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Quel pourrait bien être l’effectif de la population appartenant à la francophonie ? Quelle est sa répartition à travers la planète aujourd’hui ? Quelle sera sa répartition géographique dans les décennies à venir ? Aura-t-elle la même configuration géographique ou sera-t-elle concentrée dans quelques régions ? Dans un contexte où mondialisation semble rimer avec anglicisation, dans la mesure où l’anglais s’impose comme langue de communication dans les échanges de plus en plus fréquents entre des univers linguistiques distincts, notamment à travers les technologies de l’information, il nous a paru intéressant de tenter un exercice prospectif qui pourrait nous permettre de cerner ce que sera la francophonie de demain, mais en nous limitant ici à son poids démographique et à ses tendances en termes de répartition sur les différents continents.

Évidemment, le rôle de la francophonie dans le monde ne peut se résumer au seul décompte des individus appartenant aux pays francophones. En effet, c’est notamment à travers le dynamisme de ses institutions et de ses acteurs politiques, artistiques, scientifiques et économiques que le monde francophone se fait entendre et conserve une reconnaissance mondiale. Il importe tout de même de reconnaître que le poids démographique d’un groupe n’est pas un attribut marginal puisque, comme on le sait, il est, du moins théoriquement, l’élément central des mécanismes décisionnels de tous les appareils démocratiques. Le poids démographique d’un groupe constitue même un enjeu social et politique majeur dans de nombreux débats, tant au niveau local et national qu’à l’échelle internationale. Dans ce qu’il est convenu de nommer le concert des nations, les pays francophones pourront se faire entendre dans la mesure où ils forment un ensemble suffisamment important sur le plan démographique… et s’entendent bien sûr pour parler d’une même voix !

L’exercice auquel nous nous sommes livrés ici s’appuie principalement sur les plus récentes projections des Nations Unies (2003). Elles constituent le 18e exercice de projection de l’ONU depuis la création de sa Commission de la population, en 1946. Cet exercice périodique complexe auquel se livrent les experts des Nations Unies sert de référence majeure pour quiconque s’intéresse aux tendances démographiques du monde. Or, les dernières projections des Nations Unies ont la particularité de reposer sur une approche nouvelle qui laisse entrevoir pour la planète un avenir démographique fort différent de celui qui avait été envisagé par le passé. La nouvelle esquisse de la répartition future de la population dans le monde issue du plus récent exercice de prospective que nous propose l’ONU paraît par ailleurs plus conforme à ce que d’autres chercheurs et institutions ont pu proposer au cours des dernières années. Les consensus sont rares chez les démographes, d’où l’intérêt de ces nouvelles données des Nations Unies.

Qui fait partie de la francophonie ?

Bien qu’elle puisse paraître banale, il n’est pas aisé de répondre à cette question, car la définition de l’ensemble francophone dépend de la définition retenue pour approcher le concept de francophonie, comme le souligne fort à propos Michel Têtu (1992). Dans le cadre du présent exercice nous retiendrons deux approches, débouchant sur deux scénarios prospectifs.

La première approche retient ce que Jean-Louis Roy, ancien Secrétaire général de l’Agence de la francophonie, appelle l’espace francophone, qui regroupe l’ensemble politique de la francophonie [1] : on évalue la population des pays dits francophones, en lui ajoutant les francophiles ou francophones vivant à l’extérieur de ces pays. Selon Jean-Marc Léger (1987), la quarantaine de pays formant la francophonie au milieu des années 1980 représentait 4 % de la population mondiale (soit un peu plus de 200 millions d’habitants), mais la simple addition des populations des pays où le français est reconnu comme langue officielle ou utilisé par une certaine proportion de la population donnerait une estimation d’environ 380 millions de personnes. Jean-Louis Roy (1995 : 84) avance que l’espace francophone regrouperait au milieu des années 1990 environ un demi-milliard de personnes.

Les deux scénarios de la série A sont fidèles à cette approche, qui rejoint par ailleurs la définition que le dictionnaire [2] donne de la francophonie :

Ensemble des pays francophones, communauté que forment les pays qui emploient le français (France, Belgique, Suisse, Canada, Louisiane, Afrique, Madagascar, Liban, Antilles etc.). La situation de la francophonie dans le monde. Sommet de la francophonie. Mouvement en faveur de la langue française.

