Corps de l’article

« La politique, c’est l’art des choix et donc, il est incontestable qu’avant le 11 septembre, le sentiment que j’ai eu c’est que le problème du terrorisme n’était pas une priorité au Canada ni aux États-Unis. »

Jean-Louis Bruguière : Juge d’instruction antiterroriste français[1]

Comme le souligne bien la citation mise en exergue, jusqu’au 11 septembre 2001, une majorité de citoyens et de personnalités politiques tant aux États-Unis qu’au Canada, considéraient que le terrorisme international était un phénomène de violence politique qui ne les touchait guère. Depuis lors, cette problématique qui secouait déjà diverses régions du monde, dont l’Europe, a frappé de plein fouet les opinions publiques nord-américaines. Dans le cas plus précis du Canada, il est assez évident que la très grande majorité de la population considère que ce pays est le royaume de la paix[2]. Pourtant, dans un document récent, le Service canadien du renseignement de sécurité (scrs) soulignait, sans donner de chiffres exacts, que le Canada est un pays où la présence terroriste est très élevée : il est le deuxième après les États-Unis[3]. Il est maintenant évident que le problème de sécurité, qui découle du terrorisme international, fait maintenant partie des priorités de la majorité des gouvernements du globe, dont le Canada[4].

Par ailleurs, depuis la tragédie qui a frappé notre voisin du sud, le mardi 11 septembre 2001, une littérature pléthorique a vu le jour. À travers celle-ci, les spécialistes des questions de sécurité ont souvent proposé une lecture riche mais contradictoire des événements du 11 septembre. À cet égard, les livres maintenant publiés sur le terrorisme ont presque tous une section s’attardant aux attentats qui frappèrent le World Trade Center (wtc) et le Pentagone[5]. De plus, on retrouve des ouvrages écrits « à chaud », c’est-à-dire quelque temps après, qui tentent d’expliquer, autant que faire se peut, ces mêmes événements. La présente étude bibliographique s’intéresse donc à ces deux types d’ouvrages parce qu’ils ont le même objectif final : comprendre le phénomène du terrorisme international qui s’est manifesté alors, dont entre autres, les causes et les conséquences possibles du quadruple détournement d’avions civils transformés en bombes volantes ce fatidique 11 septembre 2001.

À travers la multitude d’ouvrages possibles, nous avons décidé de nous attarder essentiellement à la perception des sécuritaires français. Au-delà du célèbre texte de Jean-Marie Colombani du journal Le Monde, le 12 septembre 2001[6], qui affirmait « Nous sommes tous Américains », une partie de l’intelligentsia française cultive une certaine tendance à l’antiaméricanisme[7]. De même, la politique étrangère de la France cherche souvent à afficher sa distance par rapport à celle de Washington[8]. Dans le cas de l’analyse du 11 septembre 2001, les sécuritaires français proposent certes une analyse critique de la politique étrangère des États-Unis, mais ils explorent un spectre beaucoup plus large : c’est ce qui fait la pertinence de s’y attarder dans la présente étude bibliographique. En plus, la France a été aussi la cible du terrorisme international depuis fort longtemps.

Plus précisément, l’ouvrage sous la direction de Pascal Boniface, publié quelques semaines après les attentats, propose une réflexion s’articulant autour des conséquences du 11 septembre pour le système international, et sur certaines régions du globe : de l’Asie à l’Europe. En raison de la prépondérance des États-Unis, une bonne part des analyses des divers collaborateurs de Boniface, à l’Institut de relations internationales et stratégiques, s’attardent d’une manière ou d’une autre à l’hyperpuissance américaine, de sa politique étrangère au grand projet du bouclier antimissile.

Par ailleurs, l’ouvrage de Gérard Chaliand propose d’insérer les événements du 11 septembre 2001 dans la trame du terrorisme, mais plus précisément dans la trame du terrorisme contemporain né en 1968 d’une double matrice : au Moyen-Orient et en Amérique latine[9]. Chaliand cherche à mettre en exergue les conséquences des choix de politique étrangère des États-Unis datant de la guerre froide. En plus, deux autres auteurs ont contribué à cet ouvrage. L’islamologue Alain Grignard, de l’Université Libre de Bruxelles propose une genèse de l’islamisme radical, tandis que Olivier Hubac-Occhipinti s’attarde essentiellement à faire un survol du 11 septembre 2001 en mettant en exergue les attentats précédents d’Al-Qaida.

