Corps de l’article

Un répertoire de livres ne valant que s’il est revu et corrigé périodiquement (ou si, à tout le moins, lui succèdent addenda et errata), on voudra bien considérer les quelques remarques qui vont suivre moins comme des critiques que comme des suggestions de la part d’un lecteur avide de telles publications, aussi utiles au chercheur qu’au curieux et trop rares à notre goût.

Pour qui voulait réaliser un « dictionnaire encyclopédique des livres francophones de cinéma », pour reprendre la formule plus judicieuse employée par l’auteur à l’intérieur du livre pour désigner son Dictionnaire de l’édition de cinéma, de solides bases existaient déjà. Jean-François Houben y renvoie dans l’avant-propos (p. 2) : « [L]es lecteurs désireux de collationner davantage de références bibliographiques sont invités à se reporter aux ouvrages mentionnés dans la rubrique “bibliographie” », notamment l’irremplaçable (en tout cas non remplacée, au moins sur un point, comme nous le verrons plus loin) Bibliographie internationale du cinéma et de la télévision (Mitry, 4 tomes pour les publications francophones, 1966-1967). Il s’agissait, dans une certaine mesure, de prendre le relais de l’équipe constituée par Pierre Lherminier pour son Cinéma pleine page. L’Édition cinématographique de langue française. Dossier 1985, ouvrage remarquable qu’il fallait effectivement songer à renouveler.

À première vue, le projet se voulait très ambitieux. Pourtant, dès la page de titre, la prudence s’insinue, qui n’ira que croissant au fil de la lecture. L’entreprise n’est-elle pas quelque peu gâchée par les limites qu’elle s’est assignées ? La tâche n’était-elle pas trop ardue pour un seul homme [1]  ? L’élaboration du projet et son suivi par l’éditeur furent-ils satisfaisants ?

De la bibliographie d’un ouvrage, on attend qu’elle soit la plus exhaustive et la plus précise possible ; a fortiori, d’un répertoire de livres, se disant qui plus est « encyclopédique ». On juge de sa qualité à l’aune de ces deux critères principalement, d’autant qu’à l’inverse de Cinéma pleine page (Lherminier 1985), qui présentait à la fois un historique et un état détaillés de l’édition cinématographique, nous sommes ici en présence d’« un simple catalogue », dépourvu de tout commentaire (contrairement à la Bibliographie internationale du cinéma et de la télévision), au risque de réduire l’édition cinématographique à « une nomenclature de titres » (Lherminier 1985, p. 6).

Passons rapidement sur le premier de ces deux critères. Comme le laisse entendre la citation de Jean-François Houben à la page précédente, l’exhaustivité n’ayant pas été tentée [2] (sans qu’il soit précisé ce qui dispense de chercher à l’atteindre), il est inutile d’entreprendre de ce côté la recension des lacunes, certes impossibles à éviter dans ce type de travail, quoique l’on puisse trouver que Jean-François Houben s’en disculpe par avance de façon un peu commode en indiquant que, de toute manière, « les notices bibliographiques de la plupart des ouvrages ici recensés » peuvent être consultées, « généralement avec fruit » (p. 2).

Cependant, autant ce refus délibéré, et par conséquent assumé, de l’exhaustivité peut à la rigueur se comprendre, autant les choix éditoriaux que nous allons discuter ici, sur lesquels aucune explication n’est donnée, ni par l’auteur ni par l’éditeur, nous semblent fâcheux. Ils ne peuvent se justifier par le simple souci de ne pas alourdir ce dictionnaire, en premier lieu parce que certains numéros de CinémAction sont plus volumineux que lui (parfois même beaucoup plus puisque ce dernier comporte 235 pages alors que, par exemple, L’Enseignement du cinéma et de l’audiovisuel dans l’Europe des Douze en comportait 430) ; en second lieu, et surtout, parce qu’ils portent sur l’objet même de ce dictionnaire : « [L]es références précises et actualisées au mieux des ouvrages publiés — récemment ou plus anciennement — en langue française » (c’est nous qui soulignons) « sur un nombre étendu de sujets qui entretiennent un rapport étroit avec le cinéma » (p. 2). De sorte que ce dictionnaire est pratique, assurément, et l’on pourra s’y référer avec profit, mais à défaut d’être suffisamment précis (en plus de ne pas être exhaustif), il ne peut prétendre au statut de référence. Et ce n’est pas parce que l’auteur a bien sûr prévenu ce reproche en assumant les limites qu’il s’est données qu’on ne peut lui en tenir rigueur, ainsi qu’à CinémAction — la part de responsabilité de l’auteur et/ou de l’éditeur n’ayant cependant que peu d’intérêt pour nous. Auteur et éditeur n’ont-ils pas été à la fois trop et pas assez ambitieux ?

