Corps de l’article

Introduction

Quelles sont les différences d’émergence de l’autonomie de déplacements des enfants en milieux urbains ? Peut-on aujourd’hui repérer des singularités en fonction du contexte urbain dans cet apprentissage de la mobilité ? Les conditions d’accès à la ville, la qualité d’aménités offertes aux familles et aux enfants, la densité sociale, les caractéristiques socio-démographiques sont effectivement autant d’aspects qui participent à la physionomie des contextes et affectent en conséquence les modes de vie des familles et en particulier l’apprentissage de la ville par les enfants.

Sous l’effet de l’étalement urbain provoqué par la recherche compulsive d’espaces naturants, et alors que la banlieue tend à devenir le terrain de mise en tension des mobilités quotidiennes, qu’en est-il des déplacements des enfants, de leurs habitudes et pratiques spatiales, de leurs modes d’apprentissage de la ville, de leur socialité ? Ces questions sous-tendent le présent article. Il repose sur une étude réalisée dans des milieux contrastés, en centre-ville de Paris et en banlieue parisienne. Deux contextes singuliers qui feront l’objet ici d’une « radioscopie » choisie pour mettre en relief les modes d’apprentissages, les pratiques de déplacement et représentations propres à chacun des milieux urbains. La banlieue parisienne, observée et investiguée dans cet article, est un type de banlieue aux caractéristiques singulières ; il s’agit d’une ville nouvelle, où certaines des logiques de déplacement et d’habiter peuvent être très différentes d’une banlieue dite « classique » voire d’une banlieue nord-américaine.

Revue de littérature

Mobilité et banlieue

Banlieue et mobilité sont deux notions fréquemment associées dans les recherches urbaines. Qu’il s’agisse des mobilités résidentielles comme des mobilités spatiales, l’espace-banlieue est en grande partie configuré par elles et les dynamiques qu’elles génèrent. Socialement parlant d’abord, la banlieue a connu des mouvements résidentiels importants imbriqués dans la montée de « la démocratisation de l’accession au pavillonnaire ». Elle « concerne, en moyenne en 1999, près d’un ménage francilien sur quatre (23,4 %) » (Berger, 2006, p. 201). Néanmoins, ce regain pour le pavillon loin du centre ne pré-formate en rien un espace périurbain homogène. L’attrait de la maison confronté à la hausse du foncier en vient parfois à dessiner socialement la banlieue, sous un format auréolaire, accentuant dans certaines régions les processus ségrégatifs où « les positions spatiales reflètent de plus en plus les positions sociales et les voisinages sociaux se spécialisent » (Berger, 2006, p.201). Au-delà des mouvements de certains milieux de populations, nous pouvons assister dans certains cas, dans certains espaces bien identifiés, à une recherche d’entre-soi très marquée ; autrement dit, à des formes de sociabilités et de pratiques socio-spatiales régies par l’homophilie des relations interpersonnelles dans le but, entre autres, de sécuriser pratiques et espaces qui, sans les réduire systématiquement à un « entre-soi sélectif », impacteraient tout autant les modes de vie des familles que l’éducation ou l’apprentissage de la ville par les enfants. Spatialement parlant ensuite, en tant qu’espace de vie et d’action, la banlieue est un ensemble de lieux écartelés sous le poids des mobilités et des distances de trajets que les familles parcourent selon leurs préférences d’aménités, que celles-ci soient culturelles, sociales ou encore naturelles. Les travaux de Pouyanne (2004) montrent bien comment le mouvement de périurbanisation a été impulsé en fonction de l’attachement à certaines préférences d’aménités. Il précise que « l’explication des différences structurelles d’urbanisation fait appel principalement à la perception socio-culturelle des aménités » (Pouyanne, 2004, p.43).

La banlieue : un choix de vie des familles pour l’enfant en particulier

Dans cette logique, pour mieux comprendre les relations entre mobilités et formes urbaines, une attention particulière doit être portée aux modes de vie des familles et aux enfants en particulier. La dynamique des mobilités est en effet plurielle. Elle prend forme dans l’articulation de l’ensemble des déplacements des membres d’une famille. Le modèle de vie périurbaine, entre autres apparenté au modèle pavillonnaire (Haumont & Raymond, 1966 ; Bonvalet & Gotman, 1993 ; Bonvalet & al., 2000), s’appuie sur des normes sociales associées à la recherche d’un bien-être où l’enfant tient une place prépondérante voire centrale. Outre le besoin de confort grandissant, l’habitat doit pouvoir assurer l’autonomie de l’enfant (Bertaux-Wiame & Gotman, 1993). La recherche d’une chambre individuelle (de Singly & Decup-Pannier, 2000), le refus d’un environnement urbain trop dense, perçu comme défavorable au bon développement de l’enfant, le besoin d’espaces extérieurs (Robin, 2005), la recherche d’espaces verts à proximité, facilement accessibles et praticables par l’enfant (Jutras & Lepage, 2006) comme la présence d’un jardin de pavillon sont autant de caractéristiques qu’il devient plus facile de trouver en faisant le choix résidentiel de la banlieue. Mais, au-delà de ces critères de confort et de bien-être pour l’enfant, que pouvons-nous dire des rapports que les enfants entretiennent avec l’environnement urbain, le quartier dans lequel ils grandissent ? Comment sont interrogés leurs rapports à la mobilité et aux espaces de la ville ? Comment agissent les parents dans ces rapports différenciés ?

Formes urbaines et vie des enfants

Entre le centre-ville et la banlieue : l’offre d’aménités

Bon nombre d’études spécialisées dans les relations enfant-environnement soulignent le rôle du milieu urbain sur le développement de l’enfant et sur son bien-être (Lynch, 1977 ; Hart, 1979 ; Görlitz & al., 1998). Sans faire l’état de cette littérature dense sur le sujet, ce qui dépasserait ici notre objectif, rappelons seulement que la plupart des études réalisées entre les années 70 et 90 mettent en balance des contextes urbains différents afin de mieux caractériser leur rôle dans le développement de l’enfant. Ces études font varier la qualité des structures urbaines, les espaces de jeux accessibles, la densité des espaces verts à proximité du domicile ou encore les caractéristiques sociales et culturelles du quartier. Une attention particulière est portée aux abords du domicile familial (Wohwill & Heft, 1987 ; Bartlett, 1998), à la qualité des espaces de jeux et de loisirs (Chombart de Lauwe, 1987 ; Moore, 1989) aux fonctions des espaces publics, comme la rue, qui favorisent les capacités d’autonomie et de socialisation de l’enfant (Chawla, 1992 ; Abu-Ghazzeh, 1998).

Parmi ces études, une enquête réalisée dans deux sites (urbain et périurbain de Baltimore), par Anderson & Tindall (1972) précise que les noeuds d’activités des enfants dans la ville (basés sur les catégories récréative, commerciale, éducative, sociale) seraient plus denses et plus diversifiés en centre-ville. Cette diversité fonctionnelle, également étudiée à partir du concept de « site comportemental » (behavior-setting), est décrite comme plus importante en centre-ville (Barker & Wright, 1955). Néanmoins, le développement harmonieux de l’enfant ne dépend pas tant de la diversité des activités possibles dans un site que de la possibilité de récurrence de fréquentation (Gump & Adelberg, 1978).

