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L’intérêt de cet ouvrage court (8 chapitres, 117 p.), pour les lecteurs occidentaux, est d’exposer le point de vue d’un auteur serbe à l’égard des récentes guerres balkaniques et du rôle joué par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (tpiy) dans la réconciliation entre les nations déchirées par ces guerres, un point de vue tant théorique que pratique qui le différencie des connaissances ou des conceptions généralement acceptées dans les pays de l’Europe occidentale et en Amérique du Nord. Ouvrage de qualité, il s’adresse aux spécialistes et aux universitaires.

Au premier chapitre, l’auteur rappelle que les États-Unis et leurs alliés ont mené des attaques militaires, légitimées par le Conseil de sécurité pendant les années 1990 contre l’Irak et les positions militaires des Serbes bosniaques. Les agressions commises au nom du multilatéralisme dans les relations internationales auraient atteint un niveau constituant une menace majeure pour les pays qui n’ont pas de place à la table des décisions multilatérales dans les grandes organisations internationales. Le principe du multilatéralisme a été respecté à la création du tpiy, mais tous les membres de l’onu auraient dû pouvoir exprimer leurs inquiétudes et leurs suggestions concernant les poursuites, les procédures et la mise en oeuvre des sanctions. Seuls quelques pays ont joué un rôle actif de soutien au Tribunal et de contrôle de son travail, alors que les pays les plus concernés, c’est-à-dire les États de l’ex-Yougoslavie, sont apparus marginalisés et absents de la prise de décision à La Haye. Le Tribunal aurait pu faciliter la catharsis des sentiments de vengeance et d’affliction entre les nations blessées de l’ex-Yougoslavie s’il avait fonctionné comme un filtre de messages entre les communautés en conflit, assumant ainsi un rôle de réconciliation. Le manque de pouvoir du tpiy pour donner suite aux mandats d’arrêt a constitué une déception. Il a été perçu comme un instrument des grandes puissances pour exercer des pressions sur les pays des Balkans.

Dans son 2e chapitre, l’auteur affirme que toutes les élites politiques de l’ex-Yougoslavie, élites communistes devenues nationalistes, ont été coupables d’abus de pouvoir politique sous une forme brutale qui a résulté en massacres, nettoyage ethnique et génocide. Cependant, ni Alija Izetbegovic, Président de la Bosnie, ni Franjo Tudjman, Président de la Croatie, n’ont été inculpés. Le bombardement de l’otan au Kosovo a été un acte arbitraire d’agression. Les leaders politiques des pays occidentaux ainsi que les principaux responsables de l’onu devraient répondre de leur action et inaction qui ont résulté en désastres humanitaires et crimes de guerre.

Le 3e chapitre rappelle les évènements précédant les accords de Dayton. Les dispositions civiles de ces accords devaient établir une société civile en Bosnie, mais le retour des réfugiés a constitué un autre « crime contre l’humanité » de la part des pays d’Europe occidentale pressés de se débarrasser de leurs réfugiés. Le Tribunal aurait dû prévenir de nouvelles atrocités : les crimes de guerre les plus sérieux ont été commis après sa création.

Selon le chapitre 4, le rôle principal du Tribunal était de rapprocher les peuples séparés par la guerre, en les aidant à obtenir une catharsis par la clarification de la question de la culpabilité pour les atrocités de guerre. Parmi les objections soulevées à l’égard de la création du Tribunal, l’auteur en retient deux : le Tribunal a servi d’instrument politique pour exercer des pressions principalement à l’égard des Serbes. Les acteurs internationaux ne sont pas impartiaux : les États-Unis, les principaux soutiens du Tribunal, sont les patrons des Bosniaques musulmans, l’Allemagne soutient les Croates, la Russie est l’alliée (faible) des Serbes, avec la Grèce. Deuxième objection : les conditions inégales d’emprisonnement des inculpés condamnés. L’intégrité d’un tribunal dépend de l’intégrité de ses juges et de son indépendance opérationnelle, juridique et financière de tout gouvernement ou groupe d’intérêt.

