) pour la caste dominante, et un vecteur majeur de violences symboliques envers les Intouchables. Tel est l’enjeu culturel des violences intercastes que nous recherchions. En effet, la pollution ontologique des Paraiyar consacrée par l’idéologie sociétale du sacrifice incarne une forme paroxystique des violences symboliques envers les Intouchables, désormais contestées (entre autres) par la lutte des Dalit de l’Inde contemporaine.

La participation collective des Paraiyar à des rites consacrant un système social inégalitaire semble aller à l’encontre des violences évoquées en début d’article. Cette apparente incohérence tient d’une part au fait que ces violences sont légèrement postérieures au sacrifice de mars 2006, mais également au fait que le modèle sociospatial du village révélé par le sacrifice tient davantage du modèle idéologique (brahmanique) que des réalités sociales contemporaines (Louiset, 2008). Ainsi, les représentations et les comportements actuels des Paraiyar de Mailam vis-à-vis de leurs rôles rituels ne doivent pas être considérés comme uniformes, et n’envisager les Paraiyar qu’en tant qu’agrégat au comportement homogène reviendrait à négliger la pluralité et les dynamiques internes propres aux communautés des plus basses castes d’aujourd’hui. En s’appuyant sur les discours de Viramma, une femme paria du pays tamoul, Josiane et Jean-Luc Racine (2005) ont montré à ce propos que, contrairement aux anciennes générations de Paraiyar ayant davantage intériorisé le caractère traditionnel de leur très bas statut, les nouvelles générations, mieux éduquées et informées, et plus sensibles au discours militant du dalitisme, sont beaucoup moins enclines à tolérer les violences liées à l’intouchabilité. Ceci se vérifie à Mailam où deux comportements des Paraiyar vis-à-vis de l’ordre social inégalitaire traditionnel sont à distinguer : soit ils coopèrent et participent aux rites et à la conservation de l’ordre institué, soit ils se mobilisent (comme dans l’affaire des affiches politiques) et peuvent entrer en conflit avec la caste dominante, au nom d’une volonté de changement social. Ce sont d’ailleurs des jeunes qui se sont battus avec les Vanniyar ayant maltraité les familles paraiyar au temple.

Nous avons abordé le premier type de comportement (coopératif) à travers la description des rituels. Le second type apparut lui, toujours lors du sacrifice de 2006, lorsque certains Paraiyar entrèrent dans le sanctum sanctorum du temple interdit pour « revendiquer leurs droits d’hindous et d’êtres humains » (selon leurs termes), pendant que la procession se rendait à la frontière. Ces Paraiyar eurent donc recours à la transgression et à la provocation pour se rebeller et contester l’ordre social inégalitaire consacré par les rites. En pénétrant dans le saint des saints du temple au moment du sacrifice, ces Dalit ne pouvaient trouver meilleur lieu, ni meilleur moment, pour manifester dans le champ religieux leur contestation des violences symboliques, car ils subvertissent ainsi directement la fonction sociale de la violence du sacrifice. Mais quand l’un des principaux organisateurs vanniyar eut vent de cette intrusion, il répondit à son interlocuteur qu’il faudrait « y remédier », car selon lui les Paraiyar « doivent rester à leur place », c’est-à-dire respecter l’interdit concernant le temple, haut lieu du territoire vanniyar et du dharma, pour rester dans des espaces qui leur sont consubstantiels : les hameaux. Après cette intrusion, les tensions intercastes ont gagné en intensité au fil des semaines, l’enjeu des élections régionales aidant, pour aboutir aux violences relatées en introduction.

Cette intrusion et ces affrontements renvoient à deux autres types de violence. Le premier correspond à la création par les Paraiyar de ce que Balandier nomme les « ruses de la violence » contenues dans les rites d’inversion sociale, où il s’agit, « pendant une période limitée […], en un lieu déterminé […], d’agresser le pouvoir et les hiérarchies » (Balandier, 1979 : 14). Or, en pénétrant dans le saint des saints interdit, l’agression symbolique des Dalit contre le pouvoir et son ordre ne relève pas d’un rite institué, mais bien d’une subversion directe du rituel, ce qui est d’autant plus significatif car cela montre que ces Paraiyar savent instrumentaliser à leur tour la performativité des spatialités du sacrifice. La contestation des Dalit s’oppose ainsi aux violences symboliques légitimées par l’idéologie du dharma hindou, au nom duquel les Vanniyar sont en revanche prêts à se battre, comme nous l’avons vu en début d’article et comme le sous-entend l’organisateur que nous venons de citer. Ces violences de la caste dominante au nom de l’ordre social reflètent parfaitement les propos d’un Brahmane s’exprimant sur la « violence [dharmique] légitime » (dhārmik him?sā) recueillis par Chambard dans un village de l’Inde centrale :

Dans le système des castes, chacun doit savoir rester à sa place, et si ce principe n’est plus respecté, cela devient pour ceux qui sont les patrons un cas d’application de la « morale de détresse » (āpad dharma), où précisément « la violence légitime » doit être exercée sous peine de voir la société s’effondrer. […] L’āpad dharma, c’est le droit (et même le devoir) de faire, lorsqu’il s’agit de survie pour soi, sa famille ou sa caste, ce que l’on ne doit pas normalement accomplir selon les prescriptions de la morale (dharma) ordinaire. […] Cet ordre existe notamment dans une relation déterminée entre les différentes castes comme entre les castes dominantes et les castes de service, assurant à tous une place de respect mutuel.

1994 : 68

Conclusion

Les violences polymorphes du sacrifice hindou à Mailam révèlent une géographie locale et ordonnée d’antagonismes s’exprimant entre champ sacré et champ social. Elles informent tant sur les enjeux sociorituels du sacrifice que sur les dynamiques contemporaines des conflits locaux opposant les Dalit aux castes dominantes. Lors du sacrifice, la collaboration rituelle réunit ces deux types de castes, opposées et complémentaires à plus d’un titre, dans le but d’assurer la sécurité religieuse du village et la pérennité d’un ordre social hiérarchique. En canalisant la violence dans le champ sacré, les violences rituelles du sacrifice visent, au nom du dharma, à protéger le village des violences issues du monde des dieux, mais aussi des violences intestines du champ social. En revanche, l’aspect profondément idéologique des rituels ne peut être retenu comme le seul facteur explicatif des relations tendues entre ces deux castes de Mailam, bien qu’il en constitue un des enjeux majeurs. Au vu des luttes qui agitent le village, la réalité et les comportements sont en effet bien plus dynamiques et hétérogènes que ne le laisseraient supposer la géographie des rites sacrificiels et la coopération traditionnelle entre les castes lors du rite.

Notons enfin que le renforcement actuel du poids de la caste en Inde, les crispations communautaires qui en résultent et l’essor des mouvements de libération des plus basses castes ne semblent pas aller dans le sens d’un apaisement des tensions contemporaines entre les Dalit et les castes dominantes. Si les sacrifices villageois conservent encore leur fonction de maintien et de reproduction sociale, on peut légitimement s’interroger sur la durabilité de l’effectivité de cette fonction sous sa forme actuelle, car elle se fonde sur l’idéal d’une société hindoue hiérarchisée et sur la coopération rituelle entre des castes de plus en plus souvent rivales et politisées. Ainsi, les dynamiques sociales et politiques de l’Inde contemporaine mettent-elles progressivement les traditions socioreligieuses et les dieux hindous au défi, celui d’écouter davantage les voix des parias que le seul son de leurs tambours.