D’autres auteurs insistent également sur l’importance de la faible programmation des sites, comme peuvent l’être les espaces verts, qui permettent de répondre au besoin de complexité et de nouveauté en satisfaisant la préférence des enfants pour le défi (Moore, 1985). Ce type d’espaces, sans doute plus diversifiés en banlieue, favoriseraient les relations sociales, le bien-être des enfants et la régulation de leurs activités (Coley & al., 1997).

Entre le centre-ville et la banlieue : de l’hétérogénéité à l’homogénéité sociale

De la variabilité urbaine des activités pratiquées par les enfants découle logiquement la question de l’hétérogénéité sociale des milieux et des espaces qu’ils fréquentent. Celle-ci n’est pas sans effets sur les leurs rapports aux autres et à l’environnement de manière générale.

Associée à de fortes densités du bâti et des individus, l’hétérogénéité peut entraîner davantage d’anonymat et de repli sur soi (Moser, 1992). Elle peut même générer un sentiment d’insécurité pour des jeunes habitant la grande ville parce qu’elle viendrait contrarier, dans certains cas, le sentiment d’appartenance à une communauté (Zani & al., 2001). De plus, la densité de circulation des personnes associée à celle du trafic (caractéristique des milieux urbains denses) peut avoir des effets sur le sentiment d’intimité et les relations des enfants entre eux (Appleyard & Lintell, 1972). Néanmoins, la densité et l’hétérogénéité n’ont pas que des effets négatifs sur le bien-être des enfants. Pour Kyttä (2002), ce qui fait d’une ville un « bon » environnement (child-friendly) repose essentiellement sur un mélange de fortes et de faibles densités. Les conditions de densité forte favorisent la qualité des services, renforcent les infrastructures et l’offre en transports en commun. Les conditions de densité faible contribuent à augmenter l’accès aux espaces vacants et aux espaces verts, modifient l’échelle de la ville (architecture à taille humaine) et renforcent les liens au sein de communautés de voisinage.

Entre le centre-ville et la banlieue : la densité d’enfants

La densité d’enfants provoquant des effets d’isolement est également une dimension importante dans le choix des lieux d’activités. On constate d’ailleurs qu’au regard de comparaisons centre-ville et banlieue, les études sont plus controversées. Dans les quartiers à faible densité d’enfants, comme c’est le cas de banlieues résidentielles américaines, l’utilisation des espaces a souvent lieu avec les parents. Le sentiment d’isolement peut, dans ce cas, demeurer plus fort, alors que les enfants en centre-ville jouent plutôt près de chez eux et peuvent bénéficier de divers supports sociaux (Berg & Medrich, 1980). Van Vliet (1983) note la même tendance dans la ville de Toronto, où les enfants du centre-ville se plaignent moins de l’isolement et pratiquent plus d’activités avec des amis que les enfants habitant en banlieue, qui eux, profitent davantage des espaces de loisirs avec la famille. Néanmoins, dans d’autres études, il est aussi montré que la densité d’enfants y est plus importante qu’en centre-ville du fait qu’il correspond à un choix de vie familial (Lindberg & al., 1992).

Entre le centre-ville et la banlieue : les territoires de la mobilité des enfants

Des différences de qualité et de structure d’activités des enfants selon les milieux urbains, résultent logiquement des différences d’étendue de territoire qui expliquent dans certaines situations des modes d’appropriation différenciés.

Les premières analyses centrées sur le sujet ont étudié l’étendue du territoire des enfants (home range) à partir de différents indicateurs, pour la plupart basés sur la question de distances parcourues pour des activités. Ainsi, il est observé qu’en banlieue les enfants ont un territoire de mobilité plus étendu que les enfants vivant en centre-ville (Anderson & Tindall, 1972 ; Hart, 1979). Matthews (1987) confirme même ces résultats avec des enfants vivant dans la banlieue de Londres, en présentant la faible variabilité des étendues de déplacements en fonction des modes d’accompagnement (que l’enfant soit accompagné d’un pair ou qu’il soit seul). Les recherches centrées sur le home-range, et plus tard sur la mobilité indépendante des enfants, ont par ailleurs étudié le rôle de l’étendue et de la structure de l’espace d’action des enfants sur leur appropriation cognitive de l’espace, en utilisant la carte cognitive comme un indicateur du home-range ou de familiarité spatio-cognitive (Matthews, 1987 ; Rissotto & Tonucci, 2002).

Depuis une quinzaine d’années, les questions d’autonomie de déplacements et de mobilité quotidienne semblent au coeur des problématiques. S’agissant alors de l’incidence du contexte, il est montré que dans les petites villes peu denses, les enfants ont tendance à être plus libres pour se déplacer et donc plus autonomes (Heurlin-Norinder, 1996 ; O’Brien & al., 2000). Kyttä (1997) montre que c’est dans les contextes les moins urbanisés (Finlande et Biélorussie) que les enfants sont les plus autonomes.

Néanmoins, au-delà de la structure urbaine, nous savons également que la qualité des aménagements du quartier et notamment l’aménagement du trafic routier a un impact sur la mobilité des enfants (Hillman & al., 1990/ 1997 ; Björklid, 1994). De même que la présence d’espaces de transition semi-publics (comme une cour ou une place devant un immeuble) explique en partie cette autonomie de déplacements (Prezza & al., 2002).

La distance de déplacement est donc un facteur d’accessibilité important. Elle règle le choix des activités spontanées, en permettant, entre autres, de rester sous la supervision de l’adulte (Hart, 1979; Chombart de Lauwe, 1987 ; Hillman & al. 1990/1997 ; Prezza & al. 2001). Ainsi comme le précise Mc Millan (2007), outre l’incidence de la forme urbaine qui permet d’expliquer de manière générale les modes de vie des enfants, les normes socioculturelles, la qualité du trafic, la sécurité, les possibilités de transports sont également des facteurs importants à prendre en compte.

La revue des quelques résultats d’études comparant milieu dense (comme le centre-ville) et banlieue exposés ici reste volontairement partielle. Elle n’évoque pas la question des quartiers de banlieue en difficulté où les facteurs socio-économiques et socioculturels restent confondus avec la structure urbaine et entraînent des problématiques plus complexes.

Le rôle du contexte familial

En dépit des nombreux facteurs tant morphologiques que structurels, ou encore sociaux et fonctionnels pour expliquer les rapports entre enfants et environnement, et plus encore leur autonomie d’action en milieu urbain, on ne peut ignorer l’impact du contexte familial ou plus concrètement le rôle de l’éducation des parents dans l’acquisition de cette autonomie.

Selon l’approche écologique du développement et le modèle de Bronfenbrenner (1977), l’enfant doit être considéré dans une vaste imbrication d’influences de différents contextes entendus à plusieurs échelles (du micro-système représentant les espaces de vie de l’enfant à l’exo-système associé au système idéologique d’une société). Dans ce modèle, l’univers familial est d’un intérêt fondamental. C’est un contexte médiateur d’objets culturels (Vygotsky, 1931/1978) où les parents sont les premiers garants du développement des relations de l’enfant à l’environnement. Ils fournissent les règles et l’ensemble de normes appropriées à l’utilisation de l’espace qui contribuent à l’autonomie des enfants, autrement dit ils encouragent, stimulent leurs capacités à entreprendre et à savoir faire seul, tout du moins sans la présence d’un adulte, certaines activités (Valsiner, 1985 ; Turiel & al., 1991; Nucci & Smetana, 1996), en particulier celle de se déplacer, s’engager, lire et utiliser les espaces urbains.

