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Introduction

L’usage d’alcool et de drogues illicites chez les adolescents est aujourd’hui une préoccupation de santé publique majeure. Bien que la grande majorité ne présentent pas de problèmes de toxicomanie, il faut reconnaître qu’une proportion importante de ces jeunes fait un usage abusif de substances psychoactives (SPA[1]). Une analyse récente (Vitaro, Gosselin & Girard, 2002) de l’évolution de la consommation de SPA chez les jeunes du Québec révèle une augmentation de la consommation élevée ou abusive d’alcool chez les jeunes de tous les âges, entre 1992-1993 et 1998. Selon ces données, 25 % des jeunes consommeraient de l’alcool de façon abusive. La consommation de marijuana aurait presque doublé durant cette même période chez les 15-24 ans, passant de 15 % à 26 %. Quant aux autres types de drogues illicites, leur consommation serait demeurée relativement stable : 15 % des jeunes en 1998 mentionnent avoir consommé une autre drogue que la marijuana.

Les coûts psychosociaux reliés à la prévalence de l’abus de SPA furent à l’origine de plusieurs travaux de chercheurs nord-américains intéressés à comprendre les tendances de l’usage de SPA par les adolescents de même que les facteurs de risque associés, notamment ceux reliés au contexte familial (Brook, Brook, Gordon, Whiteman & Cohen (1990); Friedman, Terras & Glassman, 2000 ; Harrier, Lambert & Ramos, 2001 ; Hawkins, Catalano & Miller, 1992 ; Welte, Barnes, Hoffman & Dintcheff, 1999 ; Vakalahi, 2002). Plusieurs travaux concluent que la structure familiale, les relations dans la famille et les influences que celle-ci exerce, constituent des facteurs de risque quant à l’engagement du jeune dans des comportements déviants. Notamment, les enfants et adolescents qui expérimentent des transitions familiales difficiles consécutives à un divorce ou à un remariage de leurs parents seraient plus susceptibles de développer des problèmes d’adaptation et de déviance (Saint-Jacques, Drapeau & Cloutier, 2000). Le risque serait accru lorsque les parents abusent eux-mêmes des SPA (Keller, Catalano, Haggerty & Fleming, 2002).

Dans une revue de littérature récente portant sur les traitements pour adolescents impliquant la famille, Liddle & Dakof (1995) font état de différents éléments ayant contribué à favoriser l’implication de la famille dans le traitement :

Les interventions orientées vers la famille s’appuient sur deux présupposés fondamentaux : la famille joue un rôle important dans l’émergence de conditions reliées à l’usage de drogues de l’adolescent, et un contexte familial et des relations parents-enfants peuvent protéger l’adolescent contre l’usage de drogues et/ou s’avérer un antidote à un usage de drogues déjà amorcé.

Liddle & Dakof, 1995 : 220 (Notre traduction)

Notre étude se distingue des autres études portant sur le traitement de la toxicomanie chez les adolescents du fait qu’elle s’intéresse au point de vue des acteurs quant à la place de la famille dans le traitement, et particulièrement à divers aspects reliés à l’implication des parents. Cet article vise à comparer, à partir des propos recueillis lors d’entrevues de groupes et individuelles, les points de vue des adolescents, parents et intervenants de manière à apporter un éclairage sur ce type d’intervention.

Problématique

Les recherches portant sur l’efficacité des traitements chez les adolescents permettent difficilement de tirer des conclusions définitives et ce, en raison des disparités substantielles touchant les mesures d’efficacité (abstinence c. changement dans la trajectoire) et des nombreuses limites méthodologiques (Harrison & Asche, 2001). Par ailleurs, quoique la place de la famille dans le traitement de la toxicomanie chez les adolescents ait une importance reconnue aujourd’hui (Comité permanent de lutte à la toxicomanie, 2001 ; Liddle & Dakof, 1995 ; Rasmussen, 2000 ; Stanton, 1997 ; Szapocznik & Kurtines, 1989 ; Waldron, Brody & Slesnick, 2001), les approches orientées vers la famille sont plus récentes que celles portant sur le traitement de problèmes reliés à la santé mentale, aux abus divers et à la délinquance (Liddle & Dakof, 1995).

Les modèles orientés vers le système familial (en tout ou en partie) conçoivent l’abus de SPA comme un comportement consécutif à des problèmes relationnels dans la famille. Pour optimiser le potentiel d’influence que représente la famille, les interventions sont axées vers la résolution des dysfonctions qui marquent les interactions familiales et qui maintiennent les comportements d’abus (Liddle & Dakof, 1995 ; Szapocznik & Kurtiness, 1989 ; Waldron, Brody & Slesnick, 2001). De façon plus large, le contexte écosystémique dans lequel s’inscrit la consommation abusive prend désormais toute son importance dans les interventions (Liddle & Dakof, 1995 ; Waldron, Brody & Slesnick, 2001). Ainsi, la question des transformations sociales actuelles, notamment sous l’aspect du soutien social dans un contexte d’éclatement des familles, illustre clairement l’importance de s’intéresser à l’intervention auprès des parents.

À ce chapitre, Marcil-Gratton (2000) soutient que jamais jusqu’ici la vie de couple n’a été aussi fragile, un mariage sur deux se soldant par un divorce, et le risque de rupture chez les couples vivant en union libre s’accroissant (ce choix représente celui de 80 % des jeunes couples). Ainsi, un enfant québécois sur quatre né en 1983-1984 aura connu, dès l’âge de 8 ans, la séparation de ses parents ou sera né d’une mère seule. Les ruptures et transitions influent sur le bien-être des adultes et des enfants en cause, et ont de nombreuses conséquences. Selon Amato (2000), en plus des effets négatifs sur le plan du bien-être des conjoints, le divorce affecte les individus sur le plan de la relation parent-enfant et du support émotionnel, et il entraîne des difficultés économiques et de nombreux changements dont certains ont un effet négatif sur les personnes. Aussi, si plusieurs s’ajustent assez bien à la situation après quelque temps, d’autres éprouvent des déficits à long terme au chapitre du fonctionnement (Amato, 2000). Plus que jamais donc, il importe d’étudier la question de la participation de la famille au traitement de l’adolescent éprouvant des difficultés d’adaptation.