L’imprécision de ce dictionnaire se manifeste de plusieurs façons, dont nous pouvons donner une idée en choisissant quelques exemples de négligences ou d’approximations dans la présentation et le relevé des références. La plupart de ces négligences ou approximations ne sont pas imputables à de simples erreurs ou coquilles, que l’auteur et les éditeurs auraient beau jeu de déclarer inévitables vu la masse d’information traitée, ce pour quoi nous pensons inutile d’en entreprendre le listing [3]. Nous avons choisi les exemples suivants parce qu’ils nous semblent révélateurs de certains choix éditoriaux discutables.

Ainsi, au lieu de « Georges Sadoul, Écrits, Ed. Union générale d’éditions, 1979 » (p. 72), aurait pu être répertorié l’ouvrage suivant : Georges Sadoul, Écrits/1 : Chroniques du cinéma français, 1939-1967, choix de textes et notes de Bernard Eisenschitz, éd. Union générale d’éditions, coll. « 10/18 », 1979, 413 p.

Il nous semble inutile de souligner les avantages d’un relevé plus rigoureux des références, l’exemple qui précède parlant de lui-même, sinon pour noter que mentionner les collections, précision secondaire certes, aurait tout de même fourni des informations non négligeables. Ainsi, dans le cas du livre de Georges Sadoul, indiquer qu’il a été publié dans la collection « 10/18 » aurait rappelé aux lecteurs qu’il s’agissait d’une édition de poche [4]. De même, il est dommage que les petites brochures sur des cinéastes constituant la fameuse collection de l’« Anthologie du cinéma » (désignation omise), éditées en supplément aux numéros de « L’Avant-Scène du Cinéma », soient présentées comme des livres parus aux « Ed. L’Avant-Scène Cinéma », les recueils publiés en volumes étant quant à eux passés sous silence.

Dans le même ordre d’idées, ne pas mentionner les préfaces et avant-propos est regrettable dans bien des cas. Il n’est par exemple pas précisé que la préface signée Charlie Chaplin au recueil des textes sur le cinéma d’Élie Faure, Fonction du cinéma, publié en 1953, a été remplacée par une préface d’Yves Lévy dans la nouvelle édition de 1964 (et non réédition, comme l’indique Jean-François Houben, p. 70). Sans même parler de la différence d’intérêt historique et intellectuel entre ces deux préfaces, en l’occurrence surtout fonction de la différence de renom entre les auteurs — cherchez donc à acquérir ces livres et vous vous en rendrez vite compte [5]  !

On regrettera également le choix de ne pas faire figurer le lieu d’édition, choix qui s’avère parfois préjudiciable. Il est certes très utile d’apprendre qu’un ouvrage de 206 pages sur Elio Petri a été publié en 1974 (p. 181). Toutefois, apprendre que l’éditeur est une « Faculté des lettres et sciences humaines » ne nous avance pas à grand-chose, le territoire français en étant abondamment pourvu [6].