Les rapports des enfants à la mobilité, et à la ville en général, ne peuvent donc être compris que dans l’ensemble des déplacements des membres de la famille ainsi que dans les rapports que les parents entretiennent avec la ville et cette mobilité. Leur manière de percevoir et d’appréhender les dangers urbains (Blakely, 1994), leur évaluation de la qualité de vie dans le quartier (Jutras & Lepage, 2006), de la qualité des aménagements pour la sécurité (Björklid, 1994 ; Lam, 2001) sont autant de facteurs intervenant dans l’équilibrage des libertés accordées aux enfants. La perception du quartier joue également un rôle dans les stratégies éducatives des parents et dans leur manière de réguler les compétences sociales des enfants (O’ Neil & al., 2001). L’anxiété et les inquiétudes liées à la vie urbaine sont aussi des facteurs explicatifs souvent mis en avant (Lee & Rowe, 1994 ; Joshi & al. 1999) et qui justifient, dans bien des cas, le retrait des enfants des espaces publics (Valentine, 1995).

Cependant, peu d’études s’intéressent aux négociations des sorties des enfants dans le contexte urbain et à la manière dont s’effectue l’apprentissage du déplacement et de la ville. Si les études de Valsiner sur les zones de mouvements et d’activités admises ont permis de comprendre le rôle des apprentissages vicariants dans le développement de l’enfant, rares sont celles qui prennent en compte à la fois parents et enfants dans cette acquisition de l’autonomie de déplacements. Pourtant, la mobilité ne peut être effective qu’en rapport à son potentiel c’est-à-dire, la « motilité » (Kauffmann & Flamm, 2002). Autrement défini comme « capital de mobilité », la motilité correspond à « la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage » (Kaufmann & Widmer, 2005, p. 200). Ce capital s’acquiert et se forme durant l’enfance et les premières expériences de socialisation, dans le jeu des relations parents-enfants ainsi que des capacités de chacun des membres de la famille à s’organiser d’un point de vue spatial et temporel pour mettre en oeuvre la mobilité.

Dans cette perspective, l’évolution de l’activité des femmes au travail, l’organisation temporelle de ces dernières pour concilier tâches de la famille et tâches professionnelles n’est pas sans effets sur l’organisation de la mobilité des enfants. L’auto-mobilité pour l’accompagnement des enfants constitue une grande part de la mobilité spatiale quotidienne (Dupuy, 2000) et notamment pour les mères de famille résidant en banlieue et contraintes jouer le rôle de « chauffeurs » pour leurs enfants. Certains auteurs font même l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle culture maternelle (traduction imparfaite de « culture of mothering ») (Dowling, 2000). Cette culture, plus significative en banlieue, s’inscrit dans un rapport des femmes au temps et à l’espace très singulier. Le temps y a une valeur importante au même titre que les manières très structurées de l’occuper (en particulier des enfants). Les activités choisies pour organiser ce temps des enfants ont enfin une valeur. Et cette valeur a un coût à la fois temporel et spatial qui oblige les mères de famille à parcourir parfois de grandes distances les obligeant à l’auto-mobilité (Dowling, 2000).

Objectifs

Dans le cadre de la recherche présentée ici, nos objectifs consistent à comprendre comment les enfants acquièrent l’autonomie de déplacements et quelles sont les conditions environnementales (au sens psycho-écologique du terme) de celle-ci. Ils supposent de prendre en compte à la fois le contexte social et spatial de l’enfant ainsi que le milieu familial qui guide et limite cet apprentissage. La question de la mobilité de l’enfant en contextes urbains différents est ici centrale ; elle permet d’interroger et de caractériser les modes et les choix de vie résidentiels, mais aussi de révéler et de mesurer précisément les différences d’apprentissage du déplacement ainsi que l’amplitude des différences ou inégalités territoriales et sociales.

Le point de vue des parents est observé à partir de leurs représentations de l’environnement résidentiel ainsi que de leurs rapports à la mobilité de l’enfant, pour ensuite être discuté à partir de leurs stratégies d’éducation pour l’apprentissage de la mobilité et de leurs perceptions des compétences de l’enfant. Du côté des enfants, il s’agit de décrire l’autonomie de déplacement définie à partir des quelques dimensions sociales, cognitives et spatiales. Ce sont les modalités d’accompagnement des enfants pour leurs déplacements, la qualité socio-spatiale de leurs activités autonomes, l’appropriation cognitive d’un espace de déplacement récurrent qui nous intéressent plus particulièrement. Enfin, les dimensions spatiales sont observées à partir des distances et de l’étendue des déplacements ainsi que des difficultés contraignant leur mobilité quotidienne (le trajet-école).

Méthodologie

Les sites d’étude

Deux critères de sélection guident notre démarche pour le choix des terrains d’enquête. Un critère de structure urbaine et un critère d’aménagement routier qui permet de faire varier les niveaux de confort des déplacements piétons dans chacun des sites choisis. Pour la délimitation des zones d’enquête, nous avons utilisé le critère de sectorisation des écoles afin d’éviter une moindre dispersion géographique des lieux de vie et de conserver une certaine homogénéité des parcours d’enfants. Condition essentielle qui permettait de rendre les déplacements comparables.

En définitive, nous retenons dans cet article deux types de quartiers qui diffèrent selon l’ancienneté et le niveau d’aménagement réalisé pour la sécurité[1]:

  • un quartier dit « traditionnel », sans aménagement particulier pour la sécurité qui conserve les principes d’Haussmannisation, situé dans le 11ème arrondissement de Paris ;

  • un quartier de « ville nouvelle » qui permet de minimiser a priori les dangers routiers et qui est situé à Montigny-le-Bretonneux, commune de Saint Quentin-en-Yvelines (en région parisienne).

Le quartier dit traditionnel – Paris 11ème

Le quartier dit « traditionnel » se situe dans le secteur Roquette, au centre du 11ème arrondissement de Paris. Il est traversé par le plus grand axe routier de l’arrondissement, le boulevard Voltaire, aménagé sous Haussmann. Au centre de la zone d’étude se situe la place Léon Blum, quadrillée par un vaste ensemble d’axes routiers qui dessinent un des plus importants carrefours en étoile de l’arrondissement. Parce que complexe, peu lisible et difficile à traverser, cette place a depuis été réaménagée pour le confort des piétons. De nombreux commerces de quartier entretiennent la vie locale et en font un des secteurs les plus animés. En termes d’habitat, la hauteur de bâti est homogène (57 % des bâtiments date d’avant 1915). La densité résidentielle reste très élevée du fait d’une absence d’îlots dévolus aux activités professionnelles et autres équipements. La population au dernier recensement (1999) comptait 47 857 habitants. Elle était composée à 17,9 % de jeunes âgés de 0 à 19 ans, à 39,2 % de 20-39 ans, à 24,1 % de 40-59 ans, à 11 % de 60-74 ans et à 7,8 % de plus de 75 ans. La population était aussi relativement bien répartie socialement, comptant 14,1 % de cadres, 12,1 % de professions intermédiaires, 14,2 % d’employés, 10,6 % d’ouvriers et seulement 3,6 % d’artisans et de commerçants.

