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Introduction

Au cours des dernières années, la propension à générer des connaissances sous forme de « données probantes » et à veiller à leur application dans le cadre de « meilleures pratiques » s’est répandue à une multitude de domaines de la société. Les gouvernements publient d’ailleurs des guides des meilleures pratiques sur des sujets aussi variés que l’entretien des routes, l’éducation et la santé (Patton, 2001). Dans ces guides, c’est l’apport des données issues de la recherche qui est valorisé en comparaison de l’intuition et de l’expérience non systématique comme bases suffisantes à la prise de décision (Evidence-Based Medicine Working Group, 1992). On y propose donc des pratiques pour lesquelles il existe une évidence scientifique fermement établie lorsqu’elles sont appliquées selon les directives prescrites dans les recherches d’où elles émanent.

Le traitement et le suivi à assurer auprès des personnes affectées par un trouble de santé mentale et de toxicomanie font aussi l’objet de tels travaux. Des études sont également menées sur la prévention et l’intervention précoce auprès des personnes à risque de développer ces troubles. Cependant, l’application des meilleures pratiques qui découlent de ces études est également confrontée à plusieurs obstacles, dont les principaux seront discutés ici.

Données probantes et meilleures pratiques

Plusieurs systèmes de classification sont proposés pour regrouper les pratiques reconnues selon la valeur des données probantes qui les soutiennent. Par exemple, Sacks et ses collègues (2005) identifient cinq niveaux de pratiques « éprouvées ». Alors que le niveau le plus élevé comprend la méta-analyse regroupant des études avec échantillons aléatoires, les niveaux suivants impliquent, respectivement : des études randomisées sur plusieurs sites, des études randomisées sur un ou deux sites, des études quasi expérimentales et, enfin, des études de cas. D’autres classifications existent, mais les catégories proposées reflètent une hiérarchie équivalente (Eccles et Mason, 2001).

Les résultats de recherche ne sont toutefois pas toujours convergents et leur valeur, leur interprétation et la manière de les mettre en pratique peuvent différer selon différentes perspectives. Afin de mettre en relief le degré d’accord sur des sujets controversés, on fait appel à un dispositif généralement reconnu : le consensus d’experts. Les avantages des discussions et des échanges entre les membres du groupe y sont maximisés tout en préservant la valeur des idées émises par chacun d’entre eux. Le consensus ainsi obtenu constitue l’équilibre optimal entre les différentes positions (Lecompte, 2003). Selon Lomas et ses collègues (2005), c’est la combinaison et l’interprétation de ces données qui nécessite la démarche de délibération. Ce processus n’est pas neutre. Pour qu’il mène à des conclusions éclairées, il doit être le produit d’une consultation des acteurs touchés par les résultats qui y en seront issus, d’une représentation juste de la part des scientifiques et des acteurs impliqués, de synthèses rigoureuses des données scientifiques, et finalement d’une compétence reconnue dans la présidence du processus de délibération. Enfin, la résultante de la démarche réside dans l’élaboration de lignes directrices et de recommandations quant aux services à offrir en fonction de symptômes, de besoins ou encore de circonstances spécifiques.

Les troubles concomitants

La prévalence des troubles concomitants a d’abord été mise en évidence par des études épidémiologiques, notamment l’« Epidemiological Catchment Area Study » (Regier et al., 1990) et le « National Co-morbidity Study » (Kessler et al., 1994). Plus récemment, aux États-Unis, on estimait que 33,2 millions d’adultes âgés de 18 ans et plus souffraient à la fois d’une maladie mentale grave et faisaient usage de drogues illicites (Epstein et al., 2004). L’étude de la Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA) rapporte qu’aux États-Unis environ quatre millions d’adultes de 18 ans ou plus (12,2 %) souffrent d’une maladie mentale grave (« Serious mental illness ») avec une dépendance ou un abus de drogues illicites (Epstein et al., 2004). Par ailleurs, les adultes qui consomment des drogues illicites aux États-Unis sont trois fois plus susceptibles d’être atteints d’une maladie mentale grave en comparaison de ceux qui n’en consomment pas.

Au Canada, les données associées à la prévalence des troubles concomitants indiquent que 435 000 (2 %) adultes canadiens souffrent d’un trouble de santé mentale et d’un trouble relié à la consommation de substances (Rush et al., 2008). Au Québec, une étude récente témoigne aussi de la plus grande vulnérabilité des personnes qui souffrent de troubles de santé mentale en ce qui a trait aux troubles liés à la consommation de substances illicites (Kairouz et al., 2008). Les résultats révèlent que les personnes qui ont présenté soit un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux au cours de la dernière année sont plus susceptibles de présenter aussi un diagnostic de dépendance à l’alcool en comparaison à celles qui ne souffrent d’aucun de ces troubles (5,9 % comparé à 1,5 %). La même étude rapporte également que la proportion de personnes qui font usage de substances illicites serait aussi plus élevée, de l’ordre du double, chez celles qui ont présenté un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux au cours des 12 mois précédents l’enquête.