Compte tenu des succès observés dans le contexte des interventions en protection de la jeunesse (qui visent à mettre fin à une situation compromettant la sécurité ou le développement d’un jeune), on tend de plus en plus à faire participer tous les acteurs susceptibles de contribuer à l’amélioration de la situation du jeune, en particulier ses parents (Richardson, Galaway, Hudson, Nutter & Hill, 1995). À ce propos, font remarquer Saint-Jacques, Lessard, Beaudoin & Drapeau (2000), la littérature spécialisée rapporte que ces personnes ont fréquemment peu de contrôle sur leur vie, qu’elles disposent de peu de ressources, qu’elles ont peu d’estime d’elles-mêmes et croient peu en leurs capacités reliées à leurs rôles parentaux, et ce en plus des problèmes de stigmatisation consécutifs à leurs nombreuses difficultés tels les problèmes de santé mentale, la pauvreté, leur propre toxicomanie, la violence, etc. Aussi, dans un contexte d’augmentation du taux d’éclatement des familles et compte tenu des implications de ces changements pour leurs membres, on peut penser que de plus en plus de parents auront besoin non seulement de soutien, mais aussi d’outils pour reprendre le contrôle de leur vie, ce qui représente un défi de taille :

En ce sens, l’implication parentale apparaît comme une voie inéluctable permettant de mettre fin à une situation inacceptable, soit la désappropriation de son devenir et de celui de ses enfants.

Saint-Jacques & al., 2000 : 6

En se concentrant sur les forces des parents plutôt que sur leurs défaillances, l’approche qui repose sur leur implication s’inscrit de manière fort positive dans la démarche de changement et de réappropriation du contrôle dans leur vie, dans le cadre d’un processus d’intervention qui vise l’empowerment[2] (Saint-Jacques & al., 2000 : 7).

Le concept d’implication parentale tel qu’entendu ici se réfère soit à la participation du père ou de la mère, ou des deux, dans les activités cliniques (rencontres de groupe, entrevues individuelles, de couples ou familiales qui peuvent inclure ou non l’adolescent) qui leur sont réservées, soit à l’accompagnement de leur enfant dans des activités thérapeutiques, ou encore, aux entretiens téléphoniques documentés dans un dossier (le leur ou celui de leur adolescent). Il s’agit donc d’une participation au traitement sous différentes formes, et ce, qu’il s’agisse d’activités d’information, d’une démarche thérapeutique plus particulière ou de prises de décision tout au long de l’intervention. Dans la présente étude, l’implication parentale s’inscrit donc comme une composante fondamentale d’une démarche clinique qui cherche à favoriser l’empowerment des parents face aux difficultés de leur adolescent.

L’implication de la famille dans le traitement de l’adolescent présente toutefois plusieurs difficultés et les stratégies visant à optimiser cette implication sont peu développées (CPLT, 2001). Dans un récent rapport de Santé Canada (2001) concernant les meilleures pratiques de traitement auprès des jeunes ayant des problèmes liés à l’usage de SPA, les spécialistes rencontrés évoquent trois obstacles au traitement propres à la famille : la présence de problèmes de toxicomanie chez les parents eux-mêmes, la négation par les parents des problèmes de leur enfant, et des liens familiaux dysfonctionnels reliés entre autres à l’éclatement de la famille.

Des travaux intéressants ont été publiés par les équipes de Szapocznik, Perez-Vidal, Brickman, Foote, Santisteban, Hervis & Kurtines (1988) et de Santisteban, Szapocznik, Perez-Vidal, Kurtines, Murray & LaPerriere, (1996) au sujet des stratégies en vue de recruter les familles et de les faire collaborer au traitement des adolescents aux prises avec une problématique de consommation de SPA. Leur programme (Strategic-Structural Systems Engagement) a obtenu des taux de recrutement sept fois plus élevés que les stratégies de recrutement habituelles. Le processus d’engagement se déroule essentiellement autour d’une tâche centrale qui consiste à amener la famille en traitement. Les principales stratégies développées pour aider la famille à dépasser ses résistances à la thérapie et à s’engager se résument ainsi : bien expliquer en quoi consiste la thérapie familiale, s’attarder à diminuer les appréhensions, établir une alliance thérapeutique, déterminer la nature des modes d’interactions qui sous-tendent la résistance et utiliser des techniques de restructuration (recadrage, détriangulation, etc.).

D’autres difficultés qui proviennent des milieux de pratique eux-mêmes font en sorte que malgré de bonnes intentions, une approche linéaire/autoritaire est souvent privilégiée (Lamarre, 1998). Parmi elles, la difficulté de gérer une mise en commun des souffrances et frustrations de chacun, la présence d’un certain désespoir et l’épuisement des membres de la fratrie :

Bien qu’il soit relativement facile d’identifier et de définir les variables et ingrédients de l’intervention, l’actualisation d’un tel traitement requiert un travail d’équipe cohésif, un contexte organisationnel favorable, une expertise clinique importante et par-dessus tout du temps et des opportunités.

Liddle & Dakof, 1995 : 232 (Notre traduction)

Méthodologie

Les résultats présentés dans cet article sont issus notamment d’une enquête de terrain exploratoire et descriptive, et ils s’inscrivent dans une démarche plus large d’évaluation d’implantation des services (Mercier & Perreault, 2001) offerts aux jeunes et parents de Domrémy Mauricie / Centre-du-Québec (Plourde, Ménard, Marsh, Mercier & Perreault, 2002).

Population et échantillon

La population à l’étude est constituée de trois groupes d’acteurs : l’ensemble des intervenants du centre de réadaptation oeuvrant ou ayant récemment oeuvré auprès d’adolescents ou de parents d’adolescents ; les jeunes recevant actuellement ou ayant récemment reçu des services ; des parents[3] qui utilisent actuellement ou ont utilisé dernièrement les services. L’échantillon se compose d’abord de tous les intervenants jeunesse, à l’exception de deux cliniciens absents aux rencontres pour différents motifs. Nous avons également rencontré en entrevue individuelle quatre intervenants ayant une expérience du programme reconnue par l’organisme, mais désormais affectés à d’autres tâches. D’autre part, en ce qui concerne les jeunes et les parents des quatre centres de services, la demande pour participer aux groupes de discussion était faite par les intervenants selon des critères préétablis, tels le nombre de rencontres auxquelles ces personnes avaient assisté à Domrémy (minimum trois), les habiletés sociales minimales requises pour participer au groupe de discussion, et enfin, la stabilité émotive en lien avec la situation de l’adolescent. On offrait aux parents participants la somme de 20 dollars, alors que nous remettions aux jeunes un billet de cinéma.