Notons, parmi les curiosités de cet ouvrage, un autre exemple de confusion entre réédition et édition nouvelle, le distinguo s’avérant peu souvent de pure forme. L’Usine aux images aurait été « réédité » en 1995 par Séguier et Arte (dont la contribution est omise, p. 70). Je ne pense pas que ce serait vanité de la part de Jean-Paul Morel et Giovanni Dotoli d’éprouver un peu d’agacement à ne pas voir leurs noms cités vu le remarquable travail qu’ils ont fourni pour proposer une édition entièrement refondue et confondante de méticulosité des écrits de Ricciotto Canudo sur le cinéma (et de laquelle on peut penser, après coup, qu’ils auraient dû l’intituler différemment). J’imagine qu’ils auront particulièrement apprécié de lire qu’ils se sont contentés de reprendre le recueil publié par Fernand Divoire en 1927, très incomplet et qu’ils jugent « fauti[f] à plus d’un titre » (Morel et Dotoli, dans Canudo 1995, p. 21). Sans exiger d’une revue « grand public » le même degré de rigueur qu’une thèse de l’École nationale des Chartes (et pourquoi pas d’ailleurs ?), on est tout de même en droit d’en attendre un peu plus…

A contrario, des préfaciers ou responsables d’édition sont parfois transformés en auteurs de l’ouvrage recensé, par exemple Andrée Tournès, désignée comme l’auteur du livre suivant : Jean Delmas, Une vie avec le cinéma (p. 74). Ou encore Michel Ciment et Louis Séguin, promus auteurs d’un livre sur Roger Tailleur (p. 73) alors qu’ils se sont contentés de regrouper des textes de leur ami sous le titre Viv(r)e le cinéma et qu’eux-mêmes se désignent clairement comme « éditeurs » (ils signent un « Avertissement des éditeurs », p. 25-26 [7]). En outre, un manque de rigueur nuisible à la crédibilité de l’ouvrage se fait sentir quand des responsables d’un recueil de textes ou d’un reprint dont le travail fut autrement primordial sont omis, un bien flou « collectif » étant proposé à leur place à titre d’auteur (nous pensons en particulier, mais pas seulement, à la réédition en fac-similé de La Revue du cinéma avec des introductions, tables et témoignages établis et réunis par Odette et Alain Virmaux [8]).

Il se trouve néanmoins, convenons-en, des points positifs dans ce numéro de CinémAction, si ce n’est le simple fait d’exister, qui est loin d’être négligeable.

Aussi, le choix fait par CinémAction d’illustrer « ce numéro un peu particulier » par « des fac-similés de [ses] couvertures » (note de Guy Hennebelle, p. 2) était-il une astucieuse manière de célébrer son centième numéro, permettant en effet de montrer « la grande diversité des thèmes qu’a traités » cette précieuse revue ? On notera cependant, puisqu’elles ne sont pas mentionnées par son directeur Guy Hennebelle, deux exceptions à ce choix [9]  : le Dictionnaire de la censure au cinéma (p. 58) et Feux croisés sur la critique (p. 70) bénéficient du même traitement de faveur alors qu’ils n’ont pas été édités par CinémAction. En quoi ces deux livres (une habile compilation qui ainsi mise en valeur peut passer pour l’ouvrage de référence en la matière ; un recueil d’entretiens qui, de la même manière, peut passer…) méritaient-ils d’être distingués des autres ? Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de publicité clandestine, même si la mention « (Publicité) », apparaissant aux pages 197 au-dessus de la couverture d’un numéro de L’Avant-scène cinéma et 141 au-dessus des couvertures de trois numéros de la revue Contre Bande, n’a pas été rajoutée pour l’occasion. Il s’agissait plutôt de contrebande, puisque ce sont en effet les membres des mêmes groupes et équipes qui sont célébrés dans les deux cas d’exception, ces livres ayant pour vertu première d’avoir été écrits par des collaborateurs de CinémAction (Jean-Luc Douin, conseiller à la rédaction et, accessoirement, journaliste au « Monde des livres [10]  » ; Jean-François Houben, auteur du dictionnaire dont il est question ici) et l’un d’entre eux (Feux croisés sur la critique) ayant de surcroît été édité par le diffuseur de la revue (Le Cerf).