L’abus de substances et les troubles mentaux interagissent de plusieurs façons : la consommation peut accentuer les problèmes de santé mentale, contribuer à simuler ou encore masquer des symptômes de troubles mentaux, procurer une impression de « soulagement » qui amène une sous-estimation des symptômes, diminuer l’efficacité de la médication ou même s’y substituer (Skinner et al., 2004). Il importe de considérer l’impact de ces facteurs, car en perturbant le traitement, ils contribuent à une évolution nettement plus défavorable de la pathologie (Drake et al., 2006), à un risque plus grand d’itinérance (Drake et al., 1991), de maladies infectieuses (Rosemberg et al., 2001), ainsi qu’à une utilisation plus élevée et plus coûteuse des soins médicaux et de santé mentale (Bartels et al., 1993 ; Haywood et al., 1995 ; Menezes et al., 1996). (Les troubles concomitants sont aussi associés à des risques accrus de commettre des actes illégaux et d’avoir des comportements violents [Bartels et al., 1993].) Dans une étude sur le traitement des personnes criminalisées, on rapporte de plus que les prisonniers souffrant d’un trouble de santé mentale sont plus susceptibles d’avoir été incarcérés après avoir commis un acte de violence, et ce, plus fréquemment sous l’influence de l’alcool ou de la drogue au moment de l’offense (Ditton, 1999).

La complexité des troubles concomitants a mené à de nombreux développements dans les méthodes de diagnostic et de suivi. Le système multiaxial de classification adopté depuis 1980 dans les versions du Diagnosis and Statistical Manual (DSM), l’outil de référence dans le domaine, permet de poser plusieurs diagnostics simultanément. On y reconnaît implicitement la nécessité de traiter plus d’un trouble avec des traitements adaptés, en collaboration avec différents établissements spécialisés (Hendrickson, 2006). Dans le DSM-IV, les troubles concomitants sont aussi décrits comme étant une association de troubles à la fois mentaux et liés aux substances.

L’usage du DSM-IV comme base diagnostique est reconnu par Santé Canada (2002), la SAMHSA (2005), et dans plusieurs guides des meilleures pratiques en lien avec les troubles concomitants (i. e. Department of Health, 2002 ; McGabhann et al., 2005). À la lumière d’un consensus d’experts, Santé Canada propose néanmoins d’autres regroupements pour faciliter l’identification de traitements adaptés aux différentes combinaisons de troubles concomitants. Cinq catégories principales sont ainsi identifiées, en fonction de leur prévalence ou encore du type particulier de traitement requis. On y retrouve les troubles liés aux substances et 1) aux troubles d’humeur et d’anxiété ; 2) aux troubles mentaux graves et persistants ; 3) aux troubles de la personnalité ; 4) aux troubles de l’alimentation ; 5) aux autres troubles mentaux. Le groupe d’experts mandaté par la SAMHSA propose de son côté un modèle facilitant la référence de la clientèle aux différents services auxquels elle peut avoir accès en fonction de quadrants : I- troubles de santé mentale et de toxicomanie légers ; II- troubles de santé mentale graves et troubles de toxicomanie légers ; III- troubles de santé mentale légers et troubles de toxicomanie graves ; et IV- troubles de santé mentale et de toxicomanie graves. La présentation des principaux regroupements par quadrants a aussi été reprise dans d’autres milieux, par exemple en Angleterre (Department of Health, 2002) et en Irlande (McGabhann et al., 2005). Le recours à ces différents regroupements facilite le choix du traitement le mieux adapté aux besoins du patient et des possibilités offertes par les réseaux de services. Il met aussi en lumière les limites du DSM-IV, dont l’utilisation est souvent restreinte, dans les faits, aux seuls professionnels dûment formés pour en faire l’usage dans l’établissement d’un diagnostic (Sacks et Ries, 2005).

Sur la base de ces constats reliés aux meilleures pratiques et à l’identification des troubles concomitants, le traitement et la prévention des troubles concomitants seront maintenant abordés.

Traitement des troubles concomitants

Pour les personnes souffrant de troubles de santé mentale graves, il a été démontré que les traitements offerts dans les réseaux de services distincts de toxicomanie et de santé mentale étaient non seulement inefficaces, mais généraient de piètres résultats (Dickey et Azeni, 1996 ; Epstein et al., 2004). L’intérêt s’est alors manifesté pour les traitements « intégrés » des troubles concomitants, où l’intervention pour les troubles de toxicomanie est offerte conjointement à celle associée aux troubles de santé mentale (Drake et al., 1993 ; Minkoff et Cline, 2004). Pour cette clientèle, l’approche la mieux soutenue par des données probantes est celle du modèle de traitement intégré (MIT). Ses principales caractéristiques résident dans la dispensation du traitement par une seule équipe. Il s’agit d’une équipe multidisciplinaire chargée d’effectuer un suivi intensif auprès du patient et de sa famille, et de mener le traitement en fonction d’étapes régies par la prédisposition au changement du patient. Le traitement est dispensé dans le cadre d’un seul programme pour que les troubles de santé mentale et de consommation reliés aux substances soient traités simultanément, de manière cohérente et intégrée (Mueser et al., 2003). Cette approche a fait l’objet de nombreuses études contrôlées (Drake et al., 1993 ; Bartels et Drake, 1996 ; Drake et al, 1997 ; Meisler et al., 1997) et, dans plusieurs guides des meilleures pratiques, on estime que son efficience a été suffisamment démontrée pour la reconnaître parmi les meilleures pratiques dans le traitement des troubles concomitants (Santé Canada, 2002 ; Sacks et Ries, 2005).