Les intervenants

La moyenne d’âge des intervenants ayant participé à la démarche est de 40,6 ans (e.t. = 9,87). La grande majorité d’entre eux (14/17) détiennent un diplôme universitaire de premier ou de deuxième cycle. De manière générale, il s’agit d’intervenants cumulant une expérience significative en toxicomanie puisque, en moyenne, ils sont à l’emploi de l’organisme depuis 8,3 ans (e.t. = 5,86) et ont cumulé une pratique moyenne de 4,7 ans (e.t. = 3,17) au sein du programme Jeunesse (il faut se rappeler que le programme s’est graduellement mis en place dans les différents points de services à partir de 1992).

Les adolescents et les parents

Les adolescents des groupes de discussion ont en moyenne 15,3 ans (e.t. = 1,44) et plus de la moitié (9/15) sont en première ou en deuxième année du secondaire. Seuls deux participants vivent avec leur père et mère au moment de la rencontre, alors que cinq vivent avec leur mère uniquement, cinq autres sont en famille d’accueil ou en centre de réadaptation, deux vivent avec leur père et un autre en garde partagée. Au moment des consultations, près des deux tiers ont un suivi en groupe avec d’autres adolescents alors que les autres poursuivent leur traitement individuellement (sans leurs parents) avec leur intervenant.

La moyenne d’âge des parents rencontrés est de 43,1 ans[4] (e.t. = 4,81) ; huit sont mariés, trois divorcés, et deux vivent en union libre. Tous les parents rencontrés sont uniquement engagés (ou l’ont été récemment) dans un suivi de groupe de parents au sein de cet organisme.

Collecte des données

Afin de répondre à l’objectif de connaître le point de vue des intervenants, des jeunes et des parents sur l’implication des parents au traitement, la technique du focus group (ou groupe de discussion focalisée) telle que décrite dans Krueger & Casey (2000) a été privilégiée, de même que des entrevues individuelles avec des informateurs clés. Le groupe de discussion s’avère particulièrement utile dans les recherches exploratoires pour générer de nouvelles hypothèses de travail (Neuman, 1997), de même qu’il permet de relever les perceptions et impressions clés émises par les participants (Simard, 1989). Cette stratégie présente par ailleurs certaines limites (Bordeleau, Perreault & Mercier, 2001). Dans ce cas-ci, une des principales concerne la représentativité des personnes recrutées, qui ne peut être assurée. Une autre limite tient à la taille des groupes de discussion ( voir le Tableau 1), bien que cette petite taille puisse être considérée comme un avantage : les « mini focus groups » facilitent le partage d’idées, mais ils présentent le désavantage de limiter l’éventail des thèmes abordés. Dans le cas de certaines catégories de personnes, réunir des groupes de taille plus limitée représente une stratégie de choix, surtout lorsque les participants ont beaucoup à dire ou possèdent une large expérience du sujet (Krueger & Casey, 2000). La situation des parents et adolescents en traitement en est un parfait exemple.

Tableau 1

Répartition et genre des participants dans les groupes

Répartition et genre des participants dans les groupes

h=homme et f=femme

-> Voir la liste des tableaux

Tenus entre novembre 2001 et avril 2002, les groupes de discussion ont eu une durée approximative de 60 minutes pour les adolescents, de 90 minutes pour les parents et de 120 à 150 minutes pour les groupes de cliniciens. Dans le cas des intervenants rencontrés individuellement, la durée des entrevues fut d’environ 60 minutes.

Le guide d’entrevue représente l’outil de base pour l’animation des entrevues de groupe. Trois guides (intervenants, jeunes, parents) furent élaborés par les chercheurs en collaboration avec un comité d’appui formé de trois membres du personnel clinique de l’établissement et en conformité avec les principes et les étapes proposés par Krueger & Casey (2000).

Les mêmes principes ont été retenus dans l’élaboration du guide d’entrevue pour les rencontres individuelles avec les informateurs clés. L’ensemble des guides d’entrevue tient compte des éléments à explorer en lien avec la programmation jeunesse de l’établissement. Les dimensions retenues concernent la place de la famille dans l’intervention et les ingrédients d’un bon traitement selon la perception des intervenants, des jeunes et des parents.

L’analyse de contenu fut réalisée à partir de lectures répétées des transcriptions et des notes manuscrites. Un résumé-synthèse a été rédigé pour chaque groupe de discussion et chaque entrevue. On y trouve entre autres les thèmes abordés par les participants concernant la place de la famille dans le traitement. Cette démarche a permis de faire émerger des catégories dans lesquelles les énoncés ont été répartis (L’Écuyer, 1987). Enfin, la recherche de points de convergence et de divergence dans les propos recueillis a guidé l’analyse transversale du matériel.

Considérations éthiques

Le protocole de recherche pour évaluer la satisfaction des usagers fut d’abord approuvé par le Comité d’éthique de la recherche en toxicomanie (CERT) du Regroupement des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et toxicomanes. Tous les participants (jeunes et parents) ont donné leur consentement (signé) avant la participation aux entrevues de groupe. En ce qui concerne les intervenants, puisqu’il s’agissait d’une consultation interne visant l’amélioration des services, leur consentement n’était pas requis. Cependant, la confidentialité des propos de tous les participants était assurée. L’écoute des enregistrements audio fut réservée de façon exclusive aux chercheurs externes animant les consultations ; les cassettes ont été conservées sous clé et sont maintenant détruites.

Résultats

Le thème général de la place de la famille dans le traitement est présenté suivant les quatre principales dimensions qui émergent de la démarche d’analyse : (1) la pertinence de l’implication des parents, (2) les embûches reliées à l’implication des parents, (3) l’apport des différentes modalités d’intervention, (4) les habiletés pour intervenir auprès des adolescents et des parents. Chaque thème est approfondi à partir de la lecture qu’en font les intervenants, les parents et les adolescents, et les convergences et divergences entre les trois groupes sont rapportées. Afin de favoriser un examen dynamique des données quantitatives et qualitatives, et compte tenu du caractère exploratoire de la présente démarche, les différents résultats sont présentés de manière concomitante.

