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Depuis quelques années, de nombreux travaux s’intéressent aux mutations politiques de l’espace européen en évolution constante. Dans cet ouvrage collectif, la démarche choisie par les auteurs consiste à présenter, de façon assez pragmatique, la place des fédérations européennes de partis au sein de l’Europe. Suivant une approche institutionnelle, les auteurs cherchent à comprendre par quels mécanismes les fédérations de partis peuvent consolider leur statut au sein du système politique européen afin d’influencer le processus de décision. L’angle d’analyse de ce livre n’est pas de nous proposer une analyse de l’identité post-nationale de partis politiques mais plutôt de définir de nouvelles règles d’un jeu partisan dans le cadre de la « gouvernance à niveaux multiples » (p. 22). Un discours parfois trop idéaliste peut en effet nous induire en erreur et nous éloigner de la constatation fort évidente que les partis européens restent solidement ancrés dans le jeu partisan national, ce qui a pour effet de réduire considérablement leur marge de manoeuvre.

Les « europartis » se distinguent à la fois des groupes parlementaires européens et des partis nationaux, car ils se situent dans un environnement extra-parlementaire plus proche de la logique des réseaux transnationaux. Ce positionnement apparaît comme l’aspect le plus dynamique de ces mobilisations, mais également comme le plus problématique en raison du caractère imprécis du statut de ces regroupements politiques. Au niveau européen, le principe des fédérations prend forme dès « l’instauration du Conseil de l’Europe en 1948 » (p. 9) et repose sur le modèle des internationales de partis communistes, socialistes et démocrates-chrétiens. Ce n’est qu’à partir de 1979, que les fédérations de partis prennent de l’importance en raison de l’organisation d’élections directes au Parlement européen. Par la suite, les grandes étapes de l’institutionnalisation de l’Europe : l’Acte unique européen (1988), le traité de Maastricht (1992), le traité d’Amsterdam (1997), précisent la place des fédérations. Il est important de noter que la plupart des auteurs soulignent la grande importance du sommet européen de Nice en mars 2000. Lors de cette rencontre « historique », les membres de l’Union ont adopté deux résolutions, l’une visant à clarifier le statut des fédérations et l’autre adoptant une base de financement durable.

La première partie de l’ouvrage précise certains éléments théoriques visant à cerner un peu mieux les fédérations européennes de partis. Le chapitre de Karl Magnus Johansson nous apparaît comme le plus pertinent, car il apporte un nouvel éclairage sur les contours de la construction d’une identité politique européenne. Par une complémentarité des travaux en relations internationales et en politique comparée, la réflexion s’inscrit dans les analyses sur la gouvernance. D’une part, l’auteur prend en considération les dynamiques globales de l’environnement international, notamment les nouvelles relations internationales entre le national et le supranational, passant en revue les approches institutionnelles classiques et les travaux sur la gouvernance et les réseaux. D’autre part, Johansson retient l’analyse comparée qui permet de considérer les rapports pouvant exister entre partis nationaux et partis européens, entre autres, le lien de dépendance des partis aux politiques nationales et le problème de la légitimité démocratique de l’arène politique européenne. À noter que l’usage du terme « politiques comparées » et non « politique comparée » ne permet pas de bien saisir l’apport méthodologique de la démarche comparative à l’objet d’étude. Les trois chapitres suivants abordent plus précisément la question de la légitimité des fédérations de partis. Ce qui se dégage, c’est que même si les fédérations ont pu se développer en tant que structure partisane, elles demeurent affaiblies en raison d’un déficit au chapitre du « lien électoral », d’un manque de clarté organisationnelle et de règles précises quant aux modalités d’attribution du financement des partis.

Les deux autres parties du livre portent sur les différentes familles politiques européennes. Cinq fédérations sont étudiées, soit le Parti des socialistes européens (pse), le Parti populaire européen (ppe), le Parti européen des libéraux démocrates et réformateurs (peldr), la Fédération européenne des partis verts (fepv) et le Parti démocratique des peuples d’Europe-Alliance libre européenne (pdpe-ale). Au début des années quatre-vingt-dix, les auteurs constatent une homogénéisation plus forte des partis européens qui s’explique principalement par la logique de l’institutionnalisation du système politique européen. Les fédérations adoptent en effet des structures assez semblables : congrès, conseils, bureau et réunion des leaders partisans. La présentation nous semble plus d’intérêt lorsque les auteurs abordent les trajectoires de chaque fédération, notamment les origines, le rapport qui s’établit entre les partis au sein de la même famille et la capacité d’influencer les décisions européennes. La dynamique se joue au niveau de la capacité de ces acteurs à forger un espace politique en marge de la souveraineté nationale. Au niveau des fédérations les plus fortes, pse et ppe, il semble se dégager une tradition vers l’intégration européenne mais également un contrôle par les directions nationales. Les analyses soulignent également leur plus grande facilité à influencer la décision en raison d’une meilleure représentation au sein des organes politiques de l’Europe (Parlement et Conseil de l’Europe). Les nouveaux acteurs, tels les Verts (fepv) et les régionalistes-autonomistes (pdpe-ale), fonctionnent selon une autre logique d’intégration, les écologistes partisans du modèle de la « démocratie de base », les régionalistes bien campés sur le pôle de la défense des périphéries.

En conclusion, Luciano Bardi rappelle qu’il faut adopter une démarche globalisante de la politique partisane européenne capable d’intégrer les trois composantes essentielles, soit les groupes parlementaires, les partis nationaux et les fédérations de partis. L’auteur donne un bilan mitigé de la place des fédérations européennes impuissantes à forger la dynamique transnationale au niveau de l’Europe. En fait, tout dépend plus de l’impulsion institutionnelle provenant du système et non des acteurs eux-mêmes toujours prisonniers de la logique nationale. Dans les prochaines années, le plus grand défi sera de répondre au faible intérêt des populations nationales au processus politique européen (on reste encore sous cette impression que l’Europe constitue un terrain d’entraînement pour les partis nationaux). En revanche, deux aspects nouveaux peuvent dynamiser l’Europe politique. D’un côté, l’élargissement de l’Europe permet d’étendre la dynamique transnationale en accueillant les nouveaux membres de l’Europe centrale et orientale. Bardi rappelle avec justesse que cette logique contient le risque de complexifier les rapports entres les familles idéologiques. De l’autre côté, les recommandations de Nice quant au statut et au financement des europartis deviennent un pas de plus vers l’intégration et l’institutionnalisation d’une logique transnationale en Europe. Selon nous, un autre problème qui mérite d’être considéré, c’est le danger de diluer les spécificités nationales vers un consensus politique au centre. En somme, ce livre présente clairement la dynamique organisationnelle des fédérations européennes mais on peut se demander s’il y a véritablement une construction supranationale. Cette lecture ne nous amène pas à explorer véritablement ce qu’on pourrait appeler la ceinture de la consolidation d’une identité européenne, telle l’action politique des mouvements sociaux et des nouvelles formes de mobilisation citoyenne, voire d’une société civile transnationale.