Selon cette définition, on est francophone si on appartient à cet ensemble de pays dits francophones. Cela rejoint la définition retenue pour notre scénario A1 : la population francophone est celle des pays qui ont le statut de membres de plein droit de l’Organisation internationale de la francophonie en 2002 et où le français a le statut de langue officielle. Nous définissons ici ce groupe formé de 29 pays comme étant l’ensemble des pays de la francophonie officielle. Il s’agit donc des pays membres de l’OIF et qui ont retenu le français comme langue officielle [3].

La liste des membres en titre de l’OIF comprend également un certain nombre de pays dont le français n’est pas l’une des langues officielles. La jeune organisation internationale francophone qu’est l’OIF est largement façonnée par les vestiges de l’entreprise coloniale française des 19e et 20e siècles (Le Scouarnec, 1997). À la suite d’un processus de décolonisation et d’acquisition des indépendances, la plupart des ex-colonies françaises ont conservé un lien avec l’ancienne métropole, notamment en participant activement aux instances de la francophonie. Celle-ci, comme institution politique internationale, représente donc la population de l’ensemble de ces pays, qu’ils comptent ou non une proportion importante de locuteurs francophones. Dans notre scénario A2, la population retenue est celle qui appartient à ce que l’on nomme les pays de la francophonie active, donc celle des 29 pays membres de l’OIF dont le français est l’une des langues officielles (soit la population retenue au scénario A1), plus celle des 16 autres pays membres de plein droit de l’OIF en 2002 et dont le français n’est pas l’une des langues officielles. Il s’agit par exemple de pays du Maghreb comme le Maroc et la Tunisie (pays qui contribuent largement à la migration internationale francophone, comme le Liban), mais aussi de pays d’Asie comme le Laos et le Vietnam, que l’histoire relativement récente a conduits à maintenir un lien avec les institutions politiques de la francophonie.

Sur la base de ces deux premiers scénarios, on pourrait nous reprocher de définir la francophonie sans tenir compte des francophones… Comme le souligne Michel Têtu, cette approche peut être trompeuse, « car contrairement aux pays d’Amérique du Sud, par exemple, où la grande majorité de la population parle la même langue, les pays dits francophones comptent des proportions extrêmement variables de locuteurs francophones » (Têtu, 1992 : 208).

L’approche retenue pour les deux derniers scénarios nous permet de répondre à cette critique puisqu’elle repose sur une estimation de la population francophone dans chacun des pays. Dans ce qu’il appelle l’espace francophone, Jean-Louis Roy estime ainsi que l’on retrouverait 40 % de « pratiquants » du français, soit environ 180 millions de personnes (cité par Le Scouarnec, 1997 : 22). Jean-Marc Léger, pour sa part, évaluait au début des années 1980 que les « parlant français » se chiffreraient à environ 70 millions dans les pays francophones du Nord et à 30 à 35 millions dans les pays francophones du Sud (Léger, 1987). La deuxième approche consiste ainsi à évaluer les locuteurs francophones, ou l’ensemble des individus qui font usage du français, qui le maîtrisent bien ou le maîtrisent partiellement. Les deux scénarios de la série B s’appuient sur cette approche en se référant au dénombrement des francophones réalisé en 1997 et en 2000 par le Haut Conseil de la francophonie. Notre indicateur s’appuie sur des estimations du nombre de francophones en 1997 et en 2000 dans plus d’une cinquantaine de pays du monde. Cet indicateur national est obtenu à partir de deux études qui ont permis d’estimer la proportion de francophones que compte chacun des pays (HCF, 1998; OIF, 2003). Il ne s’agit donc plus ici de définir la population francophone uniquement à partir du lien politique et juridique qu’entretient le pays d’appartenance d’un individu à l’égard des institutions francophones, mais plutôt de prendre en considération la prévalence du français dans chacun de ces pays du monde où l’on trouve un certain nombre de francophones, parfois une faible minorité. Cela rejoint davantage la définition que donne le dictionnaire du mot francophone :

Personne dont la langue maternelle est le français, qui utilise principalement cette langue dans les situations de communication. Un francophone de Belgique, de Suisse. Personne qui appartient à la communauté francophone. Les francophones de Montréal, d’Haïti.