Il n’est pas surprenant que le mode d’organisation prôné dans le MIT, où l’ensemble des services est dispensé dans un même programme, ait pu être reconnu parmi les meilleures pratiques dans le traitement des troubles graves et persistants. Les traitements qui impliquent le recours aux deux réseaux de services sont en effet fréquemment caractérisés par des problèmes d’accès et des bris sur le plan de la continuité, tant aux États-Unis qu’au Canada (Dickey et Azeni, 1996 ; Kirby et Keon, 2006 ; Drake et al., 2008).

D’autres combinaisons de troubles concomitants, par exemple celles qui impliquent les troubles transitoires modérés, font l’objet d’interventions qui ne sont pas toutes fondées sur des données probantes de niveau équivalent. Cette situation découle de la multitude de conjugaisons possibles entre les différents troubles et chacun de leurs traitements. Par exemple, la dépression associée à un trouble d’alcoolisme impose un traitement distinct de celui de troubles de la personnalité et de troubles reliés à la consommation de drogues injectables. Ainsi, les meilleures pratiques proposées dans les directives de la SAMHSA sont-elles, dans plusieurs cas, fondées sur le sens commun et les études disponibles (Epstein et al., 2004).

Dans certains guides, tels que celui de Santé Canada (2002), il a tout de même été choisi de proposer des traitements pour l’ensemble des troubles concomitants selon les cinq regroupements issus du consensus d’experts. Plutôt que des ingrédients précis, ce sont davantage des principes fondamentaux de traitement qui sont proposés. On y préconise la dispensation de multiples services comportant différentes stratégies thérapeutiques et psychosociales de réadaptation qui devraient être coordonnées, cohérentes et négociées avec les dispensateurs de ces services, les familles et les patients. La manière proposée pour intégrer les services varie selon les groupes. Par exemple, en ce qui a trait aux troubles reliés au stress post-traumatique et de consommation de substances, il est suggéré d’appliquer une séquence d’intervention spécifique, en commençant par le traitement des troubles reliés à la consommation, accompagnée d’une évaluation continue et d’une adaptation du plan de traitement et de soutien. Cette approche séquentielle se démarque de l’intervention concomitante proposée par Mueser et ses collègues (2003) pour le traitement des troubles graves et persistants et pousse au questionnement de la valeur des données probantes qui soutiennent les recommandations d’un modèle ou de l’autre. Elle démontre aussi le besoin de préciser, de manière très spécifique, dans quelles situations l’un ou l’autre des modèles doit être recommandé.

À ce propos, c’est sûrement le traitement des personnes souffrant de troubles graves et persistants qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études ; Drake et ses collègues (2008) ont d’ailleurs effectué une recension de 22 recherches comportant un devis expérimental et de 23 ayant un devis quasi expérimental sur les effets des interventions psychosociales chez cette clientèle. Ils ont pu mettre en évidence trois types d’intervention potentiellement efficaces : le counseling de groupe, l’organisation des contingences et le traitement résidentiel de longue durée. À la suite de cet exercice, ils ont soulevé plusieurs limites inhérentes aux études recensées. Ils estiment à cet égard, tout comme Xie et ses collègues (2006), qu’il serait nécessaire de subdiviser le regroupement des troubles graves et persistants en quatre sous-groupes, allant des patients stables qui répondent plus rapidement au traitement jusqu’à un sous-groupe de patients résistants. En créant des regroupements plus homogènes, cette nouvelle typologie permettrait de développer des guides de traitement mieux adaptés aux besoins spécifiques des patients déjà regroupés sous les troubles graves et persistants. Force est de constater que les regroupements utilisés dans la classification des troubles concomitants peuvent eux-mêmes être remis en question.

Drake et ses collègues (2008) soulèvent également plusieurs limites inhérentes aux 45 études qu’ils ont révisées. Ils soulignent l’évaluation des effets des interventions qui ne se limitent qu’à quelques mois, au maximum un an (alors que le traitement devrait s’échelonner sur plusieurs années pour ce type de clientèle) et la pertinence d’évaluer les traitements en tenant compte des différents stades de rétablissement des clientèles suivies. Ils abordent aussi l’ensemble de limites méthodologiques engendrées par la grande hétérogénéité des interventions, des participants, des méthodes, des instruments de mesure et des effets évalués. Il convient de rappeler que les auteurs n’évaluaient qu’un type d’intervention spécifique, destiné à une clientèle particulière : les interventions psychosociales vouées aux personnes présentant des troubles graves de santé mentale et de toxicomanie. Les faiblesses qu’ils ont notées sont, à coup sûr, aussi présentes pour ce qui est de la recherche sur les autres traitements pour les troubles concomitants puisqu’ils n’ont pas fait l’objet d’autant de travaux. Cette situation démontre les limites des données probantes utilisées pour guider les meilleures pratiques dans le traitement des troubles concomitants. Elle impose aussi une certaine prudence dans l’application de ces pratiques.