La ville nouvelle - Montigny-le-Bretonneux

Montigny-le-Bretonneux fait partie des sept communes de la ville nouvelle de Saint Quentin-en-Yvelines. Elle s’inscrit dans le Schéma Directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (1965) censé répondre au sous-équipement de la région (Merlin, 1997).

L’urbanisation de la ville nouvelle répond à la logique de choix de ses habitants, en leur assurant l'accès direct aux services, à l’emploi ainsi qu'aux différentes ressources naturelles. « On prévoyait alors une véritable explosion de la demande de loisirs de plein air et nautiques surtout » (Merlin, 1997, p. 38). Un des principes fondamentaux d'aménagement qui fait la singularité de la ville, est la création d’un hyper centre-ville, monumental et plurifonctionnel, regroupant l'ensemble des organisations administratives et commerciales de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Ce centre, essentiellement piétonnier, conjugue grandes surfaces commerciales et rues commerçantes, logements, équipements publics (entre autres, la médiathèque, son propre théâtre, etc.) et de nombreux services de transports collectifs (bus et RER (réseau express régional)). Le site d'étude sélectionné est proche du centre de Saint Quentin-en-Yvelines. Il possède un petit centre avec des commerces et quelques équipements.

Comme dans la plupart des villes nouvelles, une place importante est accordée aux bases de loisirs (à l'échelle de l'agglomération) ainsi qu'aux espaces de jeux (à l'échelle des quartiers). Montigny-le-Bretonneux s'ouvre d’ailleurs sur de nombreux espaces verts. Sécurité, confort de vie et d’accès aux différents services (générés par la séparation des fonctions de circulation) sont privilégiés. Les grands axes routiers se situent aux bordures du quartier en général et le site est jalonné de sentes piétonnières et des pistes cyclables. D’un point de vue démographique, les données du dernier recensement (1999) font état d’une population ignymontaise encore relativement jeune (les 0-19 ans y constituent 32,14 % de la population totale). Proportion équivalente à leurs aînés de moins de 39 ans, qui représentent 32,83 % de la population totale. Notons enfin une donnée importante pour cette étude ; depuis les années 90, la fréquentation des centres de loisirs en nombre de « jour-enfant » a diminué de 23,7 %, ce qui marque une dévaluation des centres de loisirs.

Description des échantillons enquêtés

Les enfants

Nous avons rencontré les enfants (N=53) au sein d’un seul et même établissement dans chacun des sites d’enquête, durant un temps aménagé par les enseignants pendant la période scolaire. Les enfants se répartissent équitablement selon les sites et de manière générale et locale, l’échantillon compte moins de filles que de garçons (cf. Tableau 1) :

Tableau 1

Répartition des enfants par genre et par sites

Répartition des enfants par genre et par sites

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Compte tenu de la distribution de notre échantillon, les enfants sont répartis en deux classes d’âge (voir Tableau 2) : la classe des moins de 11 ans et la classe des plus de 11 ans. Les enfants les plus jeunes sont âgés de 9 ans mais restent peu nombreux, tandis que la limite supérieure ne dépasse pas 12 ans. En majorité, la population d’enfants est âgée de 11 ans et moins (80,8 %). Cette observation est également vérifiée dans chaque site.

Tableau 2

Répartition des enfants par âge et par sites

Répartition des enfants par âge et par sites

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Les parents

Deux échantillons de parents ont été contactés à deux étapes de l’étude. Une première phase a consisté en la réalisation d’entretiens semi-directifs auprès de 22 parents (rencontrés au domicile), répartis équitablement dans les deux sites (Paris 11ème et Montigny-le-Bretonneux) et contactés par l’intermédiaire des fédérations de parents d’élèves. La seconde phase s’est déroulée par questionnaires transmis à l’enseignant puis aux parents par l’intermédiaire des enfants. Précisons d’emblée qu’à cette dernière étape, moins d’un quart des parents résidant à Paris intra-muros (5 parents) contre la totalité des parents vivant en banlieue (27 parents) ont répondu au questionnaire. La déperdition de sujets est en partie liée à notre mode d’enquête avec les parents. Néanmoins, d’autres facteurs peuvent expliquer la différence de retour de questionnaires comme l’implication des parents dans l’école de leurs enfants ou encore une disponibilité moindre liée à une plus grande sollicitation pour les parents résidant à Paris. L’ensemble des résultats interprétés doit donc tenir compte de cette inégalité des échantillons de parents.

Précisions que sur l’ensemble des parents, c’est en général (dans 79 % des cas) la mère qui répond. Toutefois, près d’un quart des pères habitant en ville nouvelle a répondu au questionnaire. Par ailleurs, les parents de ville nouvelle sont en général plus jeunes que ceux du site traditionnel. Plus de 80 % des parents habitant en quartier traditionnel font partie de la tranche 41-50 ans, tandis que seulement 45 % des parents en ville nouvelle font partie de cette même tranche d’âge.

En moyenne, les familles interrogées ont deux enfants. En ville nouvelle, le nombre d’enfants au foyer est un peu plus élevé. Les familles nombreuses y sont également plus représentées, ce qui confirme les données démographiques de la région parisienne. Enfin, les parents qui ont répondu au questionnaire sont assez bien répartis sur l’ensemble des catégories socio-professionnelles. En quartier traditionnel, 40 % des parents font partie de la catégorie « commerçants artisans », 40 % de la catégorie « employés/techniciens » et un parent n’a pas indiqué sa profession. En ville nouvelle, les parents sont assez bien répartis sur l’ensemble des catégories socio-professionnelles et près de la moitié fait partie des catégories techniciens et employés.

La procédure de recueil de données

Avec les parents

Les données que nous avons choisies de traiter pour les besoins de l’article porteront sur une sélection de résultats extraits de deux corpus de données recueillies au cours des différentes phases de l’enquête réalisée. Les données permettant de mettre au jour les pratiques et les évaluations des parents au regard de la mobilité des enfants sont extraites à la fois des entretiens semi-structurés et de certaines parties du questionnaire. Pour l’entretien semi-structuré, nous retenons la partie portant sur l’autonomie de l’enfant en ville, l’évaluation de l’environnement en termes de bien-être et de sécurité, l’apprentissage de la mobilité des enfants et les trajets effectifs. Pour le questionnaire, nous ne conservons que les parties traitant de la perception des compétences de l’enfant et des raisons d’accompagnement des déplacements de l’enfant.

Avec les enfants

Les données permettant de mieux comprendre les différences d’émergence d’autonomie des enfants en ville et leurs rapports au milieu urbain sont issues de l’enquête réalisée à l’école.

Au cours d’une entrevue individuelle, les enfants devaient, dans un premier temps, produire un dessin à main levée de leur trajet domicile-école, ce qui a permis d’opérationnaliser la dimension cognitive de l’autonomie en analysant le type de cette représentation. Dans un second temps, les enfants devaient tracer sur une carte leur trajet domicile-école, au crayon bleu, après avoir repéré ces deux endroits. Ces trajets ont ensuite été reportés sur plan numérisé dans la base de données géographiques Mapinfo afin de réaliser deux types de mesures permettant de mieux caractériser les trajets scolaires. Pour chaque trajet, nous avons, d’une part, mesuré la distance réelle ou parcourue et, d’autre part, caractérisé les difficultés du trajet à partir du nombre de traversées de rue et de leurs caractéristiques établies sur la base de la largeur de la chaussée, du niveau circulation de véhicules motorisés et du niveau de signalisation ou de protection de la traversée. Pour terminer, les enfants devaient répondre à un questionnaire semi-structuré construit autour de différentes thématiques relatives à leurs rapports et pratiques de l’espace urbain. Pour les besoins de l’article, nous ne retiendrons que les données relatives à l’autonomie de déplacement (mode d’accompagnement) pour les trajets récurrents (dont celui de l’école), à la nature et à la localisation des activités extra-scolaires, à l’étendue des déplacements libres ou des déplacements réalisés avec les pairs et à la perception des compétences.