Au chapitre 5, l’auteur critique les inculpations secrètes et rappelle les premières inculpations. Il déplore que les personnes inculpées dont les inculpations ont été annulées, n’ont pas droit à être indemnisées. Il critique le fait que la plupart des premières inculpations n’ont concerné que des officiers de niveau bas à moyen, à l’exception de Radovan Karadzic et de Ratko Mladic qui n’ont pas été arrêtés.

Dans son chapitre 6, l’auteur explique que les élites communistes au pouvoir ont utilisé leur monopole sur les médias, l’armée et la police pour créer un « enfer en désintégration » dans lequel tous les liens mutuels entre Serbes, Croates et Musulmans étaient oubliés au profit de la peur et de la haine.

Les tribunaux internationaux de crimes de guerre sont principalement une tentative de résolution d’un conflit en cours (chap. 7). Ils doivent donc transférer la responsabilité de nations entières à des individus coupables de crimes de guerre, et faire preuve d’une impartialité impeccable. Les premières inculpations doivent concerner les tueurs les plus notables dans tous les camps, et non pas les exécutants immédiats : donc, pas de stratégie de bas en haut. Cependant, au chapitre 8, l’auteur critique les inculpations de Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic et al. comme étant seulement basées sur leurs niveaux de fonctions, plutôt que sur des preuves de responsabilité dans des exemples précis. L’auteur critique l’intégration du Tribunal dans la diplomatie de l’otan. Le Tribunal doit être repositionné dans le cadre du système des Nations-Unies.

Malgré des outrances, l’auteur souligne à juste titre plusieurs des défauts du Tribunal : sa partialité relative, en privilégiant, à l’origine, les inculpations contre les Serbes par rapport aux Croates. Cependant, la responsabilité des Serbes dans le déclenchement et la poursuite des conflits et dans les principaux massacres et atrocités (le siège de Sarajevo, Srebrenica, entre autres) dépasse largement celle des Croates et Bosniaques musulmans.

L’auteur ne souligne pas que le tpiy a confirmé le précédent de Nuremberg en affirmant la responsabilité pénale individuelle des hauts dirigeants. Il a renforcé le droit humanitaire international par l’inclusion dans son statut du génocide et des crimes contre l’humanité. Il a érodé la distinction entre les règles s’appliquant aux conflits internationaux et celles s’appliquant aux plus fréquents conflits internes. Son fonctionnement et sa jurisprudence constitueront une base inégalable pour la Cour pénale internationale qui sera créée en juillet 2002. Il est exact que le Tribunal a été créé essentiellement par les États occidentaux, et qu’il a obtenu le soutien constant des États-Unis et le soutien inégal de l’otan. Le Tribunal aurait dû recevoir la coopération des États pour l’arrestation des personnes inculpées : la Yougoslavie ayant rejeté toute coopération avec le Tribunal (jusqu’à avril 2002), les arrestations n’ont pu être effectuées que par les forces de l’otan. On peut critiquer le refus du Procureur du Tribunal d’engager une enquête sur les accusations de crimes qui auraient été commis par l’otan pendant sa campagne de bombardements au Kosovo. Par ailleurs, l’indépendance, le respect des procédures judiciaires et l’intégrité des juges internationaux a été démontrée.

La thèse principale de l’auteur selon laquelle le Tribunal n’a pas conduit à une réconciliation des nations de l’ex-Yougoslavie est justifiée. En réalité, cette réconciliation ne se produira que quand ces nations se seront véritablement démocratisées, dans le cadre de l’Union européenne. Par son statut, le Tribunal a un rôle purement judiciaire : il a été créé « pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 » et non pour encourager une réconciliation. Les autres objectifs du Conseil de sécurité, soit « de contribuer à faire cesser les violations du droit humanitaire » et « contribuer à la restauration et au maintien de la paix », n’ont pas été atteints : un organe judiciaire ne peut pas remplacer l’action politique des gouvernements.