On trouvera en annexe la liste des pays et les estimations, pour 1997 et 2000, des proportions de francophones dans chacun d’eux. Le Scénario B1, Population francophone selon le HCF-2000, fixe donc pour les 50 prochaines années les proportions de francophones au niveau obtenu en 2000. En d’autres termes, il ne prévoit aucune augmentation relative du nombre de locuteurs francophones.

Cette hypothèse du maintien des proportions de francophones dans le futur peut paraître assez réaliste pour les pays francophones du Nord et pour les pays non francophones. Il en est autrement toutefois de certains pays du Sud, notamment ceux d’Afrique subsaharienne où le français a le statut de langue officielle et où il est largement utilisé dans l’espace public (radio, télévision, journaux, fonction publique, etc.) tout en cohabitant avec d’autres langues nationales ou locales.

Le statut que conserve la langue française dans l’enseignement public et privé mérite une attention particulière et représente à n’en pas douter un enjeu crucial pour l’avenir du français. Dans la presque-totalité des pays francophones d’Afrique subsaharienne, l’enseignement primaire, secondaire et supérieur se fait presque exclusivement en français. Le problème pour l’instant est que les niveaux d’éducation et d’alphabétisation y sont particulièrement faibles. Au Mali, par exemple, nous avons pu estimer que moins du tiers des enfants admissibles au primaire fréquentent l’école (Marcoux et al., 2002). Devant l’ampleur des défis de développement, en Afrique notamment, et vu le rôle que joue l’éducation, la plupart des intervenants internationaux réunis à Dakar autour de l’UNICEF et de l’UNESCO se sont donné un programme d’action en se fixant comme objectif l’éducation pour tous en l’an 2015. De ce fait, compte tenu des faibles niveaux d’éducation dans de nombreux pays africains de la francophonie, dans la mesure où les efforts accomplis pour relever ces niveaux d’éducation en vue d’atteindre une alphabétisation globale avant 2015 se révéleront fructueux, on pourrait s’attendre à une augmentation considérable des proportions de francophones dans ces pays au cours des prochaines décennies [4].

Le Scénario B2, Scolarisation du Sud francophone, s’appuie sur cette lecture de l’avenir en supposant une augmentation des proportions de francophones dans certains pays au cours des prochaines décennies, grâce à une augmentation importante de la scolarisation primaire et secondaire en Afrique. Pour les fins du présent exercice, nous avons donc fixé arbitrairement à 70 % en 2025 et à 95 % en 2050 les proportions de locuteurs francophones en Haïti et dans les 20 pays d’Afrique subsaharienne où le français est l’une des langues officielles et la langue de l’enseignement [5]. Soulignons que ce taux de 95 % que nous estimons pour 2050 est celui que l’on obtenait à la Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe en 2000.

Les nouvelles projections des Nations Unies

Un exercice de projection des populations conduit à faire des hypothèses sur chacun des trois paramètres qui conditionnent la croissance d’une population : la natalité, la mortalité et les migrations. Jusqu’à la fin du 20e siècle, les projections des Nations Unies reposaient sur certains postulats qui ont été abondamment critiqués (Mathews, 1994; Singer, 2002). Les critiques portaient plus particulièrement sur la notion d’équilibre, centrale dans les exercices de projection menés à New York, et concernaient plus particulièrement deux des trois paramètres, à savoir la fécondité et les migrations. D’une part, les experts des Nations Unies supposaient qu’il y aurait à l’échelle de la planète convergence des transitions de la fécondité vers le fameux seuil de 2,1 enfants par femmes, niveau qui permet de garantir le remplacement des générations dans un contexte de faible mortalité. D’autre part, ces experts entrevoyaient une augmentation continue de l’espérance de vie à la naissance, et ce pour l’ensemble des pays en développement. Enfin, en matière de migration, on supposait que l’on assisterait à une certaine convergence de tous les pays vers des soldes migratoires nuls.

