Corps de l’article

1. Introduction

Au cours des prochaines années, les effectifs de personnes âgées de 65 ans et plus, au Canada et partout dans le monde occidental, augmenteront significativement, avec l’arrivée progressive des nombreux baby-boomers à cet âge « de la retraite ». Ces sorties massives du marché du travail posent, d’une part, des défis en matière de gestion et de réorganisation du monde du travail afin de maintenir un certain dynamisme économique. D’autre part, il y a également lieu d’examiner les impacts de cette augmentation prochaine du nombre d’aînés, notamment en ce qui a trait aux les pressions exercées sur les systèmes de sécurité sociale, principalement en matière de pensions de vieillesse et de soins et services de santé (Godbout et al., 2007).

D’ici 2020, cette arrivée des baby-boomers au 3e âge ne devrait pas représenter de grands bouleversements quant aux dépenses liées aux soins de santé et aux services sociaux. En effet, on remarque que les Canadiens âgés demeurent généralement en excellente santé jusqu’à des âges très avancés. C’est seulement à partir de l’âge de 75 ans que se produit une augmentation significative des risques de souffrir d’une incapacité physique ou cognitive qui, dans la plupart des cas, se traduit par l’impossibilité d’accomplir seul une ou plusieurs activités de la vie quotidienne. Or la population âgée de 75 ans et plus, ceux que l’on appelle les « vieux aînés » – oldest old en anglais –, croîtra radicalement au tournant des années 2020, soit au moment où les premiers baby-boomers atteindront cet âge.

Une population croissante d’aînés ayant des besoins accrus en matière d’aide et de soutien à domicile signifie davantage de personnes qui risquent de dépendre des membres de leur entourage, de leur famille. Jusqu’à tout récemment, au Canada, le réseau informel de soutien (famille, amis) assumait environ 75 % des heures fournies en soutien à domicile aux aînés (Lafrenière et al., 2003). Or tout porte à croire que cette situation pourrait être appelée à changer au cours des prochaines décennies. En effet, les personnes âgées de demain, à bien des égards, risquent d’être fort différentes de celles d’aujourd’hui qui correspondent, grosso modo, aux parents des boomers (Mo et Légaré, 2007). Ayant engendré moins d’enfants et suivi des parcours matrimoniaux plus diversifiés que leurs prédécesseurs, la composition de leur environnement familial ne pourra qu’être différente. Par ailleurs, ils se distingueront également par rapport à d’autres aspects tels que l’éducation, le niveau de vie et le mode de vie, autant de caractéristiques qui influent sur l’état de santé des individus et, par le fait même, sur leur probabilité de souffrir d’une quelconque limitation fonctionnelle. Ainsi, afin de déterminer la configuration de l’environnement familial sur lequel les vieux aînés de demain pourront compter en cas de dépendance, il est primordial d’intégrer plusieurs paramètres au modèle de projection de manière à tenir compte de leurs comportements démographiques spécifiques. Il faut en effet toujours garder à l’esprit que la population des personnes âgées forme un ensemble hétérogène et que cette hétérogénéité est présente du point de vue à la fois intra et intergénérationnel.

Comme mentionné précédemment, dans la foulée de cette augmentation prévue du nombre de vieux aînés, et compte tenu de leurs caractéristiques sociodémographiques, on doit s’attendre à ce qu’il se produise un important accroissement des besoins de prise en charge de la dépendance. Si, actuellement, l’offre de services est majoritairement tributaire du réseau informel des personnes âgées (conjoint[1], enfants et amis[2]), le réseau formel risque, demain, de devoir combler une plus grande part des besoins en matière de soutien à domicile (Carrière et al., 2007). En effet, en cas de dépendance, conjoint et enfants sont les premiers pourvoyeurs d’aide (Chappell, 1991; Walker et al., 1993), l’absence de ces soutiens augmentant nécessairement le besoin d’aide professionnelle. Plusieurs études ont montré que les personnes âgées dépendantes habitant seules ont plus souvent recours au réseau de soutien formel que celles vivant en couple ou avec d’autres personnes (Arber et al., 1988; Breuil-Genier, 1998; Grundy, 2006; Martel et Légaré, 2001; Pickard et al., 2000). Ainsi, les comportements démographiques des boomers, qui détermineront leur environnement familial lorsqu’ils auront atteint les grands âges, influeront sur leur besoin d’aide formelle. Cela aura donc de fortes implications politiques, puisque la propension à devoir recourir au réseau d’aide formel aura de gros impacts sur les dépenses publiques en matière de santé et de services sociaux.