Autre choix qui nous semble très judicieux : le classement thématique, par rubriques (à l’intérieur desquelles un classement chronologique a été établi), qui rend la consultation de ce répertoire très agréable et, à tout le moins, beaucoup plus aisée que celle de la Bibliographie internationale du cinéma et de la télévision (Mitry 1966-1967). Excepté que, malgré les doublons, il n’était guère possible de ranger trop d’ouvrages dans deux rubriques à la fois (et a fortiori plus de deux). Aussi l’auteur a-t-il pris soin d’annoncer dès le départ que « certains ouvrages ont — régime de faveur exceptionnel — bénéficié d’une double entrée, lorsque leur objet couvrait deux thèmes distincts » (p. 2, c’est nous qui soulignons). L’auteur a donc pris le parti, compréhensible, de ne pas multiplier ce genre de traitement et, de plus, de considérer arbitrairement, mais délibérément, qu’aucun livre ne méritait de bénéficier de plus de deux entrées. Ceci se justifierait sans doute si on lisait ce type d’ouvrage de façon continue. Or, ce n’est pas le cas. Il s’agit du type même de livre qui se butine selon l’humeur ou qui se consulte selon le(s) besoin(s), rubrique par rubrique, au coup par coup, et si possible à l’aide d’un index (un index des auteurs fait en l’occurrence cruellement défaut). Dès lors, les effets pervers du classement thématique et des choix effectués par Jean-François Houben sont parfois criants. Un exemple caricatural [11]  : Claude Mauriac apparaît, avec L’Amour du cinéma, comme l’auteur du premier livre portant sur « le(s) langage(s) cinématographique(s) » (rubrique « Esthétique », p. 87) ! Façon de voir assez cocasse, ma foi.

Plusieurs choix éditoriaux sont pour leur part particulièrement appréciables : la prise en compte de publications parues ailleurs qu’en France (essentiellement en Belgique, au Québec et à Alger) et d’ouvrages publiés par des universités ou par divers organismes peu connus des cinéphiles [12]  ; la volonté de ne pas se limiter aux livres en mentionnant également des revues. Toutefois, il est regrettable encore une fois que le suivi de l’éditeur n’ait pas été à la hauteur, la Bibliographie internationale du cinéma et de la télévision (Mitry 1966-1967) demeurant de ce fait une mine d’informations inégalée en ce qui concerne ce qui s’est publié dans les revues. L’inventaire de Jean-François Houben est en effet bien loin d’être complet sur ce point, ce dont on se gardera de le blâmer vu l’ampleur de sa tâche. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de lui reprocher de nouveau un certain laxisme dans le relevé des références.

Le plus perturbant pour le lecteur est l’assimilation des revues à des maisons d’édition. Ainsi, ce n’est qu’un exemple, Philippe Haudiquet aura publié un livre sur Mark Donskoï aux « Ed. Image et Son » en 1964 (p. 162) : plus précisément il a fourni la principale contribution à un dossier sur Donskoï paru en novembre 1964 dans le no 178 de la revue Image et Son, numéro qui comportait également un entretien avec Satyajit Ray, un compte rendu du festival de Venise et une section sur les films nouveaux. La confusion s’avère fâcheuse en ce qui concerne les Cahiers du cinéma, rien ne distinguant dans ce dictionnaire les livres publiés par la maison d’édition et les numéros spéciaux de la revue, y compris ceux qui s’insèrent dans la numérotation courante des Cahiers du cinéma, publication périodique (par exemple l’« Autoportrait(s) » d’Isabelle Huppert (p. 21), « un numéro conçu et réalisé par une actrice » (Les Cahiers, Cahiers du cinéma, no 477, mars 1994, p. 4)).

On ne s’étonnera donc pas que les références de la rubrique « Revues de cinéma » (p. 197-198) ne soient pas données non plus de façon très satisfaisante. En revanche, les numéros de CinémAction sont un peu plus scrupuleusement référencés [13]. Comme quoi…

Les solutions aux problèmes posés par ce genre de répertoire résident probablement dans la formation d’une équipe éditoriale aux connaissances plus vastes et dans l’édition électronique. Cette dernière ne constituerait sans doute pas une panacée, elle ne remplacerait d’ailleurs pas forcément l’édition papier, mais en proposerait une version complémentaire, ses références pouvant être à la fois plus complètes, plus rigoureusement établies et plus nombreuses, ce qui permettrait d’atteindre un plus haut degré de précision et de tendre vers l’exhaustivité. De plus, et surtout, cette version alternative pourrait être plus aisément amendée et périodiquement « actualisée au mieux », pour reprendre l’objectif affiché par Jean-François Houben.