Corps de l’article

L’accord cadre signé entre l’Union européenne (ue) et le Mercosur lors du Sommet de Madrid en 1995 prévoit la mise en oeuvre d’un processus de négociation en vue de libéraliser le commerce bilatéral, de développer les relations politiques ainsi que la coopération. Cette démarche représente un fait nouveau puisqu’il s’agit de la première négociation entre deux unions douanières qui se sont dotées au cours des années 1990 d’une capacité de négociation autonome. Le processus de rapprochement n’a vraiment été lancé qu’en juin 1999 suite à l’impulsion donnée lors du sommet de Rio de Janeiro réunissant les chefs d’État et de gouvernement des deux blocs. S’inscrivant dans le contexte des négociations en cours, l’ouvrage codirigé par Paolo Giordano, Alfredo Valladao et Marie-Françoise Durand se présente comme un recueil d’articles rédigés par des experts indépendants de renom. L’initiative de cette publication est à mettre sur le compte du « Groupe de suivi des négociations Union européenne – Mercosur » de la chaire Mercosur établie à Sciences Po Paris. L’ouvrage s’inscrit dans le prolongement d’un séminaire organisé en 1999 conjointement par cette institution et l’Université de São Paulo et dont le thème portait sur : « Les enjeux politiques et économiques de la négociation Union européenne – Mercosur et le ‘noeud’ agricole ». L’objectif recherché est d’analyser dans tous leurs détails les divergences d’intérêts des principaux acteurs en vue de rendre plus claire la compréhension des véritables défis de la négociation. Les enjeux des principaux domaines abordés ainsi que les perspectives de la mise en place de l’accord d’association sont traités sous un angle que l’on pourrait qualifier de neutre et d’académique.

L’ouvrage qui cherche à dresser un panorama de la situation actuelle se place à la croisée des chemins entre les attentes des entreprises, des négociateurs et de la société civile. En clarifiant les positions de chacun et en intégrant les logiques, les raisonnements et les opinions des différents experts, les analyses ouvrent la réflexion sur l’agenda de la négociation, connectent divers champs fondamentaux et enrichissent l’expertise technique. L’ouvrage a une finalité pratique puisque les experts affichent sans le cacher leur volonté de contribuer au processus de négociation en tentant de cerner l’ensemble des paramètres qui doivent être pris en considération dans le dialogue politique. Comme le soulignent les auteurs dans l’introduction, le recueil se présente comme un exercice de diplomatie commerciale. Puisqu’il s’agit d’un ouvrage collectif, certains thèmes incontournables ont tendance à se répéter comme par exemple le protectionnisme européen ou encore le cadre normatif issu des négociations en cours au sein de l’Organisation mondiale du commerce. En outre, la plupart des analyses se basent sur des données chiffrées ou des graphiques qui viennent enrichir les commentaires.

Dans une première partie, l’ouvrage traite des questions stratégiques et systémiques liées à la négociation. L’ objectif est d’évaluer la marge de manoeuvre dont disposent l’ue et le Mercosur, ou encore de juger de l’espace disponible dans lequel peut s’insérer un dialogue constructif entre les deux blocs compte tenu de la présence d’éléments de bases sur lesquels les acteurs engagés dans la négociation ont peu d’influence. Par conséquent, les experts analysent les facteurs qui tendent à influencer les positions. Ils décrivent de manière très explicite l’environnement dans lequel prennent place les négociations et dont les éléments fondamentaux se situent bien souvent en dehors du contexte spécifique des relations ue – Mercosur. Les thèmes abordés sont principalement les différents cadres de négociation dans lesquels les acteurs des deux blocs ont pris part parallèlement à celui qu’ils mènent présentement entre eux. Il est donc question des cadres de référence que constituent l’Organisation mondiale du commerce (chap. de Vera Thorstensen), le processus de négociation en cours en vue de la création de la Zone de libre-échange des Amériques (chap. de Robert Devlin) et des différents accords de libre-échange que l’Union européenne a conclus avec des pays tiers (chapitre de Sheila Page). Dans le même registre, Patrick Messerlin présente une analyse sur la politique protectionniste mise en place par l’ue, notamment dans le domaine agricole, en tenant compte des réformes qui sont en cours et qui sont susceptibles de modifier les termes du dialogue entre les deux blocs régionaux. Finalement, Ramon Torrent focalise son attention sur le cadre institutionnel dans lequel prennent place les négociations entre l’ue et le Mercosur.

Concernant la deuxième partie, les experts analysent l’impact économique de la libéralisation commerciale et les intérêts politiques qui entrent en jeu. Pedro Da Motta Veiga se concentre principalement sur les éléments qui structurent la stratégie de négociation du Brésil alors que Félix Peña complète cette étude en offrant une analyse des intérêts qu’une telle négociation représente pour l’ensemble du bloc Mercosur. Pour leur part, Paolo Giordano et Masakazu Watanuki proposent une simulation de l’accord négocié en se penchant plus spécifiquement sur les effets économiques attendus pour chacun des acteurs. Finalement, Roberto Bouzas et Gustavo Svarzman font état des dissymétries observables au travers de la structure commerciale qui prévaut entre les deux intégrations régionales, mais que l’on peut également constater en matière de protection tarifaire et de subventions à l’exportation.

La troisième partie de l’ouvrage se concentre plus spécifiquement sur les différents thèmes qui sont considérés comme étant de grande importance pour chacun des acteurs et qui figurent ou non à l’agenda des négociations. Les thèmes clés abordés sont donc celui de l’accès au marché (chapitre de Antoni Estevadeordal et Ekaterina Krivonos), de la politique de concurrence (chapitre de José Tavares de Araujo Jr), du règlement des différends (chapitre de Klaus Bodemer), des règles d’origine (chap. de Claudio Dordi et Laura Beretta) ou encore de la difficile coordination des politiques macroéconomiques au sein même du Mercosur (Lia Cecilia Baker Fonseca Valls Pereira). Tout comme dans les parties précédentes, les experts font constamment référence aux cadres multilatéral et sous-régional comme facteurs explicatifs du comportement et de la prise de position des différents acteurs.

Finalement, la quatrième partie consacre son analyse à deux problématiques sectorielles. Une priorité toute particulière est accordée au domaine clé de l’agriculture puisque trois chapitres lui sont consacrés (Marcel Vaillant, Marcos Sawaya Jank et Catherine Laurent) et d’autre part, Alberto Brugnoli et Laura Resmini offrent une étude sur le commerce et l’investissement étranger dans le secteur industriel. L’ouvrage qui se présente sous la forme d’un guide d’accompagnement se termine par une série d’idées sur les grandes orientations qui pourraient contribuer à faire avancer les négociations en tenant compte des différentes conclusions auxquelles sont parvenus les experts. Le travail proposé de suivi des négociations cherche à rendre plus facile le processus en cours en clarifiant et en divulguant les attentes des uns et des autres.