Cet article présente donc les résultats issus du modèle de microsimulation LifePaths, développé par Statistique Canada, ainsi que de projections dérivées, de la population âgée de 75 ans et plus au Canada de 2001 à 2031. Ces projections permettent d’estimer l’évolution de la situation matrimoniale, de la proportion d’individus sans enfant survivant et du mode de vie des futures personnes âgées selon l’âge et le sexe pour le Canada. L’élaboration de ces microsimulations s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche plus général qui vise à évaluer le nombre de ressources humaines nécessaires pour combler les besoins des personnes âgées de demain au Canada. La présente étude se restreint toutefois à l’analyse des résultats de cette première étape de la recherche. Elle regarde ainsi l’évolution projetée entre 2001 et 2021, puis entre 2021 et 2031, de la distribution des aînés selon la présence d’un conjoint et d’un enfant, le rythme de cette croissance, et ce, selon diverses configurations familiales. Cet article montre comment l’évolution des modifications du rapport de masculinité, des situations matrimoniales et de la proportion de personnes n’ayant plus d’enfant survivant vont transformer l’environnement familial des personnes âgées tant dans leur structure que dans leurs effectifs. Car il faut rappeler que la composition du réseau social des personnes âgées de demain aura des implications cruciales par rapport aux pressions exercées sur les aidants naturels (soutien informel) et le système gouvernemental de santé et de services sociaux (soutien formel).

2. Méthode

Le modèle utilisé pour générer la population de Canadiens[3] âgés de 75 ans et plus de 2001 à 2031 se démarque du modèle traditionnel de projection par composantes. En recourant ici au modèle de microsimulation LifePaths, il a été possible de projeter simultanément un nombre important de caractéristiques individuelles tout en incorporant des éléments dynamiques permettant de tenir compte des comportements différentiels de chaque individu selon ses caractéristiques. Ainsi, LifePaths crée une cohorte fictive à l’intérieur de laquelle chaque individu, au cours de son cycle de vie, est soumis à diverses probabilités de transition. Par exemple, dans le modèle utilisé, chaque individu simulé peut changer d’état matrimonial, de niveau d’éducation, de niveau d’incapacité, etc. Qui plus est, ces probabilités de transition entre divers états sont calculées en temps continu, et dès qu’un changement d’état survient, toutes les autres probabilités de transition s’en trouvent modifiées de manière à tenir compte des nouvelles caractéristiques de l’individu. Pour dériver tous ces paramètres, les matrices de probabilités de transition de LifePaths sont basées sur un très grand nombre de données provenant des enquêtes sociales et des recensements de Statistique Canada[4]. Les variables ainsi microsimulées avec le modèle LifePaths et utilisées dans la présente étude sont les suivantes : l’âge, le sexe, l’état matrimonial, le niveau d’éducation, la région de résidence, le nombre d’enfants survivants et le lieu de naissance[5].

Puisque l’environnement familial immédiat d’une personne âgée est principalement formé par la présence du conjoint et d’enfants, nous avons dérivé les quatre configurations possibles d’environnement familial sur la base de la présence ou non des uns et des autres (conjoint et enfants). La présente étude vise principalement à analyser l’évolution future de la distribution des aînés de 75 ans et plus selon ces 4 types de réseau familial. On verra donc comment le temps, le sexe et l’âge influent sur cette distribution.