L’autonomie est entendue dans notre recherche dans son acception environnementale. Elle est donc circonscrite aux activités réelles, effectives de l'enfant. Toutefois, elle renvoie aussi à la dimension conative (dans le sens intentionnel) ou évaluative. Elle est donc mesurée à partir des situations ayant trait à la perception par l’enfant de ses propres compétences à gérer un nouveau trajet (par exemple). Le scénario construit pour opérationnaliser cette situation a également été utilisé dans le questionnaire destiné aux parents afin d’évaluer d’éventuelles discordances entre parents et enfants au sujet de ces compétences.

Résultats

Territoires et mobilité des enfants

Notre objectif est ici d’observer comment l’autonomie de déplacements varie en fonction des structures urbaines.

Les premiers trajets

Si l’apprentissage de la mobilité demeure un stade spatialement déterminé par le milieu résidentiel, il a même tendance à être amorcé dans une mobilité quotidienne fortement récurrente. L’école constitue effectivement la première destination des déplacements autonomes aussi bien pour les enfants du quartier traditionnel (65,38 %) que pour ceux de ville nouvelle (52 %). Néanmoins, l’âge de ce premier trajet effectué seul diffère selon ces deux contextes. En effet, le premier trajet de l’école est estimé à 7 ans et 11 mois en quartier traditionnel, et plus tardivement en ville nouvelle, puisque l’âge donné est de 8 ans et 5 mois. Pour les trajets scolaires, les enfants semblent donc acquérir leur autonomie plus tardivement en banlieue.

Le trajet scolaire

Les résultats relatifs au quartier considéré comme le plus complexe, le moins aménagé pour la sécurité du piéton, à savoir le quartier traditionnel, sont assez inattendus. En effet, les enfants sont plus nombreux dans ce site qu’en ville nouvelle à faire seul le trajet de l’école (57,7 %), mais sont aussi plus accompagnés des parents (30,8 %). Les enfants en quartier traditionnel parcourent en moyenne les plus grandes distances pour aller à l’école (moy= 326,7 mètres) et ont en moyenne plus de trois traversées sur leur trajet, et en général des traversées de niveau de difficulté important. A l’inverse, en ville nouvelle, les enfants font le trajet de l’école entre pairs (37 %) ou encore entre frères et soeurs (25,9 %). Ils ont également des trajets plus courts, puisque 63 % d’entre eux parcourent moins de 250 mètres et rencontrent en moyenne un peu plus de deux traversées sur leur parcours. Mais, celles-ci peuvent être du niveau de difficulté le plus important. De plus, si le fait de parcourir un trajet de manière solitaire est moins courant qu’en site parisien, la présence des parents y est aussi moins importante (14,8 %). Elle semble relayée par celle des pairs et de la fratrie. Les résultats de l’analyse d’inférence bayésienne le confirment d’ailleurs. Le fait d’être seul pour faire le trajet-école est caractéristique du quartier traditionnel tandis que faire le trajet en étant accompagné de pairs est typique de la ville nouvelle.

Tableau 3

Mode d’accompagnement sur le trajet école selon les sites

Mode d’accompagnement sur le trajet école selon les sites

Le caractère gras suivi de (+) ou (-) indique la sur ou sous-représentation inférée inductivement par la méthode bayésienne, garantie de .95

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L’étendue des déplacements

Au-delà des trajets scolaires, observons l’étendue du territoire de la mobilité des enfants pour les activités régulières au dehors de l’école, en comparant la moyenne des distances (à vol d’oiseau) de trajets effectués seul et celle des trajets effectués avec un enfant du même âge.

Pour les trajets effectués seul, la moyenne des distances parcourues par les enfants du quartier traditionnel est plus importante (482,88 mètres) que celle des enfants de ville nouvelle (323,33 mètres). Les différences de moyennes sont aussi significatives (t=2,13, ddl=51, p=.037). Le territoire de cette mobilité indépendante, en ville nouvelle, se limite à l’échelle du proche voisinage, c’est-à-dire des distances inférieures à 250 mètres à vol d’oiseau, pour plus de la moitié des enfants. La morphologie de la ville nouvelle, son caractère quasi-piétonnier, la concentration d’espaces verts et de quelques services contribueraient à satisfaire, dans un rayon moins important qu’à Paris intra-muros, les besoins d’activités des enfants.

Au-delà d’un certain périmètre, les trajets pour certaines activités justifient d’ailleurs la présence de l’adulte et ce davantage en banlieue. En effet, 51,85 % des enfants de ce site sont accompagnés par les parents pour des raisons d’éloignement. La présence de dangers routiers constitue également une autre raison d’accompagnement pour plus d’un quart des enfants résidant en ville nouvelle et pour seulement – et paradoxalement – 15 % des enfants du quartier traditionnel. Eloignement et dangers routiers (générés par une forte densité de trafic automobile) ne sont d’ailleurs pas sans corrélation dans ce quartier de ville nouvelle où les frontières morphologiques sont matérialisées par de larges avenues à forte circulation.

Pour ce qui concerne le territoire de la mobilité entre pairs, il reste très circonscrit à la zone résidentielle et scolaire en quartier de ville nouvelle alors qu’il s’étend davantage en quartier traditionnel. Les enfants parcourent en moyenne des distances de 628,26 mètres en quartier traditionnel contre 388,14 mètres en ville nouvelle (t=2,70, ddl=51, p=.009). La plus forte concentration d’espaces vacants et d’équipements de jeux en ville nouvelle encourage les enfants à rester entre eux dans la zone résidentielle et limite leurs déplacements dans d’autres espaces de la ville. C’est d’ailleurs un point apprécié et souvent abordé par les parents des enfants de ce site. A l’inverse, en quartier traditionnel, le groupe de pairs pourrait favoriser l’exploration par les enfants, les encourager à s’aventurer dans d’autres quartiers et à fréquenter des espaces plus rarement utilisés, comme les grands espaces à la périphérie de Paris.

Cette étendue des pratiques pourrait également expliquer la plus forte familiarité cognitive des enfants du quartier traditionnel. Les résultats d’analyse des structures spatiales des représentations cognitives le confirment. Nous avons utilisé les critères de Shemyakin (1962) distinguant les représentations spatiales (survey-map) et les représentations séquentielles (route map) complétée par la représentation dite « mixte ». Ces critères ont permis d’estimer respectivement une forte (« spatiale ») et une faible familiarité cognitive (« séquentielle »). Les résultats montrent que les enfants du quartier traditionnel produisent plutôt des cartes de type « spatial » (77 %) contrairement aux enfants en ville nouvelle (seulement 22 %). En outre, l’étendue des déplacements des enfants et la structure urbaine du quartier d’étude participent également à la structuration des connaissances environnementales. Celle-ci opère autour de points de repères commerciaux et de ruptures de trajets comme les traversées de rue. Contrairement aux représentations cognitives des enfants de ville nouvelle, les représentations cognitives des enfants de quartier traditionnel ne sont pas du tout marquées par les éléments naturels, ni par la saillance de détails ayant trait à l’univers automobile. Ces éléments sont en effet surreprésentés dans les cartes produites par les enfants de ville nouvelle (41 % des enfants) où ces derniers seraient d’ailleurs plus sensibles aux éléments naturels que les enfants du quartier traditionnel. Outre leur fonction importante dans les activités des enfants, ils constituent également des barrières visuelles et fonctionnelles sur leur trajet.