De son côté, la monographie de Dominique David propose une réflexion globale sur la problématique de la sécurité qui suit l’effondrement des tours jumelles du wtc. Les propos de David suggèrent que, plus que jamais, la dimension sécuritaire est intimement liée à la vie politique qui est la nôtre : la vie démocratique. Entre nouveauté radicale et répétition de l’histoire, David cherche plutôt à recentrer les problématiques de sécurité ouvertes par le 11 septembre 2001 et à identifier les grands paramètres du système international post-guerre froide toujours en mouvement, principalement les paramètres maintenant éclatés des formes de conflits.

Par contre, pour François Heisbourg et les collaborateurs de la Fondation pour la recherche stratégique, le 11 septembre 2001 symbolise le passage à une forme inédite de terrorisme : l’hyperterrorisme. Cette forme inédite de terrorisme pose les premiers jalons d’une nouvelle forme de conflits pour le xxie siècle. Plus précisément, Heisbourg et ses collaborateurs proposent une réflexion sur les causes et sur la transformation du terrorisme depuis la fin de la guerre froide. Ils s’attardent également à la riposte des États-Unis, à la lutte antiterroriste et à la recomposition de l’espace international, en accordant une attention aux relations transatlantiques. La conclusion de l’ouvrage tente de faire un parallèle entre la guerre de Trente ans qui secoua l’Europe au xviie siècle et qui se termina par les traités de Westphalie (1618-1648). Ceci montre symboliquement l’importance qu’accordent Heisbourg et les divers collaborateurs qui ont contribué à ce livre, au 11 septembre 2001[10].

Enfin, la réédition du livre de Jean-Luc Marret, publié presque deux ans plutôt, s’ouvre avec une préface concernant le 11 septembre 2001. L’auteur y propose une tentative d’explication des causes et des conséquences de cette sombre journée qui a frappé l’Amérique en plein coeur. Si son propos sur Al-Qaida peut déconcerter – À proprement parler « Al-Qaida » n’existe pas, affirme-t-il[11] – son analyse du terrorisme comme un groupe d’intérêt permet d’éviter une série d’écueils propres à l’étude du terrorisme. Cet avantage permet de déconstruire le « métier » terroriste et de réfléchir autant sur la logique de l’action, des motivations, que de ses modes opératoires. L’ouvrage permet également de bien comprendre que l’action terroriste est faite de permanence et de changement.

I – Le 11 septembre 2001 comme événement historique

D’entrée de jeu, chacun des ouvrages considère que la tragédie du 11 septembre 2001 représente le premier événement marquant de ce jeune xxie siècle[12]. Cependant, cette unanimité première cache une diversité de positions assez éloignées les unes des autres qui balise la suite de l’argumentaire des auteurs pour appréhender ces événements. Si l’effondrement des tours jumelles du wtc marqueront à jamais l’imaginaire, Pascal Boniface considère qu’il est trop tôt pour affirmer que cette date fatidique marque un tournant, sinon une nouvelle ère, dans les relations internationales comme l’avait fait la chute du mur de Berlin par exemple[13]. À ce propos, Gérard Chaliand, qui partage cette opinion[14], suggère aussi que le précédent auquel nous devrions nous référer pour tenter de comprendre les attentats suicides aux États-Unis n’est pas Pearl Harbour en 1941 mais plutôt Beyrouth en 1983 où, grâce à deux camions-suicides ayant causé la mort de 241 marines américains et 58 parachutistes français, les attentats avaient mené au départ du Liban des forces armées occidentales.

Par contre, l’analogie est intéressante dans la perspective où elle permet de mettre en exergue un élément important de la culture stratégique américaine. En effet, celle-ci repose sur l’idée que le territoire des États-Unis doit être un sanctuaire, ou dit autrement une enclave sécuritaire[15]. Si durant la guerre froide, l’urss remet en cause cet idéal et s’impose comme un interlocuteur incontournable de la puissance américaine, en raison de sa capacité de frapper le territoire américain grâce aux missiles intercontinentaux, sa disparition permettait aux États-Unis de retrouver « un différentiel de puissance[16] » garantissant sa sécurité. Or, il est évident que l’effondrement des tours jumelles et les dégâts causés au Pentagone, démontrent sans l’ombre d’un doute, que cet idéal s’est évanoui.