La pertinence de l’implication des parents

Un des principaux thèmes concerne la pertinence d’impliquer les parents dans la démarche de réadaptation de l’adolescent. Dans les faits, peu de parents d’adolescents ayant reçu des services à Domrémy Mauricie / Centre-du-Québec sont eux-mêmes des clients de l’organisme : au cours de la période se situant entre février 2001 et février 2002, seulement 14 % des parents[5] (n=38) des 264 jeunes inscrits dans les services de Domrémy Mauricie / Centre-du-Québec se sont inscrits officiellement dans une démarche. Les parents de 23 autres adolescents ont été rejoints (sans inscription formelle) à travers le suivi de leur adolescent, pour un total de 61 parents d’adolescents (23 %). Par ailleurs, certains parents s’inscrivent d’eux-mêmes sans que leur jeune reçoive des services. C’est le cas de 59 autres parents durant cette même période d’une année. Ainsi, 39 % des parents qui ont un dossier ouvert dans l’organisme ont un adolescent inscrit dans les services.

Ce constat de la faible participation parentale au traitement de l’adolescent soulève des questions lorsque l’on s’attarde aux données issues de l’analyse des composantes de l’IGT (indice de gravité d’une toxicomanie) auprès d’un échantillon composé de 190 adolescents inscrits dans les services entre décembre 2000 et février 2002. De fait, on y apprend qu’une proportion élevée de jeunes fait état de difficultés significatives sur le plan familial : 70 % rapportent la présence de conflits dans leur milieu familial, de problèmes de communication (61 %), de problèmes reliés aux règles de fonctionnement (52 %), de problèmes de consommation excluant les leurs (38 %), de problèmes monétaires (24 %), de violence (21 %), de santé physique (19 %), de santé mentale (16 %) et de problèmes judiciaires (16 %). Fait à noter, les adolescentes rapportent plus de problèmes familiaux que les garçons quant à plusieurs dimensions (consommation 50 % c. 34 %, monétaire 37 % c. 19 %, violence 33 % c. 16 %, rejet 23 % c. 10 %, conflits 87 % c. 63 % et communication 77 % c. 54 %).

Dans le cadre des entrevues de groupe, l’ensemble des intervenants rencontrés préconise de travailler de manière systématique avec la famille dans une optique de services familiaux intégrés. Parmi les principaux motifs évoqués pour justifier l’importance d’impliquer les parents dans le traitement, on retrouve l’idée que leur participation augmente les chances de réussite en favorisant la communication et le rapprochement entre le jeune et sa famille :

Les parents, c’est plus intéressant en termes de résultats. Parallèlement aux jeunes, c’est important de travailler avec les parents. Pis c’est intéressant parce que la plupart des parents arrivent motivés, dans le sens qu’on (les parents rivent les parents) est pris avec un problème et on ne sait plus quoi faire.

Virginie, intervenante

Quand les parents sont présents dans le processus et qu’ils désirent s’impliquer pour eux et pour aider leur jeune, ben il y a ben plus de chances que ça fonctionne, parce que le problème doit être réglé à plusieurs niveaux et avec toutes les personnes concernées. Pis quand qu’il est question des jeunes ben c’est important que les parents aient une ouverture pour faire les démarches avec le jeune.

Marc, intervenant

Il ressort également des propos des intervenants que ceux-ci croient au potentiel de développement de la collaboration et de l’ouverture des parents. Cette tendance à mettre en relief les capacités de changement des personnes s’inscrit dans une perspective d’intervention centrée sur l’empowerment (Le Bossé, 1996).

De la même manière, la plupart des jeunes rencontrés dans les groupes de discussion soutiennent qu’il est important d’impliquer les parents. Parmi eux, certains constatent qu’après avoir assisté à des rencontres de parents, leurs propres parents comprennent mieux ce qu’ils vivent, ce qui contribue à favoriser le dialogue entre les parties. Également, les adolescents pensent qu’il est important que les parents reçoivent de l’information sur les substances psychoactives pour les aider à avoir des réactions adéquates et ainsi éviter la dramatisation :

S’il n’y a pas de support familial, il n’y a rien selon moi.

Martine, 15 ans

Si un jeune vient ici, c’est que ses parents sont « dans » la drogue aussi. S’ils ne s’impliquent pas, le jeune est perdu. Tandis que, quand il a ses parents en arrière de lui et qu’ils l’aident, c’est mieux. Tu sais que tu n’es pas tout seul là-dedans. Ça change tout dans le fond.

Julien, 16 ans

En ce qui concerne le point de vue des parents rencontrés sur cette dimension, tous croient qu’il est très important de s’impliquer dans le cheminement de leur jeune et certains ajoutent même que cette implication est à la base d’une cohérence disciplinaire et de l’établissement de limites bien définies :

Si tu changes ta façon de voir les choses, automatiquement il y a des répercussions sur ton fils. Les choses changent avec le temps.

Marcel, père d’un adolescent

C’est en nous changeant nous-mêmes, comme parents, nos comportements envers nos enfants, que l’enfant va changer.

Christine, maman d’un adolescent

Les embûches reliées à l’implication des parents

Trois types d’embûches à l’implication des parents furent exposés par l’ensemble des personnes rencontrées : (1) le refus de certains adolescents de voir leurs parents impliqués ; (2) la non-reconnaissance de la part du parent de l’importance de sa participation dans le processus ; (3) la méconnaissance de l’existence de services.

À l’instar de ce que rapportent Blume, Anderson, Fader et Marlatt (2001), et contrairement à ce qui émerge des propos tenus par la majorité des jeunes ayant participé aux rencontres de groupe, la plupart des intervenants croient qu’il est rare que les jeunes acceptent d’emblée que leurs parents participent. Certains vont jusqu’à craindre que le jeune abandonne sa démarche si la présence des parents est imposée. Aussi, insistent-ils sur l’importance d’obtenir le consentement des deux parties, de même qu’ils introduisent l’idée de la participation parentale en mentionnant que le jeune et les parents font leur propre cheminement. Une autre stratégie relevée dans le discours de certains cliniciens consiste à impliquer les parents de manière spontanée, comme si leur présence dans le processus allait de soi.