Prévention des troubles concomitants

Si le traitement des troubles concomitants a fait l’objet de nombreuses études au cours des quinze dernières années, il en est autrement en ce qui a trait au domaine de la prévention. Cette situation est en partie reliée à un intérêt qui ne s’est manifesté qu’assez récemment quant au développement des meilleures pratiques de prévention. En effet, le rapport du groupe d’experts mandaté par Santé Canada dans la production d’un guide des meilleures pratiques indique que la prévention ou encore l’identification précoce des troubles concomitants dans la population générale n’avaient pas été prévues dans le mandat initial du comité, mais qu’il recommande d’effectuer une telle démarche (Santé Canada, 2002). Dans son guide sur le traitement des abus de substances chez les personnes souffrant de troubles concomitants, la SAMHSA restreint aussi ses recommandations aux clientèles souffrant de troubles diagnostiqués (Sacks et Ries, 2005). Des recommandations spécifiques sur la prévention des troubles concomitants ont tout de même été présentées par la SAMHSA lors du dépôt d’un rapport portant spécifiquement sur ce sujet au Congrès américain (US Department of Health and Human Services, 2002). On y a notamment proposé de tenir compte de la culture, de l’âge et du sexe des clientèles à risque et, dans ce contexte, on a ciblé la plus grande vulnérabilité des jeunes et des adultes de plus de 65 ans.

Outre le fait qu’une attention accordée au développement de programmes de prévention n’est que relativement récente pour les troubles concomitants, d’autres facteurs peuvent expliquer les développements parallèles des meilleures pratiques dans le domaine de la prévention et dans celui du traitement : 1) des méthodes différentes pour identifier les populations ciblées ; 2) le fait que les programmes de prévention puissent cibler des populations non cliniques ; et 3) un partenariat spécifique où les ressources en toxicomanie et en santé mentale ne sont pas nécessairement intégrées.

Identification des populations à risque

Plusieurs personnes éprouvent des problèmes de santé mentale ou de consommation de substances au cours de leur vie sans pour autant que ces difficultés soient diagnostiquées en fonction de la classification diagnostique du DSM-IV (Sacks et Ries, 2005). Dans une perspective de prévention, l’action de nombreux programmes vise justement à prévenir l’apparition de symptômes qui caractérisent l’une ou l’autre des catégories diagnostiques.

Le recours à d’autres typologies, telles que celle des regroupements par quadrants proposée par la SAMHSA (Sacks et Ries, 2005), s’avère alors plus approprié pour cibler les personnes à risque. En effet, dans cette classification, les personnes à risque de développer un trouble concomitant seraient associées au quadrant I où l’on compte les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de consommation de substances légers. Le guide de « bonnes » pratiques produit par le département de la santé de l’Angleterre (Department of Health, 2002) comporte un quadrant similaire. On y classifierait, par exemple, un utilisateur de drogues qui en ferait un usage récréatif et qui traverserait une période teintée d’anxiété ou de dépression après la consommation de la fin de semaine. Ce type de classification « sous-clinique » aide à cibler des sous-groupes plus vulnérables, qui éprouvent des problèmes de santé mentale ou de consommation, sans qu’ils aient pour autant atteint un niveau de difficultés tel que l’ampleur de leurs troubles permette un diagnostic DSM. Les autres catégories proposées par la SAMHSA offrent la possibilité d’identifier des populations plus gravement atteintes (quadrants II, III et IV), permettant ainsi de situer les actions préventives sur un continuum qui va de l’intervention auprès de populations vulnérables jusqu’aux troubles de santé mentale et de consommation de substances graves.

Intervention préventive

Certains programmes peuvent contribuer à la prévention des troubles concomitants, mais ne sont pas nécessairement identifiés comme tels lorsque les actions préventives s’inscrivent dans des programmes destinés à l’ensemble de la population plutôt qu’à une clientèle en besoin de traitement. Ainsi, les programmes de prévention ne touchent pas nécessairement à la fois la consommation de substances et les troubles de santé mentale. Ils ne sont pas non plus uniquement destinés à prévenir l’apparition de symptômes chez les personnes à risque.

Mrazed et Haggerty (1994) ont, à ce sujet, identifié trois types de prévention : « universel » (lorsqu’elle s’adresse à la population générale), « ciblé » (pour la population à risque) et « prescrit » ou « indiqué » (pour la clientèle à haut risque). Ces différents niveaux de prévention sont également décrits dans le guide de Santé Canada sur les troubles concomitants (2002). Dans ce contexte, la prévention universelle vise à reporter, par exemple, le début de la consommation chez les jeunes. Des thématiques associées à des problèmes de santé, ou encore à des problématiques de santé mentale, allant de l’anxiété au suicide chez les jeunes, occupent l’essentiel des interventions à mener. Par leur accompagnement privilégié tout au long du développement des jeunes, les familles sont ciblées et les écoles constituent un des lieux propices à l’implantation d’une programmation. Au niveau de la prévention « ciblée », l’intervention touche plutôt les problèmes scolaires, sociaux ou encore familiaux associés à la consommation de drogues et d’alcool, et la clientèle sélectionnée sera choisie en fonction d’une programmation axée sur les facteurs de risque pour empêcher ou diminuer les risques à la consommation par le renforcement de stratégies d’adaptation. Enfin, la prévention « indiquée » s’adresse aux jeunes à très haut risque qui consomment régulièrement mais qui ne présentent pas encore tous les critères de dépendance. Le dépistage de ces jeunes et la réduction des méfaits associés à la consommation sont alors préconisés.