Pourtant, le second élément de la culture stratégique américaine, basée sur sa capacité technologique et conséquemment sur la recherche de la dissymétrie – comprise comme « la recherche par l’un des combattants d’une supériorité qualitative et/ou quantitative[17] », tel que le célèbre projet de défense antimissile[18], – va chercher à recréer cette sanctuarisation même relative. Ainsi, il est douteux que les autorités américaines remettent en cause cette recherche de la supériorité technologique, malgré les limites évidentes, limites déjà soulignées lors de la campagne du Kosovo en 1999 par exemple[19] et qui ont clairement joué contre les responsables américains en ce mardi fatidique[20].

De même, Heisbourg considère que l’analogie avec le 7 décembre 1941 ne doit pas mettre sous le boisseau la nouveauté radicale du 11 septembre : le passage à l’hyperterrorisme[21]. Ainsi, contrairement aux autres auteurs, Heisbourg souligne avec force que le 11 septembre marque une rupture essentielle ; il s’agit ni plus ni moins de la fin de la période de l’après-guerre froide et l’entrée dans un nouvel espace international en construction. Au fond, il est possible de résumer le tout en posant la question suivante : est-ce que le choc du 11 septembre 2001 bouleverse l’espace international d’une manière si profonde que les éléments explicatifs et les questionnements des paradigmes des sciences sociales, particulièrement pour les études sur les conflits et le terrorisme, se retrouvent du coup dépassés ?

II – Une nouvelle forme de conflits et de terrorisme?

Il est bien évident que le 11 septembre 2001 lance un pavé dans la marre dans la réflexion amorcée depuis la fin de la guerre froide sur la forme que prendront les conflits du xxie siècle[22]. Tout d’abord, en raison de la filiation religieuse des kamikazes à l’islamisme radical, la thèse de Samuel Huntington sur le Choc des civilisations[23] a pu apparaître comme une grille d’analyse commode pour comprendre ce qui est arrivé[24]. Si, comme le soulignent Boniface et Chaliand[25], on peut croire que l’un des objectifs de Ben Laden était de réussir à confirmer ce type de vision du monde après la riposte américaine – soit par sa nature indiscriminée qui « aurait pu être ressentie comme une attaque générale contre le monde musulman[26] » ou bien soit par l’effondrement d’un ou plusieurs régimes arabes[27] – il n’en demeure pas moins que la grille d’analyse du politiste américain demeure toujours aussi discutable et les critiques véhémentes dont elle a été la cible depuis sa première mouture publiée en 1993 dans Foreign Affairs, sont encore et plus que jamais justifiées.

Pourtant, ni véritablement guerre interétatique, ni véritablement guerre civile, le 11 septembre aurait fait basculer l’ordre de l’après-guerre froide dans l’ère des conflits asymétriques, du moins c’est ce qu’affirme François Heisbourg. Il est intéressant de remarquer que dans les jours qui suivirent les attentats, ce dernier développe cette hypothèse dans le journal Le Monde[28] et dans une entrevue accordée au magazine d’actualité Le Nouvel Observateur[29]. La position de Heisbourg rejoint, à différents degrés, celle d’autres auteurs tels que Paul Virilio[30], Bishara Marwan[31] ou Bruce Hoffman[32], qui, au lendemain des attentats, arrivaient à des conclusions semblables. Ce qui sous-tend cette hypothèse s’articule autour du fait que les deux belligérants sont dissemblables : d’un côté, on retrouve un État, les États-Unis et de l’autre, une nébuleuse de nature religieuse incarnée jusqu’à présent par Oussama ben Laden, et le réseau Al Qaïda.

Pourtant, Chaliand trouve peu utile le recours à cette notion d’asymétrie. Ce dernier souligne bien que « Les États-Unis sont si puissants qu’aucune guerre frontale n’est envisageable contre eux. Aussi le terrorisme est-il l’unique moyen de déjouer, et cela, de façon limitée, leur invulnérabilité[33]. » En effet, derrière la question d’une nouvelle forme de conflit, il est nécessaire de répondre préalablement à cette autre interrogation : sommes-nous devant une nouvelle forme de terrorisme ? Il est intéressant de souligner qu’en utilisant, grosso modo, les mêmes éléments, Chaliand et Heisbourg s’opposent dans leurs conclusions. Pour Chaliand, nous sommes au stade ultime du terrorisme classique tandis que pour Heisbourg, comme je l’ai déjà souligné, nous sommes passé à l’hyperterrorisme. Chacun reconnaît des tendances lourdes du terrorisme international et les aspects nouveaux découlant du 11 septembre.