La « révision 2002 » des projections représente un virage majeur (Guenguant, 2002). Outre l’intégration attendue des effets de la pandémie du VIH-sida sur les niveaux de mortalité dans de nombreux pays et la prise en compte de la complexité des modèles de migrations internationales en fonction des mouvements passés, les nouvelles projections se démarquent principalement en ce qui a trait à la natalité : la convergence vers un seuil de remplacement des générations n’est plus le postulat retenu. En effet, les récentes études montrent, d’une part, que dans de nombreux pays en développement la fécondité a diminué beaucoup moins rapidement que le laissaient supposer les prévisions antérieures. D’autre part, la reprise envisagée de la natalité dans la plupart des pays développés ne s’est pas produite; ces pays présentent des niveaux de fécondité souvent inférieurs au seuil de remplacement des générations (Bongaarts, 2002). De ce fait, la croissance démographique de certains pays en développement devrait être beaucoup plus importante que ne l’annonçaient les exercices de projection précédents. À l’inverse, la nouvelle approche prospective conduit à prévoir un ralentissement considérable de la croissance démographique dans les pays développés, et même une décroissance plus rapide pour certaines régions et certains pays, avec le vieillissement démographique qui accompagne ce phénomène. Il ne fait aucun doute que ces nouvelles tendances conduisent à une reconfiguration majeure des poids démographiques des pays de la planète.

La « Révision 2002 des projections démographiques mondiales » fournit des estimations relatives à six prévisions distinctes [6]. La principale différence entre les scénarios présentés tient aux hypothèses sur l’évolution des taux de fécondité. Sous la variante moyenne par exemple, soit le scénario retenu ici pour la suite de l’exercice, un seuil relatif aux taux de fécondité a été fixé. Ainsi, pour les pays à fécondité moyenne et élevée, aucune diminution en-dessous de 1,85 enfant par femme n’est prévue. Conséquemment, 1,85 enfant par femme est la valeur plancher sous laquelle la fécondité des pays concernés ne devrait pas chuter avant 2050. En ce qui a trait aux pays à basse fécondité, les taux de fécondité devraient y demeurer inférieurs à 1,85 enfant par femme pendant une bonne partie de la première moitié du 21e siècle, tout en augmentant lentement pour atteindre 1,85 vers 2045-2050.

Quelques résultats

Le tableau 1 présente les effectifs obtenus. Nous avons appliqué les paramètres retenus selon chacun des quatre scénarios aux effectifs que nous donnent les plus récentes révisions des projections des Nations Unies. Ainsi, au tournant du millénaire, on estime à environ 300 millions le nombre d’habitants appartenant à l’ensemble des pays où la langue française a le statut de langue officielle, ou encore à plus d’un demi-milliard la population des pays actifs dans les institutions de la francophonie, ce qui correspond à l’espace francophone de Jean-Louis Roy (1995). Comme l’ensemble de la planète entre 1960 et 2000, cet espace francophone aurait connu un doublement de sa population et connaîtrait une croissance similaire au cours des 50 prochaines années : les pays de la francophonie officielle atteindraient ainsi 677 millions d’habitants, et l’ensemble de l’espace francophone au sens large (scénario A2) dépasserait même le milliard d’habitants.

Tableau 1

Population (en milliers) appartenant à la francophonie selon quatre définitions différentes de l’espace francophone. Estimation pour 1960 et 2000 et projections pour 2025 et 2050

Population (en milliers) appartenant à la francophonie selon quatre définitions différentes de l’espace francophone. Estimation pour 1960 et 2000 et projections pour 2025 et 2050

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Si on s’en tient maintenant aux locuteurs francophones, leur nombre en 2000 est évalué à près de 175 millions, ce qui est parfaitement conforme aux estimations de Roy (1995), du Haut Conseil de la francophonie (1998) et de l’OIF (2003) [7]. Ils connaîtront également une croissance importante, pour atteindre près de 277 millions en 2050, selon le scénario où la prévalence du français stagne dans tous les pays au niveau retenu pour 2000. Toutefois, cette population de francophones pourrait passer à plus de 683 millions si le français fait des progrès relativement importants dans les pays africains de la francophonie et en Haïti. La population de locuteurs francophones serait ainsi multipliée par 4 en 50 ans, et la population mondiale par moins de 50 % au cours de la même période. Les locuteurs francophones à travers le monde pourraient alors représenter près de 8 % de la population mondiale, comparativement à 2,9 % actuellement [8].