Partenariat pour la mise en place des programmes de prévention

Les études sur les traitements ont mis en évidence les bris de continuité entre les réseaux de la toxicomanie et de la santé mentale. Par ailleurs, la dynamique des programmes de prévention des troubles concomitants impose le réseau scolaire en tant qu’acteur majeur, compte tenu de la pertinence de s’adresser en priorité aux jeunes. Dans cet esprit, au Québec, l’approche « École en santé » supporte le milieu scolaire pour en faire un milieu de vie à la fois favorable à la santé et à la réussite éducative, en y intégrant notamment des programmes sur des thématiques basées sur les meilleures pratiques (Deschesnes et al., 2008).

Dans l’analyse des programmes en lien avec les meilleures pratiques préventives en milieu scolaire, Greenberg et ses collègues (2003) rapportent que les efforts en prévention des problèmes de santé s’avèrent bénéfiques lorsqu’ils sont coordonnés avec le renforcement des compétences des élèves, qu’ils impliquent des liens avec les autres jeunes et avec la communauté. Parmi les effets observés, on note une diminution des problèmes de comportement à l’école, de consommation de drogue et d’alcool, et de violence ou d’agression. Dans une autre analyse de programmes préventifs, Greenberg et ses collègues (2001) ont revu 130 programmes de prévention visant à réduire des symptômes psychologiques (agression, dépression, anxiété). Leurs conclusions indiquent que les programmes qui visent des sphères multiples (individuels, scolaires, familiaux) sont plus efficaces que ceux qui s’orientent exclusivement vers l’enfant.

En ce qui a trait plus spécifiquement à la prévention des troubles reliés à la consommation, Tobler et ses collaborateurs (2000) ont mis en évidence, par une recension de 207 études évaluatives, que les informations transmises en classe sans établir d’interactions avec les élèves exercent un effet minime. Inversement, les programmes favorisant les interactions entre les élèves, tout particulièrement ceux qui comportaient des activités sur l’affirmation de soi et la communication, ont contribué au développement d’habiletés interpersonnelles. Ils semblent avoir permis aux élèves de refuser plus aisément de consommer en présence de leurs pairs. Ces études ont également démontré l’efficacité des programmes engageant l’école, en coordination avec la communauté et la famille.

Les meilleures pratiques préventives incitent donc au travail de partenariat entre le milieu scolaire, les pairs, la famille et la communauté.

Constats quant aux meilleures pratiques sur les troubles concomitants

La situation décrite quant aux données probantes et aux meilleures pratiques qui en découlent met en évidence plusieurs constats : l’hétérogénéité des troubles identifiés, la nécessité de mieux définir et évaluer les composantes essentielles des interventions, de développer un meilleur arrimage entre les milieux de prévention et d’intervention en ce qui a trait aux clientèles à risque, et le besoin de combler le manque de connaissances à l’égard de l’implantation de programmes basés sur les meilleures pratiques. Ces constats sont révisés ici en fonction des actions qu’ils commandent.

  1. Les troubles concomitants se caractérisent par une très grande hétérogénéité. Le premier constat qui peut être posé se rapporte à la définition même des troubles concomitants. Si, en général, ne sont incluses dans cette catégorie que les personnes souffrant à la fois d’un ou de plusieurs troubles de santé mentale et de toxicomanie, certains auteurs adoptent une définition élargie du concept en englobant un ensemble d’associations différentes des troubles en question. C’est le cas, par exemple, du guide des meilleures pratiques de Santé Canada (Santé Canada, 2002), où les troubles concomitants sont compris comme étant toute combinaison de troubles de santé mentale et de consommation de substances, tels qu’ils sont définis soit sur l’axe I ou l’axe II du DSM-IV.

    À l’opposé, les études menées sur les troubles concomitants sont généralement basées sur des définitions plus restrictives afin de circonscrire un groupe plus homogène. Par exemple, McHugo et al. (2006) n’ont retenu que les troubles graves et persistants et de toxicomanie dans leur examen des études sur les troubles concomitants. C’est aussi le cas de certains guides, tel que celui publié au Royaume-Uni sur l’implantation des « bonnes » pratiques pour les troubles concomitants, où l’on a retenu le même regroupement (Department of Health, 2002).

    Que la définition de comorbidité soit restrictive ou non, la réalité décrite par les « troubles concomitants » couvre une foule de problématiques. En effet, même dans les cas où l’on ne se « restreint » qu’aux troubles graves et persistants, ceux-ci offrent un grand nombre de combinaisons possibles, ce qui confère une grande hétérogénéité à cette population. La situation est encore plus complexe lorsque les personnes en traitement souffrent de plus de deux troubles concomitants. À cet effet, Kessler et ses collègues (2005) ont démontré que près de la moitié des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale sont confrontées à au moins deux troubles. Par exemple, le trouble de personnalité antisociale, fréquemment relié à des troubles avec le système judiciaire, est sept fois plus élevé chez les hommes souffrant de schizophrénie que dans la population générale (Robins et al., 1991). Plusieurs autres études ont aussi permis de documenter différents problèmes associés aux troubles concomitants, tels que les troubles de violence, les incarcérations, l’itinérance et des infections graves telles que le VIH et les hépatites (voir Drake et al., 2001). Pour les personnes les plus vulnérables, c’est donc plus de deux troubles qu’il convient de traiter.

