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Cet ouvrage collectif sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale est un compte rendu d’un séminaire organisé en Belgique les 29 et 30 mars 2001 sur le thème de la circulation des décisions judiciaires dans l’Union européenne. Le thème se place très bien dans le processus en cours pour la création d’un espace européen commun, solidaire et sécuritaire. En effet, la circulation des décisions judiciaires est considérée comme un élément important de ce processus.

L’ouvrage est subdivisé en quatre parties thématiques précédées d’une préface de Koen Lenaerts, juge et professeur de droit et d’une introduction de Marc Verwilghen, ministre belge de la justice. Chacun d’eux expliquant à son tour les raisons et les objectifs recherchés dans ce sémainaire.

Dans une première partie, Anne Weyembergh et Daniel Flore ont analysé le principe, l’évolution et les conséquences de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale dans l’Union européenne. Anne Weyembergh a présenté les principales caractéristiques de la question depuis le Conseil européen jusqu’au traité de Maastrich en expliquant pourquoi « les textes destinés à reconnaître les effets aux jugements répressifs étrangers ont été marqués, de manière générale, par leur insuccès » p. 27. Elle a montré ensuite comment une impulsion nouvelle et progressive a été mise en place pour garantir la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales entre les États de l’Union européenne. Elle a aussi mis en exergue les conditions de réussite de la mise en place de cet espace européen « de liberté, de sécurité et de justice ». Selon l’auteure, l’une de ces conditions réside essentiellement dans le fait que les États doivent laisser de côté les réflexes nationaux centrés sur le principe traditionnel de la souveraineté et de la territorialité du droit pénal.

La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pose un certain nombre de problèmes dont celui de double incrimination et territorialité. C’est le thème abordé par Daniel Flore qui a fait ressortir les différents arguments des partisans de l’abandon de la double incrimination et les règles de compétence sur la nécessité de la double incrimination. Selon l’auteur « la question qui se pose à ce stade des réflexions est de savoir si le maintien ou la suppression de la double incrimination est bien le premier point à trancher dès lors que l’on veut s’inscrire dans le cadre de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales » (p. 74).

Dans une deuxième partie, cinq intervenants ont analysé quelques éléments importants relatifs aux décisions pré-sentencielles. Emmanuel Barbe a présenté un projet de décision-cadre relatif à la reconnaissance des décisions de gel des avoirs et des preuves en cernant le champ d’application et le mécanisme de la reconnaissance mutuelle. Il en vient au constat qu’une telle reconnaissance implique des changements radicaux qui vont être difficiles à obtenir. À cet effet, Julian Schutte a fait un certain nombre de commentaires et de propositions devant soutenir les décisions de gel des avoirs et de la présentation des preuves. Il a estimé que le langage juridique utilisé devra évoluer et être approprié et adéquat.

Pour Guy Stessens et Chris Jones, non seulement le cadre juridique devant soutenir une telle reconnaissance mutuelle exige de constants aménagements, mais il doit aussi tenir compte des crimes liés aux développements des technologies (cybercrime). Ainsi, pour Chris Jones, il faudra s’adapter, la coopération est fondamentale et une grande rapidité d’exécution est nécessaire. La dernière intervention de cette deuxième partie est de Gilles de Kerchove qui a abordé la reconnaissance mutuelle des décisions pré-sentencielles en analysant le lien entre le principe de la reconnaissance mutuelle et la notion d’espace, d’harmonisation et d’entraide pénale, la protection des droits fondamentaux entre autres. Selon ce dernier, il s’agit d’un ensemble de problèmes complexes et les solutions devront être par étapes et sur des projets expérimentaux ; mais il reste important et primordial que toute approche de solution valable passe par la confiance réelle et mutuelle des États européens.

La troisième partie de cet ouvrage regroupant sept intervenants est consacrée à l’exécution des décisions sentencielles dans certains États européens. Ce sont de courtes interventions relatives à des décisions sentencielles types en France, en Suède et en République Fédérale d’Allemagne. Selon Jürgen Jekewitz, il est important et utile d’avoir un instrument relatif à la coopération entre les États européens dans le cadre des décisions sentencielles. Son propos est illustré ici par les fondements sous-tendant l’initiative allemande relative aux procédures sur les infractions routières et l’exécution des sanctions pécuniaires y relatives. Dans le même ordre d’idée, Roland Gensen a fait quelques observations intéressantes concernant des initiatives récentes sur les sanctions pécuniaires en se référant au point 33 des conclusions du Conseil européen de Tampere. Se fondant aussi sur les projets allemand et britannique, il a montré les difficultés du processus et comment trouver un juste équilibre entre la nécessité d’exécution de la peine et la charge administrative que cette exécution engendre dans les pays concernés et aussi des résultats poursuivis.

La reconnaissance mutuelle des décisions sentencielles reste la pierre angulaire de la coopération judiciaire selon Gisèle Vernimmen ; mais les enjeux et les perspectives sont encore bien complexes pour Françoise Tulkens en raison de nombreuses questions délicates touchant « à la fois le fond et la forme, la technique et les principes, la politique et le juridique. Ces questions s’articulent et se désarticulent les unes par rapport aux autres » (p. 169). Mais, malgré les difficultés, l’auteure en vient à la conclusion que l’objectif de construire une Europe comme « un espace de liberté, de sécurité et de justice » doit être poursuivi.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à un certain nombre de questions spécifiques analysées par cinq contributeurs pour qui la reconnaissance mutuelle reste un objectif important. Pour Jo Dedeyne Amann, l’extradition est-elle déjà un anachronisme au sein de l’Union européenne ? En se référant au traité liant l’Espagne et l’Italie relatif à la poursuite des infractions graves sans procédure d’extradition dans un espace commun de justice, l’auteur a expliqué les objectifs poursuivis ici et en vient à la conclusion que c’est une voie possible pour l’Europe si l’on veut parler d’espace européen solidaire des décisions judiciaires pénales nationales. Les exemples spécifiques dans le domaine sont analysés et présentés comme un aspect de cette reconnaissance mutuelle globale. C’est ce qu’a fait F.R. Paulino Pereira dans son intervention consacrée à la reconnaissance mutuelle dans le domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles et commerciales. La coopération intercantonale suisse en matière pénale, malgré ses insuffisances est présentée ici comme voie pouvant servir de modèle pour l’Europe. Ainsi selon Bita Amirdivani, Yvan Jeanneret et Anne Jung, un concordat intercantonal sur l’entraide est « un outil de choix dans la perspective d’un espace judiciaire européen ».

Cet ouvrage est excellent. C’est une importante contribution pour les chercheurs intéressés par le sujet de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales dans l’Union européenne.