Les espaces fréquentés

Les types d’espaces dessinant le territoire de la mobilité des enfants, qu’ils s’y déplacent seuls ou avec les pairs, permettent de comprendre dans quelle dynamique socio-spatiale les enfants expérimentent la ville et acquièrent leur autonomie.

Les résultats montrent, de manière générale, que les lieux privatifs comme la famille, et surtout le domicile des amis, sont les lieux privilégiés des enfants, quels que soient les contextes urbains. Néanmoins, en ville nouvelle, les espaces ouverts et peu policés où ils retrouvent le groupe de pairs constituent aussi des lieux de destinations privilégiés (41,54 % contre seulement 7,7 % des enfants du quartier traditionnel). En quartier traditionnel, ce sont les espaces privatifs comme le domicile d’un ami (cités par 61,5 % des enfants de ce site) ou encore quelques espaces de service et de loisirs (bibliothèque, clubs de loisirs, conservatoire, commerce de jeux-vidéo) qui constituent les destinations favorites.

Nous voyons là deux dynamiques socio-spatiales dans lesquelles se construisent les compétences de l’enfant et qui ne sont pas sans influences certaines sur le comportement des parents. En effet, quand nous interrogeons parents et enfants au sujet des compétences de ces derniers à réaliser un nouveau trajet seuls, la consonance de réponses est nettement plus importante en quartier traditionnel (60 % d’accord parents-enfants) qu’en ville nouvelle (38 % d’accord parents-enfants). Outre la précaution recommandée pour interpréter ce résultat (du fait du faible effectif de parents ayant répondu au questionnaire en quartier traditionnel) notons que les parents en quartier traditionnel ont tendance à surestimer les compétences de l’enfant tandis qu’ils les sous-estiment en quartier de ville nouvelle. L’estimation des compétences et les comparaisons parent-enfant pourraient confirmer que l’autonomie des enfants de ville nouvelle parait encore fragilisée aux yeux des parents par le besoin des pairs pour se déplacer et du fait d’une familiarité cognitive encore balbutiante, tout du moins, une représentation moins structurée comme le montrent les résultats des représentations cognitives de l’espace.

Différenciations des cadres de vie : l’évaluation des parents

Les évaluations extraites des analyses de contenu des premiers entretiens réalisés avec les parents permettent d’étayer les quelques contrastes de résultats observés avec les enfants et de mieux caractériser leurs milieux de vie. Elles sont également, dans bien des cas, une façon pour les parents de rationaliser certaines pratiques et comportements.

De la tranquillité à l’animation

Deux axes principaux structurent les évaluations du quartier. Le premier fait référence aux caractéristiques de la population et distingue le cadre de vie des familles selon deux pôles s’étendant de l’homogénéité à l’hétérogénéité sociale. Ainsi, le quartier traditionnel parisien est défini comme un quartier animé et vivant, du fait d’une population variée d’un point de vue ethnique et social. Pour renforcer son caractère animé et l’hétérogénéité de sa population, certains parents précisent que c’est un quartier très différent des quartiers bourgeois de Paris, quartiers dits « aseptisés », « aux nombreuses barrières sociales ». Richesse et diversité des populations rendent par ailleurs le quartier attachant. A l’inverse, en ville nouvelle, outre le fait que l’évaluation du quartier soit souvent rapportée à la vie de l’enfant, le milieu de vie est caractérisé par son homogénéité en termes d’âges et de statut familial. Ce qui rend le quartier tranquille et sécurisant pour l’enfant.

« C’est un quartier très résidentiel […] avec des couples qui ont à peu près notre âge et ont tous des enfants » (Mère d’Audrey, 11 ans, Montigny-le-Bretonneux, sans activité).

Cette homogénéité sociale et familiale induit parfois un sentiment d’appartenance à un groupe social, en l’occurrence, ici, les « mamans » qui constituent d’ailleurs un groupe signifiant dans la vie de quartier. Le groupe de mères de famille habitant le quartier et effectuant plus ou moins les mêmes trajets quotidiennement semble fonctionner comme un soutien social. Leur visibilité conditionne la propre sécurité des enfants quand ils ont à parcourir des zones faiblement animées et peu passantes. Il est alors conseillé à l’enfant de suivre ou de s’infiltrer dans un groupe d’écoliers accompagnés de parents, lesquels, dans ce cas, jouent un rôle d’adulte, référent tacite qui saura intervenir en cas de problèmes.

Dans ce quartier-là en tous cas il y beaucoup de mamans qui ne travaillent pas, qui travaillent à mi-temps… et donc qui accompagnent aussi leurs enfants sur le trajet de l’école. Donc, il y a tout un réseau de relations qui fait que si jamais une fille a un problème sur le trajet de l’école, il y a la maman d’un autre qui connaît et qui va dire […] qui peut éventuellement aider. Ce qui est assez sécurisant (Mère de Paule, 9 ans, Montigny-le-Bretonneux ).

La référence aux mères de famille intervient aussi quand il est question d’organisation des déplacements de l’enfant. D’ailleurs, sans nier qu’ils puissent exister dans le quartier traditionnel, seuls les parents de ville nouvelle font référence aux échanges de service et à la solidarité entre mères pour l’accompagnement des enfants. Elles parlent « d’entente avec les mamans », « d’accompagnement alterné ».

Commodité et sécurité des déplacements

Le deuxième axe se rapporte à l’accessibilité du quartier et à la commodité des déplacements. La proximité de la ligne de RER à Montigny-le-Bretonneux (ville nouvelle) a été, pour plus de la moitié des parents interrogés, un critère de choix pour s’installer dans le quartier. Outre la possibilité de rejoindre Paris rapidement, il permet de rester « attaché au centre de Paris ». La qualité des aménagements pour les déplacements dits « doux » constitue l’autre versant apprécié de l’accessibilité. Les sentes piétonnières, les pistes cyclables et les surfaces pour glisser sont fortement appréciées.

« Sur Montigny et sur St Quentin en général, il y a tout un réseau de pistes cyclables, et de sentiers piétonniers, ce qui est très intéressant par rapport à des enfants justement. Ce qui leur laisse vraiment une marge d’autonomie. Alors que dans des vieilles villes ou dans certains villages, les routes ne sont pas spécialement adaptées à vélo plus voiture. Et ici, ils peuvent se déplacer relativement sans risque sur un parcours de 2-3 km en empruntant les pistes cyclables. Cela a été un facteur assez déterminant, en plus du cadre qui nous plaisait » (Mère de Paule, 9 ans, Montigny-le-Bretonneux).