Concrètement, neuf des 15 jeunes rencontrés ont des parents qui ont reçu à un moment ou à un autre des services de Domrémy (parfois pour une soeur ou pour un frère plus âgés), ce qui est nettement supérieur aux statistiques de la dernière année, présentées précédemment, selon lesquelles 23 % des jeunes ont un ou des parents qui ont eu ou ont un contact avec un intervenant, sans pour autant que ce contact s’inscrive dans une démarche officielle de la part du parent. Par contre, il est plausible que les parents de jeunes en traitement soient suivis ailleurs, par exemple dans un centre jeunesse ou un CLSC.

Il demeure qu’une minorité des jeunes rencontrés préfèrent ne pas impliquer leur famille dans le traitement. Chez ces jeunes, on sent une crainte de se retrouver une fois de plus en situation d’échec avec leurs parents :

Plus loin je suis, mieux je suis. Je suis tout le temps portée à faire des conneries pour me faire engueuler. Je perds tout. Plus loin que je vois mes parents, mieux c’est.

Daphnée, 16 ans

Par ailleurs, selon les intervenants, plusieurs parents ne savent pas ce que pourrait faire Domrémy pour eux, ils pensent plutôt que c’est leur enfant qui en a besoin. Au départ, donc, les parents consultent pour leurs enfants et non pour se soigner comme parents :

Les parents ben on peut en avoir quelques-uns, mais souvent ils vont venir nous voir, mais c’est leur fils qui en a besoin.

Judith, intervenante

La plupart des parents rencontrés soutiennent qu’au début du processus, ils souhaitaient avoir des solutions pour que leur enfant change ses comportements. Mais en cours de route, leurs objectifs sont devenus personnels. Ils ont constaté qu’ils pouvaient changer leur approche, leur méthode et leur technique auprès de leur enfant. Quelques parents mentionnent qu’ils croyaient que le premier entretien à Domrémy porterait exclusivement sur leur enfant et qu’on leur offrirait des solutions pour que celui-ci cesse de consommer. Cependant, la rencontre initiale est plutôt centrée sur eux, comme parents. Ce moment est utilisé par l’intervenant pour cadrer l’objectif premier du groupe, soit : aider les parents. Fait à noter, seulement trois des 15 parents participant aux consultations de groupe ont un enfant qui a aussi reçu des services de Domrémy (les autres adolescents refusant le traitement), ce qui est en deçà du portrait pour l’ensemble des parents de la dernière année (39 %), tel que vu précédemment.

Selon ce que rapportent les intervenants, les services offerts aux parents sont méconnus – donc peu fréquentés, surtout par les parents démunis financièrement :

La clientèle qu’on rejoint le moins ce sont les plus démunis. On a plus dans les services des parents, des gens avec une certaine scolarité, des professionnels, mais des gens plus démunis, des assistés sociaux on en a peu ou pratiquement pas. On dirait que c’est des gens qui viennent moins facilement vers les services. Les gens plus nantis s’investissent plus.

Julie, intervenante

Le portrait concernant l’ensemble de la clientèle (période comprise entre février 2001 et février 2002) est le suivant : 65 % des parents ont un travail à plein temps, 10 % se disent sans travail et 5 % vivent de l’aide sociale. En ce qui a trait au plus haut niveau de scolarité complété, les données indiquent que 6 % ont complété des études primaires, 43 % et 26 % respectivement ont un diplôme secondaire ou collégial, 10 % ont étudié dans une école de métiers, 8 % détiennent un baccalauréat et 3 % un diplôme d’études supérieures. La comparaison de ce portrait avec les statistiques de la population de la région aurait permis de constater dans quelle mesure l’impression des cliniciens est confirmée par les chiffres. La nature des indicateurs régionaux étant différente de la nôtre, un tel exercice n’a pu être réalisé. Cependant, les données issues des profils sociodémographiques produits par la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec (2000), indiquent que comparativement au reste du Québec, cette région a un pourcentage plus élevé de personnes n’ayant pas terminé leur 9ième année (20,8 % c. 18,1 %) et un taux d’inoccupation supérieur (47,5 % c. 42,6 %). En ce qui concerne la composition du revenu, 70,6 % de la population du territoire a un revenu d’emploi comparativement à 74,2 % pour l’ensemble du Québec.

L’apport des différentes modalités d’intervention

L’analyse des propos des personnes rencontrées porte sur la perception des répondants quant à l’apport des interventions de groupe auprès des parents, quant à l’émergence de changements dans la famille et chez l’adolescent, et quant à la pertinence de rencontres familiales.

L’apport des interventions de groupe auprès des parents

Parmi les 97 parents inscrits à Domrémy Mauricie / Centre-du-Québec au cours de la dernière année, 66 % n’ont eu aucune rencontre de groupe et furent essentiellement rencontrés en suivi individuel. L’étalement géographique des onze centres de services sur le territoire, bien qu’il augmente l’accessibilité aux services, limite la mise en place de groupes dans certains endroits où le bassin de parents qu’il est possible de rejoindre demeure restreint. Il est également plus difficile d’effectuer des rencontres en groupe dans les plus petites villes, car la plupart des gens se connaissent et ils ont peur d’être identifiés par un autre membre du groupe. Néanmoins, les intervenants qui animent régulièrement ou occasionnellement des groupes de parents soutiennent que ces derniers apprécient les rencontres qui leur permettent d’interagir et d’échanger avec les autres parents, de développer des liens entre eux et de se sentir moins seuls :

Quand les parents embarquent et qu’on les fait parler avec d’autres parents, une fois passées les inquiétudes nommées, là ils sont disponibles pour regarder d’autres choses. On les met en interaction avec d’autres parents et il y a un niveau de satisfaction intéressant. Ils se sentent plus équipés. Les parents apprécient les rencontres en groupe parce qu’il y a un volet d’information mais il y a aussi un volet d’échanges avec les autres parents. Donc, il y a un soutien entre les parents.