Sur la base de deux des variables générées par le modèle, à savoir le nombre d’enfants survivants et l’état matrimonial, les individus « simulés » par LifePaths ont pu être répartis parmi les quatre configurations. Néanmoins, certaines hypothèses ont dû être posées pour élaborer cette classification. En ce qui concerne la présence ou l’absence d’un conjoint, on a supposé que les personnes mariées[6] jouissaient, en vertu de leur état matrimonial, de la présence d’un conjoint à leurs côtés, par opposition aux individus célibataires, veufs ou divorcés. Par ailleurs, on a considéré qu’il y avait présence d’enfant au sein de l’environnement familial des individus lorsqu’au moins un enfant avait été engendré et était toujours en vie au moment de l’année de projection. La proximité géographique de résidence des enfants survivants n’a pas été prise en compte dans le modèle ni le nombre total d’enfants survivants.

Il faut également mentionner que l’horizon des microsimulations a été étendu au-delà des années 2020, de manière à ce que soit incluse une période de temps où la population des personnes âgées de 75 ans et plus est composée d’un certain nombre de baby-boomers. Ces derniers étant nés entre les années 1946 et 1966, les plus âgés d’entre eux atteindront 75 ans en 2021. Tel qu’on peut le constater dans le tableau 1, les microsimulations se rendent jusqu’en 2031, ce qui permet l’étude sur une décennie de l’impact des comportements démographiques des baby-boomers (très différents des cohortes les ayant précédés) sur le réseau familial des vieux aînés.

Par ailleurs, la découpe de la population des 75 ans et plus en deux groupes d’âge – les 75-84 ans et les 85 ans et plus – permet notamment de mieux cerner l’effet de l’arrivée des baby-boomers, cette cohorte massive d’individus aux comportements démographiques contrastant avec les générations précédentes, sur la configuration familiale des aînés au cours de la dernière décennie de projection.

Finalement, il faut noter que la population simulée par LifePaths concerne seulement les individus vivant en ménage privé. En d’autres termes, la population vivant en institution a été exclue des effectifs analysés dans le présent article.

3. Résultats

Avant de passer à l’analyse des résultats des microsimulations portant spécifiquement sur l’environnement familial des personnes âgées de demain au Canada, il convient d’estimer leur qualité globale pour vérifier leur validité. Ainsi, le tableau 1 offre une comparaison de l’augmentation future de la population âgée au Canada, telle que projetée, d’une part, par le modèle LifePaths, puis d’autre part, telle que mesurée ou projetée officiellement par Statistique Canada.

Tableau 1

Évolution relative (base 100 en 2001) des effectifs projetés de personnes âgées selon deux méthodes différentes, Canada, 2001-2031

Évolution relative (base 100 en 2001) des effectifs projetés de personnes âgées selon deux méthodes différentes, Canada, 2001-2031

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En observant le tableau 1, on peut affirmer que les paramètres contenus dans le modèle de microsimulation permettent de générer des tendances démographiques qui vont quasi exactement dans le même sens que ce que Statistique Canada observe ou projette. En effet, que ce soit en appliquant l’une ou l’autre des méthodes, on prévoit que le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus au Canada en 2031 sera environ 2,3 fois plus élevé qu’en 2001. On remarque également qu’au cours de la période de projection, la population des vieux aînés augmentera proportionnellement plus rapidement que celle de l’ensemble des personnes de 65 ans et plus, soit d’un facteur d’environ 2,4 et 2,7 pour les 75 et 85 ans et plus respectivement. Chose certaine, les microsimulations générées par LifePaths s’inscrivent totalement dans les tendances prévues par Statistique Canada. L’analyse de l’environnement de ces personnes âgées peut maintenant être effectuée.

