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En choisissant de traiter du concept de « biens publics mondiaux » (bpm) comme thème du colloque organisé en octobre 2001, la section des études internationales de l’Association française de science politique (sei/afsp) faisait le constat de la difficulté à cerner celui-ci du fait du caractère hétéroclite de ce qui était entendu comme entrant dans la catégorie (aussi bien la justice, l’équité, la santé, que le patrimoine culturel, le libre-échange, les marchés financiers stables…). Le sujet a largement été traité avec des approches économiques ou internationalistes, mais jusque-là aucune étude systématique du concept – proprement dit – n’avait fait l’objet d’une analyse de science politique. Les promoteurs du projet sont donc partis de la notion telle qu’elle est utilisée en économie (les biens publics sont des biens qui une fois produits bénéficient à tous). Du fait de l’utilisation de cette notion, de plus en plus fréquente au plan international, la question qui s’imposait alors était de savoir ce que pouvait être le contenu de ce concept, sa force heuristique et ses implications éventuelles dans l’analyse des relations internationales.

Quatre « entrées » furent privilégiées pour essayer de trouver des réponses. Tout d’abord il s’agissait d’examiner, à partir d’exemples précis, les conditions de production des bpm (genèse, histoire, construction) en s’interrogeant sur leur contenu et les possibles critères de définition. Ensuite, la question de l’égalité d’accès a conduit à traiter des producteurs de bpm et à analyser les phénomènes de privatisation ou d’appropriation de certains de ces biens. Dans un troisième temps, ce sont les mécanismes de la décision et la logique de l’action collective en matière de biens publics (y compris les contraintes qui en découlent sur les politiques nationales) qui ont fait l’objet d’études. Enfin, il s’agissait de s’interroger sur « la protection » des bpm.

Ce programme ambitieux et courageux a servi de trame aux quatorze contributions présentées dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de François Constantin, chez L’Harmattan en août 2002.

Un premier ensemble de contributions fait le point « des différentes déclinaisons possibles des biens publics mondiaux » (1e partie « À la recherche d’un concept » chap. 1 à 4). François Constantin ouvre la réflexion en resituant l’objet de la problématique dans ses rapports avec le « mythe » de l’intérêt public que la société politique temporelle cherche à consacrer sans être jamais parvenu à l’assurer définitivement. Il termine sa contribution en se demandant si – à défaut d’une réalité tangible – les bpm ne seraient pas une arme discursive nouvelle, utile pour repenser l’action collective internationale.

C’est Gérard Wormser qui analyse comment peut se « construire », sur le terrain de la négociation, un ordre international autour de la notion de bien public commun. En étayant ses propos sur l’histoire de la philosophie politique, il démontre que les bpm ne peuvent se construire qu’au coeur des luttes entre puissances. Jean Cousy montre à la fois les limites et les implications politiques de l’utilisation rhétorique de la définition « canonique néoclassique » des bpm (l’impossibilité d’exclure un utilisateur et l’absence de rivalités entre les utilisateurs) qui peuvent s’avérer contre-productives. Chaque utilisateur sachant qu’il ne peut être exclu va tout faire pour éviter de participer aux frais de production sauf s’il y est contraint par une autorité publique. Yves Schemeil s’intéresse plus particulièrement à l’ensemble des ressources immatérielles non marchandes fournies multilatéralement qu’il qualifie de « biens publics premiers ».

Le second groupe de contributions (chap. 5 à 8), sous le titre « Entre marché et morale » illustre l’ambiguïté qui est entretenue entre les différents sens du terme « bien » qui peut désigner aussi bien une chose « marchandisable » qu’une valeur ou un idéal. Quatre types de bien mondial sont étudiés : la stabilité financière internationale, la sécurité alimentaire, la con servation de la biodiversité et enfin la paix. À propos de la stabilité financière, C. Chavagneux montre comment l’analyse politique par l’approche des bpm apparaît effectivement comme « une rhétorique de la persuasion ». D. Compagnon constate que si la promotion des biens publics mondiaux par les organismes internationaux peut aider à « produire du sens dans un monde qui en manque de plus en plus » l’usage de concept comme le « développement durable » obscurcit davantage le débat qu’il ne clarifie les enjeux. D. Battistella conclut que le concept de bien public n’est qu’à un très faible degré pertinent pour cerner le problème de la guerre et de la paix dans le monde contemporain.

La rigueur scientifique invitait à procéder à des « essayages » sur des cas ciblés comme l’Eau, la Santé ou les Aires naturelles (chap. 9 à 11). Il ressort que chaque cas a sa spécificité dans l’usage qui est fait des bpm. Comme le constate F. Constantin, le modèle existe et « l’étiquette » est utilisée dans un cercle de plus en plus large d’acteurs de toute nature allant des organisations non gouvernementales internationales aux collectivités locales. L’enjeu de patrimoine commun est aussi un jeu de pouvoir (voir à propos du Canal du Midi les développements de W. Genieys).

La conclusion de M.C. Smouts ne remet pas en cause les doutes et les interrogations. Elle relève l’unanimité des contributeurs qui reconnaissent, tous, les limites de la validité théorique du concept de bpm comme outil d’anlyse pour la science politique. Elle fait aussi état des débats ouverts par ce projet collectif. Si certains rejettent le concept de bpm, d’autres, malgré ces limites, continuent à s’intéresser à la problématique qui peut avoir une utilité politique particulièrement pour réintroduire les principes de dialogue et de solidarité Nord-Sud. Cette démarche est lucide et ne gomme pas les difficultés à « vendre » un concept dont les faiblesses théoriques ont été, tout au long de l’ouvrage, largement démontrées.

La méthode de travail est un exemple à suivre et le résultat invite à réfléchir à la transposition des analyses à d’autres secteurs en mutation comme celui de la Société de l’information.