Daniel, intervenant

Les parents mentionnent que ces rencontres, en permettant une mise en commun des expériences de l’ensemble des parents présents, ont comme effet de les inciter à faire de nouveaux essais, et aussi de les rassurer :

Depuis que je viens ici, j’ai un peu plus de confiance. Je me rends compte parfois que je prends une décision et je me surprends moi-même à me dire : je l’essaie et au pire je me tromperai. C’est nouveau ce sentiment. Je sais que cette confiance, c’est le groupe qui me l’a apportée.

Suzanne, mère d’une adolescente

C’est sécurisant de voir que d’autres parents vivent la même chose. On peut se parler de nos expériences en s’aidant les uns les autres.

Jean-Paul, père d’un adolescent

Les intervenants, les parents et les adolescents croient tous que le fait de donner de l’information aux parents sur les substances les aide à avoir des réactions adéquates et permet de dédramatiser. Certains parents mentionnent que leur expérience de groupe les a amenés à ne plus être centrés uniquement sur la consommation de drogue de leur enfant :

Moi, mon fils, je le voyais déjà à Montréal à consommer du crack. Je le voyais bien loin. Ça a dédramatisé les choses. J’ai pu croire en son potentiel à nouveau. Au fil du temps, on a trouvé des trucs. Il va trouver ses solutions et sa voie. Je ne peux qu’être là.

Pierre, père d’un adolescent

Cela dit, il importe de garder à l’esprit que les parents rencontrés sont déjà impliqués dans une démarche de groupe dans leurs points de service respectifs. L’opinion de parents refusant de s’intégrer au groupe ou avec lesquels les cliniciens préfèrent travailler en entrevues individuelles, aurait pu être fort différente. Les mêmes motifs qui expliquent la non-participation de ces parents dans les groupes, valent pour leur absence dans les entrevues de groupe effectuées dans le cadre de la présente démarche.

L’émergence de changements dans la famille et chez l’adolescent

À la suite de leur démarche (de groupe et individuelle) à Domrémy, la majorité des adolescents rencontrés ont observé des changements concernant leur consommation et tous ont noté une amélioration de leurs relations familiales : meilleur climat, moins de conflits, plus de confiance et plus de respect.

Du côté familial, il y a des changements aussi. Ça va de mieux en mieux. Avant, mon père c’était un chien. Il m’avait fait entrer en dedans. Je ne le vois plus de la même façon. C’est un peu ici que j’ai découvert ça. Mon intervenante m’a fait voir beaucoup de choses par rapport à ça. Maintenant, je sais que c’est un peu grâce à lui si je suis ici.

Julien, 16 ans

Ma mère prenait de la drogue quand elle était jeune. Moi j’en prenais mais elle ne voulait pas le voir. Elle n’acceptait pas que j’en prenne. Ça faisait de la grosse chicane entre moi et ma mère.

Sophie, 15 ans

L’adolescente dit que sa mère, depuis qu’elle reçoit des services,

[…] est plus ouverte. Elle ne me juge pas. Elle a compris. J’ai pu en parler avec elle. Lui dire ce que je ressens vraiment. Ça a beaucoup changé dans ma famille.

Sophie, 15 ans

Les deux tiers des parents rencontrés sont d’avis que leurs changements de comportements modifient les comportements de leurs enfants. Pour la majorité, leurs relations se sont améliorées, notamment parce que les craintes et le stress sont moindres. Ils dialoguent et échangent plus et de façon moins réactive. À ce sujet, une mère mentionne que si le parent garde toujours les mêmes habitudes, l’enfant ne peut pas changer. Il faut que l’attitude de la famille évolue positivement pour que l’enfant s’épanouisse et modifie ses attitudes et ses comportements. En résumé, les participants constatent que le climat s’est amélioré, qu’il y a moins de tension à la maison, qu’il perçoivent leur enfant moins négativement, qu’ils sont moins en confrontation et qu’il y a plus d’écoute et de communication.

La pertinence de rencontres familiales

Dans le cas des services de réadaptation en toxicomanie, les données indiquent clairement que les mères s’impliquent davantage que les pères. Le portrait réalisé à partir des données de l’ensemble des dossiers de parents ayant consulté Domrémy Mauricie / Centre-du-Québec pendant la dernière année (n=97), indique que 77 % de ces dossiers concernent des mères. Dans l’ensemble, les parents qui ont terminé leur suivi ont participé à des rencontres (individuelles, de groupe, familiales) dont le nombre varie de 1 à 19, la moyenne étant de cinq rencontres. Seulement 7 % des parents ont participé à une ou deux rencontres en couple (où les deux parents étaient présents) alors que 11 % des parents ont participé à des rencontres familiales (un ou deux parents avec l’adolescent). À noter que 37 % des parents disent être séparés, divorcés, veufs ou célibataires et que 31 % mentionnent vivre avec leurs enfants seulement.

En ce qui concerne une éventuelle participation à des rencontres familiales, les avis des personnes rencontrées sont partagés. Quelques jeunes mentionnent qu’ils ne voient pas la pertinence d’y participer ou ne se sentiraient pas à l’aise de le faire, alors que d’autres soutiennent qu’ils consentiraient à vivre l’expérience. Le seul adolescent qui dit avoir participé à ce type de rencontre en fait un constat positif – malgré l’intensité de l’expérience – et soutient qu’il accepterait de la répéter :

Quand j’étais à […centre de traitement…], j’ai réglé mes affaires avec mes parents. Les rencontres familiales ça brasse mais tu règles tout ce que tu as à dire.

Antoine, 13 ans

Les avis sont partagés concernant l’intérêt des parents à participer à des rencontres réunissant le jeune, le ou les parents et l’intervenant. Si la majorité des parents rencontrés aimeraient pouvoir se réunir avec leur adolescent et l’intervenant, quelques-uns n’en voient pas l’utilité. Le fait pour certains parents d’avoir connu une pareille expérience avec une autre ressource (au centre jeunesse, par exemple) teinte le point de vue qu’ils ont sur ce type de rencontres, puisque si pour certains ce fut bénéfique, pour d’autres l’issue fut moins profitable.

En somme, les parents qui ne voient pas la pertinence de participer à des rencontres familiales (du moins dans l’immédiat) évoquent les raisons suivantes :

Il est préférable qu’il y ait un temps réservé aux parents et un temps réservé aux adolescents.