Toutefois, le caractère très sécurisant sur un plan, généré par la séparation des fonctions de circulation, n’est pas sans provoquer quelques angoisses chez certains parents. Des angoisses qui sont liées à l’isolement des enfants dès qu’ils empruntent les sentes piétonnières traversant les zones résidentielles au point de conseiller, dans certains cas les seules zones animées que sont les routes à circulation automobile.

Les parents ont tendance à apprendre aux enfants à mieux gérer l’isolement et à assurer le trajet d’un point de vue social, jusqu’à paradoxalement conseiller des voies à trafic.

Ben à 16 h 30… Il y a beaucoup de monde. Mais à 13 h 30, il n’y a personne dans la rue. Je vois les gens se promener de chez moi, et à part quelques personnes qui traversent de temps en temps, il n’y a personne. Alors, au début quand elle allait à l’école toute seule, je l’attendais au bout de la sente, je la guettais jusqu’à temps qu’elle ait fini son parcours […] Il y a certainement des gens dans les pavillons, mais on n’est pas sûrs de pouvoir rentrer dans les jardins comme ça… surtout un enfant… C’était le seul truc que je craignais… Je préférais la voir se balader dans les rues, où il y des voitures, où il y a de la circulation…J’étais moins inquiète dans une rue où il y de la circulation, qu’un chemin sans rien autour (Mère de Lisa, 10 ans, Montigny-le-Bretonneux).

En quartier traditionnel, ces stratégies de refuge s’appuient davantage sur les lieux du quartier à fort potentiel social, comme les commerçants. Néanmoins, la recherche d’autres adultes garants de la sécurité de l’enfant reste une stratégie observable.

D’autres formes de stratégies liées aux dangers routiers sont également repérées. Il s’agit de stratégies consistant en la recherche d’un support vicariant. Le soutien d’un pair devient même dans ce cas une condition nécessaire pour accorder la liberté de déplacement à l’enfant en ville nouvelle. Tandis qu’en quartier traditionnel, les stratégies pour faire face à ce type de dangers (notamment pour assurer les traversées de rue) – si elles programment le même type de scénario – n’utilisent pas les mêmes acteurs ou les mêmes décors pour les mettre en oeuvre. Une plus grande animation du quartier liée à une offre d’aménités plus diversifiée rend les passants (et notamment d’autres parents accompagnateurs) utiles au déplacement de l’enfant. Le flot de piétons permet, dans certaines situations de traversée de rue, « le camouflage » ou la visibilité de l’enfant.

La question de l’accessibilité en quartier traditionnel est également mentionnée mais sous d’autres particularités. Il est fait référence, d’une part, aux dessertes de transports en commun suffisamment denses pour rendre le quartier central, et d’autre part, à l’accessibilité des transports collectifs à l’enfant (accessibilité qui n’est d’ailleurs jamais évoquée pour les parents de ville nouvelle). En outre, l’accessibilité semble être une notion fortement construite et induite par l’éducation des parents. Elle reste même plus ou moins conditionnée par l’apprentissage d’une discipline piétonnière, ancré en partie sur des questions de densité sociale et de trafic qui imposent aux parents d’insister sur les règles d’interactions entre usagers, au-delà des simples apprentissages d’utilisation des aménagements.

Il ne se rend pas compte que lui il a un sentiment de contrôle, mais y a des gens qui flippent, les vieux particulièrement ou les poussettes. Et je lui ai dit, il faut que tu montres aux gens que toi tu les as vus et même si toi, tu sais que ça passe, il faut que tu fasses attention… puisque effectivement il circule que sur les trottoirs en roller (Mère de Lazare, 10 ans, Paris 11ème).

Les parents du quartier traditionnel accordent enfin une grande importance à la personnalité de l’enfant, à sa capacité de faire face et aux ressources qu’il doit savoir trouver et gérer pour affronter les difficultés.

Discussion-conclusion

Nous avons constitué nos échantillons d’enfants et de parents sur la base de la sectorisation des écoles. Ce moyen de contrôle de la dispersion de la mobilité pendulaire semble suffisamment pertinent pour définir a priori une même unité socio-spatiale des pratiques des enfants. Cependant, ce critère de sélection a limité la taille de nos échantillons et en particulier celui des parents. Les résultats ne prétendent donc aucunement généraliser les réalités de la mobilité des enfants en milieu urbain ni même arbitrer du meilleur environnement pour le développement de l’enfant. Néanmoins, les résultats obtenus révèlent des différences urbaines dans la manière dont émerge l’autonomie de déplacements et dans la manière dont les parents vivent leur quartier et la mobilité des enfants.

Distance et rupture du fil d’Ariane

Les résultats obtenus permettent d’observer que les enfants de Paris et de sa région sont moins escortés sur le trajet de l’école (41 % vont seuls, tous sites confondus) que ne le montrent de nombreuses études environnementales sur le sujet, et notamment certaines études européennes. Comme l’indiquent nos résultats, les conditions d’autonomie de déplacements des enfants ne sont pas spécialement liées à des questions de complexité et de densité de trafic, mais bien principalement à des questions de distances et d’éloignement, surtout pour les enfants vivant en ville nouvelle. La question de la difficulté des traversées de rue reste secondaire dans l’observation de nos résultats bien qu’au coeur de certaines stratégies parentales. Dit autrement, c’est davantage de distance au familier dont il s’agit, et en particulier en banlieue. La distance est facteur d’inquiétude des parents, dès que l’enfant sort de leur propre zone du « chez-soi », entraînant alors une perte de contrôle et une rupture, en quelque sorte, du fil d’Ariane progressivement déroulé. Ce constat à propos de la distance ou de l’éloignement rejoint les observations de Chombart de Lauwe (1987). Elle remarquait déjà que l’appropriation des espaces par les enfants était une question de visibilité de ces derniers par les parents. La distance, plus que les traversées de rue, est aussi ce qui est d’emblée négociée entre parents et enfants dans la question des autorisations de sortie (Hart, 1979). Elle est une condition marquant physiquement l’expérience de la séparation et son acceptation (Bowlby, 1973).

Le rôle des pairs

Par ailleurs, les trajets scolaires constituent des expériences fortement imprégnées par les modes de vie urbains et par le type de sociabilité des enfants. C’est surtout une caractéristique de la banlieue. Le trajet scolaire est l’occasion d’une première forme de socialisation assurée par le groupe de pairs. Une forme de support à l’autonomie qui renforce par ailleurs sa socialisation. En effet, les enfants accompagnés de pairs pour leurs déplacements, à l’échelle du secteur, sont aussi des enfants dont l’expérience de l’environnement repose sur une plus grande variété de sites, et surtout, des sites plus flexibles et plus ouverts. Le type d’activités de ces enfants s’inscrit davantage dans ce que Tsoukala (2001) définit comme des « activités spatiales stratégiques ». Des activités qui sont régies par les propres règles de l’enfant et qui sont peu sous la surveillance directe des adultes. Par opposition aux enfants du quartier traditionnel, qui finalement n’ont pour seule expérience de l’espace public, des espaces institutionnalisés et la rue durant leurs déplacements.