    Dans le domaine de la prévention, la situation peut s’avérer tout aussi complexe. En effet, les principes avancés sur l’importance d’intervenir sur les facteurs de risque et de protection pour prévenir les troubles concomitants peuvent être tout à fait valables pour un éventail de problèmes de santé mentale et physique. Par exemple, en appliquant les meilleures pratiques énoncées par Santé Canada (2002), on pourra considérer la combinaison de troubles de jeu pathologique et de consommation parmi les troubles concomitants. La prévention peut alors consister en un développement de programme en milieu scolaire pour sensibiliser les jeunes à risque aux méfaits de la consommation et du jeu pathologique. Il ne serait toutefois pas possible de lier directement l’effet de cette intervention avec l’apparition ou non d’un trouble concomitant spécifique.

  2. Les études sur l’efficacité des traitements ont mis en évidence la nécessité de mieux définir les composantes des programmes et d’évaluer leurs effets différenciels. Si les études initiales portaient à croire que le traitement des troubles concomitants se résumait essentiellement à l’application du programme de traitement intégré de Mueser pour les personnes souffrant de troubles graves et persistants de santé mentale, les études récentes dressent un portrait beaucoup plus complexe de la situation (i. e. Drake et al., 2008). Des composantes de traitement dont l’efficacité a été démontrée, telles que la gestion de cas, la thérapie cognitivo-comportementale ou l’automédication, sont ainsi reconnues comme étant efficaces. Cependant, il n’existe pas de données probantes permettant de décider dans quelle séquence ces interventions devraient être administrées, ni pendant quelle durée, ni pour qui elles seraient les plus efficaces. Le même type de questionnement pourrait être adressé au sujet du counseling de groupe, de l’organisation des contingences et du traitement résidentiel, des interventions dont l’efficacité a aussi été démontrée (Drake et al., 2008).

    Outre l’agencement des interventions, certains aspects des traitements méritent aussi d’être mieux définis ou précisés. Par exemple, la manière dont les traitements sont intégrés. Cet aspect est crucial et mérite d’être défini de manière plus articulée. En effet, le modèle de traitement intégré (MIT) proposé par Mueser et ses collègues (2001) s’inscrit dans un modèle d’intégration vertical, c’est-à-dire un modèle où l’ensemble des activités et traitements, tant pour les troubles de consommation que pour ceux de santé mentale, sont offerts sous l’égide d’un seul et même programme. Plusieurs auteurs qui travaillent auprès de la même clientèle, tels que Drake (2008), de même que d’autres ayant contribué à l’élaboration de bonnes pratiques (i. e. US Department of Health, 2002), ont repris intégralement la désignation du modèle préconisé par Mueser pour aborder toute forme d’intégration de services. Il s’en dégage l’impression que si la dispensation de services n’est pas conforme à un modèle d’intégration verticale, elle n’est pas « intégrée ». Il existe pourtant plusieurs formes d’intégration des services. L’intégration horizontale (ou virtuelle) est généralement évoquée en opposition à l’intégration verticale. Elle est fondée sur la collaboration entre différents organismes spécialisés qui joignent leurs efforts pour fournir des services. Par exemple, une personne qui éprouve un trouble d’anxiété et une dépendance à l’alcool pourrait être suivie dans un centre de réadaptation en toxicomanie et dans une clinique spécialisée pour les troubles anxieux. Les deux équipes pourraient alors travailler de manière intégrée en établissant un plan de soins individualisé qui tient compte de la situation personnelle du patient et de leur rôle respectif à cet égard. Il s’agit d’une approche fortement répandue auprès de la clientèle qui présente des problèmes concomitants, spécialement lorsqu’il s’agit de troubles transitoires modérés. Il existe également différents paliers d’intégration, tels que celui des programmes et celui qui s’exerce à un niveau supérieur, celui des systèmes (Santé Canada, 2002).

    Brousselle et ses collègues (2007) proposent, dans ce cadre, une vision plus large des composantes de l’intégration que celles rattachées au MIT. Ils avancent que l’intégration dépend moins de la structure particulière d’un programme (par exemple son intégration horizontale ou verticale) que de la cohérence entre les différentes dimensions d’intégration. Leur position illustre la nécessité de mieux comprendre et définir les composantes des traitements, telles que l’intégration, afin d’en venir à identifier avec précision les ingrédients efficaces et leur agencement pour mettre en place de réelles « meilleures pratiques ».

    Sur le plan de la prévention, les meilleures pratiques pour ce qui est de la consommation de substances comportent la séquence ou encore la combinaison de stratégies (Tobler et al., 2000). Dans cette perspective, l’organisation optimale d’une programmation en prévention des troubles concomitants nécessiterait, à tout le moins, d’établir clairement les meilleures conditions dans lesquelles les différentes interventions doivent être mises en place. Ces besoins semblent encore plus complexes à résoudre pour les programmes de prévention que pour les traitements cliniques en raison de la difficulté à évaluer leurs effets à long terme, spécialement lorsque ces programmes sont menés auprès de la population générale.