  • Il est préférable que chacun chemine avant de vivre ce type de rencontre.

  • La forme actuelle des échanges est satisfaisante dans l’immédiat.

    Ça aurait biaisé beaucoup de choses. Je n’aurais pas été à l’aise. Il y a des choses que je vis et que mon fils vit. Je pense que c’est mieux ainsi. Chacun de notre côté. On peut échanger sur ce que l’on a le goût d’échanger, quand on a le goût d’échanger.

    Charles, père d’un adolescent
  • La communication avec l’enfant est difficile actuellement, il y a trop de tension.

    Notre fils n’accepterait jamais de venir aux rencontres. Il y aurait beaucoup de choses de cachées. Ça ne donnerait rien.

    Francine, mère d’un adolescent

    Les gens qui croient en la pertinence de telles rencontres évoquent les raisons suivantes :

  • La présence d’une tierce personne expérimentée peut favoriser les échanges.

    Ça a fait du bien d’être capables de se parler en présence d’un intermédiaire (centre jeunesse). À ce moment, il n’avait pas le choix. Je ne sais pas s’il aurait accepté de participer sur une base volontaire. Mais, mon garçon m’a dit des choses qu’il n’avait jamais dites avant.

    Jean-Paul, père d’un adolescent
  • Ces rencontres offriraient une occasion pour dialoguer et partager les sentiments de part et d’autre.

    Je pourrais avoir un dialogue avec mon fils et lui faire comprendre ce que je ressens. Je pourrais lui dire ce que j’ai dans mon coeur. Pour lui, ça pourrait être la même chose.

    Marie-Philippe, mère d’un adolescent
  • Cela représenterait une occasion de mieux connaître son enfant, de savoir ce qu’il pense et de le redécouvrir, puisqu’il y a beaucoup de changements à l’adolescence.

    Dans le fond, tu ne le sais pas ce qu’il pense ton jeune. À la maison, ce n’est pas évident de discuter d’un thème par hasard. Ça ne se passe jamais comme ça. Tandis que pendant les rencontres familiales, ça serait peut-être une occasion de se connaître, de se redécouvrir, de se rejoindre.

    Jacques, père d’un adolescent
  • Il s’agirait d’une occasion pour le jeune de mieux comprendre ce que pensent les adultes.

    L’ado pourrait entendre ce que l’intervenant a à dire, et ce que pensent ses parents. Il entendrait des choses importantes.

    Suzanne, mère d’une adolescente

Quel que soit le point de vue sur le sujet, les parents sont cependant sceptiques quant à la volonté de leur adolescent de participer à ces rencontres. Selon la majorité, leur jeune ne reconnaît pas avoir de problème. Les arguments justifiant sa collaboration devraient donc être très solides pour qu’il accepte de participer.

Il est intéressant de constater que les conditions de réussite telles qu’elles ont été exprimées par les participants (intervenants, jeunes et parents) lors des rencontres, rejoignent de près les stratégies de recrutement utilisées pour favoriser l’adhésion au traitement chez les familles résistantes (Santisteban, D.A., Szapocznik, J., Perez-Vidal, A., Kurtines, W.M., Murray, E.J. &Laperrière, A. 1996 ; Szapocznik, J., Perez-Vidal, A., Brickman, A.L., Foote, F.H., Santisteban, D., Hervis, O. & Kurtines, W. 1998 ; Szapocznik & Kurtines, 1989), à savoir :

  • La façon dont les rencontres familiales sont présentées ;

  • Le fait de ne pas avoir comme objectif que le jeune arrête de consommer ;

  • Les rencontres devraient être bien encadrées par un intervenant expérimenté ;

  • La capacité de l’intervenant à susciter la participation du jeune durant les rencontres.

Les habilités pour intervenir auprès des adolescents et de leurs parents

Les intervenants reconnaissent spontanément un manque d’expertise pour intervenir auprès des jeunes et des parents. À leur avis, ce type d’intervention requiert de bonnes connaissances en thérapie et en médiation familiale, notamment parce que les parents sont très émotifs. Selon eux, comme la problématique de la toxicomanie en côtoie une multitude d’autres, elle exige d’eux de maîtriser l’intervention dans plusieurs domaines, ce qui s’avère exigeant. Par ailleurs, de par la multiplicité des fonctions et tâches qu’ils ont à accomplir, il leur est difficile de se spécialiser par rapport à une problématique en particulier.

Aussi, l’ensemble des intervenants rencontrés ont ils manifesté le besoin de recevoir de la formation pouvant les aider à intervenir auprès des jeunes et leurs familles. Par ailleurs, certains d’entre eux soulèvent des problèmes relatifs aux assises théoriques du programme Jeunesse. En effet, de manière générale, les différents traitements offerts par les centres de réadaptation pour personnes alcooliques et toxicomanes ont des assises théoriques concernant la nature de la dépendance et ce qu’il faut travailler afin de contribuer au changement (Crow, 2001). Dans le cadre de la présente consultation, plusieurs intervenants perçoivent les assisses théoriques programme Jeunesse comme moins claires que celles du programme Adulte.

On n’est pas nécessairement formés pour travailler avec les jeunes. Il faut que Domrémy offre de la formation et de l’expertise pour qu’on puisse intervenir adéquatement auprès des jeunes pis au niveau de plusieurs aspects de leur vie, pas seulement au niveau de la toxicomanie.

Solange, intervenante

Domrémy offre de la formation c’est sûr, mais de la formation spécifique au niveau jeunesse, il n’y en a pas vraiment. C’est en lisant et en parlant avec d’autres intervenants qu’on finit par en connaître plus. Mais pour travailler et intervenir avec les jeunes, c’est important d’avoir plus d’expertise et de recevoir de la formation spécifique à ce sujet.

Caroline, intervenante

On a pris le programme adulte et on l’a adapté […] Ça ne peut pas fonctionner, c’est clair les jeunes ce ne sont pas des adultes. Donc, il n’y a pas de programme jeunesse à mon avis.