Évidemment, on sait que les composantes de la croissance démographique diffèrent selon les pays et les aires géographiques. Comme nous l’avons souligné, les pays du Nord sont entrés de plain-pied dans un processus de vieillissement des populations qui, avec la baisse de la fécondité, entraîne un ralentissement très important de la croissance démographique, voire dans certains cas un déclin démographique. Si la diminution de la fécondité semble se répandre dans la plupart des pays du Sud, cette tendance est beaucoup plus lente que prévu dans de nombreux pays d’Afrique, de sorte que le potentiel de croissance y demeurera élevé pendant de nombreuses années encore. Compte tenu de la situation géographique des pays de la francophonie et de la répartition des francophones qui en découle, il peut être intéressant d’examiner les formes actuelles de la francophonie et de tenter d’en dessiner les contours pour l’avenir.

Le tableau 2 présente la répartition géographique par continent de la francophonie ou des francophones, selon chacun des quatre scénarios. Un premier constat ressort : quel que soit le scénario envisagé, l’Afrique connaîtra une augmentation considérable de son poids démographique dans la francophonie, et le poids de l’Europe devrait diminuer d’autant. L’approche en termes d’espace francophone (scénarios A1 et A2) conduit en effet à un doublement du poids relatif de l’Afrique dans la francophonie. Parallèlement, alors que l’on comptait autant d’individus appartenant aux pays de la francophonie en Europe et en Afrique en 1960, il y aurait en 2050 en Afrique 6 à 7 personnes appartenant à la francophonie, pour une personne de l’espace francophone européen.

Le scénario qui consiste à définir la francophonie active en tant qu’espace politique (scénario A2) est le seul qui donne une place importante à l’Asie, prenant en compte les tendances démographiques de certains pays fort populeux (Cambodge, Laos et Vietnam). Il serait toutefois surprenant que ce sous-ensemble puisse conserver un rôle important au sein de l’ensemble politique de la francophonie car la proportion de francophones, déjà très faible, devrait continuer à y diminuer. En effet, avec l’ouverture des marchés, l’anglais y devient la principale langue internationale. On peut difficilement entrevoir un renversement, étant donné notamment le rôle actif de ces trois pays au sein de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations), où l’anglais devient la langue de communication (OIF, 2003).

Tableau 2

Répartition (%) par continent des populations de la francophonie et des francophones, et effectifs totaux (en milliers), selon quatre scénarios, 1960-2050

Répartition (%) par continent des populations de la francophonie et des francophones, et effectifs totaux (en milliers), selon quatre scénarios, 1960-2050

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Selon l’approche basée sur les locuteurs, en 2000, moins de 50 % de l’ensemble des francophones du monde vivaient sur le continent africain (scénarios B1 et B2). Les tendances lourdes de la démographie se font nettement sentir puisque, même si les proportions de francophones restent à leurs niveaux de 2000, le poids de l’Afrique passe à 56 % en 2025, et en 2050 près des deux tiers des locuteurs francophones seront sur le continent africain. Le scénario qui prend en considération la progression probable de l’usage du français dans le Sud conduit à remodeler très sensiblement la répartition continentale des locuteurs du français. L’Europe, par exemple, voit son poids démographique divisé par quatre, comptant non plus 42 % des francophones du monde, mais seulement 11 %. Ce scénario mènerait par ailleurs à une concentration de près de 84 % des francophones du monde en Afrique en 2050; cela signifie que plus d’un demi-milliard de francophones se trouveraient sur ce continent au milieu du siècle.