Globalement, la distribution par sexe de la population de 75 ans et plus, population à grand risque d’incapacités, évolue sensiblement entre 2001 et 2031, mais conserve les mêmes caractéristiques générales (figure 1). En 2001, les hommes vivent en plus grande proportion (43,8 %) en présence d’une conjointe et d’au moins un enfant au sein de leur environnement familial, alors que seulement 20 % des femmes sont dans cette situation. La plus grande partie d’entre elles (59,6 %) ne peuvent compter que sur la présence d’enfants. On remarque également que peu importe le sexe, n’avoir que son seul conjoint est le mode le moins répandu. Dans le futur, on s’attend à ce que les hommes soient plus souvent entourés de leur conjointe et d’au moins un enfant, alors que la situation la plus fréquente pour les femmes continuera d’être caractérisée par l’absence d’un conjoint et la présence d’au moins un enfant survivant.

Figure 1

Répartition des personnes âgées de 75 ans et plus selon 4 configurations de réseau familial et selon le sexe, Canada, 2001, 2021 et 2031

Répartition des personnes âgées de 75 ans et plus selon 4 configurations de réseau familial et selon le sexe, Canada, 2001, 2021 et 2031

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Comme mentionné en introduction, on s’attend néanmoins dans l’avenir à ce que les contextes familiaux changent à plus d’un égard en raison de l’arrivée aux grands âges de générations restées moins souvent sans enfant (ces derniers ayant, de surcroît, plus souvent survécu) et des transformations des comportements matrimoniaux. De fait, dans ce domaine, les tendances de fond attendues dans les prochaines décennies sont la baisse du veuvage et, conséquence d’un effet de génération, la croissance de la proportion de divorcés. Le tableau 2 montre que globalement, ces tendances appréhendées se traduisent effectivement dans les chiffres, mais que l’intensité de ces évolutions varie selon le sexe et l’âge.

Tableau 2

Structures matrimoniales de la population âgée de 75 ans et plus selon le sexe et certains groupes d’âge, Canada, 2001-2031

Structures matrimoniales de la population âgée de 75 ans et plus selon le sexe et certains groupes d’âge, Canada, 2001-2031

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Le tableau 2 illustre clairement les effets des comportements démographiques sur l’état matrimonial anticipé des personnes âgées de demain. On remarque effectivement que les personnes âgées en 2031 seront plus souvent séparées ou divorcées, comparativement aux personnes âgées d’aujourd’hui. Par ailleurs, on projette une baisse du nombre de veufs grâce à l’amenuisement prévu de la féminisation générale de la vieillesse, conséquence de la diminution prévue de l’écart d’espérance de vie entre les sexes[9] (Trovato, 2005; Meslé, 2006). La proportion de gens mariés devrait demeurer constante, mais toujours deux fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes. En effet, en plus d’avoir une plus grande propension à se remarier en cas du décès de leur conjointe, les hommes décèdent généralement avant elle. Il convient par ailleurs de souligner que l’évolution des pourcentages au sein de la population des 85 ans et plus entre 2001 et 2031 n’est aucunement attribuable aux baby-boomers, puisqu’aucun d’entre eux n’aura atteint cet âge avant 2030. Comme mentionné précédemment, cela légitime le fait de scinder la population des 75 ans et plus en deux groupes d’âge. Et, de fait, le tableau 2 montre que les changements majeurs dans la distribution des aînés selon leur état matrimonial s’effectueront seulement au courant de la décennie 2021-2031 et principalement pour ceux âgés de 75 à 84 ans, ce qui correspond exactement à la période où les baby-boomers atteindront cet âge. De façon intéressante d’ailleurs, l’augmentation très rapide entre 2021 et 2031 de la proportion de célibataires chez les personnes âgées de 75 à 84 ans est une conséquence directe du fait que les baby-boomers ont privilégié, plus que quiconque auparavant, l’union libre comme forme d’union et que, comme mentionné précédemment, la dissolution de l’union libre (par mortalité ou séparation) fait passer les individus de la catégorie des mariés à célibataires, si ces individus n’ont jamais été légalement mariés. D’un autre côté, on remarque que l’augmentation de la divortialité de même que la baisse du veuvage ne caractérisent pas seulement la génération des baby-boomers. Il s’agit là, en effet, de tendances bien établies au sein de la population des personnes âgées d’aujourd’hui; les pourcentages évoluent en ce sens dès la période comprise entre 2001 et 2011 (tableau 2).