  3. Il convient de poursuivre le développement et la validation des données probantes existantes à l’aide de méthodes plus rigoureuses. À la suite de l’analyse de plus de 40 études contrôlées sur des interventions qui se rapportent uniquement aux troubles graves de santé mentale et de toxicomanie, McHugo et ses collègues (2006) concluent qu’après 20 ans de recherche, des lacunes majeures persistent quant à la disponibilité de données probantes qui peuvent guider le traitement des personnes aux prises avec des troubles concomitants. Ils estiment qu’il n’y a eu que peu de réplications des études, peu d’uniformité entre les recherches en termes de devis, de composition des échantillons, des interventions et des mesures qui ont été utilisées. Pour ces raisons, ils croient que l’interprétation des résultats est très restreinte. Pour pallier cette situation, ils proposent de standardiser les différentes mesures ayant pour but de documenter les troubles concomitants ainsi que les différentes composantes des traitements et de leurs effets. Ce type de rigueur mériterait d’être étendu à l’ensemble des études sur les troubles concomitants, en incluant celles sur leur prévention.

  4. Il importe de combler les biais introduits par le choix des méthodes expérimentales dans l’adoption des meilleures pratiques. Les essais randomisés sont reconnus pour générer des données probantes valides. En éliminant les principales sources potentielles de biais, cette approche permet de générer les données probantes les plus « solides » pour soutenir l’inférence causale entre l’intervention sous étude et les effets qu’elle engendre. Le modèle d’intervention concomitante par une seule équipe de Mueser se prête bien à ce type de devis, car il est possible d’y contrôler à la fois le traitement, les critères d’inclusion et d’exclusion de la clientèle, et les liens avec d’autres instances qui pourraient aussi exercer un impact sur les résultats de l’intervention.

    Les essais randomisés, bien qu’ils soient adaptés à l’évaluation de l’efficacité de programmes standardisés appliqués à des populations homogènes, ne s’appliquent qu’exceptionnellement aux interventions pour les troubles concomitants, caractérisées par l’hétérogénéité des clientèles et la combinaison d’interventions multiples. Dans leur analyse de la recherche reliée aux troubles concomitants, McHugo et al. (2006) indiquent d’ailleurs que malgré le prestige et la puissance des essais randomisés contrôlés, il existe de nombreuses situations où ce type d’expérimentation est impossible, prématuré ou tout simplement non informatif. Ils proposent alors le recours à différents devis quasi expérimentaux pour répondre à des questions qui émergent des divers contextes de pratique. Dans le cas des interventions complexes en réseau qui caractérisent les programmes pour les troubles concomitants, la situation est encore plus critique, alors que les méthodologies courantes, destinées à l’évaluation des réseaux, ne se limitent qu’à des aspects descriptifs (Hill, 2002). Les programmes complexes qui impliquent la contribution de différents réseaux, que ce soit sur le plan de l’intervention ou de la prévention, ne sauraient donc jouir de la même notoriété que les programmes plus simples qui répondent aux critères d’évaluation à partir d’essais randomisés.

    Les groupes d’experts peuvent, dans une certaine mesure, contribuer à parer à cette situation. L’opinion de ces derniers permet d’estimer dans quelle mesure certaines données spécifiques à des situations particulières pourraient aussi être pertinentes pour d’autres conditions où l’on ne dispose que de peu d’information. Les auteurs du guide canadien proposent alors de combiner l’information issue des études scientifiques à celle de consensus d’experts (Santé Canada, 2002). Les recommandations émanant de cet exercice tiennent alors compte des différents contextes et s’éloignent des recettes simples qu’il conviendrait d’appliquer fidèlement avec une grande rigidité. Par exemple, pour ce qui est de la dispensation et de l’intégration des services, dans le guide canadien, on propose que certaines interventions auprès de la clientèle soient menées de manière séquentielle alors que d’autres peuvent l’être simultanément (Santé Canada, 2002). Un autre exemple tiré de ce guide est celui de l’intégration des services. Tout comme Brouselle et al. (2007), on y propose des dimensions qui transcendent l’organisation normative des services (i. e. intégrations verticale et horizontale), telles que la communication, la cohérence et la coordination entre les différents intervenants pour guider l’intégration du traitement.

    Malgré la contribution fort pertinente des groupes d’experts, il y a lieu de questionner la valeur des données probantes qui sous-tendent les différentes recommandations concernant les multiples regroupements de troubles concomitants.

  5. Il serait opportun de considérer les bonnes pratiques de prévention sur le même continuum que celles se rapportant au traitement. Le DSM constitue l’outil de base dans l’établissement d’un diagnostic de troubles concomitants. Il est conçu aux fins de traitement. Or, le domaine de la prévention privilégie une programmation pour une clientèle à risque, qui n’est pas diagnostiquée, et les principes de prévention des troubles concomitants couvrent un large éventail de facteurs de risque et de protection sur lesquels le travail de programmation doit s’effectuer. Comment ces deux positions peuvent-elles se rejoindre ? Les regroupements des troubles concomitants selon leur gravité, par quadrants, permettent de développer une programmation pour la clientèle à risque dans les objectifs de niveau I, orientés vers les personnes qui connaissent un abus de consommation ainsi que les problèmes de santé mentale les moins sévères (Sacks et Ries, 2005). Par exemple, des interventions pourraient être initiées auprès des jeunes aux prises avec un trouble de santé mentale qui éprouvent un léger problème de consommation. À cette fin, il serait pertinent, même si ce n’est pas proposé dans les guides des meilleures pratiques, d’arrimer les efforts de prévention qui s’adressent aux clientèles plus vulnérables à ceux des partenaires qui interviennent sur le plan des traitements, c’est-à-dire les réseaux de la toxicomanie et de la santé mentale.