D’une manière générale, le modus operandi a reposé essentiellement sur l’apprentissage des réussites et des échecs des attentats précédents. Tant l’utilisation d’avions et l’idée de les transformer en bombes volantes[34], dans l’objectif de faire le plus grand nombre de victimes possibles et sans en oublier le caractère religieux, utilisé comme un instrument de justification, s’inscrivent en droite ligne dans la généalogie du terrorisme international[35]. Il n’y a donc pas de nouveauté radicale de ce point de vue[36] ; l’histoire du terrorisme contemporain montre bien que ce dernier sait faire du neuf avec du vieux, pour paraphraser Marret[37].

Cependant, outre le fait que les États-Unis aient été frappés sur leur sol, la nouveauté essentielle des attentats de septembre 2001 touche le nombre de victimes. Si en 1995 la secte Aum avait visé par son attentat contre le métro de Tokyo une destruction massive[38], sans oublier que le premier attentat contre le wtc en février 1993 poursuivait aussi le même objectif[39], le 11 septembre fait la démonstration, pour la première fois, qu’un acteur non étatique a la capacité de réussir une destruction de masse[40]. C’est ici que les interprétations du 11 septembre divergent le plus entre Chaliand et Heisbourg. Chaliand suggère qu’il s’agit davantage d’une distinction quantitative que d’une transformation qualitative du terrorisme international ; voilà pourquoi il considère que nous sommes passés à un stade ultime du terrorisme contemporain[41]. Pour ce dernier, la réalisation de cette destruction massive par un groupe non étatique confirme l’importance des autres acteurs dans le système international. Il convient donc que les conceptions du système international, si besoin était, se construisent autour de la pluralité des acteurs. L’irruption d’acteurs non étatiques sur la scène internationale ne date pas d’hier. Si la guerre froide a obnubilé les internationalistes sur l’État et la bipolarité, force est de constater que les autres acteurs de l’espace international n’ont pas attendu l’effondrement du Bloc de l’Est et de l’urss, bref la fin de la guerre froide, pour se structurer[42].

D’un strict point de vue de l’analyse du terrorisme, et malgré l’incapacité supposée de le définir, il est évident que ce dernier est un modèle d’acteur transnational. Comme le suggère Marret, l’étude du terrorisme, à partir de la grille développée pour les groupes d’intérêts, permet d’éviter les écueils habituels touchant les définitions du terrorisme, en lui rendant, par le fait même, une intelligibilité plus grande. Dans cette optique, Chaliand considère que le modèle des tigres Tamouls du Sri Lanka, dont la stratégie de l’attentat suicide a été d’une terrible efficacité, est un précurseur des réseaux de la nébuleuse d’Oussama Ben Laden[43].

Par contre, pour Heisbourg, le fait que des acteurs non étatiques ont atteint un niveau de destruction aussi important que celui d’un État assure un saut qualitatif à ce nouveau type de terrorisme : l’hyperterrorisme[44]. Dans cette perspective, la distinction conceptuelle entre la guerre et le terrorisme s’amenuise encore davantage ; c’est pourquoi l’utilisation de la notion d’hyperterrorisme « peut permettre de dépasser cette difficulté conceptuelle et d’appréhender cette nouvelle situation stratégique[45] ».

Comme le souligne avec force David, il faut bien admettre que depuis plus de deux siècles, les pays occidentaux ont développé le cadre de référence des conflits, et fondamentalement de la sécurité, à partir d’un imaginaire tournant autour de l’État et de son territoire. Les deux guerres mondiales et la guerre froide en sont les archétypes. Dans cette perspective, notre conception des conflits reposait sur un Autre identique, où cherchant à le devenir[46]. De ce fait, nous avons tenté d’encadrer cette violence, de son déroulement à sa codification[47]. Avec l’effondrement du cadre bipolaire, la menace que représentait le Bloc de l’Est s’est estompée; du coup la menace à la sécurité du territoire s’est éloignée[48]. Après 1989 et pour la première fois, la sécurité du territoire national n’était plus en cause[49]. Dès lors, notre façon d’appréhender notre sécurité, et plus expressément les divers conflits à travers la planète, passe par une acceptation plurielle de la nature des conflits[50]. À cet égard, pour bien prendre la mesure du 11 septembre, c’est davantage la conception même de la sécurité dans l’espace international mondialisé qu’il est nécessaire d’interroger.