Yves, intervenant

Selon le point de vue des parents rencontrés, la façon d’être de l’intervenant au cours des rencontres (de groupe ou individuelle) à Domrémy revêt un caractère fondamental. Un bon intervenant doit être empathique et humain. Il doit avoir une bonne écoute, être capable de soutenir, de rassurer, de comprendre, d’encourager et de valoriser les participants. Il doit aider les gens à aller plus loin, même si c’est difficile et confrontant. Les parents rencontrés indiquent clairement que l’âge de l’intervenant n’a pas d’importance, que c’est sa façon d’être qui prime.

La plupart des adolescents sont d’avis que l’intervenant joue un rôle essentiel dans leur démarche. Notamment, ils mentionnent l’importance de se sentir compris (comprendre ma réalité d’ado) et en confiance. Ils soulèvent également vigoureusement l’aspect de la confidentialité en exprimant leur satisfaction que cela existe et apprécient pouvoir parler de différents sujets sans se sentir jugés. Selon eux, le clinicien doit être compréhensif, il doit connaître les substances consommées et savoir donner des informations.

Discussion

Dans le domaine de la réadaptation en toxicomanie comme dans celui de la protection de la jeunesse, il semble de plus en plus reconnu que l’aide efficace auprès des jeunes passe par un étroit travail de collaboration avec les parents (Liddle & Dakof, 1995 ; Saint-Jacques & al., 2000). Dans cet article, nous aspirions à améliorer les connaissances sur la vision des acteurs concernés quant à divers aspects de l’implication des parents. Tout en demeurant prudents quant à la portée des résultats – qui se veulent révélateurs de sens, mais sans prétention de représentativité – et en dépit des limites inhérentes au présent exercice, cette recherche apporte un éclairage supplémentaire sur la question.

Tout d’abord, les intervenants rencontrés, malgré des craintes et des difficultés reliées à l’application de stratégies destinées à favoriser l’implication des parents, mettent clairement en évidence les avantages que comporte la participation parentale. Selon eux, celle-ci constitue un facteur de réussite, notamment en rétablissant le lien parent-enfant.

À propos des embûches à l’implication parentale, il est intéressant de constater les divergences de perspectives : alors que les intervenants croient que les jeunes sont réticents face à la participation de leurs parents au traitement, la plupart des adolescents rencontrés sont d’avis qu’elle est importante. Autre constatation, l’impression des intervenants à l’effet que l’on rejoint peu les parents plus démunis financièrement tend à se confirmer lorsque l’on examine les statistiques de l’établissement pour une période d’une année. Dès lors, on peut se demander pourquoi les gens des milieux défavorisés ne recourent pas aux services. Bien sûr, il est possible que ces parents en méconnaissent l’existence, mais peut-être aussi que leurs difficultés personnelles, leurs problèmes de consommation, la précarité de leurs conditions de vie et les préoccupations qu’ils ont quant aux moyens de survivre, la peur d’être jugés et blâmés, les détournent des problèmes de leur jeune, les éloignent des services ou les empêchent de reconnaître la place qu’ils pourraient prendre dans le traitement des problèmes de consommation de leur enfant.

Retenons aussi le caractère positif accordé aux rencontres de groupe avec les parents, de même que les changements observés de part et d’autre par les adolescents et par les parents et qui sont reliés à l’intervention réalisée séparément auprès des parties. Ceci dit, la forme que doit prendre l’intervention familiale du point de vue des participants demeure plutôt floue. On peut remarquer à cet égard l’expression de craintes reliées au climat et à la peur de voir se détériorer une relation déjà fragile. Par ailleurs, les conditions de réussite des rencontres familiales, telles qu’exprimées par l’ensemble des participants, rejoignent les stratégies de recrutement et d’implication des familles développées par les équipes de Szapocznik, (1988) et de Santisteban (1996).

Enfin, en ce qui concerne les habiletés pour intervenir auprès des jeunes et de leurs parents, l’ensemble des éléments évoqués précédemment nous amène à soulever deux idées. Premièrement, il est plausible selon nous que la polyvalence qu’exige le travail d’un intervenant en toxicomanie rende plus difficile le développement de la spécialisation que requiert l’intervention auprès de la famille. Deuxièmement, les compétences requises pour intervenir auprès d’adolescents et de parents doivent s’appuyer sur la maîtrise d’assises théoriques bien définies et surtout adaptées à la clientèle desservie. Ces assises doivent sous-tendre les activités contenues dans le programme, comme c’est le cas dans les différents programmes pour adultes toxicomanes (Crow, 2001). Les intervenants rencontrés perçoivent une certaine ambiguïté au niveau des assisses théoriques du programme Jeunesse, et ce peut-être à cause du fait de la complexité du phénomène sur lequel ils interviennent. En somme, l’écart entre la simplicité des assises du programme Jeunesse et la complexité du phénomène à traiter pourrait s’avérer, selon nous, en partie à l’origine de cette perception des intervenants. Pour ce qui est des implications pratiques pour la prestation de services à cette clientèle dans un cadre organisationnel où la polyvalence est essentielle, la question est peut-être davantage de savoir comment maintenir et optimiser cette polyvalence tout en favorisant la formation des cliniciens pour intervenir avec la famille, le tout dans une perspective globale d’empowerment à laquelle adhèrent les intervenants.

Conclusion

Les transformations sociales actuelles et l’éclatement des familles ajoutent au caractère fondamental qu’il faut accorder à la question de l’implication de la famille au traitement de la toxicomanie, et ce, afin d’aider les parents à se réapproprier leurs devenirs et ceux de leurs enfants. Le portrait peu reluisant que livrent à cet égard les statistiques de l’établissement sur l’implication des parents témoigne des efforts qu’il faudra consentir pour susciter leur engagement. Il est fort probable toutefois que le contexte social actuel fasse en sorte de complexifier encore davantage l’actualisation de cet engagement. À l’avenir, les approches devront être en mesure de cibler des personnes qui se situent au delà du système traditionnel, notamment les parties en jeu dans la reconstitution familiale (demi-frères et soeurs, famille du nouveau conjoint du parent, etc.) et le noyau extra-familial. Elles devront aussi prendre en considération les problématiques reliées aux nouveaux types d’unités familiales. Ces considérations constituent des défis de taille pour le développement de modèles et pour la recherche sur le traitement des adolescents qui abusent des SPA.