    À défaut d’outils communs dans la définition de la clientèle faisant l’objet d’une programmation préventive ou de traitement dans la gestion des troubles concomitants, cette approche aurait l’intérêt de faciliter la compréhension d’un continuum dans l’évolution de troubles concomitants, et de supporter des stratégies d’action appropriées aux différentes étapes que franchissent les clientèles à risque ou celles déjà diagnostiquées.

  6. Au-delà de la disponibilité de bonnes pratiques, la manière de les implanter représente en soi un défi. Même si de nombreuses activités et programmes basés sur des données probantes ont été développés au cours des dernières années, la manière de les implanter en conformité avec leurs caractéristiques fondamentales n’a été explorée que dans un nombre restreint d’études. Fixen et al. (2005) ont recensé ces travaux et ont mis en évidence plusieurs dimensions-clés dans la réplication des programmes jugés efficaces. On y compte, entre autres, la valeur relative des différents modes de formation et d’encadrement du personnel impliqué, les différentes stratégies d’implantation des programmes, les différents niveaux d’implantation et le degré de fidélité des programmes implantés en rapport avec les programmes originaux.

    Leurs préoccupations pour s’assurer du bon fonctionnement des programmes fraîchement implantés rejoignent celles d’autres auteurs qui ont soulevé les limites des études sur l’efficacité qui, menées dans des conditions contrôlées, s’avèrent difficiles à reproduire dans des milieux courants de traitement. McHugo et al. (2006) proposent d’ailleurs d’orienter la recherche future vers l’évaluation de l’efficience des programmes. Ce type de recherche serait plus crédible et valide aux yeux des décideurs, et les résultats se rapprocheraient davantage des interventions de routine courantes, facilitant ainsi leur adoption et leur implantation.

    Différents facteurs sont reliés à l’adoption de bonnes pratiques. Par exemple, l’absence de données probantes concernant une intervention ne signifie pas pour autant qu’elle sera suspendue. Ce fut le cas pour le programme de prévention DARE (Drug Abuse Resistance Education) ; malgré le fait que de nombreuses études aient démontré son inefficacité au cours des années 1990, son application s’est pourtant poursuivie dans les écoles pour la prévention de la toxicomanie (Santé Canada, 2002).

    À l’heure actuelle, toutefois, il n’existe que peu de pratiques ou de programmes reconnus qui pourraient se prêter à une adoption intégrale dans le traitement ou la prévention des troubles concomitants. En outre, même si plusieurs auteurs estiment qu’on ne dispose encore que de peu de connaissances sur les facteurs critiques reliés à l’efficience des programmes (i. e. Torrey et al., 2002 ; SAMHSA, 2003 ; Brousselle et al., 2007), il appert qu’une stratégie d’application des « meilleures pratiques » mettant de l’avant l’application de principes directeurs semble plus appropriée qu’une stratégie où l’on viserait l’application fidèle de techniques détaillées. Dans cette perspective, Corrigan et al. (2004) proposent trois dimensions importantes pour guider le développement des traitements. Les traitements devraient être : 1) globaux, pour répondre à de multiples besoins ; 2) de longue durée ; et 3) sensibles à l’aspect culturel et administrés avec compétence. Il serait prioritaire, dans les études futures, de poursuivre ce type d’analyse en fonction des dimensions les plus importantes des interventions afin de déterminer dans quelles conditions et selon quelles modalités elles devraient être mises en place.

    À ce point-ci, compte tenu de la grande diversité des clientèles et des connaissances limitées sur l’efficience des multiples combinaisons de traitements disponibles, le jugement des responsables de programmes et des cliniciens ne peut qu’être mis à contribution pour l’adoption et l’implantation de meilleures pratiques. Patton (2001) résume assez bien cette situation, qui n’est pas unique aux interventions pour les troubles concomitants : « “Best Practices” that are highly prescriptive and specific represent bad practices of best practices » (Patton, 2001 : 331).

Conclusion

Les écrits sur les troubles concomitants et les interventions reliées mettent en évidence les limites de cette classification pour faciliter le développement d’interventions ou de programmes ciblés et efficients. La grande hétérogénéité induite par les différentes combinaisons de troubles, la diversité des traitements et les lacunes dans la disponibilité de données probantes incitent les responsables de programmes et les cliniciens à effectuer des choix plus ou moins éclairés dans l’application des meilleures pratiques. Toutefois, certains ingrédients semblent transcender les diverses approches. Par exemple la nécessité de soutenir des traitements qui soient intégrés selon des modalités qui pourront varier en tenant compte des clientèles et des milieux concernés. Dans le domaine de la prévention, il est capital d’identifier les composantes essentielles des programmes afin de guider leur développement, leur évaluation et leur application.

Considérer les activités de prévention et de traitement sur un même continuum serait sûrement bénéfique, dans le futur, pour faciliter l’arrimage entre ces deux approches, tout spécialement pour les clientèles à risque. Les études évaluatives menées dans ces deux domaines indiquent d’ailleurs que ce sont les programmes qui impliquent plusieurs milieux qui sont les plus efficaces. Pourquoi ne pas tenter de combiner l’expertise de ces deux champs qui se sont développés, eux aussi, en parallèle !