III – Mondialisation, islamisme et sécurité

La mondialisation de l’économie aux dires des théoriciens libéraux est gage de prospérité et de paix. Si la mondialisation économique a permis, dans l’absolu, une création de croissance et de richesse à travers le monde, ce développement a été de loin très inégal[51]. À côté de la mondialisation, les zones grises ont aussi rapidement progressé, nous rappelle David[52] ; l’existence d’États en déliquescence n’est que la pointe de l’iceberg. Même si la guerre froide avait permis une structuration des conflits sur l’axe Est-Ouest, force est de constater que les tergiversations ou l’absence de solution à certains conflits anciens, comme le conflit israélo-palestinien, et l’éclatement de conflits nouveaux[53], nécessitent de la part des pays occidentaux, dont les États-Unis, une gouverne nouvelle. Ajoutons que dans ces conflits, la gestion par les puissances capables d’intervenir, s’appuie davantage sur des considérations d’intérêts et sur une forme de moralité humanitaire.

En effet, si le développement de l’islamisme radical vient d’une altération de certains principes de l’Islam[54], il prend une assise beaucoup plus soutenue dans les espaces conflictuels laissés sans règlement par l’Occident, comme le conflit entre Israéliens et Palestiniens, qui dégénèrent depuis plus de cinq décennies. À cela, il convient d’ajouter la politique à courte vue des principales puissances occidentales, dont les États-Unis. Par exemple, le développement de l’islamisme radical n’est pas étranger au contexte politique de la guerre froide. Lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’urss, les États-Unis ont utilisé l’islamisme radical dans la lutte contre sa rivale[55]. À cela, il faut ajouter la révolution iranienne de 1979 qui a favorisé la création de groupes islamistes radicaux utilisant entre autres le terrorisme. Cette tendance a eu un effet d’entraînement dans le monde islamique. Dans un premier temps, l’élan que donna la révolution chiite iranienne aux groupes sunnites, mit en péril le pouvoir des élites politiques dans certains pays comme l’Arabie Saoudite ou l’Égypte. Ainsi, ces pays et d’autres, ont utilisé ce conflit comme soupape envers les tenants de l’islamisme radical qui menaçaient le pouvoir des élites dirigeantes. L’analyse que propose Lavergne touchant le développement sociopolitique de la péninsule du golfe Arabo-Persique remet bien en perspective la problématique de la greffe d’une modernité occidentale découlant essentiellement de la rente pétrolière et de son importance stratégique[56]. Si le terrorisme issu d’une instrumentalisation du facteur religieux est source d’une menace d’une plus grande létalité[57], cette terreur sacrée pour reprendre l’expression de Rapoport[58], utilise, paradoxalement[59], toutes les ressources que lui offre la mondialisation. Donnons comme exemple, les ressources techniques (Internet, etc.) qui permettent, d’une part, la déterritorialisation des réseaux et leur connexion partout sur la surface du globe, et d’autre part, une sophistication des attentats. Il y a aussi les offshore et autres paradis fiscaux qui facilitent le financement des cellules[60]. Il ne faut pas oublier non plus que le caractère dual de certaines technologies et la nature même de notre développement, que ce soit avec les centrales nucléaires ou par la concentration urbaine par exemple, et le caractère ouvert de nos sociétés démocratiques misant sur la liberté et le respect de la loi par exemple, augmentent le potentiel de notre vulnérabilité.

Conclusion

Comme on peut le constater, les débats et les propos qui alimentent le drame du 11 septembre 2001, nécessitent une réflexion majeure pour en saisir toutes les nuances et les implications. Ce tour d’horizon proposé dans cette étude bibliographique ne tarit pas la richesse de chacun des ouvrages. Chacun à sa façon propose une clé explicative de cette tragédie sans nécessairement l’épuiser. Malgré l’impact d’un événement comme celui du 11 septembre, il n’en demeure pas moins toujours fragile de construire une lecture du monde qu’à partir de celui-ci[61]. De même, il ne faut pas tomber dans le piège inverse et proposer une rationalité ex post aux événements qui ont eu lieu. Comme le souligne avec beaucoup d’à propos Dominique David : « (les attentats du 11 septembre) ne nous font pas entrer dans un nouveau monde, mais nous expliquent, avec force, que ce monde est là[62] ».