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Voilà un ouvrage qui s’avérera indispensable pour tous ceux qui suivent de près les grandes conférences internationales dont les préoccupations vont de la protection de l’environnement à l’adoption des règles commerciales à l’échelle de la planète. Étant donné la place grandissante occupée dans les médias par les organisations non gouvernementales (ong) en relation avec leur influence sur les grandes décisions des conférences internationales, on comprendra l’intérêt de cet ouvrage préfacé par René Provost de la faculté de droit et de l’Institut de droit comparé de l’Université McGill. Ce dernier fut-il le directeur d’une thèse sur le sujet qu’aurait écrite l’auteure Gaëlle Breton-Le Goff ? Rien ne l’indique de façon explicite mais tout laisse croire que ce volume tient son origine d’une thèse en droit. En effet, tous les paragraphes sont numérotés jusqu’au dernier, soit le 281e, et certaines pages contiennent davantage de texte sous forme de notes de bas de page que de texte normal ce qui caractérise bien les écrits des disciples de Thémis. On est donc en présence d’un travail mené de main de maître suivant les règles de l’art propres à la discipline de l’auteure. Le lecteur consultera au besoin cet ouvrage en fonction des informations spécifiques qui lui seront nécessaires en s’intéressant à la contribution d’une ou de quelques ong sur une problématique donnée en relation avec les grands rendez-vous internationaux dont Rio, Kyoto, Seattle, Johannesburg en ont fourni l’exemple depuis dix ans.

Tel qu’indiqué en guise de présentation, basé sur l’analyse de l’évolution de quatre négociations internationales à partir d’instruments de nature scientifique et technique, ce volume a pour ambition de contribuer à l’enrichissement des connaissances sur la question fort mal connue de l’influence normative des acteurs du droit international, tout en donnant aux ong les pistes de réflexion nécessaires à une meilleure action normative.

L’auteure cherche, en effet, à montrer certaines tendances observées comme celles se rapportant aux types d’ong qui fréquentent les conférences internationales dont le nombre s’accroît constamment depuis le Sommet de Rio. L’accès aux forums internationaux leur est de plus en plus facilité y compris ceux qui se veulent très restrictifs comme le Système du Traité sur l’Antarctique, l’omc ou encore la Banque mondiale. De simples observateurs qu’elles étaient, les ong sont vues de plus en plus comme des « partenaires » à part entière (Convention d’Ottawa) ou encontre comme des « contributeurs » (Convention sur la diversité biologique, Groupe de travail spécial composition non limitée sur la prévention des risques biotechnologiques) alors qu’elles sont considérées dans certains cas (par exemple, Comité scientifique sur la recherche en Antarctique) comme une menace de la part de celles déjà en place et désireuses de conserver leurs « droits acquis ». En fait, on le comprendra, l’auteure veut mettre en évidence le rôle exercé véritablement par l’expertise et la connaissance scientifique et technique détenues par les ong dans la formulation des normes internationales. L’atteinte de cet objectif a exigé une série de critères qui prirent en compte le degré de participation des ong aux conférences, leur rôle de levier dans la négociation, leur implication dans la mise en oeuvre des dispositions de la convention, et l’existence d’un projet de texte élaboré par les ong susceptible d’orienter une négociation. Les quatre négociations internationales qui ont permis l’utilisation de cet instrument d’analyse sont : la Convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992, le Protocole de Carthagène additionnel à la Convention sur la diversité biologique sur la prévention des risques biotechnologiques du 29 janvier 2000, le Protocole de Madrid du 4 octobre 1991 et la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction signée à Ottawa le 4 décembre 1997.

Comme il est impossible d’écrire tout un ouvrage sur les ong sans en avoir clairement donné une définition rigoureuse, l’auteure définit une ong internationale sur la base de trois critères : sa composition internationale, sa constitution de nature privée et enfin, il va de soi, son absence de finalité lucrative. Ce qui conduit à la définition suivante : l’ong internationale est une structure privée de droit interne regroupant des personnes privées ou publiques originaires de plusieurs pays, et qui oeuvre sans esprit de lucre à la réalisation d’un but d’intérêt général international dans des pays autres que celui de sa fondation. L’annexe 1 décrit 39 ong correspondant à cette définition. Notons parmi les plus connues du grand public : World Wild Fund for Nature, Greenpeace International et Human Rights Watch.

Pour avoir une idée de leur importance grandissante sur la scène internationale, l’auteure signale que des années 1970-1975 au sommet de Rio, les ong internationales sont passées de la centaine au millier. Alors que la Conférence de Stockholm sur l’environnement et le développement de 1992 avait attiré environ 400 ong, vingt ans plus tard, ce sont pas moins de 1 400 ong qui se verront accréditées pour la conférence suivante. Influencer les négociations et la mise à l’agenda de certaines préoccupations constituent deux des principaux défis qu’affrontent les ong. Ainsi, comme on peut le lire, la capacité des ong à déplacer le débat du militaire vers l’humanitaire a favorablement contribué à rendre très urgente la question des mines antipersonnel.

Mais, comme le fait remarquer l’auteure, il n’existerait pas d’exercice plus périlleux que celui de tenter d’identifier l’influence des ong sur le contenu de la norme internationale tant les facteurs politiques, diplomatiques et économiques sont enchevêtrés, multiples, et confidentiels. Ce serait pour le juriste l’aspect le plus intéressant de leur influence. La comparaison des textes rédigés par les ong avec les textes finaux négociés par les États donne une bonne indication de cette influence.

En conclusion, l’auteure mentionne qu’il revient aux ong de cultiver le début de croyance existant dans la communauté internationale pour asseoir de façon définitive le principe de leur participation dans les conférences internationales en tant qu’obligation.

Un livre aride, bien sûr, mais drôlement utile, voire nécessaire étant donné l’ampleur des problèmes auxquels s’intéressent les grandes ong internationales et la nécessité de prendre en compte les cris d’alarme qu’elles ne cessent de lancer.