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La thématique du marché culturel ne cesse d’aiguiser la curiosité et la réflexion des chercheurs. Depuis quelques années, la culture est devenue la muse des discours politiques. D’aucuns prêchent des conceptions libérales visant à soumettre les biens culturels aux règles qui régissent les échanges des biens et des marchandises. D’autres tirent la sonnette d’alarme face à la puissance des géants de la communication. Ils considèrent que la libéralisation du marché culturel est non seulement antinomique à la sauvegarde de l’identité culturelle nationale mais aussi une manoeuvre visant à la planétarisation de la culture des pays riches. Les économistes s’y sont intéressés dès lors que le secteur culturel est devenu un agrégat économique et un marché florissant grâce à l’échange international des biens culturels : pour certains pays les recettes issues du marché des services (biens culturels) emboîtent le pas aux recettes provenant des secteurs classiques de l’échange international.

Les juristes, à leur tour, ne vont pas tarder à se préoccuper de ce domaine. L’encadrement normatif s’avère de plus en plus nécessaire à l’heure d’Internet et de la révolution numérique.

Les diverses approches et disciplines s’intéressant au marché culturel ont donné lieu à une littérature abondante et plurielle en la matière. L’intérêt de l’ouvrage sur « le marché culturel à l’ère de la mondialisation » résulte, d’ailleurs, de cette démarche qui combine à la fois les volets économique, politique et juridique.

L’auteur part de l’hypothèse selon laquelle le marché culturel se trouve actuellement au confluent de deux logiques : la logique de la mondialisation des échanges des biens culturels grâce ou à cause de l’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication et la logique de la préservation des acquis culturels. De là, il forge sa problématique qui gravite autour de deux interrogations à savoir d’une part, comment les biens culturels, au travers des théories relatives aux échanges, s’intègrent dans le commerce international et n’échappent pas aux facteurs de compétitivité entre les nations et d’autre part, dans quelle mesure un cadre réglementaire s’avère opportun pour réguler le marché culturel ? La réponse à ces interrogations a été apportée tout au long de cet ouvrage.

Dans le premier chapitre, l’auteur se livre à la délimitation du champ d’investigation en définissant la culture et les biens culturels comme des produits de l’esprit procurant un bien-être affectif, intellectuel et spirituel. En l’absence d’une classification type des activités culturelles, il retient la typologie relatant la tendance dominante au sein des Institutions internationales (onu, unesco, ocde...) à savoir que la notion du bien culturel désigne à la fois le produit culturel (imprimés et littérature, musique, arts visuels...) et le service culturel (film, radio, télévision, arts de la scène...)

Le second chapitre, s’attelle à vérifier si les biens culturels sont commercialisables. Il en résulte qu’ils sont soumis aux opérations d’importation et d’exportation. Pour ce faire, l’auteur part d’un constat chiffré à savoir que les échanges internationaux des biens culturels occupent une part importante du commerce international. Le total de l’ensemble d’exportation formé de l’imprimerie, de la musique, des films et des objets d’art est passé entre 1985 et 1993 de 13 milliards à 38 milliards de dollars. Les pays de l’ocde se taillent la part du lion dudit marché.

Le troisième chapitre vise à savoir dans quelle mesure la théorie classique du commerce international peut servir à identifier les déterminants des avantages comparatifs dans le domaine des biens culturels. L’auteur présente une série d’études empiriques entamées par divers chercheurs. Cinq types de biens culturels ont fait l’objet de ces tests empiriques (les livres, les journaux et périodiques, la musique, les films et les arts visuels). Les résultats dénotent que le capital et le revenu par habitant ne sont pas des éléments clés de la concurrence internationale. Ainsi, par exemple, la performance à l’exportation des films est positivement liée aux facteurs de recherche-développement et de capital humain. En somme, d’autres éléments interviennent et permettent de dévoiler les avantages comparatifs tels que l’organisation industrielle.

La dynamique industrielle traitée dans le chapitre 4 fait ressortir les avantages comparatifs dans le domaine du cinéma. L’auteur dresse une série de données explicatives de la domination du cinéma américain sur son rival européen. Parmi ces données, on recense la taille importante du marché domestique américain, la prédominance de l’anglais, l’attitude conservatrice du consommateur américain, la mythologie du système hollywoodien reposant entre autres sur le rêve américain (american dream) et le contrôle qu’exercent les firmes sur le système de distribution.

Le chapitre 5 relate les obstacles qui se dressent au commerce des biens culturels. Trois grandes mesures sont usitées par les États pour freiner l’accès à leurs marchés. D’abord, les obstacles réglementaires qui se manifestent sous forme de subventions (l’industrie culturelle est l’une des industries les plus subventionnées ), les restrictions liées au droit d’établissement et au contrôle de la propriété dans les domaines des médias et multimédias (législations canadienne, française...). Ces législations favorisent le monopole des États. Ensuite, les obstacles tarifaires revêtent plusieurs pratiques telles que la lourde taxe sur les produits cinématographiques (films américains taxés en Chine de 35 %). Enfin, les obstacles non tarifaires se matérialisant par des contraintes diverses : dans l’industrie des films, certains États exigent que les films soient diffusés en langue nationale ou encore d’autres pays comme la France exigent que le sous-titrage s’effectue sur leur territoire.

Le chapitre 6 aborde les raisons et le fondement des politiques interventionnistes étatiques dans le domaine des échanges de biens culturels. Cet interventionnisme apparaît d’abord au niveau des importations. Les pays se servent de l’argument de « la protection » de leurs industries naissantes pour les extraire de la concurrence qui risque de les faire disparaître. Ensuite, sur le plan des exportations, les États arguent de la « valeur de prestige » de certains biens culturels qui ne sont pas exportables à l’étranger.

Dans le chapitre 7, l’auteur énumère les différentes conventions internationales relatives aux biens culturels. Les Conventions de Berne de 1886 et de Genève de 1952 assurent toutes les deux les oeuvres littéraires et artistiques. Les dispositions d’abord du gatt ensuite de l’omc sur les droits de la propriété intellectuelle couvrent les droits d’auteurs, marques et fabriques, dessins et modèles industriels, brevets... Le même esprit se retrouve dans l’alena. Quant à l’Union européenne, son dispositif juridique met l’accent sur la promotion autant dans la fabrication que dans la distribution de programmes dits européens. Autrement dit, des quotas sont réservés aux oeuvres européennes.

Le chapitre 8 s’interroge sur l’éventualité d’une libéralisation du secteur des biens culturels. Cette libéralisation passera par l’application des principes du gatt (clause de la nation la plus favorisée, le traitement national et la concurrence). Une telle application risque de balayer « des pans entiers des législations nationales ». En raison de l’avènement du numérique et de l’Internet, il s’avère nécessaire d’adopter des règles internationales ne serait-ce que pour protéger les consommateurs, les mineurs et surtout d’agir contre le piratage des films, de la musique ou de toute oeuvre culturelle par Internet.

Au bilan, il s’agit d’un ouvrage qui traite la question des biens culturels de manière pertinente et didactique. Mêmes si parfois, certains chapitres peuvent apparaître comme des compilations de tendances ou de textes, cela présente l’avantage de resituer les questions sur les biens culturels dans leur contexte pour pouvoir par la suite apporter des éléments nouveaux dans la réflexion et l’analyse. Cet ouvrage peut être consulté par tout public qui s’intéresse de manière globale aux questions sur le phénomène de la mondialisation. On ne peut dire voici encore un ouvrage sur la mondialisation, mais voilà un ouvrage sur la problématique de savoir si les biens culturels vont être saisis et traversés par le phénomène de la mondialisation à l’instar des marchandises.