La figure 2 est intéressante, car elle présente côte à côte les distributions en 2001 et 2031 des personnes de 75 ans et plus par sexe et par âge. On peut donc y observer les liens entre les changements attendus de l’état matrimonial (présentés dans le tableau 2) et leurs impacts sur l’environnement familial des individus.Figure 2Répartition des personnes âgées de 75 ans et plus selon la présence d’un conjoint et d’un enfant survivant en fonction du sexe et de l’âge, Canada, 2001 et 2031

Figure 2

Répartition des personnes âgées de 75 ans et plus selon la présence d'un conjoint et d'un enfant survivant en fonction du sexe et de l'âge, Canada, 2001 et 2031

Répartition des personnes âgées de 75 ans et plus selon la présence d'un conjoint et d'un enfant survivant en fonction du sexe et de l'âge, Canada, 2001 et 2031

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Chez les femmes, comme mentionné précédemment, le veuvage va fortement diminuer en raison de la baisse de la mortalité masculine et des différences d’espérance de vie selon le sexe. La figure 2 laisse supposer que cette tendance arrivera à contrebalancer la croissance du divorce. En 2001, 63 % des femmes âgées de 75 ans et plus étaient veuves, alors que 30 ans plus tard, elles pourraient ne plus être que 43 % (respectivement 79 % et 65 % chez celles âgées de 85 ans ou plus). Par conséquent, à l’avenir, elles vieilliront plus souvent avec un partenaire à leur côté, cette situation passant de 26 % à 31 % (figure 2).

Le veuvage va également diminuer chez les hommes de 85 ans et plus qui pourront donc, comme les femmes, plus souvent bénéficier de la présence d’une partenaire pour éventuellement faire face à leur dépendance. En revanche, tel ne sera pas le cas de ceux de 75-84 ans, car comme le montre la figure 2, la proportion d’hommes de ce groupe d’âge vivant en couple diminuera légèrement entre 2001 et 2031. Cela vient prouver qu’à ces âges, la baisse du risque de veuvage ne compensera pas la croissance de la proportion de divorcés.

En somme, la figure 2 montre clairement que les hommes bénéficient généralement d’environnements familiaux beaucoup plus étoffés que les femmes, principalement grâce à la présence plus fréquente d’une conjointe à leurs côtés. L’analyse selon l’âge montre que plus les personnes âgées vieillissent, moins elles jouissent d’un réseau familial étendu. On observe toutefois que la situation évoluera pour le mieux entre 2001 et 2031, puisqu’on projette une augmentation de la proportion de personnes âgées avec une configuration favorable.

Dans les faits, compte tenu de l’augmentation attendue de plusieurs millions de Canadiens âgés de 75 ans et plus au cours des prochaines décennies, on observera une croissance des effectifs dans chacune des 4 configurations familiales étudiées ici. Toutefois, les changements observés précédemment dans les risques pour les personnes âgées de se trouver dans tel ou tel contexte familial hiérarchisent l’intensité des croissances. Effectivement, la figure 3 montre que la population vivant en couple va augmenter plus fortement que celle sans partenaire et que la population avec au moins un enfant survivant va augmenter plus vite que celle sans descendance.

Figure 3

Accroissement relatif de la population âgée de 75 ans et plus selon différentes configurations familiales, Canada, 2001-2031

Accroissement relatif de la population âgée de 75 ans et plus selon différentes configurations familiales, Canada, 2001-2031

