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Ce bouquin constitue une contri-bution majeure à la discipline des relations internationales. Réunissant près de 35 spécialistes de pratiquement tous les horizons des relations internationales, cet ouvrage couvre de nombreux thèmes rencontrés actuellement dans la littérature. Le livre qu’éditent Carlsnaes, Risse et Simmons deviendra rapidement un incontournable, tant pour le chercheur qui désire connaître rapidement l’état actuel des travaux réalisés dans un sous-champ particulier que pour l’étudiant qui veut se familiariser avec une problématique donnée.

Divisé en trois grandes sections – enjeux théoriques, concepts et problématiques – ce livre rassemble quelques-unes des plus grandes têtes d’affiche de la discipline. Par exemple, James Fearon et Alexander Wendt co-signent un article portant sur le débat rationalisme versus constructivisme ; Beth Simmons et Lisa Martin se penchent sur les institutions et les organisations internationales ; Thomas Risse porte son attention sur les acteurs transnationaux ; Janice Gross Stein propose une revue des explications psychologiques des conflits internationaux ; Jack Levy traite de la relation guerre/paix ; Helen Milner s’intéresse au monde houleux du commerce international ; Lars-Erik Cederman analyse le lien entre nationalisme et ethnicité ; Hans Peter Schmitz et Kathryn Sikkink co-signent un article sur les droits humains internationaux... pour n’en nommer que quelques-uns. Les articles sont tous sensiblement construits de la même façon. Une première partie effectue une revue de la littérature pertinente ; une deuxième discute des points de tensions et, dans une certaine mesure, dresse un portrait des avenues de recherche potentielles ; enfin une bibliographie exhaustive assure un soutien pédagogique essentiel.

Mentionnons au passage et plus longuement un article. Andrew Hurrell examine la relation entre l’étude des normes et les questions éthiques internationales dans son article « Norms and Ethics in International Relations ». Il est possible d’identifier quatre types de normes internationales : régulatrice, constitutive, évaluative et pratique. Or, une tension existe à ce niveau chez les constructivistes. En effet, alors que Peter Katzenstein, dans l’important livre qu’il a édité en 1996, The Culture of National Security, néglige volontairement l’aspect prescriptif d’une norme puisque cet aspect fait appel trop directement aux questions de moralité, Martha Finnemore et Kathryn Sikkink, dans un article publié en 1998 dans International Organization, soutiennent au contraire qu’il est impossible de défendre une telle omission. Hurrell va encore plus loin et re-catégorise les normes en seulement deux types : régulatrice (qui inclut les constitutives) et prescriptive. Le deuxième type fait référence aux patterns of behaviour faisant appel à des considérations normatives et à ce qui doit être fait [ought to be done]. Il appert que la relation entre norme et moralité sera de plus en plus étudiée par les chercheurs et l’article de Andrew Hurrell représente, comme la grande majorité des contributions de ce volume, un excellent point de départ.

Il convient de noter toutefois deux faiblesses. Premièrement, les écoles réalistes, néoréalistes, les études critiques et le poststructuralisme ont été laissés de côté dans la première section du volume. S’il est mieux accepté que le réalisme et le néoréalisme ont de plus en plus de difficulté à démontrer leur pertinence dans les principales revues traitant de politique mondiale –, et que dans cette mesure ils ne participent plus vraiment aux enjeux contemporains – il en va tout autrement des études critiques et du poststructuralisme. Le dialogue entre constructivisme et ces deux approches des relations internationales est au coeur de revues telles que l’European Journal of International Relations. Le constructivisme viole-t-il le projet des études critiques comme le prétend David Campbell ou constitue-t-il une contribution vitale comme l’affirment Richard Price et Christian Reus-Smit ? L’hypothèse du middle ground avancée par Emanuel Adler dans un article de 1997 et réitérée dans le chapitre 5 du présent volume est-elle contestée par les écoles critiques ? Ce n’est pas que les études critiques et le poststructuralisme sont totalement ignorés des différents articles composant ce volume, mais plutôt qu’il aurait été bénéfique voire nécessaire dans le cas des études critiques qu’ils soient à même de faire entendre leur propre voix.

Deuxièmement, l’organisation générale du bouquin prend appui sur ce que certains estiment être le prochain débat en relations internationales, c’est-à-dire l’opposition entre rationalisme et constructivisme. Or, plusieurs auteurs ont récemment indiqué les limites intrinsèques d’un tel débat et il est permis de douter sérieusement de l’apport de ce débat aux études internationales. En fait, ce débat censé être présentement au coeur de la discipline est pour le moins que l’on puisse dire relativement absent de la littérature. Il est somme toute ironique de noter que la contribution de James Fearon et Alexander Wendt constitue un des premiers, sinon le premier échange direct entre les deux camps. Qui plus est, ces derniers concluent que « la relation entre le rationalisme et le constructivisme ne devrait pas être vue comme un débat mais bien comme une conversation. Puisque la connotation ‘débat’ entraîne les parties dans un conflit à somme nulle où chacun réaffirme pleinement sa vision du monde, le défi consiste à combiner les aperçus, à abaisser les frontières voire même, si possible, a synthétiser certains arguments spécifiques » (p. 68).

Dans l’ensemble, cet ouvrage constitue un apport important à la discipline des relations internationales, non pas tant parce qu’il formule une nouvelle vision des relations internationales mais bien parce qu’il synthétise adéquatement les enjeux théoriques, les concepts et les problématiques auxquels fait actuellement face la discipline. En d’autres mots, une valeur sûre pour le professeur et l’étudiant.