Enfin, il ne faut pas oublier que les mécanismes assurant la croissance démographique se répercutent directement sur les structures par âge des populations. Ainsi, le processus de vieillissement accéléré des populations des pays occidentaux, associé au maintien d’une fécondité plus élevée dans les pays d’Afrique, fait en sorte que les jeunes se retrouvent en proportions plus importantes dans le Sud. Les deux « pères » de la francophonie internationale, Hamani Diori et Léopold Sédar Senghor, anciens présidents du Niger et du Sénégal respectivement, seraient sûrement bien étonnés d’apprendre que 9 francophones de 15 à 29 ans sur 10 pourraient provenir de l’Afrique en 2050 (résultats non présentés).

Conclusion

L’exercice sur lequel nous nous appuyons doit évidemment être examiné avec prudence, comme tout exercice prospectif. C’est une tentative pour esquisser ce que pourrait être l’avenir démographique de la francophonie ou du monde francophone, à partir des informations disponibles, partielles et incomplètes, et sur la base des hypothèses qui semblent les plus plausibles. À cause de ses limites évidentes, il convient de voir dans les résultats de cet exercice de projection des perspectives plutôt que des prévisions, pour reprendre la distinction de Louis Henry (1981) [9].

Malgré ses limites importantes, l’exercice n’est pas vain, puisqu’il autorise un certain nombre de conclusions :

  • On peut estimer que l’espace francophone, défini sur la base des pays qui ont le français comme langue officielle, comptait 300 millions de personnes en 2000; ce chiffre devrait approcher le demi-milliard en 2025 et dépasser 650 millions en 2050. L’avenir démographique de la francophonie reposera de plus en plus sur les pays du Sud, plus particulièrement sur l’Afrique, et sera donc lié à des contextes nationaux plus multilingues.

  • Le nombre de locuteurs francophones, estimé à 175 millions en 2000, pourrait atteindre 680 millions si des mesures énergiques sont prises pour appuyer les programmes visant à assurer l’éducation à tous dans les pays du Sud où on enseigne déjà en français. Les francophones, qui représentaient en 2000 moins de 3 % de la population du monde, pourraient voir leur poids démographique passer au milieu du 21e siècle à plus de 7 % de la population mondiale.

Les tendances démographiques que prévoient les Nations Unies et une large part de la communauté scientifique des démographes conduisent, dans l’ensemble, à une reconfiguration importante du poids des nations à l’échelle de la planète. Le monde francophone n’est nullement épargné par cette reconfiguration.

  • Quel que soit le scénario retenu, l’Afrique voit son poids démographique augmenter considérablement : alors que moins de la moitié des francophones du monde y vivaient en 2000, on peut s’attendre à y trouver près de 84 % des locuteurs du français en 2050, soit plus d’un demi-milliard des 680 millions de francophones de la planète.

S’il semble destiné à passer par l’Afrique, l’avenir démographique de la francophonie est conditionné par au moins deux éléments majeurs :

  • des mesures fortes et efficaces dans le domaine de l’enseignement devront permettre de relever substantiellement les niveaux d’éducation dans les pays de l’Afrique francophone;

  • les pays de l’Afrique francophone et leurs populations devront considérer que ce relèvement très sensible des niveaux d’éducation (nécessaire à leur développement social et économique) peut et doit se faire notamment dans le cadre de programmes d’enseignement et de formation où la langue française occupe une place importante.

Étant donné le multilinguisme pratiqué dans la plupart des pays d’Afrique, y compris ceux de la francophonie, il faudra nécessairement identifier la place et le rôle de la langue française par rapport aux autres langues en usage dans ces pays, mais également aux autres langues qui semblent s’imposer dans le monde, notamment l’anglais, l’arabe et l’espagnol. Compte tenu des écarts disproportionnés dans les moyens dont disposent les pays, il est évident que l’avenir démographique de la francophonie dépendra grandement des gestes de solidarité et des efforts que seront prêts à consentir les pays du Nord de la francophonie à l’endroit des pays francophones d’Afrique. Les acteurs de la francophonie auront aussi un rôle majeur à jouer pour susciter ou maintenir un intérêt pour le développement du français dans de nombreux secteurs en Afrique, notamment dans les médias (écrits, radiophoniques, audiovisuels et électroniques), dans les milieux des arts (cinéma, littérature, etc.) et dans le secteur de l’enseignement et de la recherche scientifique.