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La figure 3 permet également de constater que l’arrivée des baby-boomers à l’âge de 75 ans dès 2021 va faire en sorte d’accélérer grandement l’augmentation des effectifs de personnes âgées. Plus particulièrement, ils vont faire gonfler entre 2021 et 2031 le nombre d’individus dont l’environnement familial est caractérisé par l’absence d’enfant. De fait, alors qu’entre 2001 et 2021 la hausse du nombre d’individus sans enfant survivant était très faible comparée aux autres configurations familiales, on voit que la donne change fortement après cette période. Cette observation révèle donc que les comportements démographiques particuliers de la génération des baby-boomers devraient réduire leur entourage familial, et cela est plus relié à l’absence d’enfant survivant qu’à l’absence de conjoint. Comme quoi, malgré que les baby-boomers aient divorcé en plus forte proportion et aient vécu au sein d’unions libres (considérées comme plus précaires), leur propension à vivre avec un conjoint n’est pas tant différente des générations les ayant précédés. Toutefois, leurs unions ont été fécondes dans des proportions significativement plus basses (le tableau A-1, présenté en annexe, montre d’ailleurs très bien comment l’arrivée des générations issues du baby-boom à partir de 2021 inverse la tendance, jusqu’alors à la baisse, en ce qui a trait à la proportion d’individus sans enfant survivant). De ce point de vue, il y a donc lieu d’affirmer que l’environnement familial des personnes de 75 ans et plus de demain, qui est appelé à s’améliorer jusqu’en 2021, risque par la suite de s’effriter jusqu’en 2031 et fort probablement au-delà avec l’arrivée des plus jeunes cohortes de baby-boomers.

De surcroît, la population la plus vulnérable, c’est-à-dire celle n’ayant aucun aidant familial potentiel, va pratiquement doubler en seulement 10 ans entre 2021 et 2031. Ces personnes dont l’entourage familial est restreint risquent, en cas de problèmes de santé, d’avoir un fort besoin d’aide professionnelle. Néanmoins, d’ici 2031, l’essentiel de la croissance de la population sera dû à l’augmentation du nombre de personnes ayant à la fois conjoint et enfant. Cette catégorie va progresser de 181 %. A priori, en cas de dépendance, vivre en couple ou avoir un enfant survivant est une situation de moindre vulnérabilité, mais l’état de santé du premier peut être défaillant et il peut en être de même de la volonté ou de la disponibilité du second.

La population vivant en couple en n’ayant pas ou plus de descendance va augmenter de 109 %, mais vivre dans ces circonstances restera exceptionnel : en 2030, tel sera le cas de moins de 6 % des personnes âgées de 75 ans et plus. En revanche, ne plus avoir de conjoint et ne pouvoir compter que sur le soutien éventuel de sa seule descendance est une situation plus répandue (46 %); il s’agit du profil type des femmes âgées[10]. Or cette population va augmenter de 135 %, soit plus faiblement que l’ensemble de la population (146 %).

Une décomposition de ces évolutions par âge et sexe (figure 4) apporte un éclairage supplémentaire sur la future évolution de la structure de la population.

Figure 4

Accroissement relatif de la population âgée de 75 ans et plus selon différentes configurations familiales, en fonction de l'âge et du sexe, Canada, 2001-2031

Accroissement relatif de la population âgée de 75 ans et plus selon différentes configurations familiales, en fonction de l'âge et du sexe, Canada, 2001-2031

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Premièrement, on remarque que l’accroissement de la population masculine est beaucoup plus important que celle des femmes, et ce, peu importe le groupe d’âge observé. On voit là l’effet direct de la réduction de l’écart de l’espérance de vie lié au sexe, dont on a plusieurs fois discuté précédemment. Ce rattrapage des hommes sur l’avance prise par les femmes au courant des dernières décennies fera augmenter les effectifs de 85 ans et plus de 211 % entre 2001 et 2031, comparativement à 140 % chez les femmes du même âge pour la même période.

En distinguant selon le sexe l’accroissement relatif des effectifs d’après les configurations de réseau familial, on remarque que chez les hommes, le type d’environnement familial le plus vulnérable augmentera généralement aussi rapidement que le type le plus favorable (figure 4). Cette observation ne s’inscrit donc pas dans la tendance observée à la figure 3 voulant que le nombre d’individus avec conjoint et enfant s’accroisse significativement plus rapidement que les effectifs des autres catégories. Cela est particulièrement vrai chez les hommes âgés de 75 à 84 ans où les individus sans conjointe ni enfant survivant forment le groupe qui augmentera le plus rapidement de tous. Il y a donc lieu d’affirmer que la vulnérabilité des hommes âgés risque d’augmenter dans le futur, puisqu’une proportion croissante de ceux-ci jouira d’un entourage familial beaucoup plus restreint, ce qui implique qu’en cas de dépendance, une plus grande part d’entre eux devra être prise en charge par le réseau d’aide formel.