Enfin, tout en renforçant la visibilité des enfants dans l’espace urbain, le groupe de pairs a également une fonction de sécurisation et de régulation des émotions et de vigilance pour les parents. L’enfant accompagné d’un autre du même âge serait deux fois plus visible et aurait deux fois plus de chances de voir, à défaut de regarder. Rappelons que l’essentiel des difficultés de traversée pour un enfant, au regard des données épidémiologiques, repose sur la justesse des évaluations de la vitesse des voitures. La précision de cette évaluation est d’ailleurs essentielle en cas de flux discontinus de voitures, comme c’est le cas en ville nouvelle, par exemple, où les traversées de rue sont rarement régulées par des feux. Ce qui augmente de ce fait une des difficultés majeures dans l’apprentissage des déplacements d’un enfant, à savoir sa capacité à s’imposer en toute sécurité lors de la traversée (Heine & Guski, 1998, Lee & Young, 1984; Demetre & al. 1993).

Espaces de transition comme tremplin de l’autonomie

En ville nouvelle, la fréquentation des espaces extérieurs, peu policés et ouverts sur le quartier, favorise la sociabilité et notamment la sociabilité intra-générationnelle. Nous pouvons donc nous interroger sur cette forme plus collective de déplacements. Dépend-elle de la structure physique de la ville nouvelle, son aménagement urbain, et en particulier la segmentation fonctionnelle (urbaine) des quartiers, qui assignerait la population à fréquenter de mêmes espaces, plus régulièrement et plus fréquemment qu’à Paris intra-muros, conférant ainsi aux espaces des rythmes singuliers ? Ou bien cette sociabilité tient-elle à une plus grande homogénéité sociale et générationnelle conférant une unité socio-spatiale résidentielle où les pratiques de l’espace seraient plus visibles ? L’attrait de ces espaces de proximité, permettant la rencontre avec les amis, a d’ailleurs souvent été mentionné par les parents, la proximité de tels espaces étant considérée comme un atout du quartier.

Les espaces de loisirs à proximité du domicile (comme une cour d’immeuble ou un square) permettraient donc d’initier les premières pratiques autonomes, de constituer précocement les premiers réseaux sociaux et surtout les premières expériences de séparation pour les parents. Considérés comme de véritables espaces de transition ils ont une fonction de « tremplin » pour l’autonomie (Prezza & al., 2001). En résumé, le sentiment communautaire serait plus fort du fait de la programmation d’espaces propres à chaque unité résidentielle, possédant ses commerces, ses espaces de jeux, ses services ; autant de lieux qui renforcent la ritualisation des pratiques et le partage de l’espace (Plas & Lewis, 1996).

Des enfants exclus, intégrés ou isolés ?

Si le territoire de la mobilité des enfants en quartier traditionnel semble plus étendu qu’en ville nouvelle, il s’articule néanmoins autour de lieux très formels où la sociabilité est dite « institutionnalisée ». L’autonomie des enfants et leur expérience de l’espace public sont limitées aux espaces de déplacements et donc à la rue. L’autonomie est ici spatialement et temporairement très circonscrite et peu d’espaces extérieurs leur sont ouverts. Le retrait dans des espaces publics institutionnalisés serait le résultat de plus fortes contraintes urbaines auxquelles les petits parisiens doivent faire face. En particulier, des conditions d’incertitude qui seraient plus importantes du fait d’une plus forte densité et hétérogénéité sociales. Favoriser les espaces fermés et contrôlés est d’ailleurs une des stratégies mise en place par l’individu pour faire face à l’incertitude environnementale (Nasar, 2000).

Ces deux types de pratiques caractéristiques de chacun des sites pose la question de l’intégration sociale des enfants dans le quartier, tout du moins de la congruence des espaces. Bien que le principe en vogue dans l’aménagement urbain demeure le principe de mixité sociale, il peut être constaté que dans ces deux types de milieu urbain, les rapports des enfants à l’espace restent très segmentés, dans le sens où la « segmentation spatiale […] comprend ceux de ségrégation sociale et de spécialisation fonctionnelle du sol […] et se caractérise par une tendance profonde à séparer dans l’espace les populations, les activités économiques, et les équipements » (Bassand, 1995, p.47). Séparation que Valentine (1996) explique comme étant le résultat de conceptions d’adultes pensant pour les adultes où finalement l’enfant doit être visible et encadré dans l’espace urbain.

Gérer l’espace et les déplacements de l’enfant

Les résultats recueillis auprès des parents montrent que l’autonomie impose de nombreux remaniements s’appuyant pour la plupart sur les qualités du milieu de vie ainsi que sur les normes et les valeurs relatives à la place de l’enfant en milieu urbain.

Si la motilité se construit dès l’enfance et dans le contexte familial (Kaufman & Widmer, 2006), elle reste variable en fonction des facteurs de contexte qui la gouvernent et qui sont différemment activés selon les sites. Accessibilité, compétences et appropriation (les trois facteurs décomposant la motilité) n’ont pas le même poids dans le discours des parents. Les compétences relevant en particulier de la socialisation des enfants semblent assez différentes d’un site à l’autre. Néanmoins, la variabilité de ces facteurs ne tient pas seulement qu’au type d’environnement urbain. « Les structures et modes de fonctionnement des familles » précisés par Kauffmann et Widmer (2005) ont sans doute aussi un rôle à jouer dans l’apprentissage de la motilité et l’évolution de la mobilité. Sans pouvoir conclure à la primauté du contrôle dans les rapports parents-enfants en ville nouvelle, notons néanmoins que toute activité libre, qu’il s’agisse de déplacements ou de jeux à l’extérieur, est effectuée dans le territoire du connu et du maîtrisable pour les enfants. Nos résultats ne permettent pas de confirmer l’hypothèse formulée Kaufmann et Widmer (2005) selon laquelle le choix de résider en milieu périurbain permet de conserver la clôture familiale jusque dans les déplacements par le choix de la voiture. Nous pourrions d’ailleurs nous demander, au regard de l’importance de visibilités des mères de famille, et en élargissant les enquêtes aux trajets exigeant la présence de l’adulte, s’il est possible de repérer cette « culture des mères de famille » en lien avec l’auto-mobilité dont parle Dowling (2000).

Les rapports à la mobilité des enfants montrent le besoin fort de sociabilité, voire de recherche d’entre soi qui s’étend bien au-delà de la mobilité et marque dans certains cas la vie périurbaine, notamment la construction d’un « chez soi » qu’il est possible d’étendre au-delà du périmètre de la maison grâce au maintien de diverses formes de sociabilités dont l’objectif consiste entre autres à garantir un niveau de sécurité minimum (Berger, 2006). L’importance donnée à la visibilité des mères de famille accompagnant les enfants constitue donc une des valeurs repère de sécurité.

Pour résumer, l’apprentissage de la motilité et les contours de la mobilité des enfants dans les milieux urbains étudiés pour cet article nous permettraient de cerner deux types de rapports à l’espace engendrant des logiques et des productions de territoires bien différentes : d’une part, une logique de cheminements, en quartier traditionnel, traçant des lignes et des points (définissant les lieux d’activités des enfants) dans la ville, dans un décor socio-spatial hétérogène fait de passants anonymes et de refuges potentiels. Les rapports à l’espace des enfants sont ici fortement associés aux déplacements et à la rue, vécue comme « un espace-temps transitoire » (Depeau, 2005). D’autre part, une logique de surfaces compactes mais aussi plus ouvertes, définissant des territoires en ville nouvelle, faits de surfaces délimitées et contrôlées dans un décor socio-spatial homogène constitué de mères accompagnatrices d’autres enfants et d’enfants du même âge.