À l’opposé, chez les femmes, en général, la catégorie la plus vulnérable est celle où la croissance est la moins rapide, à l’exception des femmes de 75-84 ans où celles dont l’environnement familial est caractérisé par l’absence d’un conjoint alors que la présence d’au moins un enfant survivant augmentera plus rapidement. Il est intéressant de remarquer que chez les 85 ans et plus, sans distinguer selon le sexe, la plus grande croissance se fera au sein de la catégorie des individus avec l’entourage familial le plus favorable. Cela est donc très encourageant en soi, puisque les aînés de 85 ans et plus sont les plus susceptibles d’avoir besoin de soutien. Par contre, il ne faut pas perdre de vue qu’à ces grands âges, la capacité du conjoint à fournir de l’aide peut être limitée, puisqu’il peut lui-même être dépendant, sans pour autant que le couple vive en institution.

4. Conclusion

Les résultats des microsimulations présentés dans cet article ont permis de projeter jusqu’en 2031 la distribution des aînés de 75 ans et plus au Canada selon 4 types de réseau familial, soit selon l’absence ou la présence d’au moins un enfant survivant ou d’un conjoint. Ils ont permis également d’analyser l’intensité de l’accroissement des effectifs composant chacune des configurations selon l’âge et le sexe au cours de la période 2001-2031.

Compte tenu de l’augmentation attendue de plusieurs millions de Canadiens âgés de 75 ans et plus au cours des prochaines décennies, les résultats suggèrent que l’on doit s’attendre à un doublement des effectifs dans chacune des 4 configurations familiales. Les effectifs d’individus dont l’entourage familial est composé de la présence d’un partenaire et d’au moins un enfant survivant devraient s’accroître de façon plus marquée que les trois autres configurations. Toutefois, en décomposant ces évolutions par âge et sexe, il a été montré que les effectifs d’individus au profil moins favorisé, et donc plus vulnérable à dépendre de l’aide professionnelle en cas d’incapacité, allaient parfois augmenter plus rapidement. Au début des années 2020, avec l’arrivée des nombreux baby-boomers à l’âge de 75 ans, les résultats montrent qu’il se produira une nette accélération dans les rythmes d’évolution des diverses configurations familiales.

Conséquemment, les enjeux entourant les aidants naturels et la prise en charge des personnes âgées dépendantes demeurent tout aussi criants, puisqu’on s’attend à ce que la demande d’aide double, et cela sera d’autant plus vrai d’ici 10 à 15 ans.

Cette fenêtre d’une à deux décennies nous laisse toutefois le temps de nous préparer, de planifier l’offre de services en fonction de ce fort accroissement appréhendé de la demande en matière de services à domicile, mais il faut commencer dès maintenant. Il faut non seulement mettre sur pied rapidement un programme de formation professionnelle efficace en soutien à domicile pour combler la hausse des besoins d’assistance attendue, mais également pour combler les nombreux départs à la retraite des individus oeuvrant dans ce domaine. En effet, au Canada, certains s’inquiètent déjà d’une éventuelle pénurie de main-d’oeuvre dans le réseau formel, lequel est principalement composé de femmes de plus de 40 ans dont la retraite est prévue avant même que la majorité des boomers ait atteint 65 ans (Home Care Sector Study Corporation, 2003). Qui plus est, établir un programme de formation professionnelle est bien, mais encore faut-il y attirer les étudiants. Il faudra donc faire en sorte de revaloriser ce type d’emploi et, surtout, d’améliorer les conditions qui y sont liées.